Sir Winston Churchill, le dernier lion d'une époque de titans, anticonformiste de génie et soldat dans l'âme, né et élevé pour être soldat, diplômé de l'Académie Royale militaire de Sandhurst, Premier Lord de l'Amirauté, puis Premier Ministre britannique, Homme d'État et seigneur de guerre, fut le condottière politique de l'Occident tout au long du deuxième conflit mondial.
Il fut, sans autres nuances, le plus grand homme du XX siècle, un « siècle de fer, d'acier et de sang ».
Un homme dont la caserne fut son école et le champ de bataille son université.
Un homme pour lequel la valeur suprême était l'action et le but ultime le combat.
Churchill avait le sens du courage, connaissait l'importance de la force physique et de celle que fait défaut dans les grandes crises, la force morale.
Il était habité par l'Histoire et mesurait toute la valeur de la puissance que devait consacrer la victoire du pays, dans la Deuxième Guerre Mondiale, par le sacrifice et la mort de ses héros.
Par ses convictions, il résumait le procès historique à l'action des individus plutôt qu'à celle des idéologies, l'action des Grands Hommes, qui ont une conception profonde du pouvoir et de la vie, du pouvoir comme « Hard Power » et de la vie comme « struggle for life »
Cet homme providentiel disposait du génie du verbe et, par l'immense répercussion de ses discours, il était capable de toucher les cœurs en même temps que les esprits.
Depuis son jeune age, il aspirait plus que tout autre chose à la gloire, induite par la « jealous emulation » comme lutte éternelle pour la sécurité et la puissance; la gloire, consacrée par la fureur des combats et la soumission sans conditions des vaincus.
Churchill avait le sens du destin, le « Fatum » latin, mais il avait aussi le sens du « Kairos » grec, le choix du moment opportun, le moment propice, l'étincelle, la tactique de l'action. Par dessus tout il était persuadé que c'est la volonté qui décide du sort des nations.
Dernier atout de Churchill, et pas le moindre : il perçait dans le sens de l'Histoire car dans toute décision il était à lui seul le gouvernement de la Grande-Bretagne et le premier serviteur de la nation.
Comme de Gaulle, Churchill voyait toujours au dessous de ses moyens et au delà de son temps.
Il voyait grand, car il croyait, en citant B. Disraeli, que « La vie est trop courte pour être infime et misérable »
En effet, Churchill et avec lui de Gaulle, ont dominé le siècle en héros absolus, car ils ont combiné, dans la tragédie, l'animus bellandi et l'épos, le sens de l'action et le sens de la narration, le destin de faire l'Histoire et celui de l'écrire, exerçant le privilège d'être à la fois acteurs et mémorialistes de leur temps.
On peut dire des deux, que « le style c'est l'homme! », car ils partageaient la volonté, l'endurance, le courage et l'ambition de combattre pour l'honneur. Or, si dans les moments les plus graves, il arriva à Churchill de convaincre par l'éloquence et par le verbe, il préféra toujours vaincre par l'action, qui est le titre de gloire, par lequel il est entré dans l'Histoire.
Contraire à une politique de concessions aux dictateurs avant la seconde guerre mondiale, il encouragea l'idée d'une intégration de l'Europe après la guerre et cela pour des raisons traditionnellement britanniques, qui privilégiaient une Europe stable et en paix, sanctionnée par une entente entre la France et l'Allemagne, afin que la Grande Bretagne puisse s'occuper de commerce, cultiver des relations spéciales avec les États-Unis et lui transmettre, avec le sceptre de la domination, sa culture et son art de gouverner, l'art de Rome et des Empires.
Churchill n'était pas, comme de Gaulle, un visionnaire ou un cérébral, mais comme de Gaulle, il ne croyait pas aux idéologies ni à l'esprit de système et résumait sa vision du monde, très pragmatique, à quelques préceptes simples, la division de l'univers politique en grandes et en petites nations.
Or, cette vision prit la forme, au cours de la guerre et en particulier à partir de 1941 de deux politiques et de deux hommes : une politique américaine, la « relationship », dictée par la nécessité et ayant le monde pour enjeu, incarnée par son rapport avec Roosevelt et la politique européenne et anti-soviétique, ayant l'avenir de l'Europe pour enjeu, incarnée par le Général de Gaulle.
Dans le désordre mondial et dans le chaos eurasien, la France représentait l'encrage occidental et la zone de résistance à l'expansionnisme soviétique.
Dans ce contexte, la bataille de la liberté était destinée à durer et lorsque le conflit apparut comme mondial et la guerre de terre, de ciel et de mer devint la guerre des ondes, « Radio Londres » devint la radio de la liberté, la radio des partisans et le poste de la résistance au nazisme.
C'était la radio de l'ombre, qui fit de la capitale de l'Empire britannique la capitale de l'espoir.
En Chef militaire il aimait la modernité, les technologies appliquées au combat et l'art de la ruse, de l'information sur l'ennemi, de l'espionnage et de la guerre secrète.
En politique, il fut un conservateur plus qu'un libéral, détesté par tous les groupes politiques et il représenta la figure de l'aristocrate victorien du XIXème siècle transposé au XXème siècle.
En 1945, sa vision de l'avenir apparaissait dépassée, un peu archaïque et hors de son temps et selon ses détracteurs, sa figure était celle d'un politicien égoïste, cynique et opportuniste, car il concevait la transition d'un Empire à l'autre comme la découverte, dans les États-Unis, d'une nouvelle Angleterre.
Il apparait aujourd'hui comme un grand homme d'hier, car le monde qu'il concevait était centré sur l'Europe et l'Occident et celui d'aujourd'hui sur l'Eurasie et sur l'âge planétaire.
L'année 1940, ce grand moment de vérité, fut celle de la débâcle de Dunkerque et de la bataille d'Angleterre. L'enjeu de cette bataille de l'« Attaque de l'Aigle », lancée le 30 juillet 1940 par Goering, dans le but d'acquérir la supériorité aérienne en vue de l'invasion de l'île, fut le contraste frappant entre la portée réelle des faits de guerre et leur dimension mythique, ce qui explique le caractère unique du récit épique dans l'imaginaire des peuples. En solitaire il interdit la capitulation de la Grande Bretagne et lui permit de continuer la lutte grâce à sa vocation pour le défi.
Or, le 18 juin 1940, Churchill et de Gaulle arborèrent un même manifeste de combat, de Gaulle à la BBC et Churchill à la Chambre des Communes, où il affirma avec sa légendaire éloquence: « Nous nous battrons sur les plages , nous nous battrons dans les villes, nous nous battrons dans les collines, nous ne nous rendrons jamais! ».
L'idée de ne jamais capituler comportait le projet d'une guerre à outrance menée à partir de l'Empire et avec tous ceux qui étaient menacés par le danger commun, dans le Pacifique et dans l'Atlantique. Dans cette épreuve, un virage capital fut représenté par la conclusion d'alliances militaires décisives, stipulées dans un but « realpolitiker » de l'emporter. Ainsi la bataille de l'Atlantique (débutée en 1941), la guerre secrète et la Grande Alliance constituèrent les facettes d'une grande stratégie visant l'objectif irrévocable d'abattre Hitler et d'écraser l'Allemagne nazie.
La solitude de la Grande-Bretagne face au danger hitlérien cesse avec le déclenchement de l' «Opération Barbarossa » et l'entrée en guerre de l'Union Soviétique le 22 juin 1941. Les Etats-Unis seront entrainés dans le conflit le 7 décembre 1941 avec l'attaque japonaise de Pearl Harbour. A partir de cette date, l'Angleterre devient le centre de gravité d'une grande alliance (1941-1945) entre l'Est et l'Ouest, puisqu'elle se trouva placée au cœur d'une coalition planétaire qui avait pour enjeu une autre conception de la géopolitique mondiale, un autre gouvernement des hommes.
La signature en juillet 1941 d'un pacte d'assistance militaire avec Staline, « despote criminel », doublé d'un engagement à ne pas signer une paix séparée avec Hitler, fit naître de cette alliance entre le Royaume-Uni et l'URSS, l'exigence d'un affrontement direct ou d'un second front qui ne soit pas dicté par les suggestions dispersives d'une stratégie périphérique et indirecte, en Méditerranée ou dans l'Afrique du Nord. A cette exigence pressante de la part de Staline, se superposa l'impératif fondamental des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne de décider de la stratégie commune et de l'axe principal des combats. Celui-ci devait être pour la Grande-Bretagne, l'Europe et l'Atlantique, et pour les Etats-Unis, l'Asie et le Pacifique. Puisqu'il ne pouvait y avoir qu'un ennemi principal, Hitler et le nazisme, l'effort de guerre devait comporter une défaite totale de celui-ci.
C'est de cette épreuve et de cette stratégie, préparée par un long dialogue entre Churchill et Roosevelt entre 1939 et 1945 que naîtra le entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni la célèbre « special relationship » qui se concrétisa par la signature de la Charte de l'Atlantique (Placentia Bay, le 12 août 1941). Se forgea ainsi une géopolitique planétaire condensant les axiomes de la démocratie libérale, dans sa conception anglo-saxonne matinée d'éthique et suscitant l'émergence de la « notion de l'Ouest », le « Grand large » euro-atlantique, comme foyer de la mission inébranlable des démocrates de combattre les tyrannies.
A sa mort, lorsque le 30 janvier 1965 aux grandioses funérailles de Winston Churchill, l'Angleterre s'interroge sur la disparition de la Pax Britannica et avec elle de l'identité de la Nation, les fastes de l'empire et la fin de l'épopée sont définitivement derrière le ciel gris du Royaume et le monde des sixties n'est plus celui de la vieille Angleterre, modèle de civilisation et foyer de l'Empire des Blancs, les White's Dominions.
L'idée que dans les grandes crises historiques il faut combattre les dangers, s'opposer aux tyrans et les affronter sur le terrain de la lutte, est-elle encore d'actualité dans une époque de pensée dédramatisée, dépolitisée, bureaucratisée et aplatie?
Est-elle encore d'actualité la magniloquence épique des phrases célèbres « Vous allez devoir faire des sacrifices, verser du sang, de la sueur et des larmes! »
Ou encore celle des moments les plus sombres, « Le seul mot d'ordre qui vaille est de combattre : « Fight on ! »
Les crises de notre temps sont-elles des crises de survie, d'anéantissement ou de remises en cause radicales?
Comportent-elles les mêmes dangers existentiels, les mêmes enjeux historiques, les mêmes luttes du passé ? Sont-elles si décisives pour le cours du développement humain et comportent-elles le même type de solidarité civilisationnelle et géopolitique, le sentiment d'une même communauté de race ou de destin?
Les issues finales de la grande politique sont-elles vues avec la même haine et la même détestation personnelle que les chefs nourrissaient entre eux et qui n'est jamais disjointe d'une certaine admiration pour l'adversaire ?
L'un des traits dominants de la conduite de guerre par Churchill a été pendant deux ans (1941/1942) de gouverner par le verbe, de respecter la démocratie en temps de crise et d'informer avec franchise la Chambre des Communes sur le cours des opérations militaires.
En effet son principe-clé est le respect de la liberté, qui est pour tous, celle de connaitre le sens de l'aventure humaine.
Ainsi, en chef de guerre, il reste profondément démocrate et direct, dans son effort de grand communicateur.
Vis à vis de la France il nourrissait l'idée d'un équilibre de puissance entre elle et l'Allemagne qui a constitué la ligne de conduite classique de la Grande Bretagne vis à vis du continent depuis la fin du XVII siècle.
S'il ne veut pas que le continent soit dominé par l'Allemagne, Churchill, malgré sa francophilie, ne veut pas non plus qu'il le soit par la France.
Celle-ci bénéficiait, avec le Traité de Versailles, de la garantie d'une aide conjointe des États-Unis et de la Grande Bretagne, en cas de nouvelle agression de l'Allemagne.
En effet, la francophilie de Churchill, passionné du Midi et de la Cote d'Azur, était toujours refrénée par son sens aigu de la Realpolitik.
S'ajoute à ces considérations le rappel que le deuxième grand volet de la politique anglaise, la « Special Relationship » vis à vis des États-Unis, était dictée par la nécessité de survie de la Grande Bretagne et par l'absence d'alternatives depuis l'entrée des USA dans la guerre, désormais mondiale.
L'éloignement des théâtres trouvait la Grande Bretagne sur la défensive au cœur de l'Europe et sur le repli, dans toute l'étendue mondiale de son Empire.
Ainsi et en conclusion, le souci de Winston Churchill d'exalter le suprêmement actif et le mélange détonnant du culturel, de l'imaginatif et du volitif, autrement dit de l'ambition, de la gloire et de la rhétorique, conduisit cette homme de génie à faire de la grandeur la force qui l'habita pendant une vie, et du service patriotique, le but d'une mission qui a fait de lui un émule de Cassandre, née pour prophétiser, un héritier de Périclès, né pour se battre, et un descendant de César, né pour gouverner le monde et pacifier l'Empire.