Y-a-t-il des enseignements à tirer de l'échec du G7 à la Malbaie et du pathos victimaire des européens?
L'unilatéralisme de Trump est il à vitupérer sans appel comme une rupture de confiance entre alliés?
Que représente-t-il en effet ce rebiffement d'un acteur imprévisible et sans discipline?
On peut avancer l'hypothèse que l'unilatéralisme de Trump apparaît simultanément comme un rejet du multilatéralisme, en tant que méthode de négociation paritaire et comme une résurgence du concept de souveraineté, en tant qu'exercice du pouvoir hégémonique et incarnation post-moderne d'un sujet qui "décide dans des situations d'exception".
Situations dans lesquelles originent des conflits qui ne peuvent être décidés ni à travers des négociations, ni à travers le recours aux normes (OMC), ni par l'intervention d'un tiers non engagé (Poutine).
Le pouvoir de retrait exercé par Trump apparaît d'un coup comme éclairant, puisqu'il procède politiquement d'une indifférence souveraine à la logique des États représentatifs et ne se reconnaît nullement dans une obligation multilatérale.
Ainsi la légalité et l'ordonnancement juridique des institutions supra-nationales, ne constituent pas le fondement ni l'origine de la légitimité d'une décision.
L'unilatéralisme de Trump restaure non seulement la subjectivité politique de la souveraineté, mais le courant de la diplomatie néo-réaliste, qui s'oppose aux paradigmes de la tradition démocratique, exprimée par la "volonté générale" de Rousseau, l'unité politique du peuple et la fiction de l’État de droit.
Cet unilatéralisme traduit en réalité la volonté de puissance d'un État dominant et le choix rationnel et intuitif d'un décideur bonapartiste, qui impose des nouvelles règles du jeu.
Il représente aussi une rupture la tradition libérale qui se situe en dehors de tout système conventionnel et normatif.
Il s'agit au fond de l'actualisation de "l'état d'exception", comme rupture dictée par l'intérêt national des États-Unis, face à la menace nucléaire de Kim Jong-Un et au bouleversement géopolitique du centre de gravité stratégique de la scène planétaire.
Vis à vis des représentants de l'UE, l'auto-légitimation du pouvoir de décision et l'affirmation d'indifférence de la puissance dominante, apparaissent comme le prix que les oligarchies européennes doivent payer face aux bouleversements du monde, en tranchant entre discipline bureaucratique et soumission humiliante à l'autorité charismatique d'Hégémon.
Cette indifférence a été aussi, indirectement, une critique de" l’État des fonctionnaires" (UE), qui n'est plus composé en unité par la fonction de synthèse de la finalité politique et qui apparaît à la dérive, sans vision et sans volonté.
Vis à vis du "sens", exprimé par le Chef de la puissance impériale, les autres participants sont apparus pulvérisés et impuissants.
A été ainsi anéanti le système des attentes internationales du commerce et ses limites, tendant à identifier les exigences de la société civile internationale (climat, reformes tarifaires, droits universels etc) et les urgences sécuritaires de la société politique et inter-étatique.
Par conséquent, l'établissement d'un lien organique entre pluralisme social (univers des ONG et des réseaux) et pluralisme stratégique (appareils et alliances militaires), n'a pu être esquissé.
Le monopole de la décision politique ne peut être identifié à la seule logique de l’État, mais à l'esprit de système et au jeu politique international.
En effet la lutte politique comme lutte existentielle entre acteurs étatiques, est toujours lutte contre un ennemi (Kim Jong-Un et Xi Jingping..) et donc lutte anti-normative par définition.
La préférence américaine pour la multipolarité marginalise les instances multilatéralistes, ainsi que les compromis techniques et les fonctions administratives et commerciales.
Elle valorise la volonté hégémonique, comme volonté supérieure aux sujets subordonnés et au normativisme juridique de l'UE.
C'est par ce biais que s'exprime la gouvernance internationale, le management des affaires, la demande sociale et les ruses et neutralisations du pouvoir technocratique.
Or le retour à la souveraineté des nations c'est la fin des démocraties rousseauiennes et de la théorie du contrat et l'achèvement des formes neutralisées du pouvoir, qui se cache derrière la façades "des volontés générales".
Tout ordre, y compris juridique, se fonde sur une décision et guère sur un norme ou sur une représentation.
Or la théorie fictive du peuple souverain se heurte, dans la vie internationale, au concept sécularisé du pouvoir théologique, le pouvoir d'Hégémon, qui reprend la notion forte de la toute puissance du Dieu mortel.
En effet, suivant Carl Schmitt, le souverain se situe à la fois dans un ordre juridique spécifique et en dehors du droit.
Dans le premier cas il est tenu au respect d'un système institutionnel formel, une constitution; dans le deuxième, il est au cœur de la politique mondiale et dans une histoire de turbulences permanentes et de conflits.
Le souverain peut déclarer la guerre, conclure la paix, apaiser les tensions, ou rejeter les accords conclus et les traités signés.
En saisissant la logique du danger et de l'inimitié, qui vient de la figure d'un adversaire désigné, il peut opter pour le refus de compromis hypocrites au sein du G7 (le club des principaux pays industrialisés du camp occidental), incapables d'une vision stratégique et pour une paix précaire et un ordre géopolitique redessiné par les puissances asiatiques, qui se réunissaient le 9 juin dernier, dans le cadre du sommet de l'OSC (Organisation de Coopération de Shanghai).
L'unilatéralisme de Trump a été finalement un choix dicté par le sujet éternel de la paix et de la guerre et par le rejet d'un débat faussé avec la caste "discutidora" de Bruxelles, indifférente aux grands bouleversements du monde et aux besoins de protections des nations, imposés par la globalisation des économies et par la crise de la démocratie et de l'ordre libéral.
Bruxelles, le 13 Juin 2018