L'Institut Européen des Relations Internationales témoigne de sa reconnaissance à S.E.M. Michel Carlier, Ambassadeur honoraire de S.M. le Roi des Belges, pour l'autorisation à reprendre la publication de son essai au titre "Union Européenne, Quo Vadis ?", paru le 29 juin 2018 sur "La Libre Belgique" (section Débats). (N.d.R)
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Ce qui s’est produit le 5 juin 2018, à Luxembourg, où se réunissaient les ministres européens chargés des questions d’asile et de migration, est préoccupant. En effet, il fut impossible aux dits ministres trouver un compromis sur la réforme du système de répartition des demandeurs d’asile, en discussion depuis 3 ans. En clair, ils n’ont pas pu réviser la directive de Dublin III (2013), qui dispose que le pays responsable de la demande d’asile d’un migrant est le premier État membre où sont conservées les empreintes digitales. En filigrane, se trouve la question du nouveau ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, chef de la Liga d’extrême droite, qui est opposé à la présence en Italie de plus d’un demi-million d’illégaux. Salvini n’était pas à Luxembourg. Mais, le Belge Théo Francken, Secrétaire d’État à l’asile et à la migration, qui s’y trouvait, a saisi l’occasion pour tenir des propos excessifs. À ses yeux, il faut refouler les bateaux qui transportent les migrants vers l’Europe. Il faudrait donc contourner l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’homme de 2012 qui interdisait de tels refoulements. Ceci, en vertu de l’article 3 de la convention européenne des Droits de l’Homme. Il n’est pas absolument certain que Francken soit massivement désavoué, à ce propos, par les Francophones belges.
D’autres problèmes se posent et invitent à s’interroger sur l’avenir, à court terme, de l’UE.
En mai 2018, on a célébré le demi-siècle de mai 68. Un des héros d’alors, Dany Cohn-Bendit (ou Dany, le Rouge), est devenu un chaud partisan, avec l’ancien premier ministre belge, Guy Verhofstadt, de l’Europe fédérale. Mais, ce projet ne fait plus vraiment recette, même si on continue de le mentionner dans de nombreux discours. Le couple franco-allemand, quant à lui, perd de sa solidité. Macron-Merkel, même combat ? Plus tout à fait. Alors que l’une demeure partisane de la rigueur dans l’Union, Macron veut plus d’institutions avec davantage de pouvoirs et de moyens financiers.
Les élections italiennes du 4 mars 2018 et le mélodrame politico-médiatique débouchant sur la nomination à Rome d’un gouvernement pour le moins atypique laissent pantois vu que le programme proposé par deux partis antagonistes semble impossible à réaliser. Mais, ce qui se dit et se trame à Rome ne laisse pas indifférents des millions d’Européens de plus en plus interpellés par le spectacle offert par un continent qui risque, à terme, d’être dépouillé de ses singularités, de son histoire et de ses traditions.
D’autres scrutins récents ont donné l’alerte. En Allemagne, les élections du 24 septembre 2017 ont envoyé au Bundestag plus de 90 députés de l’AFD, parti d’extrême-droite. En Autriche, les élections du 15 octobre 2017 ont porté au pouvoir le jeune conservateur Sebastian Kurz allié avec les ultra du FPÖ. Le 8 avril 2018, le premier ministre hongrois Viktor Orban remportait, une fois de plus, la majorité absolue des sièges au parlement de Budapest. Fin janvier 2018, Milos Zeman, présumé pro-russe, était reconduit pour cinq ans à la présidence de la république tchèque. Et, le 3 juin 2018, les Slovènes votaient à 25% en faveur d’un parti de droite affirmée hostile à l’arrivée de migrants dans leur pays.
Tout ceci laisse supposer que les Européens convaincus, de gauche comme de droite, n’ont plus le vent en poupe. Les slogans habituels, comme : il faut plus d’Europe,… pour une Europe puissance ou encore… nous voulons une Europe qui parle d’une seule voix, ne suscitent plus l’adhésion enthousiaste de naguère. Ils ne séduisent plus, comme ils devraient.
Pourquoi ce changement ? Deux causes essentielles. D’abord la question migratoire rappelée plus haut. Et, ensuite, ce que de plus en plus de gens considèrent comme la faute principale : le mépris des électeurs affiché par certains dirigeants qui pensent que les peuples doivent être guidés dans la bonne voie. Nous sommes loin du vox populi, vox Dei de la Rome antique ! Les récents conseils pour bien voter donnés aux Italiens par le commissaire allemand chargé des questions budgétaires, Gunther Oetinger ainsi que les propos sur la corruption en Italie tenus par J-Cl. Jüncker ont été plutôt mal perçus.
Enfin, je voudrais mentionner une histoire totalement inconnue et qui concerne un pays membre de l’UE, la Lettonie, État où une partie de la population (des Russophones) est qualifiée de « non-citoyens ». Le 20 avril 2018, Aleksander Gaponenko, activiste letton des droits de l’homme et président du Congrès des Non-Citoyens (russophones) en Lettonie, était arrêté par la police. Cet homme est accusé d’atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’État ainsi que d’incitation à la discorde interethnique. Gaponenko risque d’être condamné à huit ans de prison. En réalité, le parlement letton (Saeima) a approuvé, le 23 mars 2018, des amendements à la loi sur l’éducation0. Ces amendements disposent que la langue lettonne sera, à partir de 2021, la seule langue d’enseignement autorisée dans toutes les écoles du pays. Une décision évidemment difficile à admettre par les 29% de Russophones établis en Lettonie, dont plus de 40% dans la capitale, Riga. La voix de Gaponenko était sans doute trop forte. Il fallait que les dirigeants lettons, en pointe dans le combat mené contre le voisin russe, confirment leur volonté de braver l’ennemi supposé. On peut le comprendre. Mais, aucune dépêche ou article de presse ou déclaration d’ONG’s pro respect des droits humain concernant cette affaire n’a été portée à la connaissance des citoyens européens. Dommage, puisque les accusations qui pèsent sur A. Gaponenko ne sont pas compatibles avec les principes et les valeurs de l’UE et de l’OTAN, deux organisations occidentales auxquelles la Lettonie appartient. Pour endiguer le populisme envahissant, ne serait-il pas opportun d’éviter des situations telles que celle-ci ? Les choses vont bien sans les dire, mais elles vont beaucoup mieux, en les disant (Talleyrand).
Le prochain sommet des 28 et 29 juin sera, dit-on, crucial. Parviendra-t-on à s’entendre sur l’affaire des migrants ? Tous les yeux se tournent vers le moteur de l’UE, le couple Franco-allemand. Pour resurgir, l’UE aura besoin d’une grande dose d’inventivité. Espérons que Merkel (en difficultés) et Macron pourront y parvenir.