MADRID-BARCELONE

Le principe d'auto-détermination", la notion de "peuple" et la conception de la "nation"
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
12/11/2017

MADRID-BARCELONE

Le principe d'auto-détermination", la notion de "peuple"

et la conception de la "nation"

Irnerio Seminatore

 

Hiérarchie des normes et différence de statut


La réponse que les élections politiques du 21décembre prochain apporteront à la crise ouverte par la déclaration unilatérale d'indépendance de la "Généralidat de Catalunya", procédera d'une série d'interrogations et influera sur les réponses qui seront apportées par cette épreuve de vérité.

Cette réponse concernera:
- les problèmes de cohésion et de sécurité de l'Union européenne et de ses États-Membres, en leurs relations avec le système européen et international.
-la hiérarchie des normes et la dissymétrie de statut entre l’État espagnol et la Région autonome, dans l'organisation de l'ordre et la transformation des sociétés.
- les options historiques de l'Espagne et de la Catalogne pour répondre aux défis du monde moderne et à la philosophie d'émancipation, inhérentes à leurs conceptions de la "légalité" et de la "légitimité".

Quant à la différence de statut, la mésentente achoppe, tout particulièrement sur ce point et, plus précisément sur :

- la reconnaissance par  la "Communauté des États" de Madrid, comme acteur de droit public international, détenteur de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'unité politique du pays
- le caractère subordonné de Barcelone, comme actant du droit public interne, mais prétendant à une reconnaissance d'acteur légale et légitime, dans sa revendication d'indépendance et de sécession.

La dispute porte, au fond, sur les deux aspects de la titularité juridique et implicitement politique, des deux "sujets de droits":
- la détention formelle de la légalité constitutionnelle de la part de Madrid,
- la détention factuelle d'un intérêt "légitime" de droit interne par Barcelone, qui découle de l'adoption par les catalans, de la notion de "peuple-nation"

Ces deux aspects de la subjectivité juridique définissent ainsi les enjeux du conflit et sa "limite", hormis le conflit civil.

La référence à l'art .1.2 de la Charte des Nations Unies, mentionnant "l'égalité de droit des peuples à disposer d'eux mêmes" n’est qu'un artifice rhétorique, pour légitimer la déclaration d'auto-détermination et d'indépendance.

Il faut souligner que, dans ce litige, toute argumentation concernant la définition de "sujet de droit "est décisive pour l'analyse des compétences des deux parties et pour la définition de leurs statuts respectifs.

Sous cet angle, l’État est le seul à personnifier "la volonté générale" de Rousseau au plan international, instaurant un rapport de subordination pour tout autre pouvoir interne.

La "légalité" permanente du politique s'oppose ici à la "légitimité" variable du suffrage des parties constituantes.

L'invention du peuple.

Il en résulte que la figure du "peuple" est une fiction, celle d'une "volonté en devenir".

La notion de "peuple", affichée par la déclaration d'auto-détermination et d'indépendance, désigne un ensemble d'hommes, ayant la capacité d'exprimer la volonté"représentative" de l'échiquier politique local, mais elle n'indique nullement la remise en cause d'un nouveau pacte constitutionnel.

Cet ensemble d'individus réunis,ne peut disposer d'un droit propre et originel, mais d'un "droit dérivé",défini par le cadre des pouvoirs existants.

Pour qu'une entité sociale existe comme "communauté de destin", douée d'une appartenance permanente et durable, la notion de "peuple" a besoin qu'on reconnaisse ce dernier comme porteur d'un intérêt spécifique, caractérisé par la perspective de devenir une "nation".

En cas contraire, il demeure une "entité politique non aboutie".

Comment reconnaître aux catalans des droits originels, sans une "rupture constitutionnelle" ?
Pas d’autodétermination, de déclaration d'indépendance ou de sécession, dans le cadre indissoluble de "l'unité de l'Espagne" !

En réalité le contrat fictif, stipulé dans une urne électorale et  à bulletin secret, ne peut fonder une communauté d'affects, mais seulement une association de"raison", bref une démocratie abstraite, fragile et formelle, ni sociale, ni ethnique.

En termes de caractérisation, ce type de "peuple" est un peu plus qu'une masse indistincte et beaucoup moins qu'une nation.

Il constitue une figure intermédiaire entre le "laos" (une foule assemblée) et le "demos" (une assemblée de citoyens), ou encore un ensemble d'hommes, à qui l'humanisme progressiste a attribué abusivement des droits sans responsabilités.
La légitimité qui lui est gratifiée par des courants d'idées et par une conjoncture intellectuelle partisane, ne lui suffit au "peuple catalan" pour être reconnu comme acteur d'un système international.

C'est seulement la mise en perspective de la relation "peuple-nation", qui désigne, à posteriori," l'invention" d'un peuple (Shlomo Sand," L'invention du peuple juif," 2008).

La révolte des anges

Aux yeux de Madrid en particulier (et pour Bruxelles de manière générale) toute déclaration auto-proclamée d'indépendance équivaut à la révolte de Satan, dans sa volonté d'être l'égal de Dieu et le Maître du royaume des cieux. Ce crime est infernal, car il a suscité la révolte des anges (Puigdemont, le N-VA, M.me Sturgeon et autres chefs des régions d'Europe).

Ainsi dans cette dispute, semblable au mystère des iniquités, Puigdemont, qui gouverne les catalans par les moyens de la passion et des convoitises humaines, en profèrant "le grand mensonge", comme Satan, est, comme Satan, menteur et père du mensonge.

Il voudrait soulever le monde contre Dieu, qui ne l'a pas encore jeté sur terre, ni lié au fond de l’abîme, ni brûlé dans l'étang de feu, car il s'est enfoui dans le "Putain Babylonien" (M.Luther) de Bruxelles, ce Sodome et Gomorrhe des temps modernes, foyer d'incestes et de négoces infernaux.


La Déclaration d'Indépendance. Ses prémisses et ses conséquences


Toute déclaration d'indépendance est un acte politique et, virtuellement, conflictuel.
Il affirme une prétention, inacceptable par le pouvoir central et concurrent.
Si la volonté sécessionniste s'exprime par "référendum", celui-ci doit être nettement distinct d'une simple "consultation populaire", sous peine de nullité.
Le premier est de compétence de l’État, le deuxième de la Région autonome.
Ainsi dans un cas est assuré le respect de la légalité constitutionnelle, dans l'autre la légitimité des opinions et du suffrage.
Historiquement "le droit des peuples à disposer d'eux mêmes" a été réservé aux peuples colonisés, ou sous domination étrangère (sous la contrainte d'une armée ennemie et étrangère), émanant d'une autorité distincte de celle opprimée.

Qui oserait affermir aujourd'hui qu'il s'agit du cas de la Catalogne?

Droit des minorités et droit de sécession


L'argumentation de certains partisans du droit de sécession (Ioan Ridao Martin-Univ. de Barcelona) reposerait sur l'exigence d'une protection constitutionnelle du "droit des minorités" et sur "une négociation continue" avec l'autorité centrale, sans en expliquer cependant  les modalités et la logique.
De la carence de négociation il découlerait un droit de sécession et une revendication légitime de souveraineté.

Or, puisque l'exercice de ce droit "supposé", entraînerait "le démembrement, ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale et l'unité politique de tout État, souverain et indépendant", l'argumentation catalane et celle de ces tenants, s'oppose à la résolution 2625, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 24 octobre 1970.

Le raisonnement est ainsi déplacé vers la tutelle des minorités, sans analyser les conséquences de l'affaiblissement de l'Etat et sans préciser la nature de l'approche, totalement autiste, interne ou internationale.
Dans cette querelle, opposant l'indépendantisme catalan au centralisme madrilène, il est impossible pour Barcelone de prétendre à une entité significativement distincte du reste de l'Espagne, en retenant le critère ethno-culturel de J.G.Herder et en affichant le refus obstiné de celui de Renan.
En même temps il est difficile de s'affranchir du lien de subordination de la "partie" par rapport au "tout".

Les tenants souverainistes de l’État défendent en revanche une conception globale et unitaire de la "nation", comme rempart contre les risques de dissolution de celle-ci et s'opposent aux théories de la mondialisation (interdépendance et société planétaire), à l'échelle du système international, ainsi qu'à la conception de "l'Europe des Régions", au lieu de l"l'Europe des Nations", au niveau du système européen.

En effet le changement de la perspective juridique a des conséquences importantes et graves non seulement pour l'Espagne, mais pour l'Europe entière, car il remet en cause la philosophie et la structure de l'Union et celle de son paradigme essentiel et fondateur, la politique de stabilité, de sécurité et de paix, auquel tend toute communauté humaine.

L’implosion espagnole et ses répercussions


Or l'ordre européen qui a été bâti depuis 1945, ne survivrait pas à une implosion interne espagnole, remettant en cause, sous mystification démocratique, l'édifice institutionnel réalisé jusqu'ici.
D'autant plus que, bien avant le "Brexit", l'Union Européenne a toléré, voire poursuivi l'éclatement de plusieurs États européens, l'Union soviétique, la Tchécoslovaquie et la République Fédérative Yougoslave, avant d'appuyer la politique d'élargissement et le démembrement de l’Ukraine.

L'Union Européenne, rétrécissant la territorialité et l'unité politique de certains États, a transgressé non seulement à la déclaration, déjà citée, des Nations Unies, mais a inscrit son projet d'intégration continentale, dans une dynamique contraire à ses intérêts et dans la cohérence discutable d'un "projet" opposé à celui des Pères fondateurs, voué à la promotion d'une Europe politique, indépendante et autonome.

Cette décapitation du "projet" initial a comporté et comporte un affaiblissement stratégique, un appauvrissement culturel et une atteinte civilisationnelle.

De surcroît elle a fait de l'OTAN le seul foyer de regroupement et la seule institution unitaire des pays européens, sous la forme d'une alliance militaire contre un ennemi, désigné par la puissance extérieure dominante, la seule à décider de la survie et du destin du continent.

Dans l'hypothèse d'un succès du secessionisme catalan, la réussite du mythe de l'indépendance serait celui d'avoir soumis encore plus l'Europe, par la voie de ruptures successives, au triomphe inespéré d'Hégémon.

S'évanouirait toute perspective de l'Europe comme puissance d'équilibre au profit d'une désintégration lente et inévitable, dans laquelle s'engouffreraient les appétits des puissances extérieures, avides de démembrement du continent et prêtes à donner main forte à des mouvements internes faibles et politiquement orientés vers la mouvance islamo-gauchiste.

La menace du chaos ne serait pas seulement économique, puisqu'elle conduirait tout droit à la déstabilisation régionale et à un conflit de grandes proportions.

La fausse illusion de liberté des catalans se traduirait par la perte d'indépendance de l'Europe et par l'échec historique de l'Union européenne.

Se lèveraient alors dans le sang les deux bêtes immondes de Hobbes, Léviathan et Behemoth, pour nous rappeler que la société internationale est encore et toujours une jungle et un état de nature, où l'homme est l'ennemi de l'homme.

Téléologie et politique

In fine, dans ce litige, la grande question de fond est d'ordre téléologique, tout en demeurant juridique, car elle tourne autour du primat, de motivation et de connaissance, du"sentiment" ou de la "raison".
Le primat du sentiment et de la passion politique exalte les doctrines de l'ordre naturel, qui précèdent les savoirs et la science, les catégories juridiques et les paradigmes constitutionnels.

Ce type de primat est l'expression d’une identité collective agissante et brimée, que la sécularisation du monde a empreint d'idéologie agnostique et de particularisme régional.

Ce primat, d'ordre romantique, a influencé le rapport de l'homme avec le monde fini et l'organisation de la société (la langue, l'environnement et la culture), s'insinuant, en amont, dans une anthropologie providentielle de l'histoire, engagée dans une aventure militante.

En revanche, le primat cognitif de la "raison", exalté par les "Lumières historiques" a banni le sentiment, humanisé l'histoire, problématisé le monde, inventé le "peuple" et promu l’État-nation.
Or dans cette querelle d'ordre temporel, de quel coté se situent-elles Barcelone et Madrid?

A qui l'issue de la guerre civile espagnole a été plus défavorable? A quel camp le bain de sang de la révolution jacobine et termidorienne, ainsi que les révolutions bolcheviques et fascistes du XXème siècle ont inspiré plus de modèles et, au fond, plus de crimes?

L’Histoire se répète elle?
Le sentiment s'oppose-t-il à la raison? L'idéalisme (et l'utopie) au réalisme et à la politique concrète?

L'expérience historique et les questionnements

La sanglante épopée de la révolution française au nom de la "raison", brimant le droit des peuples et ceux des nations est à l'opposé de l'idéalisme wilsonien et kantien de l'utopie de l'Union européenne.
Or le principe du "droit des peuples à disposer d'eux mêmes" a-t-il défini, sans difficultés et sans équivoques la notion de "peuple" et ses perspectives?

L'esprit rationaliste et démocratique donne-t-il une réponse aux philosophies et doctrines de la modernité, édifiées à partir d'utopies, de théories ou de lois?

Une tentative de réponse a été apportée par Ortega Y Gasset, lorsque il a mis en évidence que le débat d'aujourd'hui reprend la controverse sur l'essence de la civilisation moderne.

Dressant un réquisitoire sévère sur le prométhéisme de la post-modernité, il anticipe sur la querelle actuelle, dictée par la combinaison militante d'une technocratie élue, d'une synthèse démocratique keynéso-libérale et du rejet romantique de l’État de droit,, conjugué avec des mouvements d'idées, nés de la mondialisation et des grands utopies à base rationaliste.

Bruxelles, le 12 novembre 2017