Colloque international FORBES
Brazzaville 25 juillet 2014
« Les défis de la bancarisation. Construire le modèle africain »
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Mondialisation et bancarisation
Interrelation et complémentarité
On ne peut saisir la portée ni la signification de la « bancarisation » du continent africain sans passer par le détour de la mondialisation dont elle représente l'expression et le complément régional.
En effet, le processus de mondialisation, loin d'être achevé, assume des formes différentes selon les continents et les périodes. Depuis les années 1980, il se définit par des tendances lourdes qui signalent:
- la redistribution, sous forme régionale, de l'espace mondialisé de l'échange, de la puissance oligopolistique des États (multipolarisation) et du pouvoir global des élites transnationales : « la Superclass » de David Rothkopf;- La constitution d'alliances informelles entre pays émergents (BRICS) et la coopération entre grands pays industriels pour suppléer aux formes inadéquates de la gouvernance nationale, par le biais d'instances multilatérales (G6, G7, G8, G20). Le but en est une croissance élargie et durable, la préservation d'une économie dérégulée et l'ouverture de nouveaux secteurs à la généralisation de la concurrence ;
- L'absence de revendications hégémoniques de la part des acteurs majeurs du système et la carence de toute architecture de sécurité collective. Ceci engendre de nouveaux équilibres de puissance et de nouvelles formes de violence dues aux conflits asymétriques, aux États faillis, aux « zones grises » et de non-droits, aux mafias et à la cybercriminalité. Des groupes illégaux divers et la montée en puissance du radicalisme religieux et du djihadisme globalisé aggravent la portée du phénomène. La principale population ciblée par la rhétorique terroriste, le monde musulman, a été attisée par « un réveil politique mondial » (Z.Brzezinski), qui demeure le principal « défi géopolitique » de l'ordre global. C'est dans un environnement général instable que l'on observe une détérioration des termes de l'échange et une nouvelle division internationale du travail dictée par la logique ricardienne de la spécialisation et des avantages comparés ;
- La crise de la démocratie représentative et de l'autorité (S.Huntington), comportant un activisme général de l'humanité et une transformation de la demande politique en populisme et en nationalisme ;
- La désoccidentalisation du monde par une « culture de masse » nourrie d'idéologie multiculturaliste et alimentée par le bas à l'aide de flux migratoires croissants et des réseaux sociaux interactifs.
Ainsi l'opposition doctrinale entre « mondialistes » (néolibéraux, thatchéristes et néo-conservateurs aux mots d'ordre « pas d'alternative au système ! » égal la « pensée unique »), « altermondialistes » (refus de la soumission de la sphère sociale à la dictature des marchés financiers et rejet du « mythe de la World Company »), souverainistes et « antimondialistes » (la convergence de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche anticapitalistes autour d'un projet de restauration de l’État, de solidarité de la nation et de rejet des institutions supra-nationales de « gouvernance »), incarne une bombe à retardement socio-politique. Les espaces soumis à la « main invisible » de l'offre et la demande doivent être soustraits, selon les revendications des souverainistes, à la « gouvernance globale » des institutions internationales.
En effet, la transformation de la politique moderne suscite l'émergence d'une conscience collective socialement puissante. Par ailleurs, le phénomène de la délocalisation des forces productives alimente des investissements directs pour le contrôle des ressources des cinq continents. Ces investissements dessinent un type de domination dématérialisée et délocalisée sous forme d'une financiarisation des activités, déconnectée de l'économie réelle (à preuve l'interventionnisme récurrent de la Réserve Fédérale Américaine (FED) en soutien aux entreprises nationationales, qui rend caduqes les leçons de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs en matière économique).
Financiarisation du monde et bancarisation de l'Afrique
La mondialisation de la finance et la bancarisation des activités s'appuient sur l'internalisation de cinq types d'activités:-les placements et la recherche des opportunités de placements au profit de l'épargne,
- l'intermédiation (collecte des dépôts et distribution des crédits),
-la gestion des risques (spéculation, protection, ingénierie, circulation des produits financiers en vue d'une diminution de l'aléa),
- mouvement de fusions-acquisitions (pour entrer au capital d'établissements concurrents),
- association mixte de systèmes bancaires et de circuits informels (d'où la bancarisation du continent africain dans un but partagé de rendement).
Dans ce contexte, l'Afrique y apparaît comme un terrain de convoitise et de défis pour le contrôle des matières premières indispensables. La bancarisation du continent n'est en fait que l'expression régionale d'un processus planétaire incontournable. En effet, la bancarisation du continent africain représente le complément et l'achèvement du processus de mondialisation en cours.
La mondialisation du monde et « la superclass »
L'élite du pouvoir global et le monde qu'elle forge
La bancarisation présente, pour beaucoup de pays, des caractéristiques marquantes communes :
- l'accès élargi aux flux internationaux des capitaux de la part de l'épargne intérieure et des revenus intérieurs faibles, - l'accès aux technologies modernes, surtout en matière de communication (« mobile banking » facilitant les opérations via téléphone mobile). L'utilisation de ces derniers favorise le passage d'une économie rurale, fondée sur les circuits informels de l'épargne, à une économie financiarisée et moderne,- l'association des banques classiques avec des banques islamiques dans le but de pratiquer des financements mixtes. Dans ce cas, les taux de rendement des activités financières peuvent être orientés par l’État vers des secteurs à haute rentabilité, correspondants aux priorités du développement du pays et à l'intérêt national,
- le fondement de ce type d'association repose sur la valeur ajoutée des activités stimulées par la promotion d'une croissance dirigée par l’État. Cette double-association, de l'épargne informelle et des capitaux internationaux conjugue ainsi l'économie réelle et les secteurs de la finance et contribue à la légitimation de l'action de l’État et à la planification stratégique de sa fonction. Dans le contexte d'une association interne/international, le volontarisme étatique des classes dirigeantes locales peut se prévaloir de la force innovante des centres d'impulsion de la mondialisation et de la modernisation, les Think Tanks.
L'Afrique en quête de think-tanks
Les Think Tanks peuvent remplir plusieurs fonctions :
- orienter les grandes tendances du pays
- assurer la surveillance et la transparence du processus de modernisation
- garantir la rotation des élites
- stimuler les investissements directs à l'étranger conformément à l'intérêt national
- assurer le meilleur rendement du public et du privé
Ainsi le remodelage de l'ordre interne et international peut garantir la concurrence politique en la maintenant en-dessous de toute conflictualité.
La structure du pouvoir mondial et les think-tanks
Qui décide ?
Or dans la mondialisation économique et dans la bancarisation de l'Afrique qui décide et qui détient le pouvoir ? Qui exerce le leadership politique de manière à la fois diversifié et différencié ? Qui définit les règles du jeu du système des interdépendances économiques et des linkages politico-stratégiques ?
L'hégémonie sur la mondialisation et sur la bancarisation de l'Afrique sera exercée par les classes dirigeantes ayant la capacité de cumuler:
- Les fonctions politiques et de légitimité du pouvoir,
- L'alliance avec les élites politiques mondiales, au plan culturel,
- Le contrôle du processus de croissance et d'avancement des rapports sociaux dans le cadre d'une économie de la connaissance et du savoir.
Ainsi après la chute du système bipolaire, nous assistons à l'expansion d'une idéologie élitiste cohérente avec la notion de « mondialisation ». Dans cette perspective, le pouvoir et des structures doivent être d'abord dépolitisés et ensuite mondialisés. Ils doivent correspondre au « nouvel ordre planétaire », lui-même soumis à une « gouvernance globale ». David Rothkopf donne un aperçu sociologique de la construction de ce « nouvel ordre » et affirme que dans un monde de migrations croissantes, il n'est plus possible, pour un Etat agissant seul et dans l'étroitesse de ses moyens, de remplir ses engagements, dans le cadre d'un contrat national et que la notion de « progrès » s'apparente de plus en plus à celle de « défi ».
Le principal défi de l'ordre contemporain, le plus profondément ancré dans l'espèce humaine et dans le berceau de la civilisation universelle est celui de « souveraineté », à la place de laquelle il suggère le concept de « gouvernement mondial ». En revanche l'idée de « gouvernance », comme association à l'exercice d'un « leadership cooptatif » lui semble la notion la plus adaptée pour définir le pouvoir structurel de l'empire non-territorial.
L'Afrique, la globalisation et l'« ordre mondial »
Dans ce contexte, « l'ordre mondial » en Afrique, pour être cohérent avec ce pouvoir global, devra être économique et non politique, dans le but de participer à la globalisation de la planète. Il devra être construit « de bas en haut » plutôt que de haut en bas. Vue la faiblesse structurelle de l’État, et vu, pour la plupart des pays, un type de souveraineté qui frôle la fiction légale, la liaison entre mondialisation et bancarisation devra passer par une association entre épargne locale et capitaux internationaux et devra comporter des arrangements sociaux et des adaptations à des circonstances variables. En effet ces arrangements, stipulés avec des souverainetés fictives, en apparence permanents, voire sacrés à une époque déterminée, demeurent empreints de la contingence la plus évidente et d'un caractère artificiel et temporaire. Il s'agit d'arrangements précaires et révocables à tout moment.Or, les centres d'impulsion de la transformation planétaire en cours ont été marqués dans les années 1960 par l'escalade démocratique et la contestation générale des systèmes d'autorité existants (Vietnam, mai 1968) au nom du principe d'égalité. Ces poussées revendicatrices sont désormais soumises à l' « excès de la démocratie » (S.Huntington) et à la « crise de l'autorité » et de la hiérarchie. Ainsi les élites qui n'ont jamais été à ce point transnationalisées et axées sur la mondialisation, se regroupent autour d'un réseau de Think Tanks et de cercles de réflexion au bénéfice desquelles la cooptation de l'Afrique devient nécessaire.
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