L'EUROPE AU POINT D'ÉQUILIBRE

Entre conjoncture interne et conjoncture internationale
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
27/9/2010

TABLE DES MATIÈRES

L'Europe à deux faces

Le désenchantement du monde qui avait sécularisé les vieilles religions affecte désormais l'Europe.

Il érode aussi bien le domaine des réalisations que celui des politiques et investit les structures institutionnelles et les stratégies.

L'idée d'Europe se rétrécit. Elle se relativise et se banalise et dans certains cas devient l'objet d'un rejet. Au même temps l'heure des bilans mesure avec froideur l'écart entre prémisses et résultats et analyse le parcours accompli et les domaines inexplorés. Il reste cependant un espace entre enquête sur l'Europe et quête d'une certaine idée de celle-ci, une idée historique et toute politique du continent, la seule qui vaille et la seule qui justifie l'entreprise poursuivie; celle que personne ne répudie et qui défie tout espoir.

Dans l'investigation sur cette Europe à deux faces, à deux vitesses et à deux parcours, celle de la réalité et celle de l'idéal. Les enquêteurs, sans nous dire ce qu'ils recherchent, se bornent à l'analyse de la première, l'Europe intégrée, la seule qui puisse se soumettre à l'observation et à la science politique, car la deuxième reste l'apanage des militants, des utopistes et peut-être, d'un futur possible.

L'Europe accomplie

A quoi se résume-t-elle, l'Europe à deux faces, l'Europe accomplie et l'Europe intégrée, sinon au Marché Unique et au Traité de Maastricht puis à la réalisation de l'Euro et d'un espace économique aux forces et tensions divergentes? Et encore à la réalisation d'une PESC/PESD inachevée et restée largement de compétence régalienne. Sous l'effet de la mondialisation et des marchés déréglés, la crise économique soumet le marché interne à des pressions qui reportent en arrière la construction de l'Europe et légitime davantage, aux yeux des opinions, la protection de l'État et le nationalisme économique. Ceux-ci deviennent les repères d'un jeu d'équilibre entre régulation et concurrence, logique du projet et champ de la solidarité. Dans une pareille conjoncture, les États reprennent une dimension et une influence, qu'on avait voulu déplacer vers l'Union, aiguisant le vieux contraste entre les deux logiques, communautaire et inter-gouvernementale.

 Ainsi l'Europe intégrée n'apparaît qu'une zone de libre-échange améliorée mais de plus en plus déréglée. Le regard de l'analyste constate par ailleurs que l'Europe accomplie est celle de l'achèvement de la réforme institutionnelle, celle du transfert quasi permanent de compétences et de ressources dans des domaines partagés, constat qui pousse les opinions à exiger une « pause ».

Une « pause » dans le processus d'amaigrissement des prérogatives de l'État et d'« arrêt » dans le seul secteur dynamique de l'Europe intégrée, celui des élargissements. Ce dernier fut justifié par l'imprévu de l'Histoire et par l'obligation de réunifier les deux tronçons et les deux âmes de l'Europe, l'Est et l'Ouest, que le rideau de fer avait séparés.

 La perspective d'une dynamique ultérieure imprévisible, et aux yeux de beaucoup injustifiée et coûteuse, l'adhésion de la Turquie, renforce la tendance à l'immobilisme. Le débat de fond sur le système international, les grands équilibres mondiaux, la place de l'Europe dans la distribution globale de la puissance, l'indispensable fonction motrice qui est celle du Leadership ,autrefois franco-allemand, demeurent les grands absents du débat.

 Encore, la définition d'un espace de clôture ou d'une frontière, n'embarrassent que les spécialistes. Ce refus d'une marche en avant indéfinie, n'a pourtant pas apporté de réponse à la « géométrie réduite » de la construction européenne, celle de l'approfondissement et de la « coopération étroite » entre « Etats d'avant-garde » pouvant préfigurer une Union approfondie sans que cela provoque la constitution d'« arrière-gardes » rancuneuses ou turbulentes.

 « Status quo » et point d'équilibre

L'Europe est à mi-parcours entre avancées et retours en arrière, consolidation et nouvelles aventures, objectifs atteints et résultats espérés. L'immobilisme constitue ce point d'équilibre, certes instable, atteint par un continent hésitant entre satisfaction et insatisfaction, poussées vers l'avant et peur de l'inconnu et qui a perdu tout élan pour vouloir aller plus loin. Il reste à espérer une secousse, un sursaut, que représentent les surprises de l'Histoire ou les grandes crises politiques. Machiavel n'avait-il pas rappelé que la seule « Virtù » n'est que pour la moitié dans l'aventure humaine et qu'il faut la « Fortuna » ou le hasard, pour la conversion de l'Utopie en pouvoir militant ?

 Dans ce « status-quo » ancillaire les opinions européennes se sentent-elles encore unies dans le désir d'Europe ou dans l'ambition de forger ensemble un destin commun ? La résultante logique d'une pareille situation est un écart grandissant entre réalité et rhétorique .Qu'en est-il aujourd'hui de l'Europe politique et de l'Europe des institutions, sources de légitimité différentes aux yeux des citoyens ? La première désigne une Europe qui existe dans le monde, la deuxième le système exécutif qui lui permet de gouverner les chocs extérieurs et de se gouverner elle-même à l'intérieur. Or, en son abstraction, l'unité institutionnelle est le fait de disposer d'un centre indépendant de pouvoir, d'une fonction reconnue d'autorité et d'un noyau légal de commandement.

Cet « arcanum imperii » doit pouvoir articuler les trois « morales » de toute action historique, la « morale de la loi », de la « force » et « de la conscience » ou encore les deux leviers, de la « puissance civile » et de la « puissance militaire ». Ceci dans l'abstrait. Or et paradoxalement, l'Europe, en calquant la notion de « gouvernance », en soi multilatérale, sur celle de « gouvernabilité » en soi unilatérale, et en privilégiant la métaphysique des intérêts particuliers et corporatifs au profit de l'« intérêt général », ne peut promouvoir un « grand dessein » pour le monde, autre en sa portée, que l'aide humanitaire ou l'aide au développement dévoyée de ses fins.

 De surcroît, sur trois grands dossiers hérités de la Guerre froide :

  • la Russie, la sécurité énergétique et la structure européenne de sécurité

  • le Proche et Moyen-Orient auquel il faut ajouter l'Irak, l' Afganistan, l'Iran et le Golfe

  • une Ostpolitik eurasienne et mondiale de l'Union,

    l'Europe n'a pas encore défini une conduite unitaire.

Et cela surtout en raison d'une carence conceptuelle et stratégique.

Le changement de paradigme géopolitique originel, qui aujourd'hui n'est plus l'Europe mais l'Eurasie, conduit à un rétrécissement de l'Occident et, comme à l'occasion de l'Irak, à un risque de schisme de ce dernier. En fait, l'Europe qui fut grande dans un cadre purement national doit continuer à rester grande dans un cadre mondial et global. Et si elle doit assurer la paix comme source de bonheur pour l'épanouissement de l'humanité, elle ne doit pas oublier l'incitation sévère de Thucydide: «  il n'y a pas de bonheur sans liberté, ni liberté sans vaillance ».

Le prix de l'irrésolution

Par ailleurs et au plan institutionnel, elle paye le prix de ses irrésolutions et, sans aucune garantie de résultat, l'Union infirme le principe de représentativité de l'« intérêt commun » pour la ratification du Traité de Lisbonne, et cela par la reconnaissance des commissaires comme « représentants » des Etats-membres. Cette inversion de la représentativité institutionnelle qui dénature le trait plus spécifique de l'Europe intégrée, la représentation de l'intérêt « général » au profit des particularismes nationaux, engendre une série de conséquences.

  • La première tient au système de décision, qui en est amoindri. En effet le principe du vote non pondéré met sur le même plan sein de la Commission et pénalise le système de décision en tant que tel, puisque celui-ci doit faire recours au « consensus », dont le dénominateur commun est l'intérêt du plus égoïste ou celui du récalcitrant, et dont le résultat final est la paralysie.

  • La deuxième est le transfert de la représentativité vers les grands Etats, qui ne se reconnaissent pas dans un système de décision déséquilibré, un système pourtant fondé sur le bicaméralisme et sur des « procédures législatives ordinaires ».

  • La troisième, en bonne conséquence logique, est le renforcement des pouvoirs du Président de la Commission, poussé à la recherche de « Directoires » semi-permanents (inner cabinet), dans le but de faire passer des initiatives souvent souhaitées par le Conseil. Ceci ne peut que favoriser la tendance « présidentialiste » du jeu institutionnel.

Il en résulte également un effacement et/ou une soumission du rôle du Président de la Commission à la Présidence tournante de l'UE, et suit à la ratification du Traité de Lisbonne, à la Présidence semi-stable du Conseil.

 L'impact de la politique internationale sur le rééquilibrage des pouvoirs

Ainsi, en absence d'un « Leadership » reconnu, identifié et responsable, reflet des réalités des pouvoirs et des poids des nations, la fonction de la « gouvernance » de l'Union se brouille et se complique. L'impact de la politique internationale tend à produire un rééquilibrage des pouvoirs au profit des organes et des institutions « politiques » de l'Union.

J'appellerai celles-ci les figures, rôles et institutions, tournés principalement mais non uniquement vers la « gouvernabilité du système » international et donc vers l'adaptation à la « Balance of Power », des questions géopolitiques et de sécurité et des dilemme stratégiques majeurs. Elles sont à distinguer des fonctions de négociation et de gouvernance, interne et transnationale, qui relèvent de la coopération, de la solidarité et de la croissance.

Or, en conclusion, l'Europe d'aujourd'hui ne peut et ne doit rester une puissance « intravertie » ni une « puissance civile » ou une « puissance en équilibre ».

Elle doit devenir une « puissance politique » au plein sens du terme et de plein exercice. L'Europe reste incontournable au plan international dans une série de domaines importants, comme la concurrence, l'environnement, le marché intérieur, le changement climatique ou la question de l'Euro mais guère dans la politique étrangère ou la sécurité.

« Gouvernance » et « Gouvernabilité »Concepts et distinctions

Pour mieux réussir dans son évolution souhaitable, elle doit conjuguer la fonction politique de « government » ou de « gouvernabilité » du « système de la Balance » avec la fonction de « gouvernance » et de régulation du « système des interdépendances ». Le « government » (ou la « gouvernabilité ») se définissent par le but de réguler l’anarchie internationale et les intérêts égoïstes des États et donc de disposer d'un moyen spécifique, la force physique et « d'une activité directive autonome de domination, en forme institutionnelle » (Max Weber)1. La « gouvernance » par l’idée d’établir une coopération vertueuse entre les institutions et des formes améliorées de coordination entre l’État et la société, aptes à rendre efficace l’action publique et à la légitimer aux yeux des citoyens.

Dans tout système international, hétérogène par nature, la « gouvernabilité » est la résultante de formes de coopération incomplètes, de compétitions violentes ou de jeux de coalition entre acteurs étatiques, influencés par les logiques contradictoires de la « Balance of Power ». Dans ce cadre, l’équilibre et le déséquilibre sont considérés comme des instruments de régulation du désordre international. De la même manière, la dissymétrie des capacités politiques, culturelles et militaires, dicte une hiérarchie de statuts qui engendre un état constant de tension et d’insécurité entre acteurs essentiels et non essentiels, États conservateurs et États perturbateurs, structures de pouvoir établies et êtres politiques quelconques.

 Ceci fait de la « gouvernabilité » l’aspect principal de la poétique historique. Le mot de « gouvernabilité » évoque celui d’« ingouvernabilité » et de « crise » et postule en retour un état de tension permanent entre intérêts discordants et principalement une division des rôles politiques entre puissances symétriques et asymétriques. Le terme de « gouvernance » est entré dans le vocabulaire de l'UE depuis qu'on a essayé de la définir en 2001, dans le Livre Blanc de la Commission. Elle est présentée comme l'« ensemble des règles, des procédures et des pratiques ayant trait à la manière dont les pouvoirs sont exercés »2.

La « gouvernance » définie par le Livre Blanc comme modalité et procédure du politique est soumise à la dispersion du pouvoir exécutif entre plusieurs institutions de l'UE, dont certaines sont tournées vers la politique étrangère, d'autres vers la politique interne et d'autres encore sont à caractère mixte (ex Relex). Elle est bien lointaine des fondements du « pouvoir d'exception » de Carl Schmitt, celui d'une autorité dont le but essentiel est de trancher sur l'imprévu, qui est la vrai « norme » du système international.

 Avec cette distinction de fond :

  • que les « normes et les procédures » de la gouvernance, représentent la réponse souvent multilatérale à une prévision législative contraignante et donc à une normativité prédéfinie,

  • que les décisions de gouvernance des acteurs principaux du système international, presque toujours souveraines et unilatérales, s'imposent à l'UE sous forme de principes et de stratégies d'ordre géopolitique ou existentiel, puisqu'elles anticipent ou répondent à l'irruption de l'inconnu et à « l'entrée du Dieu mortel » dans l'arène du monde.

Organes de « gouvernance » et organes de « gouvernabilité internationale » de l'UE

C'est là toute la différence radicale, entre l'Europe intégrée et l'Europe politique, l'Europe introvertie ou civile et l'Europe acteur historique ou de puissance. Or il semble utile et juridiquement indispensable de distinguer, au cœur de la structure institutionnelle existante de l'UE, ce qui relève d'un organe de « gouvernance » et ce qui relève d'un organe de « gouvernabilité internationale ». Est incontestablement une « institution de gouvernance » la Commission, comme organe d'initiative et d'exécution qui opère en termes de propositions et de lois et dans des domaines qui tiennent essentiellement à l'économique et au social.

Ainsi son rôle est second, du point de vue de la hiérarchisation politique, par rapport à celui du Conseil de l'UE.

 Dans ce même sens, participe également d'une fonction de « gouvernance » et partiellement de gouvernabilité, selon les sujets, les circonstances et les instances de décision, le « Conseil des Ministres » de l'UE, puisqu'il doit prioritairement se soumettre aux orientations générales décidées aux « Conseils européens des Chefs d'Etat et de Gouvernement », qui exerce le rôle majeur d'orientation stratégique et qui trace les grandes lignes de la politique à suivre, en matière de « High Politics ». En effet, il y a, au sein de l'Union, un seul détenteur de la souveraineté, le Conseil de l'UE, et cela sous sa « forme partagée ». Il exprime ainsi, par opposition à tout autre organe, l'unilatéralisme décisionnel de la souveraineté. Ce partage ne peut s'étendre à d'autres organes ou fonctions sur la base du principe « Ubi major, minor cessat ».

 Il n'en est pas ainsi du HR/SG dont le statut de Président du Conseil des Ministres des Affaires Etrangères et du Vice-Président de la Commission, en charge des relations extérieures en fera une fonction et donc une figure à statut mixte. Qu'en est-t-il en revanche du Président du Conseil Européen, prévu par la Traité de Lisbonne comme incarnation de la Présidence semi-stable de l'UE? Par le simple fait d'exister, dispose-t-il du transfert de compétences et, par le biais du futur HR et Vice-Président de la Commission, des ressources nécessaires pour engager les responsabilités de l'UE, dans son ensemble, puisque celle-ci sera désormais un sujet juridique reconnu ? Est-il prédestiné à surmonter et donc à briser la dualité institutionnelle existante, celle de l'Union et celle des Etats-Membres, et à être indépendant des oscillations et des alternances imprévisibles des opinions et des gouvernements nationaux ?

La « gouvernance » sera-t-elle soumise par ce biais au « gouvernement politique » des Chefs d'Etat et de Gouvernement ,décidant en « souverains », le cas échéant et selon l'image classique de Bodin et de Hobbes, en cabinet restreint et comme instance politico-stratégique exclusive ? En parallèle, la tendance remarquée à la logique du « Directoire » s'imposera au sein de la Commission. Cette évolution présidentialiste est induite par la représentation des Commissaires « nationaux ». La question qu'il faudra se poser est, si cette évolution, sera facteur de tensions politiques asymétriques au sein de l'Union, ou en revanche, et par le biais d'une évolution imposée par des contraintes extérieures, si elle conduira à une fusion future des exécutifs, et dans cette hypothèse, à l'établissement d'un nouvel équilibre de pouvoirs entre un exécutif renforcé, centralisé et fort et un législatif plus incisif et influent, à l'image des « checks and balances » des USA ?

Qu'est-ce qu'une Europe politique ?

Face à ces hypothèses, mais également à ces évolutions probables, quelle signification peut avoir la définition abstraite et idéaliste d'« Europe politique », sinon celle d'un but final évident mais lointain ? Cette définition est fondée sur l'hypothèse d'un sursaut de la conscience collective sous l'effet d'une crise grave, qui veuille penser à nouveau l'unité du continent sous le mode d'un acteur historique, capable de façonner le monde à son image et d'imprimer sa marque dans le siècle qui vient. Il s'agira d'une Europe à la croisée de destins multiples, au moment même où l'axe de gravité du système se déplace vers l'Extrême-Orient et l'Asie Pacifique. Pour en comprendre les enjeux, commençons par la question centrale et cruciale : « Qu'est-ce qu'une Europe politique ? »

C'est tout d'abord une Europe qui pense « sa raison d'être dans le monde, par elle-même et pour elle-même » (Ch. De Gaulle), qui conçoit un grand dessein comme un impératif primordial et existentiel, tout particulièrement en matière de défense, de sécurité et de politique étrangère. C'est une Europe qui dispose, en dernière instance, de l'emploi « d'un moyen spécifique : la force physique » et donc « du monopole de la force physique légitime » (Max Weber)

 Cela demande une issue politique, continentale et unitaire à son parcours et à son évolution.

 En deuxième lieu, c'est une Europe qui compte sur une hiérarchie et donc sur un « leadership » reconnu, articulant la « verticale des responsabilités », en une série de cercles de nations, différenciées entre elles et dictées par leur volonté de participer, selon leurs capacités et leurs forces à des coopérations de plus en plus structurées et renforcées. Et cela afin de participer au pouvoir ou influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États soit dans le cadre d'un État (Max Weber) et pour aller là ou l'appellent les demandes du monde et le vent de l'histoire.

 Cette hiérarchie présuppose, toujours selon Max Weber, un « rapport de domination » et donc une « justification intrinsèque du pouvoir », accompagné de la discipline éthique de servir une « cause ». Cette Europe avec leadership, s'oppose à la démocratie égalitariste et « sans-cause », autrement dit, à l'Europe « puissance civile », liée à la défense du « status quo » à l'intérieur et à l'extérieur, constamment remis en cause dans une scène internationale perpétuellement secouée par l'irrationalisme éthique du monde.

 Et enfin c'est une Europe définie par l'espace, dans des frontières résultant d'une « géographie choisie » et donc d'une géopolitique. Cela implique une maîtrise des territoires, dictés par la Balance mondiale de la puissance et par le rejet des flous de la politique européenne de voisinage (PEV) et la poursuite des élargissements, remis en cause selon les variables des régimes de pouvoir et les contraintes politiques du moment. Flous qui trahissent la faiblesse de l'être européen, ou encore une personnalité historique momentanément défaillante.

 Et enfin est politique une Europe, fière de son passé qui porte une espérance d'affirmation historique et qui sorte définitivement de toute tutelle stratégique. Qui se démarque des perspectives régionales ou mondiales d'autres acteurs hégémoniques ou missionnaires. Telle est la définition d'une Europe politique, une Europe du renouveau et, en tant que telle, d'avenir.

 Dans l'ordre de la logique citoyenne et de la cohésion sociale, c'est une Europe des devoirs, plutôt qu'une Europe des droits et des intérêts corporatifs ou sectoriels. Il s'agit de l'Europe comme alternative réelle aux abstractions dominantes et impuissantes. Car un acteur politique est tel, quand il acquiert la conscience que le premier devoir du politique est de défendre ses « propres raisons d'être », celle de ses intérêts et des identités historiques, de ses peuples et cela jusqu'à l'utilisation de la force.

 Un acteur qui renouvelle constamment la vieille question: « Quo Vadis ? »

 C'est là la seule contribution réaliste d'un acteur historique à la vie internationale comme contribution individuelle à la culture générale de l'humanité et à la culture collective d'une époque.

 C'est pour terminer une Europe qui repose sur l'unité conceptuelle d'un nouveau paradigme, l'Eurasie, unité géographique et stratégique majeure, car elle demeure le grand balancier du pouvoir mondial. Cette unité déterminera la politique étrangère, de sécurité et de défense de l'UE et, à l'échelle globale, celle des puissances majeures de la planète, les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde.

[1] M. Weber, Il Lavoro Intellettuale come Professione, Due saggi, Giulio Einaudi Editore, Torino, 1977

[2] Au plan conceptuel, le terme de « gouvernance » est pertinent pour analyser les problèmes des communautés amalgamées, dont le but est le renforcement de la paix entre des États souverains qui ont établis des normes et des institutions communes, où le dialogue et le consensus interne ouvrent la voie à des unions d’États. Il en découle que les problèmes de la participation et de la légitimation politique ne peuvent être résolus dans le seul cadre du partage des pouvoirs ou d’une meilleure gouvernance. Le besoin de définir la « bonne gouvernance » et d’en reformuler les critères de pertinence traduit aujourd’hui l’éloignement et la crise de l’action publique et la difficulté de concilier et surtout de justifier, par une plus grande visibilité, l’effort déployé par les autorités. Le but général en est de rendre compatible la multiplicité des intérêts privés avec l’« intérêt général ». Dans ce cas le mot de « gouvernance » désigne une politique néo-institutionnaliste à base rationnelle. L’objectif de cette politique consiste à maximiser l’emploi des moyens institutionnels en vue de l’élargissement des bases de la légitimation politique. Le présupposé

principal de la gouvernance est que l’« intérêt partagé » est le principal élément unificateur de la coopération internationale et donc du processus d’intégration européenne.

Dans un monde en globalisation accélérée, le concept d’organisation internationale, axée sur une coopération accrue, et visant des relations prévisibles et pacifiques, s’est dilué, d’abord, dans la notion de « régime » et, aujourd’hui, dans celui de « gouvernance globale ». Amputé de la voix de la sécurité collective, d’ordre des hégémonies ou encore d’alliance, le schéma explicatif de la « gouvernance globale » est faible.

Celle-ci ne participe pas vraiment à la création d’un « ordre international », au sens plein du terme, ni à l’élaboration de droits universels (non-recours à la force, non-intervention, respect de l’indépendance politique et des droits de l’homme), ni à leur application uniforme. L’absence de consensus international sur les conditions pratiques de leur mise en œuvre, exigeant la réunion de critères objectifs et subjectifs à chaque fois spécifiques, restreint la notion de « gouvernance globale » aux seuls aspects de gestion, purgés des traits saillants des divergences et donc d’autres visions de la politique. La « déterritorialisation » de l’ère « post-westphalienne » engendre l’illusion d’une société civile en germe, érodant certes l’ordre des souverainetés, sans pour autant changer la donne de sa « gouvernabilité » ou d’atténuer la dimension, de plus en plus impérative, d’une « stratégie globale ».