LA RECONFIGURATION DE L'ORDRE GLOBAL PAR LES ÉTATS-UNIS (2)

Obama ou la Désillusion stratégique / Les deux doctrines de politique étrangère : Démocratique et Républicaine
Auteur: 
Jacques Lippert / Irnerio Seminatore
Date de publication: 
1/12/2012

OBAMA OU LA DESILLUSION STRATÉGIQUE

de JACQUES LIPPERT

Depuis 1986,le Congrès demande au Président des États-Unis de produire un document appelé « NATIONAL SECURITY STRATEGY OF THE UNITED STATES OF AMERICA » (en abrégé NSS). Ce document a pour but d’identifier les menaces internes ou externes pesant sur la sécurité des EU et de ses citoyens et d’orienter l’action de la National Security Agency (NSA), des Département d’État et de la Défense et des agences spécialisées,telle la CIA. Sur le plan intellectuel, ce document révèle la « Weltaanschauung » des conseillers officiels et officieux du Président.

Ainsi en septembre en 2002 la stratégie Bush, reflète la pensée d’intellectuels tels que Paul Wolfowitz et Richard Pearle et de politiques comme Dick Cheney et Donald Rumsfeld, convaincus que la démocratie représentative et l’économie de marché s’exportent par les armes : éradication des régimes-voyous-et un processus de « nation building ». En arrière-plan, on trouve les liens des Bush, Cheney et Rumsfeld avec le big business du complexe militaro-industriel.

La doctrine Bush a été qualifiée de « wilsonisme botté ». La rhétorique idéaliste a effectivement des accents wilsoniens sur la mission de l’Amérique dans le monde, car comme le dit J. Mearsheimer « American people dislike realism ». Cette rhétorique permet de justifier l’idée centrale du document : la guerre préemptive comme politique étrangère des États-Unis. Il en découle comme corollaires :

les États-Unis n’ont pas besoin de l’approbation de l’ONU ou de l’OTAN pour « attaquer » préventivement un État présumé représenter une menace ou assister des mouvements terroristes ;

plutôt que de faire jouer les alliances traditionnelles,les EU constitueront, au cas par cas, des « coalitions of the willings » qui permettront de distinguer qui est ami et qui est ennemi, dixit George W. Bush ;

les EU n’accepteront pas que les actes de guerre de leurs combattants puissent relever du TPI ou d’une quelconque compétence universelle, de même qu’il refuseront le statut de combattants aux talibans prisonniers (Guantanamo).

Cette stratégie a été jugée appropriée à la situation mondiale post-11-septembre comme un réalisme offensif justifié pour les uns (R. Kagan), dommageable pour les autres (J. Mearsheimer la jugera contraire à l’intérêt national des EU dans le cas précis de l’Irak). Hors de tout jugement de valeur, elle avait le mérite d’être lisible et d’exister.

L’administration Obama a présenté en mai 2010 sa propre approche de la stratégie de sécurité nationale. On a pu la résumer ainsi : »un peu de Bush, beaucoup de Clinton et une bonne pincée de wilsonisme ». Linternationalisme typiquement américain de Bush devient l’internationalisme démocratique qui répudie en principe l’attaque préventive et les coalition de circonstances pour privilégier une approche constructiviste du système international. D’une part, les EU de 1945 sont érigés en modèle de puissance bienveillante créatrice d’un nouvel ordre international et d’institutions destinées à le garantir et à prévenir le retour des impérialismes, alors que l’Europe sort exsangue du conflit et que pointent les indépendantismes en Asie et le monde bipolaire de la guerre froide. Alors qu’aujourd’hui nous sommes face à un monde multipolaire instable qui peine à se réorganiser autour de pôles-États (Russie, Inde , Chine, voire Japon, Turquie, Indonésie) d’une part et de pôles-religions arabo-sunnite et irano-chiite d’autre part. Or, Obama considère avec optimisme et bienveillance ces nouvelles puissances qu’il voit avec leurs droits et leurs responsabilités s’intégrer avec l’aide du leadership américain dans un ordre international garanti par l’ONU et le droit international.

Même en traitant d’Al-Quaida et des talibans, il parle de « radicalisme terroriste » mais jamais le terme d’islamisme terroriste n’apparaît, ni même celui d’Islam. Mais page 4 on peut lire : « And our broader engagement with Muslim communities will spurr progress(…) on a broad range of issues based upon mutual interests and mutual respect ». Hélas, le « Benghazi-gate » apportera un cruel et sanglant démenti à cette politique issue du discours du Caire. L’on peut résumer un peu arbitrairement, certes, cette stratégie à 3 principes :

  • Principe n°1 : l’Amérique guidera le monde par l’exemple démocratique et la promotion des droits humains. Dans le cas libyen, les EU se sont trouvés en suiveurs de leurs alliés otaniens.

  • Principe n°2 : l’Amérique n’entrera dans aucune aventure militaire,à moins que son intérêt national ne soit directement en jeu. Où était l’intérêt national direct des EU en Libye ?

  • Principe n°3 : l’Amérique ne répétera pas l’erreur de George W. Bush d’envahir un pays islamique pour renverser son dirigeant. Quid alors de KHADAFI ?

Les hésitations d’Obama face aux « printemps arabes », puis son suivisme en Libye ont ruiné le crédit des EU dans le monde arabe et sont la cause directe du désastre de Benghasi.

Le soubassement intellectuel de cette politique se trouve chez deux conseillères d’Obama en politique internationale, Samantha Power et Susan Rice, ambassadeur auprès des Nations-Unies.(1)

Power a développé le concept R2P (responsibility to protect) qui exige que l’intervention soit « immaculée »dans son intention, limitée dans ses buts et sans autres conséquences. A ses yeux la Libye devait répondre à ces critères et elle réussit à convaincre le Président avec l’appui d’Hillary Clinton. Chef du Bureau des Affaires Multilatérales et des Droits de l’Homme,Samantha Power déclara : « La politique étrangère des EU doit être repensée (…) en instituant une doctrine du mea-culpa qui renforcera notre crédibilité en montrant que les dirigeants américains n’endossent pas les péchés de leurs prédécesseurs ». Au Caire, Obama déclarera que les mauvaises relations entre les USA et le monde arabe « were the fault of Western colonialism that denied rights and oppotunities to many Muslims ».

La faiblesse de la stratégie d’Obama vient du fait qu’il n’a pas compris que l’exemple moral du peuple américain ne pourra pas générer l’ordre international par une évolution intuitive (voir les révolutions arabes) mais bien en s’imposant par la domination d’une vision sur d’autres (Robert Kagan, The World America Made), la domination de la démocratie et de l’économie de marché. Ce combat est le devoir de l’Hegemon et de ses alliés, le combat de la « Balance of power » et de la « Balance of threats » dans l’instauration d’un système international stable,dont les institutions internationales ne peuvent être que le garant. Précisément en ce qui concerne les organisations internationales ou régionales dont Obama sollicite le concours, l’UE fait l’objet d’un paragraphe intitulé « European allies » qui englobe l’OTAN, l’UE et la Turquie dans le but de renforcer ces alliances et de réitérer l’engagement des EU « ancré » dans l’article. Mais il précise que l’OTAN reste « the foundation of European security »,et que les EU chercheront à renforcer les Institutions européennes existantes (de quelle manière ?) pour les rendre, nous citons, « more inclusive and more effective in building confidence, reducing tensions and protecting freedom ». A ces belles paroles, les Européens auraient été en droit de préférer des propositions concrètes pour un partenariat transatlantique reconnaissant l’UE comme interlocuteur politique. Or, après avoir affirmé que « our relationship with our European allies remains the cornerstone for US engagement with the world », Obama écrit : « We will engage with our allies bilaterally ». Cette ambiguïté ne doit pas échapper aux Européens.

L’Asie quant à elle,est traitée dans deux paragraphes : l’un consacré aux alliés asiatiques ,l’autre à la Chine et à la nécessité pour les EU d’être membre de toutes les organisations régionales et de « surveiller » l’évolution militaire de la Chine,mais la situation géostratégique du Pacifique,et notamment des Détroits du Sud n’est pas analysée en détail. Récemment, Barack Obama a renforcé la présence militaire en Australie et devant les protestations de la Chine a promis la participation de celle-ci aux prochaines manœuvres multilatérales ! Cet appel constant à la coopération,cette politique d’appeasement trouve sa source dans la conviction exprimée par le Président des États-Unis que « que jamais plus l’Amérique ne cherchera à imposer sa volonté aux autres ,car tout ordre international qui élève une nation (…) au dessus des autres est vouée à l’échec » (Discours du Caire). Obama fonde le leadership américain sur la prospérité et les valeurs américaines,condition certes nécessaire mais guère suffisante. Car si l’Amérique refuse son rôle de « primus inter pares », alors les candidats pour l’assumer ne manqueront pas. Car, la doctrine Obama se fonde intellectuellement sur le paradigme « libéral » (au sens américain du terme) que l’on peut énoncer ainsi : si par la coopération ,nous pouvons aider une puissance émergente à atteindre un stade de prospérité et de démocratie acceptable en tant que puissance régionale,elle se satisfera de ce rôle et de sa part de pouvoir dans la distribution de celui-ci au niveau mondial. Or,l’Histoire du système international contredit cette approche :toute Puissance émergente aspire à maximiser sa part de pouvoir mondial dès qu’elle en a la capacité et ainsi s’ouvrir la voie à l’Hegemon. Celui qui le détient aujourd’hui,au nom des principes du réalisme défensif,se doit d’empêcher cette évolution. En abandonnant ces principes,la doctrine Obama prend le risque d’aboutir à un système multipolaire déséquilibré. C’est en cela que cette stratégie de sécurité est une illusion stratégique.

(1) Edward KLEIN, The Amateur-Barack Obama in the White House-, Regnery,New York,2012

 

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LES DEUX DOCTRINES DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE : DÉMOCRATIE ET RÉPUBLICAINE

de Irnerio seminatore

La diplomatie d'Obama

La Leadership des USA sera de plus en plus concurrencée à l'avenir et sous différentes formes et dépendra davantage d'alliances permanentes renouvelées, en particulier avec l'Europe, mais il ne pourra s'exercer sous le mode du « leading from behind » pratiquée par Obama. Un des aspects majeurs de cette politique sera de ne pas se faire dévoyer par des « distractions stratégiques », au Moyen Orient ou ailleurs (l’Égypte, Libye, etc.). La diplomatie Obama a été confrontée à une stratégie de blocage de la part des puissances émergentes (BRICS), vis à vis desquels devait se repositionner la leadership américaine et à un refus de coopération de la part des pays hostiles, vis à vis desquels Obama I a pratiqué la politique de la main tendue. Sa politique étrangère est caractérisée désormais par une réorientation majeure, la politique du « Pivot » vers l'Asie Pacifique, qui n'acquiert pas, pour autant, la signification d'un nouveau « containement », mais d'une stratégie de prévention vis à vis de la Chine. Sans exclure la confrontation elle prêche un rééquilibrage nécessaire au niveau régional et globale, un plus grand appui sur la diplomatie plutôt que sur l'effort militaire. Elle se traduit enfin par une politique de sanctions multilatérales et par l'utilisation au cours des conflits de moyens de théâtre indirectes (drones).

Cette option se définit par ailleurs comme une politique de polarisation à l'échelle globale, car elle comporte la non implication sur les échiquiers secondaires, comme un « choix délibéré de retenue ». L'ensemble de ces mesures obéissent au but d’acquérir une « autonomie stratégique », autrement impensable et celle-ci pourrait se compléter d'une redéfinition du « partenariat euro-atlantique », plus nécessaire que jamais. Ainsi le nouveau rôle de l’Amérique implique une éventuelle ouverture de l'OTAN, comme alliance sécuritaire globale, vers des partenaires extra-européens, disposant de plus grandes capacités de décision et d'actions vis à vis des actuels pays membres et signifie la consécration d'un « status quo historique », bref d'un principe d'hésitation et de perte d'initiative.

En revanche et à terme, toute forme de dialogue bilatéral avec l'Iran ou de diplomatie parallèle « track two », menée par l'administration américaine qui se révéleraient infructueux, aurait pour effet de casser le front 5+1 (USA, Russie, Allemagne, Grande Bretagne, France) et ne retiendrait pas Nethanyau dans sa décision de frapper les sites nucléaires. La politique étrangère d'Obama représente une limite quant au bon emploi de la puissance, aggravée par une série d'échecs essuyés au sujet du partenariat avec la Chine, l'ouverture envers l'Iran, la stratégie contradictoire en Afghanistan (renforts militaires couplés à une annonce de retrait), le refroidissement des relations avec la Russie et l'absence de politique avec les pays arabes après le discours du Caire et les concessions à Nethanyau sur l'arrêt de la colonisation.

Les révolutions de Romney

La politique étrangère du candidat républicain ne se dissociait pas conceptuelment de sa politique interne. Celle-ci prétend se fonder sur l'auto-gouvernement démocratique de la société et des individus, le caractérisant par un nouvel élan créatif et entrepreneurial et remettant en cause le rôle de l'État par une réforme qui vient d'en bas. En termes de comparaison, la « société civile » européenne est en revanche l'héritière d'une conception solidariste du développement et d'une vision critique de la société, bref d'un individualisme anarchique, couplé à un solidarisme piétiste, plus proche des conceptions d'Obama et au fond welphariste.

Mitt Romney a proposé à l'Amérique deux révolutions souterraines :

  • une révolution systémique à l'échelle internationale et à caractère multipolaire pour la restauration du leadership des USA dans le monde par la projection d'une puissance globale retrouvée.

  • une révolution interne, pour la restauration de l'initiative venant du citoyen et une confiance revigorée dans les valeurs de l'optimisme et de l'investissement productif.

Par la conjugaison de ces deux mutations sociologiques, il s'agissait d'imprimer un nouveau départ à l'Amérique. Dans le cas de Romney la politique des USA pouvait s'exprimer par la diplomatie sans exclure la fermeté et le conflit. Dans le cas d'Obama la diplomatie d'ouverture, sans ambitions de leadership et sans moyens de coercition et de force, esquisse en revanche un horizon de retrait et de status-quo et n'exprime aucun projet régional ou global. Par ailleurs il ne propose aucune idée au Moyen-Orient et vis à vis du monde arabe auprès duquel le rôle de l'Europe est indispensable et vital.

Plus en profondeur la politique étrangère de Romney tirait sa source d'une idée fédérative de la multipolarité et tendait à rétablir l'équilibre de puissance sur des bases plus volontaristes et plus offensives, en essayant de stabiliser un ordre mondial déconnecté, qui a suivi à l'implosion de l'URSS et à la fragmentation politique d'une bonne partie du monde, principalement des deux dernières fédérations impériales, soviétique et yougoslave. En effet la politique de Romney s'insert moins dans une dynamique de la singularité que dans une hésitation générale des grandes puissances et dans une crise de multipolarité elle même, aux engagements multi-vectoriels imprévisibles, dictés par une « révolution paradigmatique » de la politique mondiale.