L’ASIE CENTRALE  HIER ET AUJOURD’HUI

Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
14/10/2010

 

Pendant près d’un millénaire, l’Asie centrale n’a pas signifié grand-chose pour l’Occident qui avait une idée vague de ce qui se trouvait au-delà des rives orientales de la mer Caspienne. Sa redécouverte date du milieu du XIXème siècle, par la progression constante de l’Empire russe dans cette région du monde.

Elle était désignée sur les anciennes cartes comme « Tartarie » et resta « Terra incognita » pendant une dizaine de siècles.

Dans une conférence tenue à l’Institut Royal britannique de géographie en 1904, l’Amiral Halford John Mackinder, un des pères de la géopolitique, la définira le cœur du monde, le Heartland.

L’idée d’immensité des espaces mais aussi d’arriération humaine frappait cette périphérie des terres et des grandes civilisations de l’histoire. Et pourtant dans ces dimensions sans frontières, neuf millions de kilomètres carrés, l’équivalent des États-Unis, sa population, actuellement faible, une centaine de millions d’habitants, vivant jadis de pâturages, virent l’émergence des cavaliers légendaires qui déferlèrent vers l’Ouest, l’Est et le Sud de l’Eurasie, semant la dévastation et la terreur.

Attila, Gengis Khan, Kubilay Khan, et Tamerlan incarnaient dans l’imaginaire collectif cette barbarie absolue.

Par quatre fois, tous les deux cents ans, des explosions de guerriers nomades faisaient irruption, par des vagues irrésistibles de conquête, sur la scène du monde et bouleversèrent les univers stabilisés d’Orient et d’Occident.

Doués d’extraordinaires qualités guerrières, de férocité instantanée, intrépides et douées de vitesse d’exécution et de manœuvre, d'une exceptionnelle maîtrise de l’arc composite à double courbure, et des foudroyants chevaux des steppes, ils conduisaient des raids de surprise et arrivaient à écraser des armées plus fortes mais moins mobiles et aux lourdes armures.

Ces quatre grandes vagues d’invasion donnèrent naissance à quatre grands empires.

En Occident, au Vème siècle, la ruée d’Attila jusqu’à la montagne Sainte-Geneviève de Paris coïncida avec la chute de l’Empire romain d’Occident. Six siècles plus tard, les Turcs Seldjoukides, vers le XIème siècle, se lancèrent à l’assaut de la Chrétienté, lui portant un siège qui dura trois siècles, jusqu’à la chute et au sac de Constantinople par Mehemet II, qui marqua la fin de l’Empire romain d’Orient. En Perse et Mésopotamie sarrazine, ces vagues conquérantes arrivèrent jusqu’à Bagdad, capitale de l’Empire abbaside au XIIIème siècle.

Entre temps, Kubilay Khan au XIIIème siècle conquit totalement la Chine qui se constitua en Empire Mongol jusqu’à la prise des Manchous quatre siècles plus tard. Parti de sa capitale Saman Khan au XIVème siècle, l’invaincu Tamerlan et ses successeurs, devinrent les Grands Mogholes de l’Inde soumise.

Après la dissolution de l’Empire de Timour en Asie centrale et la conversion de ses généraux à l’Islam, ses provinces étendues se transformèrent en Khanats isolés et ses seigneurs en satrapes et despotes locaux, dont le pouvoir et la structure d’autorité, hors d’influences extérieures, se pérennisa jusqu’à la conquête tzariste et l’empire soviétique.

Les régimes politiques ainsi constitués ne connurent qu’une notion assez vague d’Occident et de règne de la loi. En effet, jusqu’à l’écroulement de l’Union Soviétique, l’autorité d’un seul (autocratie) et guère le régime de plusieurs (polyarchie) ou du plus grand nombre (démocratie), sembla constituer le fondement du pouvoir de ces régimes, à double légitimité traditionnelle et moderne.

Après l’invasion de la Russie par la « horde d’Or » qui s’était sédentarisée et islamisée dans des bassins de peuplement de la Russie, dominant celle-ci pendant deux siècles, l’Empire tzariste continua au XIXème siècle sa lente progression vers la Sibérie Orientale et l’Océan Pacifique.

Dans cette avancée, la Russie impériale réunit la partie de l’Asie Centrale, composée de territoires turcophones et aujourd’hui ex soviétiques, constituées par les ex républiques de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kirghizistan, du Turkménistan et du Kazakhstan, en Khanats, depuis la capitale Tachkent et leur assigna le nom de « Turkestan russe » qui se distingua de la partie de l’Asie centrale, le « Turkestan chinois », composé par les Provinces autonomes du Tibet et du Xinjang, peuplé d’une myriade d’ethnies turcophones, auxquelles il faut ajouter la Mongolie et l’Afghanistan.

Des chaînes de montagnes grandioses, le Massif du Pamir, le Toit du monde au Sud et les sommets enneigés des « Montagnes du Paradis », dominaient ces steppes sans fin, rendant inaccessibles une partie de ces hauteurs qui étaient défiés uniquement par l’assaut du ciel et le pâturage des dieux.

L’Histoire a donc conduit cette région presque inchangée jusqu’au XXème siècle, où des brusques changements se sont enchaînés rapidement, en soufflant un vent de modernité sur les mœurs ancestraux et sur la vie traditionnelle et immobile des peuplades, rachetées de la misère quotidienne par les promesses de la foi.

Cependant la quête du monde a toujours suscité la curiosité, l’esprit d’ouverture et l’appétit de fortune. C’est pourquoi depuis l’Empire de Rome, les régions reculées de l’Asie centrale étaient traversées par des voyageurs, des religieux et des aventuriers, en direction du merveilleux Chung Khuô, cinquante fois séculaire, foyers de l'Empire céleste des porcelaines, des arts, de la soie et des minuties d’une peinture à la perspective typisée et virtuelle.

Avant l’ouverture des grandes routes maritimes autour du XVIème siècle, les deux plus grandes puissances de l’époque, l’Empire de Rome et l’Empire de Chine, furent reliées entre elles par une pluralité de pistes qui établirent un commerce entre les deux extrémités d’Orient et d’Occident, en passant par l’Asie centrale.

C’était la « route de la soie », traversée par des caravanes, qui parcouraient lentement et au plus grand risque des voyageurs, ces différentes branches convergentes des pistes et dont les cargaisons parvenaient avec difficulté à l’autre bout du monde. Le jeune Marco-Polo retracera dans «  il Milione » cette quête indissoluble du mystérieux et du merveilleux.

L’ASIE CENTRALE À L’ÈRE MODERNE ET LA NAISSANCE DU « GRAND JEU »

Ces grandes régions d’Asie centrale s’ouvrent à l’ère moderne, après la période des conquérants, mais aussi après le sommeil des temps immémoriaux qui avaient caractérisé l’émergence de ces peuples à la vie du monde.

Pendant des millénaires, l’établissement de la grande alliance entre la religion et la science, se justifiant l’une l’autre, avait figé la connaissance au regard conjoint du cosmos et de la foi. Deux cultures et deux langues, le turc et le farsi, se départagèrent les expressions artistiques et poétiques de ces peuplades.

La région du Tibet, qui sublima son devenir dans l’immobilisme bouddhiste, assura une double convoitise au tout début du XXème siècle, de la part de la Russie et de l’Inde, aux mains de l’Empire britannique. Ce double expansionnisme et la position dominante de Lassha inspirèrent des motifs de préoccupation conjoints, à sa Gracieuse Majesté et au Tsar de toutes les Russies.

Le « Grand jeu » était né, et le contexte de l’Asie centrale changea les perspectives stratégiques du continent et du monde, après l’avènement de la République populaire de Chine en 1949 et la naissance du monde bipolaire qui y contribua sensiblement. L’unité idéologique de la doctrine maoïste et léniniste, risquait de souder l’Eurasie en un bloc géopolitique impénétrable aux puissances de la mer.

Les rivalités traditionnelles n’allaient guère disparaître et dans ce sillage l’invasion du Tibet par l’armée populaire de Chine s’inscrivit dans la nouvelle stratégie géopolitique de contrôle du subcontinent indien.

Les pays d’Asie centrale constituaient des satrapies aux ordres de Moscou et reflétaient les différentes inflexions de la politique soviétique. Les deux grandes zones du Turkestan russe et chinois qui avaient été parties prenantes du « Grand Jeu » russo-britannique, subirent une évolution différente.

De plus grande intégration autour du nouveau centre de pouvoir qui allait se constituer à Beijing pour ce qui est du Tibet, de la Mongolie et de la région autonome ouïgoure du Xin Hian et qui allait faire de cette province une zone de peuplement Han. D’imprégnation et d’indépendance vis-à-vis de Moscou pour les cinq pays d’Asie centrale, contraints par l’implosion de l’URSS, à se déterminer à une transition forcée, vers de nouveaux régimes politiques, étrangers à la tradition, à la culture et aux mœurs les plus récents du soviétisme. Cette tradition se révéla d'un apprentissage difficile.

A ce bouleversement politique de l’Asie centrale, devait correspondre une immense amputation géopolitique subie par l’URSS, concernant les républiques caucasiennes de Géorgie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan, destinées à assurer un rôle économique et énergétique grandissant, dû aux répercussions multiples de la révolution islamique en Iran, au long conflit Iran-Iraq et à la recherche d'une solution de paix au Proche- et Moyen-Orient.

A l’expansionnisme idéologique de l’islamisme radical, encouragé par la révolution des Ayatollahs et au projet inaboutie de création par la Turquie, d’un vaste Hinterland pan-turque, correspondra une adaptation de la politique étrangère de la Chine à la nouvelle donne et une transition discrète d’une politique extérieure introvertie, vers une plus grande assurance géopolitique.

La création de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS) en juin 2006 en est l’expression majeure, celle, pour l’heure, d’une diplomatie de l’apaisement, s’efforçant par un enjeu de taille, celui de la confiance, de devenir un partenaire stratégique pour ses partenaires de l’ASEAN ou bien de se profiler comme un rival.

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