PREMIÈRE PARTIE
- Introduction : L'endettement international et le « risque sans aléas »
- Sur le procès du capitalisme, du néolibéralisme et de la concurrence. Vers une fin de la Démocratie ?
Quelles leçons retenir de la crise économique qui sévit sur la planète financière, européenne et mondiale ?
La première leçon au niveau mondial repose sur la nécessité de résoudre les débordements de l'endettement international, en vue du rétablissement de la confiance et donc du contrôle des excès du système financier, qui a repoussé les frontières du « risque sans fin ».
En effet et conceptuellement, ce « risque sans aléas », ou « sans véritable risque », est un risque dévorateur d'avenir et donc de développement.
Quel avenir peut-il se dessiner pour une humanité à la banqueroute et quelles conséquences politiques et morales pour des emprunts d'États insolvables ?
Cet endettement excessif, induit un « krach idéologique » qui affecte la pensée économique, oscillant entre néolibéralisme et régulation et faisant de l'État l'arbitre existentiel de la survie du système, au delà de toute doctrine.
« Krach idéologique » qui est tout d'abord une rupture des paradigmes affectant, en Occident:
- le rapport de l'individu à l'État et, au niveau communautaire, du citoyen à l'Europe
- le rapport de l'État ou de l'interventionnisme étatique aux politiques sociales
- le rapport doctrinal entre normativisme et « moindre réglementation »
Cette rupture des formes de rationalités des marchés financiers reconfigure le modèle de la concurrence :
- à l'intérieur du grand marché européen, entre les salariés, les entreprises et les détenteurs de capitaux.
- à l'échelle mondiale, comme redistribution des capacités de développement entre zones économiques, et en particulier entre Europe, Asie et États-Unis.
Une répercussion importante s'étale :
- sur les formes de la gouvernance européenne à venir, au niveau d'abord de la « zone euro » et sur les critères du gouvernement économique de l'UE
- sur les aspects les plus évidents de gérer les liens sociaux, au sein de sociétés de plus en plus ingouvernables
- sur les régimes politiques occidentaux et sur les combinaisons de l'opposition entre démocratie et autoritarisme
Ainsi au niveau européen, la recherche de formes de régulation nouvelles pourra prendre deux aspects saillants en matière de crédit :
- l'établissement de normes de solvabilité plus contraignantes pour le système bancaire et les institutions financières.
- un encadrement plus sévère de toutes les activités « dérivées », au sein desquelles s'est développée la bulle financières des dix dernières années, y compris celle des activités d'innovation
Ainsi le contrôle de la liquidité et donc de la BCE, institut d'émission de la monnaie européenne, passe par la transparence de l'information. Or, dans la gestion des conditions de développement de l'innovation financière, le rétablissement de contre-pouvoirs modernes sera la condition d'exercice d'un marché « normal », au sein duquel le modèle de la banque d'investissement sera affecté par la crise que nous traversons.
À l'échelle de l'Union, une supervision du système des banques centrales (SEBC) et la place en son sein de la BCE, seront concernées. Il est à revoir assez probablement le paradoxe sur lequel la BCE, qui injecte massivement des liquidités dans le marché bancaire, puisse disposer désormais d'une double supervision, quant à leur placement, macro et micro–prudentielle. En terme de répercussions, la question du double équilibre des pouvoirs au sein de l'UE, interne et extérieur, de la « zone euro », est désormais posé.
De manière générale, certains analystes font de l'occurrence de cette crise, un procès général du capitalisme, du néolibéralisme et de lé généralisation universelle de la concurrence.
Qui seront-ils les vainqueurs de ce nouveau round de développement économique de l'humanité, Maynard KEYNES ou F. A. HAYEK et Ludwig Von MISES ?
Le débat fait rage théoriquement et en termes praxéologiques et politiques. En effet il parvient à s'étendre au lien du politique et de l'économique et à élaborer une critique du temps présent, comme articulation entre formes de régime (la démocratie et la promotion de l'État de droit) et son abandon, au nom d'une « conception radicale de la liberté » (néoconservatisme).
Ce nouveau « Grand Débat » promeut la recherche de formes de rationalités indédites entre trois grandes sphères de l'activité humaine :
- celle de l'action individuelle, privée et publique, soumise à la rationalité économique (calcul individuel et réglementation de l'État)
- celle de la promotion de la concurrence à tous les niveaux de l'agir social.
Dans cette perspective, le renforcement de l'étatisme serait mit au service du marché et, à travers lui, à « une inégalité égale pour tous ».
- le néolibéralisme prôné dans ce cas par Wendy BROWN, se distinguerait du libéralisme classique, car il serait de « type normatif » et guère naturaliste. En effet les théories libérales traditionnelles fondaient les doctrines du « laissez-faire » sur la naturalité du marché.
Dans le cas du néolibéralisme (Hayek, Röpke, Rueff) né d'une opposition politique et conceptuelle à la révolution bolchévique et à la montée du nazisme, l'intervention de l'État se révélerait cruciale en raison de la fragilité « naturelle » du marché et de l'impératif de préservation d'un État de droit ( la démocratie), fondé sur la prérogative essentielle de maintenir la liberté par la mise en concurrence des individus. Ainsi, dans sa fonction conceptuelle, si le libéralisme classique s'opposait à l'extension des pouvoirs du gouvernement, limitant les opportunités d'entreprendre et de créer, le néolibéralisme veut transformer la société, la rendre créative de l'intérieur, au delà de la limitation théorique du pouvoir.
Le néolibéralisme se présente ainsi, à ses origines, comme une conception authentiquement politique, émanant de l'individu et de la société et guère d'un quelconque pouvoir tutélaire.
Les néoconservateurs américains auraient ajouté à une conception de la régulation des individus, fondée sur leur liberté, celle d'une interpellation et donc d'une « contrainte », formulée en termes sociaux et religieux.
Sous l'angle idéologico-politique, explique Wendy BROWN, les néoconservateurs américains au début des années 1980 sont devenus optimistes et ont épousé, au nom de la liberté, les thèses du néolibéralisme, profitant de l'affaiblissement de l'État libéral classique.
En tant que groupe hétéroclite, ils ont voulu promouvoir un climat idéologique moulé dans une religiosité messianique et anti-juridique. Face à cette offensive massive, conduite par un groupe disparate composé « d'intellectuels et d'anti-intellectuels, de juifs laïcs et de chrétiens évangéliques, de musiciens de chambre devenus soviétologues, des professeurs de théorie politique convertis en conseillers politiques, des Blancs en colère et des Noirs vertueux »[1], la question fondamentale demeure celle de tous les temps de crise : « Assistons-nous à un déclin et à un affaiblissement définitifs de la démocratie libérale, et avec le retour des Léviathans au niveau international, au retour des réponses des années trente, bref à une résurgence de l'ère des tyrannies et à une nouvelle période de guerres et de conflits ? ».
[1] Wendy BROWN, Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néoconservatisme. Paris. Les Prairies Ordinaires. 2007