REPRINT ÉTÉ 2018
TABLE DES MATIÈRES
(Reprint littéral de la rédaction de 1994)
- INTRODUCTION
-L'INTERVIEW DU PREMIER MINISTRE FRANÇAIS.
"L'UNION A TROIS CERCLES" (E. Balladur)
- LE TEXTE DE LA C.D.U./C.S.U. ALLEMANDE
GÉOPOLITIQUE ET STRATÉGIE INSTITUTIONNELLE
- L'OPTION FRANÇAISE ET LE NOUVEAU RÔLE DE L'ITALIE
- CONJONCTURE DIPLOMATIQUE ET STATUTS POLITIQUES.
LES ÉTATS-UNIS, LA FRANCE ET L'ANGLETERRE FACE A LEUR RANG
- LE "NOYAU DUR" ET L'ARGUMENT ÉCONOMIQUE
- L'EUROPE ET LE SYSTÈME INTERNATIONAL
- INTÉRÊTS NATIONAUX ET INTÉRÊTS EUROPÉENS.
VERS UNE "NORMALISATION" DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ALLEMANDE
- INTÉRÊTS COMMUNS ET DIPLOMATIE PRÉVENTIVE
SUR LA "RAISON D’ÉTAT EUROPÉENNE"
- UNE "BALANCE OF POWER" AU SEIN DE L'UNION ?
- HISTOIRE ET CONJONCTURE
- LA CONSCIENCE DES ENJEUX ET LE RETOUR DU POLITIQUE
- ÉLARGISSEMENTS ET MONDIALISME
- LES ÉLARGISSEMENTS ET LEURS RÉPERCUSSIONS EN MATIÈRE DE DÉFENSE.
DE LA CPE A LA PESC
- VERS UN NOUVEAU TRAITÉ
- LES INCIDENCES DES ÉLARGISSEMENTS ET LE DÉDOUBLEMENT DE LA
DIFFÉRENCIATION. COMMUNAUTÉ D'ACTION ET COMMUNAUTÉ DE VALEURS
- DIFFÉRENCIATION ET "GÉOMÉTRIE VARIABLE"
- NOUVELLES IDENTIFICATIONS ET CHOC DES CIVILISATIONS.
L'OCCIDENT CONTRE LE RESTE DU MONDE
- NOTES
INTRODUCTION
La réflexion sur l'avenir de l'Union Européenne a déjà commencé.
Les deux premiers coups d'envoi ont été donnés quasi simultanément, à Paris et à Bonn, et ils ouvrent ainsi officiellement le débat préparatoire à la conférence intergouvernementale, prévue pour la révision du traité de Maastricht de 1996.
Le futur de l'Union et les politiques étrangères respectives de la France et de l'Allemagne se sont imposés comme des thèmes majeurs, sur lesquels est en train de se développer un échange d'idées approfondi en Allemagne, pour le renouvellement du Bundestag et en France, pour l'élection présidentielle de l'année prochaine.
Dans sa signification plus générale, un tel débat est une réponse au défi qui résulte des difficultés de concilier l'élargissement de l'Union Européenne à de nouveaux pays (Autriche, Finlande, Suède et Norvège, plus tard les pays d'Europe Centrale), le maintien de sa cohésion et de ses objectifs d'intégration et d'approfondissement, et la sauvegarde du rôle de la Commission, au sein des délicats équilibres des pouvoirs et des intérêts entre les Institutions de l'Union (en d'autres termes, le Parlement et le Conseil Européens).
L'INTERVIEW DU PREMIER MINISTRE FRANÇAIS."L'UNION A TROIS CERCLES"
Dans l'interview accordé au journal "Le Figaro" du 30 août dernier, le Premier Ministre français Edouard Balladur a évoqué ses convictions diplomatiques, a défini sa politique européenne et a imaginé, aû moins théoriquement, une Union Européenne, organisée autour de "trois cercles concentriques'".
En synthèse - affirme Balladur - "l'élargissement entraînera nécessairement une diversification, au moins temporaire, de la structure de l'Europe". Celle-ci maintiendra un noyau central efficace, mais adaptera la configuration du continent à l'extrême diversité des situations.
Cette vision impose de concevoir - selon Balladur - trois types d'organisations distinctes, qui comporteront des règles et des responsabilités différenciées.
Pour de longues années la structure de l'Europe aura ainsi un corps central homogène, constitué essentiellement par la France et par l'Allemagne, et celui-ci sera soumis à des normes communes dans tous les secteurs de l'intégration, de la solidarité et de la coopération.
Autour de ce corps, une série de pays, à statuts différents, tisseront des formes particulières de rapports d'intégration, variables selon les matières et les questions, monétaires, militaires, commerciales, financières ou diplomatiques.
De telles relations auront des rythmes et des vitesses différentes, dans le respect du traité de Maastricht signé en 1992.
Élargissement, diversification et approfondissement devront correspondre simultanément, pour le premier ministre français, au concept de construction européenne, comme projet, comme réalité et comme processus.
"L'Europe à trois cercles", Union monétaire et politique étrangère et de sécurité communes (PESO), grand marché et système continental élargi, lié à l'Union par les "Accords Européens" et par le "Pacte de Stabilité", centré sur une C.S.C.E. renforcée, constitueront les trois noyaux d'organisation, théoriquement concevables, pour l'Europe de demain.
Ce cadre institutionnel représente le moment d'une gestation permanente, dont le Traité de Maastricht constitue une étape significative, mais non définitive. L'organisation de base ou de droit commun, comprendrait l'ensemble des pays-membres et recouvrirait le marché unique et les politiques communes, surtout dans le secteur industriel.
Dans ce contexte pourront prendre forme des "sous-ensembles variables", qui cependant existent déjà, l'Europe sociale, l'Europe de la monnaie unique, l'Europe de la sécurité, etc.
En son sein, un "noyau restreint" et mieux structuré, sur le plan monétaire et militaire, le fameux "premier cercle", aurait la tâche d'inclure des pays sans une identification géographique précise, qui acceptent d'aller plus loin dans la répartition des compétences et qui auront la responsabilités de redéfinir et de réadapter les critères de répartition et de compensation entre les États, essentiellement les politiques des fonds structurels, de façon à ne pas les rendre insupportables pour les disponibilités et les ressources des pays qui sont aujourd'hui les contribuables nets les plus importants de l'Union.
Il est facile d'en déduire, qu'une pareille réorganisation ne sera sans retombées pour la politique agricole commune.(PAC), et pour le budget de l'Union Européenne.
Le plus large des cercles devra permettre aux pays les moins avancés économiquement de participer au marché unique, à l'union douanière et à la coopération politique.
Le destin de l'Europe, qui a pour but la promotion et la consolidation de la démocratie et l'évolution vers une plus grande transparence sur le fonctionnement des institutions aux yeux des citoyens, va se jouer, dans un premier moment, dans l'élargissement et successivement, après une période de diversification transitoire, dans une recomposition qui tendra à l'unification, pragmatique et progressive, de l'Union.
Comme résultat ultime, à moyen ou à long terme, on pourra aboutir à deux cercles au lieu de trois.
L'élément de nouveauté, aussi bien dans l'interview de Balladur, que dans le document de la C.D.U./C.S.U. allemande, élaboré par Karl Lamers, porte-parole du groupe de politique étrangère et présenté le ler septembre dernier par le Président du groupe parlementaire de la C.D.U., Wolfgang Sch.uble, est l'abandon officiel du "dogme" de Maastricht.
Un double abandon, de l'impératif de souscrire à tout l'acquis communautaire et donc à tout le droit dérivé de la part des nouveaux pays-candidats à l'adhésion et, deuxièmement, l'abandon de l'obligation faite aux Douze et demain aux Seize, de partager tous les objectifs du Traité, sauf les dispositions dérogatoires, considérées comme transitoires.
LE TEXTE DE LA C.D.U./C.S.U. ALLEMANDE
GÉOPOLITIQUE ET STRATÉGIE INSTITUTIONNELLE
La réflexion allemande prétend dissiper les malentendus et les ambiguïtés découlant de l'élargissement de l'Union Européenne aux pays de l'Europe centrale et orientale et lève un tabou persistant sur la volonté affirmée de l'approfondissement, en soutenant de manière ferme l'objectif d'une Europe forte, intégrée et capable d'agir.
Le document de la C.D.U./C.S.U., considère l'Union monétaire comme le "noyau dur" de l'Union Politique, au contraire de ce qu'y est communément acquis en Allemagne, où elle est présentée comme un élément subordonné de l'intégration politique.
Puisque l'Union Monétaire ne pourra devenir opérationnelle dans les termes prévus, que dans le cadre d'un cercle plus restreint mais ouvert de pays, où l’Italie, l'Espagne et la Grande Bretagne soient momentanément exclus, il découle d'un tel présupposé, la thèse, selon laquelle, seulement un noyau de cinq pays nominativement indiqués, Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg, peut préparer l'Union, "de la façon la plus systématique et décidée".
Une Europe plus intégrée et à "géométrie variable", doit donner toutefois la démonstration de faire avancer "politiquement et institutionnellement l'Union, avant tout élargissement".
Les objectifs du document allemand sont multiples.
En considération du contexte électoral, le premier objectif est de présenter le problème de l'élargissement comme strictement lié à la réforme des institutions.
De ce point de vue, le préalable absolu d'une réorganisation "quasi-constitutionnelle" de l'Union Européenne, doit permettre de retrouver une véritable
capacité d'initiative et de se libérer des obstructions britanniques, ainsi que des retards de pays chroniquement déséquilibrés ou mal gérés.Au centre des
préoccupations des rédacteurs du document est l'intention déclarée de renforcer rapidement la cohésion de l'ensemble, "avec le but d'éviter le danger d'une
dilution de l'Europe en une zone de libre-échange améliorée".
Une telle évolution ferait de l'Europe une aire dominée par l'Allemagne et par sa zone d'influence reconstituée, orientale, danubienne et balkanique.
Il en résulterait une sorte de prépondérance hégémonique, qui pourrait l'amener, tôt ou tard, vers la tentation de nouvelles et solitaires aventures.
La résultante d'une pareille approche du débat et de la vision qui l'inspire est donc l'approfondissement des fondements démocratiques de l'Union
Européenne, autour d'un noyau limité de pays, renforcé par des institutions à caractère fédéral, au sein desquelles le Parlement Européen est appelé à
devenir "un organe législatif, doué de pleine parité de droit, vis à vis du Conseil".
Ce dernier devrait s'inspirer à son tour, dans la pondération des voix, à un plus grand respect du nombre des habitants des Pays-Membres.
Quand à la Commission, elle se verrait reconnue "les attributs de gouvernement européen".
Dans la rédaction d'un tel document, on expose, en conclusion trois principes de portée générale.
Sur le plan interne, la lutte contre la bureaucratie et le centralisme, au nom de la subsidiarité, puis une déclaration de guerre contre la criminalité organisée
et le narco-trafic.
Sur le plan international, une vision plus européenne des problème de sécurité et de défense.
Les priorités de la politique étrangère commune (PESC), sont énoncées comme suit :
- stabilisation dans l'aire méditerranéenne et en Europe centrale et orientale,
- accroissement et renforcement des relations avec la Russie, dans le but d'établir avec elle un large partenariat,
- partenership-stratégique avec la Turquie, comme barrage laïque et modéré, face à l'irruption du fondamentalisme islamique,
- réorientation globale des relations transatlantiques dans un sens plus équilibré.
Le document C.D.U. 1 C.S.U. défend une stratégie d'intégration plus renforcée en matière de politique étrangère et de défense et soutien des options "moins atlantistes" de celle du Ministre des affaires étrangères, Klaus Kinkel, président du parti libéral (F.D.P.), qui sans décliner explicitement l'offre de Bush de "partener in leadership", a encore insisté récemment sur le rôle privilégié de l'Allemagne dans le cadre des relations euro-américaines. Le document des chrétiens-démocrates allemands, ne reprend ni mentionne, dans aucune de ses parties, même allusivement, le rôle dominant de l'Allemagne réunifiée, au sein de l'Union Européenne et précise, de manière digne de mention, que les "Etats-Unis ne peuvent assumer leur rôle traditionnel, maintenant que le conflit est-ouest est dépassé".
Dans la liste des priorités prévues pour la réforme des institutions, la réflexion allemande préconise la rédaction d'un document préparatoire, qui délimite clairement les compétences de l'Union, celle de ses Etats Membres et, en dernier, les prérogatives des Régions.
Sur la scène internationale est explicitement demandé "qu'aucune action significative, dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, puisse être entrepris, sans une concertation préventive franco-allemande".
Or le renforcement de la coopération franco allemande et la vision différente de l'élargissement de l'Union Européenne ne sont pas sans prix pour la France.
Il est fait appel à cette dernière de présenter sa position "clairement et sans équivoques".
On souhaite en réalité qu'elle puisse sortir "des indécisions, lorsqu'il s'agit d'assumer des mesures concrètes", et que soit remise en cause l'idée "selon laquelle il est impossible de renoncer à la souveraineté de l’État-Nation, lorsque celle-ci ne constitue plus, depuis longtemps, qu'une enveloppe vide".
Il a été observé par nombre de commentateurs (Philippe Lemaître, sur "Le Monde" du 15 septembre), que le "document de réflexion sur la politique européenne", est caractérisé non seulement par la préoccupation de concilier le renforcement des institutions et l'élargissement de l'Union, comportant une réorganisation financière moins onéreuse (en terme de fonds structurels et agricoles), mais surtout de barrer la route, en Europe centrale, à une instabilité, qui "mettrait l'Allemagne dans une position particulièrement inconfortable entre l'Est et l'Ouest".
Le débat sur le "noyau dur" , articulé au concept de "géométrie variable", a pour but d'assurer une progression de l'Union, au delà des difficultés des pays, qui ne "veulent pas" (Grande-Bretagne) et de ceux qui, dans les circonstances actuels, ne "peuvent pas" (Italie et Espagne).
Malgré les démentis du Ministre des Affaires Étrangères Alainn Juppé, le 12 septembre dernier à Usedom, à propos d'une "initiative commune franco-allemande sur l'Europe", il est difficile de ne pas établir un lien entre les deux positions, quasi parallèles, française et allemande.
Tout en accordant une signification de "test" politique, sur la portée des réactions des États-Membres exclus, Angleterre et Espagne et en particulier l'Italie, il est clair que ce test a provoqué une forte alarme au sein des gouvernements des pays intéressés.
Les milieux économiques, politiques et financiers, concernés par les travaux préparatoire du "chantier Europe", ont été pris de surprise.
Immédiate a été la réaction du gouvernement italien, après la publication de l'hypothèse d'une exclusion temporaire de l'Italie, pays fondateur de l'Union, du "noyau restreint". Il a été affirmé avec force et à plusieurs reprises par le Ministre des Affaires Etrangères, A. Martino et par le Premier Ministre S. Berlusconi, que dans de telles positions se dessine une menace de fracture de l'Europe et de l'Union Européenne.
L'OPTION FRANÇAISE ET LE NOUVEAU RÔLE DE L'ITALIE
Les mêmes personnalités ont revendiqué un changement du rôle de l'Italie et un accroissement du poids international et européen pour leur pays.
Suite au déclassement de l'Italie au sein de l'Union Européenne, la grande presse, nationale et internationale, a exprimé des préoccupations et formulé des recommandations sur une reprise en main de la situation, politique, économique et institutionnelle.
On a déploré l'absence d'un dessein et d'une dimension internationale de l'Italie, en termes politiques, stratégiques et culturelles, identifiant dans cette carence, la singularité plus grave du syndrome italien (A. Levi sur le "Corriere della Sera" du 3 septembre 1994).
Cette anomalie est apparue stupéfiante, si comparée à la naissance de la première république, qui, depuis sa phase constituante, a dû opérer des choix de camp radicaux, enphatisés par certains comme des choix de civilisation.
S'affrontaient alors des philosophies et des modèles de sociétés contrastants, inspirés à des conceptions socio-politiques antagoniques.
Le problème du positionnement international de l'Italie a été, à l'époque, un choix de système et de ce choix découlèrent, pendant longtemps, des conséquences d'assidération internes, doublées de passivités extérieures, qui renfermèrent l'Italie dans son "particulare", rendant archaïques, ses débats, son style et sa classe de gouvernement.
C'était l'époque de l'Amérique "full-time", de l'Amérique comme unité de mesure du système international dans son ensemble, d'une utilisation de l'Amérique "tous azimuts".
Il fallait à tout prix que les intérêts italiens coïncident ou s'alignent sur les intérêts américains.
Dans ce cadre, l'espace opérationnel réel était proche de zéro, puisque toute politique étrangère était encadrée par les trois cercles, atlantique, européen et méditerranéen.
Le premier assurait la sécurité, le deuxième le développement, le troisième une certaine liberté de manœuvre.
Le reflet intérieur de ces contraintes internationales se traduisait culturellement, par un occidentalisme verbal, un européanisme de manière et tiers-mondisme aveugle.En termes de capacités diplomatiques, cela signifiait passivité atlantique, faible créativité institutionnelle au sein de la Communauté Européenne et panafricanisme à l'aspirine.
Dans les formules politiques de centre-gauche un compromis statique sur la politique étrangère faisait disparaître les clivages gouvernement-opposition et comportait un coût international minimal en termes d'engagements extérieurs.
Un cycle plus créatif s'ouvre pour la diplomatie italienne et un rôle plus actif se dessine pour l'Italie sur la scène internationale.
Y contribuent la mutation du contexte général et celle du système politique interne, qui évolue, au moins théoriquement, vers un modèle bi-partisan.
A l'échelle du "Heartland", l'implosion de l'Union Soviétique a remis en mouvement l'espace tectonique qui va de Kiev à Varsovie et de Budapest à Istanbul.
Ainsi au point de vue du cadre stratégique mondial, la Mer Noire, la Méditerranée et le Moyen-Orient, mais également l'aire adjacente du Golfe Persique, réacquièrent une importance globale.
Ce qui se métamorphose est en effet la relation générale entre la scène atlantique et la scène méditerranéenne cumulant les changements intervenus dans la jonction entre les trois continents : l'Europe, l'Asie .et l'Afrique.
En Méditerranée, le rapport entre l'Europe et le Maghreb ressemble de plus en plus à celui du Mexique et des États-Unis.
Du point de vue des flux humains, la ligne qui va des Dardanelles à Gibraltar, en passant par le canal de Sicile, tient place du Rio Grande de l'Europe.
Dans ce contexte. de mouvement, l'Italie redevient une puissance européenne du centre ayant un prolongement vers la Mittel-Europe au Nord, vers l'espace des Balkans au Sud.
Elle présente ainsi une double caractéristique, d'être, par sa position, une puissance régionale, et donc une plaque tournante entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud et, par le réseau de ses influences extra-régionales, une puissance globale.
L'Italie est une puissance globale au sens braudelien du terme, celui de l'économie-monde, par analogie au rôle joué par les deux républiques maritimes de Venise et de Gènes, aux XV et XVII siècles, qui hantaient la terre-ferme et les conquêtes territoriales.
Le terme de puissance globale ne doit pas être confondu avec celui de puissance planétaire, avec son corrélât de capacités océaniques et aériennes de projection de puissance et de vision stratégique mondiale (Great-Strategy).
Pour une série de raisons qui la poussent commercialement et parfois culturellement à être présente en Pologne ou en Roumanie, en Algérie et au Maroc, mais également en Chine et en Amérique Latine, l'Italie exerce, au plan diplomatique, un globalisme sélectif.
Elle inspire son comportement à l'ouverture, à l'internationalisation des échanges, à des réglementations souples, au libre-accès aux matières premières et aux sources énergétiques, bref au développement équilibré du multilatéralisme et à une définition plus équitable des modalités des échanges au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Le statut de puissance globale lui est reconnu par son appartenance au G7 et demain, avec la Russie, au G8.
Club fermé de grandes puissances industrielles, le G7 est, pour l'heure, un directoire économique, qui sera probablement demain, un centre de décision politique.
Du point de vue du rang, cette appartenance compense provisoirement, pour l'Italie, sa candidature à un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité élargi de l'ONU.
A cause de sa position géopolitique et du changement de son système politique, l'Italie dispose aujourd'hui d'une liberté de manœuvre sans précédents.
Cela impose à la diplomatie italienne un rapport prioritaire avec l'Allemagne.
Dans ce rapport, problématique et direct, avec le "Land der Mitte", elle doit faire le choix de l'option française.
Au plan institutionnel il n'y a que deux approches, non permutables, de l'Union Européenne, la voie anglaise et la voie française.
La voie anglaise dans son rapport à l'Europe et au monde, est caractérisée par deux constantes.
Quant à l'Europe, par un ralliement ambiguë, qui a comporté une renégociation acharnée de ses conditions d'entrée et de ses charges budgétaires, et s'est conclue à Fontainebleau en 1984.
Au plan de la conception et du fonctionnement des institutions, par une vision de "la coopération libre et active entre États souverains indépendants" (Mme M. Thatcher, 20 septembre 1988).
Ce qui explique son rejet permanent de toute politique intégrationniste et son obstruction à tout approfondissement, en matière de politique économique et de politique sociale.
L'élargissement vers l'espace nordique, prôné avec vigueur par la Grande-Bretagne a comporté cependant une crise, qui s'est soldée par le compromis de Joannina, bref par le retour possible à des coalitions de blocage et une énième tentative de dilution de l'Union en un espace marchand, libre-échangiste et neutraliste.
Dans son rapport au monde, l'Angleterre est devenue à la fois un investisseur international et une terre d'accueil des investissements étrangers.
De ce fait elle est un tremplin obligé vers le continent.
Ce tremplin devient le vecteur d'une vision britannique de l'Europe comme marché ouvert, débarrassé d'entraves tarifaires ou réglementaires, bref une Europe offerte.
Quant à la sécurité, le maintien, déclinant, de ses "liens spéciaux" avec les États-Unis s'exprime institutionnellement par son rôle intermédiaire entre Washington et l'Europe, pronant une adaptation politique améliorée de l'OTAN.
Sa philosophie de, « the European Europe » pourrait-elle être autre chose qu'une vision eurosceptique de l'avenir ?
La voie anglaise au sein de l'Europe est en conclusion unique et inimitable.
Pour l'Italie, l'option française est la seule praticable, avec cependant, des correctifs et des variantes.
Non seulement pour des raisons d'orthodoxie européenne, taxée souvent de façade, mais parce qu'elle correspond à la voie du réalisme stratégique, qu'elle a pratiquée jadis, sous le règne des Savoie.
Au moment où le jeu entre les États Européens redevient compétitif, la voie française du dialogue et de l'entente directe avec l'Allemagne, s'impose comme une priorité pour l'Italie.
La voie du réalisme stratégique, consistant à définir, parfois abstraitement, une doctrine des intérêts nationaux et à pratiquer la politique de l'aiguillon, de manière à exercer un poids déterminant sur la balance; au delà de ses propres capacités intrinsèques, redevient nécessaire et souhaitable.
Sa première application devrait s'affirmer dans le choix de l'approfondissement, tout au long des travaux préparatoires pour la révision du Traité de Maastricht.
Elle devrait en ce sens s'appuyer et être appuyée par la France.
Le corrélât naturel de cette position repose pour l'Italie sur une conception, toute politique du "noyau restreint", auquel elle s'estime appartenir.
La surdétermination de ce noyau par l'économique, joue, pour l'Italie, comme un épouvantail interne, légitimant et accélérant l'instauration de politiques d'assainissement et de rigueur budgétaires.
La fin du bipolarisme et de la guerre froide a constitué un gain net pour l'Italie et pour l'Allemagne, car elle a augmenté objectivement leur espace de manœuvre à l'échelle régionale, globale et mondiale.
Dans la construction européenne il est donc souhaitable que l'Italie opte pour la solution française et joue à la politique du "counter-power" avec la France.
II reste cependant à définir l'inconnue à long terme de la vision française, l'éventuelle réalisation d'un "espace russo-européen" sous un directoire tripartite Paris-Berlin-Moscou, subordonné à l'axe franco-allemand et en concurrence avec "l'espace pacifique", sous direction américaine.
CONJONCTURE DIPLOMATIQUE ET STATUTS POLITIQUES.
LES ÉTATS-UNIS, LA FRANCE ET L'ANGLETERRE FACE A LEUR RANG
La réouverture du "dossier Europe", doit examiner quelles seront, en son sein, la place et l'influence de l'Allemagne réunifiée.
Cet examen impose de repartir d'une lecture du système international et d'une adaptation au deuxième "âge nucléaire", des rôles et des statuts politiques, hérités de la guerre froide.
France, Allemagne, Angleterre et États-Unis, s'interrogent aujourd'hui sur leurs traditions diplomatiques et font découler des constantes géopolitiques et culturelles, les attitudes et les codes de conduite qui auront une influence sur les options et les objectifs de politique étrangère.
Partout dans l'analyse de la dimension internationale, si contraignante pour les équilibres internes, refait surface la doctrine de l'intérêt national.
C'est sous cet angle que des analystes influents soumettent à critique les fondements de pensée des perspectives stratégiques des prochaines décennies.
Aux États-Unis les leçons de la "Realpolitik" européenne, érigée sur les présupposés d'un monde dans lequel les États, mus par des "intérêts propres", constituent les acteurs primordiaux de la scène internationale, ont fourni à H. Kissinger, les instruments analytiques essentiels pour redéfinir le rôle de l'Amérique et celui de la tradition diplomatique américaine.
Au sein du nouveau "Concert des Nations", cinq ou six puissances (les États-Unis, la Russie, la Chine, le Jappn, l'Europe et peut-être l'Inde), devront maintenir entres elles un équilibre subtil, fait non plus de règles rigides, comme au temps de la bipolarité, mais "d'intérêts nationaux" redécouverts, à assurer en terme de sécurité, à préserver en matière d'influence, indépendamment des régimes internes et des idéologies dominantes.
Kissinger affirme que la démocratie ou les droits de l'homme, le moralisme ou les doctrines économiques et sociales, le libéralisme ou le socialisme, ne peuvent «Risquer l'enracinement permanent de la "Raison d’État".
Au sein d'une constellation diplomatique, dans laquelle ils nécessitent de nouveaux idéaux, toute forme d'activisme international, non soutenue par des convictions profondes et par la force d'une morale élevée, peut devenir dangereuse.
Henry Kissinger préconise enfin un "rôle réaliste pour une Amérique idéaliste".
En France le débat en cours sur la politique étrangère se mêle à celui sur l'avenir de l'Europe.
Dans le "cher et vieux pays", dans lequel, "le passé refuse de passer", où la mémoire souterraine se superpose à la mémoire officielle, pour donner corps à la mémoire historique, la demande fondamentale est aujourd'hui celle-ci :
"Quelle est la place de la France dans le monde ?".
"Quelle réponse l'Europe peut-elle apporter au rôle de la France et à son rang, en d'autres termes - comme le dit Alainn Juppé - "à l'imagination, au sens du mouvement, à la détermination dans l'exécution, à la tradition d'indépendance, qui créent des responsabilités particulières ?".
"De quelle Europe parle-t-on et quelle Europe veut-on construire ?".
L'idée d'Europe, qui a divisée jusqu'ici la droite française, peut-elle encore autoriser la pratique d'une coûteuse "stratégie de la différence", faite d'initiative, d'audace et de capacité de décision et d'action autonomes ?
L'Europe pourra-t-elle être le prolongement et le soutien du rang de la France, ou plutôt un instrument de son déclin ?
Le Premier Ministre Balladur a réaffirmé encore récemment, le 2 septembre dernier, a la réunion des Ambassadeurs de France à Paris, que "la France doit parler d'une seule voix, et, a-t-il ajouté, "il n'y a pas aujourd'hui d'alternative à la construction européenne".
Toutefois la France a besoin de réinventer une présence dans le monde et une politique étrangère qui ne se complaise pas dans la répétition de vieux schèmes.
Une telle présence ne peut venir, comme toujours, que de la conscience de sa propre identité de Nation.
Sont mis sous accusation, comme dérisoires, les succès solitaires de la France en Afrique, parce qu'ils ne serviraient à rien d'autre, qu'à masquer le déclin de puissance et les difficultés de se doter de nouvelles alliances.
L'idée d'anticiper sur l'avenir et de projeter le pays dans un horizon international plus interdépendant d'hier, puisque moins soumis à la division simplificatrice des blocs, pousse à proposer comme seule voie réaliste, celle d'une européanisation de sa politique étrangère.
L'affirmation d'une sorte d'universalisme renouvelé, semble ne pas pouvoir se réaliser pleinement, que dans le cadre de la construction européenne et grâce à celle ci.
Pour certains il s'agit de l'espoir d'une Europe qui, loin de se limiter à une réglementation du libre-échange, restaure l'expérience démocratique et sociale, réponde à la globalisation des économies et de l'information, et reformule le tissu du dialogue euro-arabo méditerranéen.
Dans la perspective de la Présidence de l'Union Européenne que la France assumera le ler semestre 1995, figurent déjà 4 priorités :
-
la croissance et l'emploi,
-
la sécurité de l'Europe et l'affirmation de l'Union Européenne comme puissance mondiale,
-
l'affirmation de sa dimension culturelle,
-
la préparation de la réforme institutionnelle.
La France en somme n'entend pas être marginalisée par une "Drang Nach Osten" sans contreparties, parce-que ceci lui ferait perdre son rôle traditionnel d'articulation entre le Nord et le Sud.
Face à une Union Européenne qui risque de se borner à être l'une des modalités du libre-échange mondial, simple élaboratrice d'un corps législatif et réglementaire, au nom d'une idéologie de la concurrence et du marché, la France recherche la garantie d'une vraie stabilité, à travers une grande entente continentale avec l'Allemagne.
En libérant cette dernière de sa contradiction géopolitique permanente, qui consiste, le moment où elle aborde le ,problème de l'élargissement à l'Est, à ne pas avoir de difficultés majeures à l'Ouest, la pleine réalisation du grand marché, à la dimension des espaces économiques concurrents' d'Asie et d'Amérique, peut constituer un contrepoids à l'hégémonie mondiale anglo-saxonne, conduite par les Etats-Unis.
La sauvegarde du rang de la France, qui a été l'obsession de De Gaulle et la préoccupation constante de tous ses successeurs, s'inscrit dans la mémoire de la défaite militaire, politique et morale de 1940 et dans une vision de l’État-Nation, confortée par un rôle indépendant retrouvé.
Quelle réponse l'Europe peut-elle apporter à cette recherche d'une nouvelle identité, au sein de laquelle la penséè stratégique est provisoirement sans objet, tout en demeurant essentieIIe, pour des acteurs historiques qui veulent demeurer fidèles à eux mêmes ?
Cela serait une perte grave pour l'Europe, si la France se privait de sa capacité d'invention, de proposition et d'initiative, si nécessaire, dans le nouveau "Concert des Nations".
Dans ce cadre l'Angleterre, maîtresse dans l'art d'exercer la garde continentale de la "Balance of Power", mérite-t-elle encore la condamnation du Secrétaire d’État Dean Acheson, "d'avoir perdu son empire, mais de n'avoir pas su retrouver son rôle", sinon celui, suggéré par les États-Unis, d'adhérer à l'Europe et de l'orienter vers une conception "ouverte" économiquement et "néo-atlantiste" politiquement ?
Ne vit-elle pas une crise sous-jacente de l'identité nationale, qui l'oblige à se résigner d'appartenir inéluctablement à l'Europe, malgré la mondialisation de sa langue, lorsqu'elle a connu le destin aussi exceptionnel de l'Empire ? Qu'en sera-t-il de la singularité britannique, et de sa synthèse entre modernité et tradition, la moment où elle se verra menacée dans la continuité de ses institutions et dans le choix de sa philosophie du libre-échange, qui est le pilier de sa politique d'ouverture et de modernisation ?
Après avoir perdu les moyens de faire l'Histoire et de réfléchir au monde comme à une totalité, la Grande-Bretagne pourra-t-elle penser d'être encore, par son esprit et par sa tolérance, l'ultime rempart de la civilisation ?
Sa méfiance à l'égard des exigences institutionnelles de la construction européenne s'est manifestée à nouveau, en mars 1994, à l'occasion des négociations sur l'élargissment de l'Union Européenne à l'Autriche, la Suède, la Finlande et la Norvège.
Ces élargissements ont mis sur le tapis le problème de la minorité de blocage, au sein du Conseil des Ministres de l'Union, lorsqu'une décision est prise à la majorité qualifiée.
L'opiniâtreté de la:Grande-Bretagne dans sa volonté de défendre toutes les possibilités de manœuvre, jusqu'à susciter des coalitions de blocage, dans le but de retarder ou de freiner les mesures d'intégration, à conduit finalement au compromis de Joannina.
La Grande-Bretagne s'est toujours opposée aux renforcements institutionnels de l'Union étendant les pouvoirs "centralistes" de Bruxelles.
C'est ainsi que le Traité de Maastricht a prévu deux dérogations majeures en faveur du Royaume-Uni, une sur la question monétaire, l'autre sur la question sociale.
Ces approches à la construction européenne révèlent que la Grande-Bretagne a peut-être accepté l'Europe comme un avenir nécessaire mais sans enthousiasme, et que ce ralliement est la preuve encore une fois, de la difficulté pour le Royaume-Unis d'épouser d'autres idées qui ne reposent que sur une coopération intergouvernementale pragmatique et progressive.
LE "NOYAU DUR" ET L'ARGUMENT ÉCONOMIQUE
Les sollicitations politiques ou culturelles ne doivent faire oublier l'argument économique.
Le 20 septembre dernier, le Président de la Banque d'affaires internationales "Morgan Stanley", Patrick de Saint-Aignan, recommandait d'investir en France.
L'intérêt de la proposition était constitué par la confirmation de l'appartenance de la France au "noyau dur" de l'Union Européenne.
Après avoir passé en revue les différents paramètres de l'analyse économique (produit intérieur brut, demande, emploi, investissements, tensions inflationnistes, taux d'intérêts à long terme, politique budgétaire et marchés financiers), Morgan Stanley, contrairement à bon nombre d'analyses anglo-saxons, prenait fermement position pour une stratégie d'ancrage européen et pour l'orthodoxie économique, adoptée jusqu'ici avec fermeté par le gouvernement français.
Une telle ligne est considérée comme apte à favoriser le raffermissement de la reprise cyclique de l'économie, dont les taux de croissance sont de l'ordre du 2% pour 1994 et de 3,5% pour 1995.
La justification du conseil, adressé au marchés financiers internationaux, d'acquérir des actions en France est double.
Elle est dictée :
- par le renforcement des liens entres les pays du "noyau restreint" de l'Union Européenne, qui constituent un attrait important pour les investisseurs.
- par la simultanéité de la reprise, dans la zone économique large du S.M.E., caractérisée par des changes stables ou quasi-fixes, ce qui contribue à la croissance des autres pays et fait bénéficier à toute la zone d'une forte demande étrangère.
A confirmation de, ce qui a été exposé ci dessus, les Ministres de l'Economie et des Finances des Douze, réunis le 10 septembre à Lindau (Bavière), après avoir salué la fin de la récession et le début de la reprise, ont considéré avec optimisme l'avenir de I'Union et le passage à la 3eme phase de I'U.E.M., celle de la monnaie unique.
Malgré les tensions sur les taux d'intérêts à long terme et la baisse du dollar, les prévisions de croissance moyenne pour l'Union Européenne, sont du 2% pour 1994 et du 2,5% en 1995.
Le conseil de l'ECOFIM a, en outre estimé que les modalités pour parvenir à la réduction des taux d'intérêts à long terme, est de profiter de la reprise et des entrées supplémentaires que celle-ci engendre, pour réduire les déficits budgétaires et contenir simultanément revenus et salaires.
Le bon comportement de la monnaie du système monétaire européen (S.M.E.) et la stabilité des relations de changes qui caractérisent les rapports entres-elles, après la crise d'août 1992, ainsi que le passage à des marges autorisées de fluctuations élargies (du 2,5% au 15%), ont évité des dévaluations compétitives et facilité la convergence des économies.
La confirmation de la reprise a donnée une plausibilité supplémentaire au passage à la 3ème phase de l'U.E.M., prévue au plus tôt pour 1997 et au plus tard pour 1999.
Il faut reconfirmer que pour un tel passage le Traité de Maastricht impose un déficit du budget publique inférieur au 3% et un cumul de la dette publique, qui n'excède le 60% du produit intérieur brut (PIB). Le problème plus controversé dans l'évaluation des cinq critères définis par le Traité, est celui de savoir, s'ils seront interprétés de manière rigide (par exemple sur le déficit public), ou en "tendance", c'est-à-dire en tenant compte des progrès accomplis vers le respect des valeurs de référence. La controverse sur le respect de tels critères reste ouverte, tandis que celle sur la crédibilité politique concernant la volonté de les poursuivre avec vigueur, demande aux Gouvernements des États Membres, d'accomplir des efforts résolus, en vue d'une appréciation positive des politiques d'assainissement.
L'EUROPE ET LE SYSTÈME INTERNATIONAL
Le système international actuel, issu du troisième après-guerre du siècle, est encore en éruption. Quels seront ils, en son sein, les déterminismes fondamentaux de demain, les intérêts des acteurs étatiques, au sein du nouveau "Concert des Nations", (avec leurs ajustements de puissance), ou, en revanche,la logique des facteurs, dictée par une géopolitique redécouverte, une géofinance conquérante et une géoéconomie1 agressive ?
En d'autres termes, qu'est ce qu'influera davantage sur l'avenir du monde, l'événement circonstanciel ou le long terme, l'échelle du temps de la vie humaine ou l'enracinement des traditions dans les siècles ?
Une double tendance façonne et au même temps encadre la mondialisation :
- l'ouverture des flux culturels, technologiques, commerciaux, financiers et humains, par leur nature horizontaux,
- ou des formes d'intégration politiques partielles, à caractère régional. L'Europe est à cheval de ce double mouvement et de ces deux tendances.
Union institutionnelle atypique et configuration géopolitique classique, sans équilibres définis, elle est devenue le premier pôle continental du libre-échange mondial.
Elle se doit donc d'être suffisamment ouverte, pour vivre en symbiose avec les autres regroupements régionaux, et, dans le même temps, assez sûre d'elle même pour parvenir à un
degré suffisant d'intégration politique et décider de son avenir et de son rôle en pleine indépendance.
Son impératif est d'établir des degrés d'ouverture compatibles avec la notion de réciprocité, car un protectionnisme généralisé la conduirait inévitablement au déclin.
Elle doit, parallèlement, contribuer à la définition des modalités de l'échange, au sein de la nouvelle organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans ce cadre, l'Union Européenne pourra préciser sa stratégie commune, en matière de politique commerciale extérieure, conformément à ses intérêts à long terme.
En revanche, l'Europe est-elle prête à maintenir et développer les aspects coopératifs dans le monde, et limiter, contrôler et prévenir les tendances conflictuelles, d'où quelles viennent et où qu'elles se manifestent ?
L'univers historique ne peut se soustraire aux phénomènes de paix et de guerre, de prospérité et de misère, d"exclusion et de crise.
Pour pouvoir accomplir à cette ambivalence de missions, l'Union Européenne devra être économiquement avancée, politiquement forte et diplomatiquement en mesure d'agir.
Dans un monde plus ouvert, la demande politique est plus grande, l'horizon et la prospective stratégiques plus présents, l'intuition historique plus nécessaire.
Sous l'aspect conceptuel, la chute de l'ordre bipolaire a posé deux types de problèmes
- le rapport de l'économie à la politique internationale, et donc aux fondements du cadre de coopération multilatérale, mis en place à l'issue du
deuxième conflit mondial.
- la relation de l'économie à 1a démocratie, et donc à la transition de certains pays à l'économie de marché et à la stabilité politique.
Quand au premier point et suite aux accords du GATT, l'Europe et les USA pourront ils résister à la concurrence inégale, voire même déloyale de certains pays d'Asie ?
Quand au deuxième point, et donc au rapport entre l'économie et la démocratie, l'expérience du siècle a démontré que la croissance économique a appelé le développement vers la démocratie, mais l'appel à la démocratie n'a jamais favorisé l'évolution spontanée vers une économie développée.
La démocratie enfin, reste extrêmement fragile dans des économies sous-développées ou en voie de développement. Un tour d'horizon rapide nous confirme en outre, que la croissance est partout fondée sur une vision libérale de l'économie et que des formes de libéralisme offensif combinent, comme dans l'Asie du Sud-Est, concurrence des pays à bas salaires et planification des vieux systèmes dirigistes.
Dernier constat, la libéralisation de l'échange et l'internationalisation des marchés imposent la concurrence des structures. Face à un système-monde aux régimes aussi divers et à une très grande variété de rapports État-marché, l'Europe et, avec elle, les États-Unis, n'ont pas encore élaborés une stratégie cohérente, inscrite dans la durée. L’Asie est en plein développement et la Chine, Empire, État-Nation et sub-continent, est en phase de croissance accélérée.
Son guide affiché y est la "Realpolitik", sa base de puissance une économie montante, son assise de pouvoir le parti unique, sa force idéologique l'ignorance de la communauté internationale et, pour terminer, l'assurance qu'une démocratisation venant de l'intérieur est prématurée et celle, en provenance de l'extérieur, est vouée à l'échec.
Dans ce conteste la clé de voûte du système de sécurité régional est fondé sur l'auto-limitation des acteurs les. plus importants, assortie d'une garantie des États-Unis et du consentement implicite de l'ensemble des États de la région.
L'Europe ne pourra jouer un rôle significatif en Asie, quant aux équilibres de sécurité, qu'en accord avec les États-Unis, et comme partenaire de ces derniers.
En Europe, l'Union Européenne devrait définir ses "responsabilités spéciales" et déclarer quelle est sa zone. d'influence exclusive, affirmant que cette zone est une pièce de son système de sécurité collective et qu'elle doit y agir seule si nécessaire, avec l'OTAN si cela est conforme à ses intérêts.
Cette stratégie déclaratoire doit faire partie intégrante d'une stratégie globale d'action et comporter, dès son énonciation :
- des responsabilités particulières,
- un sens de la retenue,
- une capacité de décision et d'intervention autonomes.
INTÉRÊTS NATIONAUX ET INTÉRÊTS EUROPÉENS.
VERS UNE "NORMALISATION" DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ALLEMANDE
Comment peut on survivre à la désintégration d'un empire, qui fut une superpuissance et qui laisse un héritage, géopolitique et militaire, incontrôlés.
Comment l'Ouest peut intégrer des États d'Europe Centrale et assumer le fardeau de l'ordre et de la sécurité dans le monde ?
A quelles conditions l'équilibre international est-il possible et quels sont, en son sein, les intérêts globaux de l'Europe ?
Un des mérites et peut-être le principal du document de la CDU est d'avoir affronté les problèmes institutionnels par leur bout, autrement dit par leur fin : l'ordre et la stabilité du continent et d'avoir proposé une politique étrangère comme géopolitique et la diversification du paradigme de l'équilibre, comme partenariats distincts avec la Russie, la Turquie et les USA.
Pour terminer, d'avoir tenté d'esquisser les relations Est-Ouest et celles euroméditerranéennes dans le cadre de la globalité, de l'interdépendance et de la coopération.
La méthode proposée pour y parvenir : "une modification profonde du modèle étatique"
Le danger "énoncée" : le retour au système instable d'avant guerre.
Le risque :
- le revival des politiques et des solidarités de rechange,
- la renationalisation du jeu de puissance,
- la tentation d'aventures solitaires,
- la recherche anxieuse d'alliances, par leur nature contingentes.
Le remède indiqué :
- politiquement, la démocratisation de l'Union et l'établissement d'autres équilibres entre les institutions.
- économiquement : le souci d'empêcher un "développement divergent entre un groupe Sud-Ouest, plus enclin au protectionnisme et dirigé en quelque sorte par la France et un groupe Nord-Est, favorable au libre-échange mondial et dirigé en quelques sorte par l'Allemagne".
Les analyses ne sont, peut-être pas, les mêmes en deçà et au delà du Rhin, ou encore moins de la Manche, mais le document allemand a le mérite d'avoir posé le problème.
Il faudra y répondre et chacun a sa manière, selon ses intérêts et ses visions de l'avenir, à partir de son identité et de son caractère, de son expérience de l'histoire et de sa mémoire du passé.
Au moment où se développe en Allemagne un débat serré sur la "normalisation de la politique étrangère", portant sur la levée progressive des restrictions qui ont pesé sur le rôle international du pays, se fait jour l'hypothèse, associée à une évidente préoccupation, d'un échec de la ligne multilatéraliste suivie jusqu'ici.
Une ligne, fondée sur la conciliation du processus d'intégration occidentale et de l'ouverture vers les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est.
Si l'espoir d'une intégration des "voisins" dans le système d'après guerre (ouest-) européen, ne devait pas évoluer dans le sens souhaité, rappelle le document : "l'Allemagne pourrait, sous l'effet des impératifs de sécurité, être amenée à établir seule et par les moyens traditionnels, la stabilité en Europe de l'Est, ce qui dépasserait largement ses forces et entraînerait une érosion de la cohésion au sein de l'Union Européenne."
Vivre en paix avec ses voisins est un souci légitime, parfaitement conciliable d'ailleurs avec l'accroissement du rôlé et des responsabilités internationales de l'Allemagne.
Celle-ci sera mieux à même d'affirmer et de garantir ses "intérêts nationaux particuliers" et par conséquent, sa propre stabilité démocratique, si la formulation et l'expression "d'intérêts nationaux propres" n'apparaissaient dissociables, à termes, de sa contribution à la définition d'une politique étrangère et de sécurité commune.
Les "intérêts nationaux" de l'Allemagne et les politiques qu'elle mènera pour les défendre ont été transformées par la disparition de la menace soviétique.
Comme le montre le document de la CDU / CSU, les voies d'une politiques étrangère et européenne plus "normale". pour l'Allemagne, passent par une responsabilité et un rôle plus actifs de celle-ci.
L'esquisse d'une politique de rechange appartiendrait à un scénario-catastrophe.
C'est pourquoi le débat sur la politique étrangère, l'avenir de l'Europe et la réforme de ses institutions est si crucial pour l'ensemble des pays européens.
Les dirigeants allemands veulent aller plus loin dans l'intégration européenne, vers une Union Politique de l'Europe plus affirmée, avec le but, comme l'a affirmé Helmut Kohl : "de sauver l'Allemagne d'elle même".
L’Histoire allemande continue de peser sur le continent, sur les choix de la constellation diplomatique continentale et sur le futur de la construction mise en oeuvre jusqu'ici. Pendant de longues années la "politique de responsabilité", élaborée par Hans-Dietrich Genscher, s'est .exprimée par un mélange de "Macht-Vergessenheit2", bref de puissance civile et de politique introvertie, privilégiant l'approche multilatérale et le contexte institutionnel européen. Le souci de ne pas faire cavalier seul, de donner preuve de retenue et de poser l'accent sur la dimension morale de la politique étrangère, est allé jusqu'à élaborer l'esquisse d'une nouveIIe "Weltinnen-Politik" idéaliste (une sorte de politique intérieure mondiale, défendant partout les droits de l'homme et la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes). Les partisans d'une "normalisation" de la politique étrangère allemande se trouvent principalement dans la coalition d'Union Chrétienne Démocratie (CDU) 1 Union Chrétienne Sociale (CSU) et dans certains secteurs du Parti Libéral (FDP) et prônent pour un accroissement du rôle de l'Allemagne dans le monde.
Les représentants les plus éminents de ce courant sont les deux jeunes Ministres des Affaires Étrangères, Klaus Kinkel (FDP) et Volker Rühe (CDU).
Ce n'est donc pas un hasard si le document CDU /CSU a dû tenir compte de leur influence dans la réflexion sur la politique européenne et sur le réforme des institutions.
La position des conservateurs allemands est hostile au projet d'une Europe plus intégrée.
Ceux-ci expriment des critiques sévères vis à vis de leurs classes dirigeantes, dont ils condamnent l'incapacité de formuler et d'énoncer clairement, comme n'importe quel autre pays, les réalités des "intérêts nationaux", celles de la géopolitique et le poids de la puissance retrouvée dans les relations internationales.
Ces groupes demandent un ralentissement du processus d'intégration, arguant que l'ensemble des États-Membres de l'Union Européenne a trop longtemps profité du multilatéralisme allemand.
Il existe bel et bien un lien intellectuel implicite en Europe, entre les partisans de la souveraineté nationale en France (J.P. Chevènement, Ph. De Villiers, J.M. Le Pen et "alii varii"), le courant conservateur de l'Historikerstreit, qui prône depuis 1985 une "Macht-Politik" responsable, et le courant des Tories britanniques, qui va de l'Ancien Chancelier de l’Échiquier, Norman Lamont, en passant par l'ancien Président du Parti, Lord Tebitt, jusqu'à Jimmy Goldsmith et au député Bill Cash.
Leur point commun est la critique de l'Europe, le rejet du destin européen de leur pays, au nom d'une différence et d'une vocation solitaire dans le monde.
INTÉRÊTS COMMUNS ET DIPLOMATIE PRÉVENTIVE
SUR LA "RAISON D’ÉTAT EUROPÉENNE"
La réflexion sur l'Europe de la CDU / CSU est en somme l'expression de la volonté d'ancrer solidement l'Allemagne Unifiée à une Europe intégrée, avec le but de convertir la puissance nationale de l'Allemagne, en puissance politique de l'Union Européenne.
Celle-ci ne sera cependant solide et digne de ce nom, que si une vision géopolitique commune, et un rapport plus étroit entre la diplomatie et à la stratégie, ne soient clairement établis.
Pour que l'équilibre des pouvoirs et la stabilité du continent deviennent les principes conducteurs de l'Union européenne, à valoir en toute circonstance et dans un contexte global, il est nécessaire :
- que la "Raison d’État Européenne", intègre à l'élaboration d'une diplomatie préventive et comme élément constitutif essentiel de celle-ci, une série d'options militaires adéquates, autrement dit, une association permanente de la force militaire.
- que les options militaires soient soumises au concept de leur limite, dont la définition est d'ordre politique.
- que toute spiralisation de la violence, soit tranchée par un calcul stratégique au sens du but de guerre clausewitzien (Zweck), et comporte une distinction rigoureuse entre une action décisive ou une action précoce.
- que "l’intelligence personnifiée" de cette "Raison d’État Européenne" évalue, dans un contexte géopolitique global toute "force" et sa propre force, "in being", en intégrant dans le calcul les forces culturelles profondes, comme composantes permanentes de la politique mondiale.
En effet, il ne peut y avoir de diplomatie sans capacités militaires, ni de gestion de crises, par la seule rhétorique des négociations.
Or le dialogue de la diplomatie et de la force doit devenir permanent, puisqu'il n'existera jamais de politique policée, pas plus qu'une société civile globale.
Toute dissociation des capacités militaires et de la volonté politique, annihile la notion même de diplomatie.
La présence des premières doit être constante, l'existence de la seconde primordiale.
UNE BALANCE OF POWER AU SEIN DE L'UNION ?
Par quelle "main invisible" la logique des intérêts nationaux s'harmonise-t-elle, sans toutefois disparaître, au sein de l'Union Européenne ?
Les moteurs de toute politique de l'équilibre ont été, par le passé, le réalisme et l’État-Nation et l'Angleterre a réussi, plus encore que la France, à appliquer et à théoriser la "Balance of Power".
L'équilibre de puissance n'exigeait guère, à l'âge de Richelieu, l'unité idéologique du Congrès de Vienne ou la soumission de la politique étrangère des États à des principes moraux supérieurs.
L'équilibre nucléaire a simplifié et stabilisé à l'extrême, à l'époque de la bipolarité, l'équilibre des puissances et la diplomatie multipolaire, qui a été à la charnière entre le système de l'après-guerre et le nôtre, a fait ses véritables preuves au service de la recherche d'une sécurité collective en Europe et en Asie.
Or la garantie de tous donnée à chacun, contre toute agression, est ce qui caractérise, pour l'essentiel, la sécurité collective.
C'est ce que demandent les pays de l'Est, qui ne croient guère à l'unité idéologique d'un consensus universel pour la préservation de la stabilité ou de la paix en Europe centrale.
Un pacte de stabilité, dont les mécanismes diplomatiques ne soient pas en accords avec la posture et les capacités militaires des pays qui en seraient les garants, ne peut-être uni par la seule cohérence des intentions ou par des généralités brillantes.
Puisque la sécurité, ainsi que la stabilité, sont rarement indivisibles, le besoin d'être garanti se fait sentir à l'intérieur des institutions d'appartenance.
Ainsi les articulations du système institutionnel, traduisent à leur manière, par des jeux de compromis croisés, la recherche d'harmonie des intérêts nationaux et leur composition.
L'équilibre, au sein de l'Union, est une démarche partagée et acceptée.
Le "noyau restreint" y devrait jouer le rôle d'unité et de synthèse, entre communauté d'action et communauté de valeurs.
On a voulu voir dans ce noyau, une surdétermination par l'économique.
On fait semblant de croire, restrictivement, que l'appartenance au "noyau dur" se fasse sur des bases et avec des critères de référence économiques.
Le "noyau dur" est un concept politique et pas le substitut de ce concept.
A l'égard des politiques de stabilité en Europe, l'harmonisation des intérêts nationaux se fait au sein de l'Union européenne par les deux obligations, de convergence (économique) et de cohérence (politique).
La réapparition d'un conflit Est-Ouest n'étant pas, dans l'immédiat, à l'ordre du jour, les problèmes de sécurité se posent encore en termes collectifs.
L'OTAN demeure la seule alliance militaire multilatérale et c'est en son sein que peut prendre forme, dans un premier moment, une identité européenne de défense et donc l'avenir de l'Europe et celui de l'UEO, comme bras armé de l'Union Européenne.
Ainsi l'institutionnalisation de la PESC et la persistance de politiques étatiques en matières de relations extérieures, peut favoriser la passage à une phase, où l'obligation de cohérence, permette de passer des intérêts communs à des actions communes.
Au niveau de la politique étrangère, le message géopolitique de la C.D.U./C.S.U. est susceptible d'être interprété comme une mise en garde, face au risque de désarticulation du système institutionnel acquis jusqu'ici.
Risque qui s'aggraverait, le cas où l’élargissement non accompagné par un renforcement adéquat des institutions, ne parvenait pas à assurer la stabilité en Europe Centrale.
A l'égard de l'Est, la condition de tout partenariat efficace entre une Union Européenne renforcée et une Russie rassurée, devrait prendre la forme d'une démarcation claire des limites tolérables dans les revendication d'influence de celle-ci.
Afin d'éviter que le partenariat proposé à la Russie ne comporte pas d'unilatéralisme exorbitant, qui consisterait à lui reconnaître un droit de regard et d'influence sur "l'étranger proche", une délimitation des "intérêts vitaux européens" dans l'Europe de l'Est, apparaît comme la condition de réciprocité que l'Occident (Union Européenne et États-Unis) exige, pour l'aide à consentir à la Russie.
Le canal institutionnel de cette aide pourrait-être l'OCDE, en cas d'adhésion à celle-ci de la part des républiques fédératives de Russie.
Si un cessez-le feu définitif entre les démocraties est une hypothèse plausible, le dilemme le plus inquiétant, dans une optique prospective, est de s'interroger sur la stabilisation de la démocratie en Russie et dans l'Est européen, là où les États sont encore organisés en vue de rivalités belliqueuses.
Dans quelle mesure d'autre part au Sud de la Méditerranée, l'Islam s'adaptera aux exigences de la sécularisation, du développement et de la modernité ?
Revenant en arrière, à l'équilibre institutionnalisé des pouvoirs au sein de l'Union Européenne, cet équilibre tient conceptuellement d'une alliance étroite3, que l'on peut appeler de noms différents, l'axe ou le couple et d'une démarche, la géométrie variable.
Cette démarche se caractérise par une politique de compromis constants, et donc par des compensations et des négoces.
Stabilisé par la bipolarité, aucune remise en cause majeure n'était pensable avant 1989.
L'ère de la Balance et de la stabilité globales, assurées par l'existence de l'équilibre nucléaire des deux Super Grands, s'effondra avec la ruine intérieure d'un des acteurs majeurs du système et l'effondrement d'un acteur principal entraîna dans sa chute le système tout entier.
Disparue la dialectique de la guerre froide et avec elle le jeu du "containement" et du "rollback", tombée l'idéologie de la sécurité collective, comme ciment de la sécurité atlantique, la réunification de l'Allemagne a conduit tout droit au volet politique de Maastricht.
La rupture de l'équilibre extérieur eu un effet de domino sur les équilibres intérieurs de la Communauté, puis de l'Union Européenne.
Malgré l'effort américain de globaliser l'équilibre de puissance, pendant toute la guerre froide et d'établir des passerelles et des liens entre le système central et les interdépendances régionales par la politique du "Linkage", le paradigme de l'équilibre global, surdéterminé par la rivalité nucléaire et par un système d'alliances rigides (CEE - COMECOM / OTAN - Pacte de Varsovie), fit reprendre lentement ses droits à une diplomatie et une architecture institutionnelle multipolaires.
Cette architecture devait-être à la fois plus souple et plus différenciée.
Le nucléaire, de facteur surdéterminant des relations d'alliance et d'équilibre, céda la place à des schèmes internationaux d'organisation économique, politique et de sécurité, de type polycentrique et à un cortège d'illusions et de concepts, sans cohésion politique et sans capacités militaires.
Un nouveau "Concert des Nations" était né, d'où une nouvelle démarche de l'équilibre, redevenu multipolaire, qui perdait de sa rationalité globale, pour devenir la résultante de situations plus fluides et plus aléatoires.
Ainsi le seul équilibre viable, au sein d'une réorganisation multipolaire du monde, ne pouvait être désormais qu'une nouvelle triangulation et donc un nouveau "linkage" entre un système d'influence économique permanent (relayé par des institutions internationales), une projection de puissance "in being" (les différentes forces nationales d'action rapide) et des coalitions régionales contingentes et variables.
L'Union Européenne a été prise de surprise dans cette tempête de l'Histoire.
Elle doit s'y adapter et y faire face. Le moment de la réflexion est venu et ce moment marquera pour l'Union un retour à la "Realpolitik" et à la saisie des relations internationales comme un tout, dans leurs dynamiques et dans leur globalité.
HISTOIRE ET CONJONCTURE
La carte de l'Europe du XXlème siècle se précise lentement. A un moment où prend forme une nouvelle distribution des jeux et des statuts politiques à l'échelle de la planète, dans un monde en pleine ouverture, l'Europe ne peut s'isoler ni à l'Est, ni au Sud.
Elle doit au contraire renforcer son identité, sa compétitivité et son esprit du grand large.
La montée de l'Asie, conjuguée à la renaissance de l'Amérique et à l'émergence des pays à bas salaire, pousse simultanément à l'internationalisation des marchés et aux disparités des structures.
La mondialisation est moins l'effet des idées et des courants de pensées, qu'une conséquence irréversible des techniques, dans les trois domaines croisés, de la communication, de l'information et des transports.
Dans ce contexte, la tâche primordiale de l'Europe, au plan de sa politique commerciale, est de contribuer à une réglementation des échanges mondiaux, ce qui était la mission du GATT et de faire en sorte que cette tâche demeure demain celle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Il faut éviter à tout prix qu'au désordre des Nations s'ajoute le chaos d'une généralisation incontrôlée de négoces illicites.
L'Union Européenne a une place primordiale, dans la recherche d'un cadre d'accords respectés, pour gérer collectivement cette ouverture grandissante, y inscrire sa politique commerciale, conformément à une stratégie de "réciprocités de concession" et à une vision de ses intérêts globaux à long terme. .
Au plan d'une réflexion plus générale, l'Europe, qui s'est faite par le passé, au gré des circonstances et par le poids de l'Histoire, répond-elle aujourd'hui à un projet, ou à un destin propres ?
Entre les trois Europes, qui se découpent, an plan culturel, civilisationnel et identitaire, sur une géopolitique redécouverte, l'Europe anglo-saxonne, l'Europe germano-latine et l'Europe slave, y-a-t-il aujourd'hui un lien qui serve de référence et d'unité au "pouvoir constituant" Européen, prêt à dessiner les contours géographiques et les équilibres des intérêts et des pouvoirs, dans la préparation du débat sur la rédaction du nouveau traité de l'Union ?
Le retour du politique, dont on clame la nécessité, se fera-t-il par une relance du processus d'intégration ou par voie intergouvernementale ?
Et quels scénarios ou alternatives en cas d'échec ?
Quels autres choix pour la France, pour le "Land der Mitte" et pour les autres pays qui appartiennent à la zone de turbulence de l'Est ?
Les repères dont nous disposons, pour juger de la conjoncture européenne sont tous incertains.
Élections politiques en Allemagne (octobre 1994), élections présidentielles en France, crises et instabilités politiques à l'Est (Pologne, Russie) comme à l'Ouest (Italie, Grande-Bretagne et Espagne).
A ses marches, la Fédération Russe entame la fondation de la CEI sur une logique néo-impériale et grande Russe.
Deux modèles d'intégration coexistent entre-temps en Europe de l'Ouest, inspirés par deux visions, non substituables, britannique et continentale, au milieu d'un environnement international, signalé par la constitution de zones d'intégration concurrentes.
La révision du Traité sonnerait-elle l'éveil d'une prise de conscience des enjeux de demain, devenus désormais mondiaux ?
LA CONSCIENCE DES ENJEUX ET LE RETOUR DU POLITIQUE
Faire prévaloir la primauté du politique cela signifie pour l'Union Européenne : - relancer les chemins de l'intégration.
- élargir la légitimité des institutions, auprès des opinions publiques.
- affirmer l'importance de la voie intergouvernementale, en dotant l'Union d'un "pouvoir constituant".
- penser la politique comme force, l'équilibre comme Balance et le champs d'action comme stratégie.
Ceci ne va pas parallèlement, sans "politiser" la méthode communautaire" et donc le fonctionnement des institutions, en faisant ainsi le contrepoids à la perte de liberté des autorités nationales dans l'élaboration des choix publiques.
Il faut ajouter à ces aspects de politique intérieure, un impératif concernant le rôle que l'Union doit jouer dans l'identification des intérêts européens, en matière de politique extérieure et de sécurité.
Cet impératif impose l'exigence d'une vision géopolitique et géoéconomique de la scène mondiale, demandant un nouvel essor de prospective et de la stratégie.
L'Union Européenne, née d'une idée et d'un objectif politiques et s'est développée dans le cadre d'une stratégie dite de substitution.
Elle doit revenir à sa dimension originelle.
Après un long repli sur l'économique, au sens de la pleine réalisation du marché intérieur, elle doit faire prévaloir à nouveau son projet initial par un "nouveau contrat fondateur" (Main Lamassoure).
L'Union Européenne est elle un acteur autonome et distinct du jeu international ?
Douée de le pleine personnalité juridique, dispose t-elle de toutes les prérogatives et les potentialités des vieilles personnes nationales, ou ne demeure t-elle pas, tout simplement, l'héritière d'une "influence collective diffuse" (Stanley Hoffman) ?
Au sens propre, les capacités de décision et d'action qui font d'une entité institutionnelle un acteur politique souverain sur la scène internationale découlent, pour l'Europe, des seules capacités de coopération intergouvernementales.
ÉLARGISSEMENTS ET MONDIALISME
Le réseau d'accords stipulés par l'Union Européenne dans le monde, est le résultat d'un processus d'intégration qui a été parcouru en commun vers la mondialisation de la politique commerciale, grâce aux deux vagues d'élargissement de 1973 et de 1986.
Celles-ci ont permis de développer des accords de coopération vers l'aire francophone dans un premier temps, puis d'y associer ceux de la zone anglophone d'Afrique, lors de l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté et ensuite l'espace Hispanique et Lusophone de l'Amérique Latine, avec l'élargissement à l'Espagne et au Portugal.
La dualité de politique commerciale et de coopération politique, qui constitue le socle de toute politique étrangère, a été complété dans le Traité de Maastricht, par l'inclusion de la dimension sécurité-défense, assurée par la PESC.
En d'autres termes, le rôle des élargissements successifs a été décisif dans l'orientation mondialiste des relations 'extérieurs de la Communauté, la seule appropriée à un ensemble de nations marchandes.
L'interprétation extensive de l'art. 255 du Traité de Rome, qui a servi de fondement à la genèse, puis au développement des différents accords de commerce et de coopération, a permis de jouer à l'analogie de traitement et donc au parallélisme juridique, entre actes et compétences internes et actes et compétences extérieures de la Communauté.
La constitution d'un immense réseau de relations d'association et de coopération dans le monde, a été rendu possible grâce à l'extension politique de la famille européenne, qui a étendu à son tour, la portée extra-communautaire de la dynamique d'intégration. Ainsi, des relations de proximité, d'interdépendance et de solidarité avec l'Afrique, ont pris une ampleur inégalée dans l'Histoire et constituent le modèle de référence pour l'ensemble des relations Nord-Sud.
Le but de se faire entendre et de peser sur les grandes affaires du monde a donné parallèlement naissance en 1970 à la Coopération Politique Européenne (CPE).
Née en dehors du cadre communautaire et sur la base d'une logique intergouvernementale et non intégrationniste, cette ébauche d'une diplomatie "sui generis", a fonctionné comme un multiplicateur d'influence, dont la Communauté avait besoin.
Elle a été, le relais d'ambitions nationales pour certains Etats, dépourvus de la taille suffisante leur permettant de jouer à la "Macht-Welt Politik", par l'extension de la scène planétaire.
LES ÉLARGISSEMENTS ET LEURS RÉPERCUSSIONS EN MATIÈRE DE DÉFENSE.
DE LA CPE A LA PESC
La séparation du "high politics" et du "low politics" ne pouvait durer indéfiniment.
Cette dualité, de coopération politique et de relations économiques extérieures, fut mise à l'épreuve en matière de sanctions et dans l'utilisation de l'arme commerciale en situation de conflit (Malouines et Afrique du Sud).
Secondant l'évolution en cours, le Conseil Européen de Milan, lors de la rédaction de l'Acte Unique, a codifié en matière de politique étrangère
- l'engagement de cohérence et l'obligation de la part des Douze, d'éviter toute prise de position nuisible à cet engagement,
- l'inclusion de la dimension "sécurité" dans le champs de la CPE, limitée dans un premier temps aux "aspects politiques et économiques".
Cette nouvelle dimension ne pouvait se borner à l'affirmation d'une stratégie déclaratoire, si souvent critiquée.
C'est en réponse à l'unification Allemande et à l'effondrement du bloc de l'Est que l'impératif d'un positionnement de l'Union Européenne sur la scène internationale, rendit possible une percée dans le domaine tabou de la dimension "défense".
Cependant le nouveau "pilier sécurité et défense", au lieu d'être intégré dans une structure unique, capable de conduire à une politique extérieure communautarisée, rassemblant relations économiques extérieures et politique étrangère de sécurité et de défense, resta bridé aux procédures de coopérations intergouvernementales et soumis à la règle décisionnelle de l'unanimité au sein du Conseil.
Le repli sur l'économique, n'étant plus justifié, dans cette nouvelle phase de réouverture du jeu pan-européen, l'éclatement de la politique étrangère entre les trois piliers, a conduit au renforcement de la seule institution, en mesure d'assurer la cohérence et la continuité des actions entreprises, le Conseil Européen, véritable clé de voûte du Traité.
Le Parlement, relégué, en la matière, à un rôle consultatif, la Commission, s'est vue confier un droit d'initiative, qui lui assure une fonction de jonction dans le dualisme persistant, entre la politique commerciale extérieure et la politique de sécurité et de défense commune (PESC).
Mais la mise en œuvre "d'actions communes", dans les domaines où les Etats-Membres ont des intérêts essentiels communs, exige en effet, comme par le passé, une décision à l'unanimité.
Du point de vue institutionnel, la subordination de l'UEO (Union de l'Europe Occidentale, issue de la transformation du Traité de Bruxelles de 1948), à l'Union Européenne, et sa reconnaissance comme "bras armé" de l'Union, est assortie, dans l'annexe au Traité, d'un lien particulier avec l'OTAN.
L’Alliance Atlantique, au Sommet de janvier dernier, a apporté son plein appui au développement d'une identité européenne de sécurité et de défense (déclaration du 11 janvier 1994).
Dans le cadre des élargissements aux pays AELE, cette évidente avancée de l'Union apportera une différenciation ultérieure à la "géométrie variable", malgré l'engagement de certains pays neutres (Autriche, Suède et Finlande) à respecter la totalité des obligations qui découlent du Traité.
Ils s'agit d'engagements qui restent pour le moment théoriques, car si l'UEO, comme "pilier" européen de l'Alliance Atlantique deviendra effectivement "le bras armé" dont on parle, tous les Etats-Membres de l'Union Européenne, auront vocation à être membres de l'UEO.
C'est ce qui a été promis aux pays d'Europe Centrale et Orientale, devenus entre temps "partenaires associés" de l'UEO.
Ce partenariat doit leur permettre de bénéficier, le moment de leur adhésion, du même degré de sécurité que les autres pays membres.
Cette garantie de sécurité, étant elle même liée, à la réassurance de l'OTAN, l'adhésion à l'UEO ne pourra pas être durablement dissociée de celle de I'OTAN.
Ainsi une cascade d'engagements en chaîne, suscite des réticences aux États-Unis qui demeurent les garants de la stabilité du continent.
Il semble difficile en fait qu'ils n'aient pas leur mot à dire , même indirectement, sur des élargissements, susceptibles de rompre des traditions établies et de légitimer ainsi leur droit de regard et à fortiori de veto,, sur l'élargissement de l'Union Européenne.
L'Union ne pourra pas leur consentir ce droit, et pourra ainsi se voir confrontée, par la logique de sa mutation permanente, à des tensions ou à des malentendus avec les États-Unis d'Amérique.
VERS UN NOUVEAU TRAITÉ
L'idée d'un nouveau traité a été lancé par Gunter Rinche (CDU), co-rédacteur des "Réflexions sur la politique européenne" de son parti, en plein débat sur "l'Europe à plusieurs vitesses", au sein du Parlement Européen.
Le scénario d'un acte de refondation, qui "crée un traité à côté du traité, quitte à faire de la structure existante une coquille vide ...", s'est déjà produit, au début des années 50, lorsque les britanniques, qui n'avaient pas accepté de faire évoluer le Conseil de l'Europe vers une union plus étroite, poussèrent les Six à créer d'abord la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier), puis la Communauté Economique Européenne (CEE).
L'évocation de cette hypothèse a le mérite d'ouvrir un débat constitutionnel, où il sera question pour l'Europe d'entrer dans une nouvelle étape politique.
Après la contribution allemande de la C.D.U./C.S.U., il devient patent que l'Europe prend conscience de ne plus être une entreprise définie par son propre processus d'élaboration intérieur, par l'économique ou par le droit, mais qu'elle doit s'inscrire dans une finalité clairement formulée et dans des perspectives institutionnelles portant sur son identité, sur sa dimension et sur sa structure politiques.
Les vieux problèmes, longtemps éludés, de la différence interne et de l'altérité extérieure, doivent être finalement affrontés et il faudra apporter à chacun d'eux, une solution appropriée.
Dans ce débat, certaines idées reviennent de loin, tels l'avenir et le contenu de la souveraineté, ou l'impossible rationalisation ou européanisation des Nations, d'autres percent avec force, la "Raison d’État Européenne", exigeant qu'un nouveau "Linkage" soumette le "contrôle de l'Allemagne unie par ses partenaires, au contrôle de ceux-ci par l'Allemagne" (H. Kohl).
Un "contrat de partenariat" renouvelé s'offre aujourd'hui aux Européens, après la liquidation de l'empire soviétique et face au flottement d'une Allemagne réunifiée au sein d'une Europe incertaine.
La pression des deux vagues d'élargissements en chantier, a pour effet de rendre le processus d'intégration, "politiquement moins essentiel pour l'Allemagne et constitutionnellement plus coûteux pour la souveraineté française" (J.L.Bourlanges).
LES INCIDENCES DES ÉLARGISSEMENTS ET LE DÉDOUBLEMENT DE LA DIFFÉRENCIATION.
COMMUNAUTÉ D'ACTION ET COMMUNAUTÉ DE VALEURS
Le Traité de Maastricht constitutionnalise le système dual de la construction européenne, qui consiste à associer la méthode de l'intégration à celle de la coopération intergouvernementale, amplifiant cependant cette dernière.
Le cadre institutionnel unique du Traité signifie que les institutions de l'Union Européenne sont communes aux trois piliers4 et que la clé de voûte y demeure le Conseil Européen.
Les élargissements antérieurs ont conduit la Communauté à se doter d'une orientation mondialiste.
Il s'agissait à l'époque d'articuler le cadre européen des adhésions à l'horizon géopolitique de la solidarité et de l'aide au développement.
L'ensemble de nations de la Communauté avaient des traditions marchandes, linguistiques et culturelles tournées vers l'extérieur (l'Afrique, ou Amérique Latine).
Elles ont toujours prétendu les conserver et en assumer les responsabilités conséquentes.
L'élargissement vers les pays du Nord (AELE) s'annonce comme une opération périlleuse pour la cohésion de l'Union, non seulement à cause du passé de neutralité de ces pays, aujourd'hui périmé, et qui, à lui seul, devrait accentuer une "différenciation" dans la cohésion politique de l'Union, mais en raison de leur philosophie, moins intégrationniste et plus libre-échangiste du continent.
La double vocation de la construction européenne, à l'élargissement et à l'approfondissement, qui était dans la meilleur tradition communautaire, est-elle définitivement rompue, dès lors que son unité était assurée de l'extérieur par l'existence d'un ennemi commun?
L'Union Européenne qui prétend devenir un acteur unitaire de la scène internationale, doit se doter d'une stratégie anticipatrice et globale, fondée sur une communauté d'action, que seul l'approfondissement devrait lui permettre.
Communauté d'action et communauté de valeurs apparaissent, les deux vecteurs conceptuels et les deux clivages de la querelle, qui a identifié les deux modèles d'intégration, l'approfondissement et l'élargissement.
Qu'en est-il de cette unité, qui s'était mutuellement renforcée jusqu'ici ?
La communauté d'action vise explicitement l'organisation d'un "leadership" européen et elle est fondée, pour l'essentiel, sur l'exercice des "souverainetés partagées".
Elle s'appuie sur les pays qui ont acceptés d'en payer le prix dans un ensemble de domaines, qui relèvent des prérogatives exclusives des États, et cela soit de façon systématique, soit de manière plus pragmatique.
Le principe de subsidiarité (qui dans son interprétation la plus conséquente, n'est rien d'autre, que l'autre nom du mot fédéralisme5), ne s'appliquerait, dans ce dernier cas de figure, que, lorsque certains pays "veulent, mais ne peuvent pas" atteindre tous seuls, par leur propres politiques, les objectifs susvisés.
La communauté de valeurs peut s'accommoder d'un socle de relations fondées sur le jeu des interdépendances économiques, modérant ainsi les intérêts nationaux.
Un ensemble de valeurs de paix et de libertés politiques, viendrait couronner cette communauté de valeurs.
Cependant cet ensemble n'exigerait point le partage de deux objectifs essentiels, celui d'un "ideal type" européen de société, et celui d'une présence de l'Europe dans le monde.
Ces deux modèles ne sont pas interchangeables et, en effet, ils mettent en œuvre des formes d'intégration dissemblables.
S'ils ont coexisté jusqu'ici, c'est à cause de la division du monde et en raison d'une pression extérieure, forçant l'identité de l'Europe à se définir, moins par elle même et par la force de ses institutions politiques, que par les termes imbriqués, d'Occident et de marché.
Le premier, faisant référence à un camp qui incluait nécessairement l'Amérique, le deuxième renvoyant à un espace transnational, ouvert sur le grand large, mais sans identité définie.
La coexistence de cette dichotomie et de ces deux communautés a vécu et la construction européenne doit faire aujourd'hui la différence et le choix entre les deux.
Le dédoublement fonctionnel est avant tout un dédoublement politique et, par conséquent institutionnel.
En effet la communauté d'action a vocation à se rétrécir et la communauté de valeurs à s'élargir géographiquement et à s'étendre fonctionnellement.
La communauté de valeurs apparaissait comme essentielle à l'époque de la guerre froide.
Elle était le reflet d'une opposition de philosophies, de modèles de société et de grandes conceptions du monde.
Ainsi la communauté de valeurs pouvait se suffire à elle même et constituer le critère d'inspiration pour une famille de Nations, que les guerres civiles européennes avaient déchirées dans le passé et que l'appel aux sources originelles pouvait réconcilier à l'avenir.
Concrètement ce fut par l'action et donc par un effort d'intégration réalisé dans des domaines d'intérêts essentiels (le charbon et l'acier d'abord), que la Communauté définit à l'époque son modèle d'identité.
Rien de tel aujourd'hui, où la communauté de valeurs a triomphé bien au delà des frontières de l'après-guerre et où le modèle d'intégration, par la voie des élargissements successifs, est devenu un impératif incontournable, tant à l'Est qu'au Sud.
Avec la fin de la guerre froide, l'unité de communauté d'action et de communauté de valeurs qui avaient permis la complémentarité de l'approfondissement et de l'élargissement, ne suffit plus à générer, d'elle même, ni un modèle d'identité, ni un modèle décisionnel, indispensables à des institutions unitaires.
Rien de surprenant qu'un "nouveau contrat fondateur" soit mis à l'ordre du jour des travaux, visant à identifier "qui", dans un contexte de changement du décor international "veut et peut" organiser le "leadership", capable d'orienter le cadre institutionnel unique, et "qui peut et veut" favoriser l'essor du "pouvoir constituant" du Parlement, et assurer à la Commission, la place d'exécution dans le délicat équilibre des pouvoirs au sein des institutions.
Il appartient aux présidences, allemande et française, puis espagnole et italienne, de trancher dans le vif ces débats et d'opérer ce dédoublement d'objectifs, les traduisant dans les travaux préparatoires de la conférence intergouvernementale pour la révision du Traité, prévue pour 1996.
Le problème essentiel de l'Union Européenne est la coexistence en son sein, de ces deux modalités d'intégration, reconnues par le Traité de Maastricht, mais dont la dialectique unitaire est devenue aujourd'hui inféconde.
Passant de Douze à Seize, puis de Seize à Vingt-Quatre, la nature de l'Union peut-elle demeurer la même ?
DIFFÉRENCIATION ET "GÉOMÉTRIE VARIABLE"
En réalité, plus l'Union s'élargit à de nouveaux membres, plus la possibilité que l'ensemble des États partage la totalité des objectifs, ou suive simultanément toutes les politiques (monnaie, défense, politique extérieure, marché intérieur), relève de l'utopie. La "géométrie variable" s'impose "eo ipso", comme seule résultante de raison, justifiant ainsi l'utilisation d'une expression abusée, celle "d'Europe à la carte".
La "différenciation" dans les domaines du choix ou dans les délais de la participation ferait en conséquence la distinction entre "ceux qui veulent", et ceux qui "ne peuvent pas" dans l'immédiat, à cause d'une série de contraintes techniques. Ce degré variable de participation ne peut constituer enfin un argument, pour faire du plus petit dénominateur, le critère de marche de l'ensemble.
Sur le terrain de la volonté politique, la "théorie de la géométrie variable", est destinée à respecter tout à la fois, les exigences des Etats techniquement inaptes ou politiquement récalcitrants, qui ne pourraient adhérer à la règle de l'unanimité, et la volonté des Etats, désireux de prendre les devants dans une série de domaines décisifs (politiques, militaires et monétaires), permettant ainsi à l'ensemble de réaliser pleinement les potentialités globales de l'Union.
En ce sens la communauté d'action, rétrécie et ouverte à tous les pays qui veulent la rejoindre, pourrait organiser le leadership nécessaire au renforcement des institutions, au sein d'une vaste communauté de valeurs, s'identifiant à son groupe de tête.
Ce dernier, jouerait un rôle politique moteur au plan institutionnel. Dans la politique extérieure il pourrait fonctionner comme stabilisateur en matière d'apaisement des conflits et de gestion de crise.
La stratégie d'élargissement passe par un aménagement institutionnel périlleux pour la cohésion de l'Union et comporte, de ce fait, un "dialogue structuré" avec les six pays, liés à l'Union par des Accords d'association, à savoir la Pologne et la Hongrie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie.
Ce dialogue implique un rapprochement des législations sur les grands piliers du marché intérieur et une inclusion des dossiers trans-européens d'avenir, tels l'énergie, l'environnement, les transports et la recherche.
Pour l'heure, la profession de foi intégrationniste et le caractère positif du document allemand CDU / CSU ont le mérite de rappeler que le ralliement de l'Allemagne à une grande Europe à l'anglaise, n'est ni dans l'intérêt, ni dans les objectifs de ce pays et que la France pourrait trouver son compte dans une sorte de fédéralisme bien compris, reposant sur une répartition plus claire des compétences, communautaires, nationales et régionales.
NOUVELLES IDENTIFICATIONS ET CHOC DES CIVILISATIONS. L'OCCIDENT CONTRE LE RESTE DU MONDE
Maintenant que le vieux cadre des relations internationales est dissous, le monde et l'Europe traversent un temps d'identification.
Le statut politico-militaire de l'Union Européenne reste à imaginer et à construire et celle-ci devra passer d'une politique réactive à une politique prospective.
La question qui se pose, le moment où on donnera suite aux formes d'intégration des pays d'Europe Centrale, est de savoir comment traiter de la Russie et avec la Russie.
Celle-ci, après une période d'affaiblissement transitoire, retrouvera un rôle dominant en Eurasie.
Que restera-t-il alors de la décolonisation brutale de l'empire Soviétique ?
Le retour du politique, dans la révision du Traité de l'Union, est bien plus qu'un processus de révision constitutionnelle.
Ce retour est dictée par l'impératif de penser le monde et les équilibres géopolitiques globaux.
C'est en même temps une aide offerte à la Russie, pour un réexamen de son rôle et des limites de son action dans et avec l'Europe.
C'est une aide, offerte à la communauté mondiale, afin qu'elle tienne compte de l'émergence d'un acteur politique central et de ses intérêts stratégiques à long terme.
C'est un apport à l'importance de la coopération internationale avec le Japon, les États-Unis, la Chine et l'Inde.
En effet, trois grandes réalités se superposent aujourd'hui sur la scène mondiale, l'interaction croissante des stratégies diplomatiques et militaires, l'interdépendance des intérêts et des forces économiques, et les interférences de société à société, au sein desquelles prévalent la communication et l'échange culturel.
Le dialogue entre universalité et traditions, identités et mondialisme est souvent évoqué comme le fondement de la complexité de notre conjoncture.
Dans le fil de ces préoccupations, peut-on passer sous silence le débat intellectuel qui a connu un grand retentissement aux États-Unis, suite à l'article du politologue de Harvard, Samuel P. Huntington, publié sur la revue "Foreign Affairs" n°4 (été 1993) ? Suivant un courant de pensée qui va de Spengler à Toynbee et de Quincy Wright à Ortega y Gasset, Samuel P. Huntington propose un nouveau "paradigme", pour expliquer "la révolte contre la modernité", l'avenir des relations internationales et les types de conflit auxquels l'Occident devra se préparer. Il s'agit du "choc des civilisations".
Son hypothèse est que : "dans la monde nouveau, les conflits n'auront pas pour origine l'idéologie ou l'économie. Les grandes causes de division de l'humanité et les principales sources de conflit seront - ajoute-t-il - culturelles. Les États-Nations continueront à jouer le premier rôle dans les affaires internationales, mais les principaux conflits politiques mondiaux mettront aux prises des nations et des groupes, appartenant à des civilisations différentes. Les chocs des civilisations seront les lignes de front de l'avenir".
Après avoir rappelé que "la communauté de culture est une pré-condition de l'intégration économique", il rappelle que "l'axe central de la politique mondiale sera probablement, dans l'avenir, le conflit entre l'Occident et le reste du monde".
Qu'est-ce-que cela implique pour l'Occident (Europe et États-Unis) ?
"Tout d'abord, que les identités forgées par l'appartenance à une civilisation, remplaceront toutes les autres appartenances, que les États-Nations disparaîtrons, que chaque civilisation deviendra une identité politique autonome".
Ainsi préconise S.P. Huntington : "à court terme, l'Occident a intérêt à développer la coopération et l'unité, à l'intérieur de la civilisation qu'il représente, plus particulièrement entre ses composantes européennes et nord-américaine; à incorporer à l'Occident les sociétés de l'Europe de l'Est et de l'Amérique Latine, dont les cultures sont proches. A étendre des relations de coopération avec la Russie et le Japon, à empêcher que des conflits locaux entre pays appartenant à des civilisations différentes, ne dégénèrent en guerres majeures pour l'avenir du système ...".
Il a été observé, au sein du débat suscité en Europe par l'article de Samuel P. Huntington, que la tendance du monde contemporain vers la globalisation n'a guère pour base un substrat civilisationnel.
La fragmentation du monde qui en résulte se conjugue avec la réalité d'une indépendance multiforme, peu propice au maintien de la stabilité et qui n'a pas de ressemblance avec la constitution de blocs homogènes décrite par S. Huntington.
Le processus de régionalisation en cours met l'accent sur la diversification des intérêts plutôt que sur l'affirmation des identités.
En effet la création de blocs régionaux ressemble à des conglomérats, composés de sociétés différenciées et guère à des ensembles, constitués à partir de bases culturelles homogènes.
En Europe comme dans le continent nord-américain, ce processus a sa raison d'être dans la dynamique des interdépendances et dans la logique des avantages comparés.
Ainsi la complémentarité des intérêts joue un rôle essentiel dans les deux sens, de l'ouverture et de l'intégration et ces deux mouvements sont beaucoup plus favorables au compromis qu'à l'affrontement.
Les facteurs de diversification introduits par cette double tendance ne se soldent pas nécessairement par le rejet de l'autre et la reconstitution de la logique de l'ennemi.
La régionalisation du système mondial ne rassemble guère à des formes de morcellement politique, dont les lignes de fracture seraient définies et aggravées par les religions et par des conflits civilisationnels.
En effet tout système d'intégration où les critères de diversification se réaliseraient par des chocs identitaires et où les conflits locaux seraient susceptibles de dégénérer en guerres majeures, aurait failli à sa tâche.
L'Union Européenne a tenu jusqu'ici sa promesse, celle de réaliser une zone de paix, de prospérité et de liberté.
Cette zone s'identifie à une aire de civilisation, qui a connu par le passé des "guerres civiles" fratricides.
Une pareille entreprise dans l'espace ouvert par l'implosion du système soviétique est à l'heure d'ajustements incertains.
L'Union Européenne pensée par les Européens comme un modèle institutionnel achevé, par leur besoin irrépressible à problématiser le devenir (E. Morin), n'en finit pas de naître comme acteur international sur la scène du monde. Dans le nouveau jeu des nations, débridé par la disparition de la stabilité nucléaire, la sécurité collective demeurera encore longtemps le grand défi de cette fin de siècle et, dans la recherche de celle-ci, l'Union Européenne y jouera le rôle de pôle de stabilité, de démocratie et de droit.
NOTES
1. On entendra par "géoéconomie" une économie organisée avec le concours indirect de l'Etat et se donnant comme but la poursuite de la rivalité belliqueuse par d'autres moyens.
L'objectif de cette économie se fait valoir par la compétitivité et par l'innovation et consiste à mettre hors jeu l'adversaire économique, technologique ou financier par la réalisation à tout prix des gains de marché et de productivité.Il s'agit d'un type d'économie à "déréglementation variable", où la "main invisible" de l'Etat met en oeuvre une stratégie selective, nécessairement globale.
2. aversion pour la "politique de puissance".
3. appelée, tour â tour, par Rudolf Sharping "coopération étroite et intensive", "liens bilatéraux serrés" ou "partenariat chaleureux"
4 A - celui qui relève de l'ordre juridique communautaire, de sa logique d'intégration et du domaine du contrôle, assigné à la Cour de Justice du Luxembourg.
B - celui, (Titre V du Traité) qui tient à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) donc à la coopération intergouvernementale.
C - celui enfin qui relève des dispositions sur la coopération, dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (Titre VI du Traité).
5. voir sur ce point J. Charpentier "Quelle subsidiarité" in "l'Europe, de la Communauté à l'Union". p.55, La subsidiarité est en effet ce qui assure l'équilibre entre les solidarités qui unissent et les particularismes qui distinguent