PAIX ET GUERRE ENTRE LES NATIONS

HEGEMONIE ET AFFRONTEMENTS HEGEMONIQUES A l’AGE DES REVISIONNISMES
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
28/10/2024

OTAN 75. De l'ère de la négociation à l'ère de la confrontation

Les 9 - 11 Juillet dernier l’Alliance atlantique a célébré à Washington, ses noces de diamant entre ses 32 Etats-membres, qui représentent ensemble l'Occident, face à la triade russe, chinoise, iranienne et au Sud global, désignée comme hostile. Cette réunion a été jugée comme un moment-clé du processus de transformation, de mobilisation et de réarmement, qui a pour objet une confrontation générale éventuelle entre les deux ensembles adverses. Or l'aggravation de la relation conflictuelle entre ces deux forces antagonistes et son extension a un grand arrière géopolitique, inter- continentale et océanique, mérite d'être examinée plus pertinemment du point de vue d'une perspective diplomatique, historique et planétaire. Se sont aventurés dans cet exercice les analystes et décideurs les plus prestigieux, susceptibles d'avoir influé sur le cours même des grands événements. L’OTAN leur est apparue à la fois unie et divisée, avec des brèches et ambitions intellectuelles inavouées, tangibles et transcendantes, qui tiennent une grande place symbolique sur la place du monde. En tant que moment-clé d'un réarmement accéléré, ce retour de l'OTAN est-il un signe de la faillite des élites et de la crise des démocraties ? Les conclusions finales du Sommet de Washington ont porté sur des décisions visant à renforcer ultérieurement la dissuasion et la défense, à intensifier le soutien à l'Ukraine sur le long terme et à approfondir les partenariats mondiaux.

Aucun système international n'a théorisé ni conçu un système d'alliances si ramifié et aucun autre n'a occupé un espace de réflexion géopolitique et stratégique si approfondi et si vaste. L'OTAN est à cet effet l'alliance militaire la plus importante de l'histoire et la plus puissante.

Face à l'alignement croissant de la Russie, de la Chine, de l'Iran et de la Corée du Nord, le secrétaire général de l'OTAN a déclaré de « vouloir collaborer de plus en plus étroitement avec ses partenaires de l’Indo-Pacifique et avec l'Union européenne pour aider à préserver la paix et à protéger l'ordre international fondé sur des règles ». M. Stoltenberg a expliqué que la Chine jouait un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine et, dans la déclaration finale, a indiqué que le partenariat stratégique entre Moscou et Pékin « [suscitait] de profondes préoccupations ».

Dans un contexte parsemé d'incertitudes, l'OTAN a célébré ce Sommet sur fond de vives tensions coordonnant l'exercice militaire « Steadfast Defender » d'’ampleur exceptionnelle, qui s'est  déroulé du mois de février au mois de mai 2024 dans l’aire des pays baltes et de la Pologne et qualifié de « dissuasif »..Un exercice conçu pour  l’hypothèse d’un  scénario du pire, qui eu a pour but, aux jeux des  planificateurs occidentaux, d’adresser un message fort au Kremlin, soupçonné de préparer un plan de conquête de l’Europe centrale et du Nord, jugé inacceptable par les pays européens, l’OTAN et les Etats-Unis. Selon cette vulgate, l'Europe et l'Occident doivent à tout prix l'empêcher !  « La Russie ne doit pas vaincre ! » a dit Macron et ne doit pas s'établir un nouvel équilibre de puissance en Europe et dans le monde.

La première guerre froide et la diplomatie de Kissinger quant à l'option Beijing - Moscou 

C'est le même défi auquel s'était consacré H.Kissinger tout au long des années 70, qui avait consisté en revanche à préserver les intérêts bien compris de l'Amérique, tout en évitant une confrontation directe et nucléaire avec Moscou. A cette fin, la diplomatie de Kissinger eut pour but d'ouvrir une brèche entre Moscou et Beijing, offrant à Washington de nouvelles capacités d'action, contrairement au 75ème anniversaire de l'OTAN, qui s'est conclu par une provocation évidente à Poutine. En effet l'adoption du principe d'irréversibilité dans l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN se heurte à la charte de l'Atlantique Nord, qui statue de la non recevabilité d'un pays dont la belligérance avec un autre engage la solidarité globale de l'Alliance.

En ce qui concerne la définition de la tactique et de la stratégie vis à vis de Moscou, les divergences d'appréciation entre l'Europe et les Etats-Unis, n'ont pas interdit une « posture défensive » entre Beijing et Moscou, allant jusqu'à un « partenariat sans limites » entre les deux puissances eurasiennes, couronnées d'un rapprochement des BRICS et du Sud global. Et enfin l'idée de pérenniser l'aide financière de l'UE à Kiev, pour un montant de 50 milliards d'euros (sur les 85 accordés depuis février 2022), sans parvenir à influer sur le cours de la confrontation sur le terrain et sans résultats visibles, ne peut être compris par les opinions et la démocratie américaines, soumise au triple diktat, du manichéisme, du court-termisme et de l'aléas des élections de novembre. Ainsi l'éloignement de la diplomatie et du dialogue correspond à une régression de la situation internationale, qui revient à une ère d'affrontement, après une ère de négociations Cela rappelle, la divergence stratégique entre Kissinger et Brzezinski de la première guerre froide. D'abord et premièrement que le principe de l'équilibre des forces n'a pas été adopté par les pères fondateurs de l'Europe intégrée et que l'Europe renaissante était elle même porteuse du principe opposé, celui de la monarchie universelle de la paix ou de la pacification des conflits par le dialogue, mais à partir d'une Europe désarmée, prise comme exemple.

Principe de l'équilibre ou « Roll-Back » ?

Kissinger ou Brzezinski ?

Tout autre la « Power Politics » anglo-saxonne, vers laquelle se réoriente aujourd'hui l'Europe de l'ancienne Match Weltpolitik et à laquelle se formèrent les deux « européens » Kissinger et Brzezinski. Si H. Kissinger avait assumé le bras de fer de la guerre froide en termes de rapports de forces et d'équilibres stratégiques, Brzezinski jugeait le monde et l'échiquier des pays de l'Est en termes de traditions religieuses et de sentiments collectifs et donc de la lutte éternelle du Bien et du Mal, qui est à la fois séculière et intemporelle. Nous dirions plus pertinemment que cet échiquier, au-delà des idéologies transitoires, disposait d'un grand enracinement dans la culture historique. Ainsi l'option de faire reculer « l'Empire du Mal » ou la stratégie du « Roll Back », ne pouvait comporter l'illusion d'une fin immédiate et prévisible de la dialectique historique (la fin de l'histoire de F.Fukuyama). La pérennité de la lutte contre le Mal (le satanisme de la post-modernité) ne peut être assurée aujourd'hui par une lecture de l'arbre du Christianisme primitif à la A.Douguine, mais par une conception approfondie de l'hégémonie culturelle de l'Occident. Ayant accumulé une masse d'information sur l'adversaire et sa doctrine,  en sa fonction de directeur de l'université de la « guerre froide », « le Center for International  Affaires » de Harvard, Brzezinski élabora une lecture différente de la « politique de l'endiguement » de G.Kennan et  plus subtile de celle de Kissinger, fondée sur l'idée d'un « Occident kidnappé » par Staline à Yalta, un peu comme l'Ukraine le serait aujourd'hui par Poutine, car le fil conducteur des conceptions théoriques de Brzezinski était fondé sur la force du sentiment national des républiques de l'Europe de l'Est, déchiquetées par le rouleau compresseur du totalitarisme rouge et caucasien, qui justifiait et sanctifiait l'idée de résistance de leurs peuples. En ce sens la bataille contre l'Union Soviétique a été aussi et surtout une bataille des idées et des grandes conceptions du monde.

La deuxième guerre froide, l'OTAN et le « révisionnisme planétaire »

Dans la dernière vague d'un processus de décolonisation inachevé, l'OTAN est à la peine dans son réductionnisme stratégico-militaire, réduite à la politique des armements et des technologies militaires intelligentes, à sa lecture géo-stratégique de la conjoncture et à la caractéristique capitale de cette conjoncture, celle d'un « révisionnisme planétaire » généralisé, y compris nucléaire. La deuxième guerre froide, qui est chaude un peu partout dans le monde, est redevenue à la surface en Europe et angoisse en particulier les opinions des pays baltes et de la Pologne, plus exposés aux démonstrations militaires, en mobilisant le but des intentions, à défaut du calcul des forces. A la différence de la signification dissuasive des années 60/70, la guerre nucléaire n'interdit plus la guerre conventionnelle, mais s'inscrit dans celle-ci, pour l'heure en théorie, comme un de ces paliers, pour aboutir à une désescalade, après une montée aux extrêmes aux seuils inexpérimentés. Elle apparaît justifiée par la théorie des dominos, de conception américaine, qui avait dominé les esprits à l'époque du Vietnam et des guerres du sud-est asiatique. Suivant ce raisonnement, la chute d'un pays dans le camp communiste, aurait entraîné celle de ses voisins proches, soumis à cette menace et, depuis 1954, l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. Elle s'appliquerait aujourd'hui, par une sorte d'analogie contraignante, aux hypothèses de conflits envisageables en Europe, pour le cas d'une victoire russe en Ukraine.  Elle s'insinue de toute manière à l'Ouest et à l'Est, influant sur les déclarations de responsables divers, comme parties intégrantes de raisonnements systémiques et de révisions doctrinales dissuasives (Karaganov, Medvedev, etc). L'abaissement du seuil d'utilisation des armes nucléaires aurait pour fonction, selon Karaganov, de rétablir la prévention des guerres conventionnelles à grande échelle et, du point de vue de politique internationale, de diminuer le rôle hégémonique des Etats-Unis, agissant sous le parapluie nucléaire. Par ailleurs, il serait difficile de maintenir l'engagement américain en Europe pour se consacrer à l'Asie du Sud-Est et à l'Indo-Pacifique, car le désengagement d'une région implique logiquement celui d'une autre et donc l'abandon de Zelensky entraînerait la chute des pays baltes et de la Pologne. Le choix n'est donc qu'entre un affrontement local et, un éventuel désengagement général. C'est, semble-t-il la position d'alignement de Macron et de la France.

Le coup de poker de Macron à l'approche de la tempête

En clair le coup de poker de Macron, consistant à avoir formulé l’hypothèse d’un engagement français au sol, aurait pour but de redistribuer les cartes au sein de l'Alliance et de mettre la France au cœur du positionnement général, poussant la Russie contre l'Allemagne et promouvant la France en protectrice des pays de l'Est et, en particulier, de la Roumanie. Puisque la diplomatie est, selon Bismarck, la construction d'alliances, le profil bismarckien du président français, ferait bénéficier à Paris, dans la nouvelle configuration européenne, de l'appui déclaré de la politique polonaise, atlantiste, révisionniste et russophobe. L'instinct et le jugement du Leader jouent ici un rôle capital, que Macron parviendrait à assumer en premier, vis-à-vis des autres Leaders européens, a l'approche de la tempête.  « C'est quand le balancier oscille et les enjeux sont noyés dans la brume, que se présente l'occasion de prendre des décisions propres à changer le monde ! » (W.Churchill in - L'orage approche - 1949). Or l'engagement du président français afin que la Russie ne gagne pas, a des marges de réussite assez étroites à l'échelle mondiale et, sous ce profil, Macron se rapproche davantage de la figure énigmatique de Talleyrand, que d'un épigone de Bismarck, « l'honnête courtier » des manœuvres hégémoniques de l'Allemagne montante du XIXème.

Macron, un Talleyrand sans maître

Dans le ballet des présidents à la cour trans-atlantique de l'OTAN, le jeune prince Macron, d'une audace qui frôle l'inconscience pour avoir voulu s'élever au-dessus de la politique politicienne, peut- il être comparé, dans une rétrospective complaisante et sans déshonneur pour le convenu involontaire, au Prince de Talleyrand-Périgord, diplomate et maître en opportunisme ? N'est-il pas suspect comme son prédécesseur d'avoir été l'observateur lucide et farouchement haï des forces profondes de la France et de l'Europe de son temps ? Diable et serpent dans une période d'accélération et de retournements historiques, conscient de vivre dans un monde inclassable et post-démocratique, Macron n'a-t-il pas compris avant les autres, que la fin de l'unipolarisme américain était aussi la fin des vieilles légitimités de vasselage en Europe et dans le monde, en se pavoisant, en précurseur de l'indépendance politique et de l'autonomie stratégique du continent ? Une autonomie stratégique, alliant le binôme déséquilibré franco-allemand à prépondérance allemande et à suprématie politico-diplomatique française, aux autres puissances européennes de l'UE et de l'OTAN, reformés et capables de jouer le rôle d'auxiliaires en cas de conflit.  Selon une autre lecture, Macron n'aurait jamais trahi, mais abandonné à leur sort des alliances et des régimes déjà condamnés, en réalité moribonds et prêts à couler. Macron, dans la cour des « Grands » mondiaux n'a jamais voulu abandonner le gouvernail du galion de l'empire européen, en corsaire de grande aventure. Une fois perdue toute notion de communauté de destin d'abord avec la Grande Bretagne et ensuite avec l'Allemagne, ses revirements internes (élections européennes et nationales), ont été l'avant-goût d'un menu empoisonné, vite servi à la Russie, à l'Amérique et à la Françafrique.

Les deux modèles de sécurité de la première guerre froide. Rapport de forces et légitimité

L'Europe eut-elle des modèles de légitimité hérités du concert européen du XIXème après la deuxième guerre mondiale, qui puissent expliquer le « révisionnisme » généralisé du système international actuel et que l'on puisse emprunter en dernier ressort, pour rééquilibrer les tensions conflictuelles d’aujourd’hui ? De manière très simplifiée peut-on établir un parallélisme principiel entre Metternich et Brzezinski d'une part et Bismarck et Kissinger de l'autre, pour ce qui est de vision de la sécurité européenne et des alliances à mettre en œuvre pour l'atteindre. Si  Metternich avait réussi à concilier au Congrès de Vienne (1815) par une sorte de multilatéralisme anticipateur, le principe de légitimité (anti-révolutionnaire et dynastique) et la logique de l'équilibre (ou des rapports des forces pures) entre  la Prusse, l'Autriche, et l'Empire des Tsars, Bismarck, maître de la diplomatie de l'intérêt national et de l'égoïsme étatique, sape le multilatéralisme du Congrès de Vienne qui maintenait la Prusse dans une condition d'infériorité  vis à vis de l'Autriche, créant un système d'alliances adverses et donc un sorte d'unipolarisme hégémonique autour de la Prusse, qui nourrira une hostilité conjointe et contradictoire entre la Russie, la France et la Grande Bretagne. Bref un réseau de partenaires, préservant l'isolement volontaire de Berlin vis à vis du cauchemar des coalitions hostiles; Kissinger, en héritier du réalisme européen a-t-il réinterprété au profit de l'Amérique le modèle d'intégration de l'Union Soviétique dans le système international, qui fut celui de la France post-révolutionnaire du Congrès de Vienne, tout en pratiquant une ingérence permanente dans les affaires intérieures d'autres acteurs de la vie internationale? L'Europe post-soviétique, orpheline de ces grands faiseurs d'histoire, n'a-t-elle pas parsemées  de ses modèles et de ses  principes  dans la diplomatie russe, celle qui, à travers la démocratisation de la « perestroïka » et de la « glasnost », prélude à la dislocation de l'Union Soviétique et au révisionnisme de la situation actuelle en Ukraine, celle d'une absence de frontières pour Moscou entre influence et contrainte et du dilemme occidental entre « grande négociation ou grande confrontation » ?

La dislocation de l'Union Soviétique, la chute de l'ordre bipolaire et le précédent du Kosovo

Avec la chute de l'URSS et de l'ordre bipolaire, une vue large et raisonnable de la compétition internationale avait conçu la préservation de l'ordre de sécurité européen à l'intérieur de l'alliance atlantique, qui avait été conçue pour l'endiguer. A cette fin et dans le cadre d'un Acte Fondateur avait été créé en 1997 un « Conseil Conjoint permanent OTAN-Russie », sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre la Fédération russe et l'Alliance Atlantique. Sans avoir la force juridique d'un traité, cet Acte fondateur, fit naître une nouvelle architecture sécuritaire en Europe, paritaire et inclusive et les deux parties ne se considérèrent plus comme des adversaires mais comme des partenaires. L'équilibre des forces sur le continent semblait avoir acquis une légitimité démocratique et diplomatique, mais le conflit du Kosovo et son règlement unilatéral ainsi que le bombardement de Belgrad, en dehors de tout mandat des Nations Unies, mit en sommeil cette ouverture institutionnelle et redéfinit les équilibres diplomatiques du continent, affaiblissant l'Europe face à la Russie, en la plaçant toutefois sous la houlette des Etats-Unis. De dégradation en dégradation, autrement dit de la Libye à la Syrie et au Moyen Orient, dans les prises de position sur le conflit ukrainien, Macron aurait pu jouer un rôle en la création d'un climat de confiance en Europe, conformément aux intérêts de sécurité du continent et à ceux bien compris de la France, mais il brisa la vieille entente avec la Russie qui avait sauvé autrefois la France de l'asservissement et de la vassalisation idéologique.

Glasnost et Perestroïka, nouvelle pensée et nouvelle démocratie

Pour qu'une conception partagée de la sécurité s'instaure dans les relations internationales et qu'une coexistence pacifique s'installe de manière durable dans les rapports de compétition permanents entre les Etats, quelques concepts à portée universelle doivent être adoptés dans le comportement politique: l'indépendance nationale, la non-ingérence, le respect de la souveraineté et la non-agression. Or, après la chute de l'Union Soviétique et la renonciation à la doctrine de la « souveraineté limitée » de Brezhnev, promue par la « nouvelle pensée », la « Perestroïka » (refondation) et la « Glasnost » (ouverture) de Gorbatchev, entre 1984 et 1985, disparaît du vocabulaire la notion « d'ennemi », remplacée par celle de partenaire et l'accent des relations internationales porta sur le domaine de la « nouvelle diplomatie »,  qui est à la base de la « démocratisation » et de la coopération et qui inaugure une période de dégel des relations russo-américaines avec Schultz, comme Secrétaire d'Etat et R.Reagan, comme président. Dégel ou rupture que le couple D.Vance et D.Tump ont promis de reprendre, s'ils sont élus en novembre prochain.

L'Occident « privé d'ennemi », Gorbatchev et Shevardnadze

Cependant à l'aube de 1990, les conservateurs du parti soviétique reprirent l'initiative par la relance du concept « d'ennemi principal » vis à vis de l'Amérique et les durs du KGB et du GRU, hostiles à la revendication d'indépendance des pays baltes (Lituanie, Estonie, Lettonie) du Caucase (Arménie et Géorgie), puis d'Ukraine, et contrastèrent vainement les évènements par un coup d'Etat avorté. Cette indépendance sera consacrée en décembre 1991, par la création à Minsk, à l'initiative d'Eltsine, de la Communauté des Etats- Indépendants (CEI) composé de Russie, Biélorussie et Ukraine, qui mit un terme à l'existence de l'URSS et au processus historique débuté en 1917 avec la Révolution d'octobre. Certains souhaitent- il redoubler cette expérience avec le poutinisme et susciter au sein du pouvoir un coup d’État, ou une subversion opportune ? Aujourd'hui les durs sont-ils à l’Est ou à l'Ouest ?

La Russie de S. Lavrov, en quête éternelle de sécurité et de statut

Déjà Primakov, le vrai maître de S.Lavrov, le « Kissinger » russe, avait établi que, dans la recherche d'un nouveau paysage stratégique, la mise en place d'un monde multipolaire était l'équation géopolitique plus favorable à l'immense Russie eurasienne, en position centrale dans le monde et qu'un glacis était indispensable au partage des sphères d'influence dans la cosmopole post-soviétique décomposée. L'inscription dans ce dessein des BRICS et une étroite coopération trilatérale avec l'Inde et la Chine rendrait l'alliance de l'Ours et du Dragon capable de résister aux étreintes du boa occidental et de la force du serpent des océan des pays du Rimland. C'est dans ce moule que S.Lavrov a mûri sa conception du système mondial. Ainsi, dans l'émergence d'un Sud global, il voit la poursuite de la deuxième vague du processus de décolonisation, destinée à envelopper l'Asie et l'Afrique et à remonter vers l'Europe. Le contentieux avec l'Occident collectif à propos de l'Ukraine et des révolutions de couleur ou encore les évènements de la place Maîdan, ne lui font guère oublier que la relation avec les Etats-Unis demeure au centre des préoccupations de la Russie, dans la perspective de bâtir un ordre mondial plus stable et qu'une négociation diplomatique est peut être la solution plus avisée à ce conflit régional.

A.Douguine, l'Occident et l'alliance de l'identité et de la foi

C'est dans une perspective eschatologique, messianique et civilisationnelle que se cache le délire nationaliste et anti-occidental d'A.Douguine, chantre de la multipolarité, oubliant d'un seul coup Platon et la philosophie grecque et investi par la flamme du Bien contre l'univers de Lucifer et l'esprit du Mal absolu de l'Occident. Réduisant toute logique stratégique et tout rapport de forces aux perversions post-modernes et nous faisant oublier la fin de l'âge idéologique datée des années 70, il nous replonge dans une sorte de révisionnisme idéologique revendiqué, pour qui l'esprit de croisade prévaut sur le risque nucléaire et l'irresponsabilité des convictions extrêmes sur l'apocalypse planétaire. Douguine repère dans l'histoire russe une source autonome de civilisation, distincte et opposée à la civilisation chrétienne et occidentale et de cette filiation ferait partie l'Ukraine, dont l'annexion ne constitue guère une injustice historique comparable à celle de l'Alsace-Moselle pour la France après la défaite de Sédan (1871) et la proclamation de l'Empire allemand dans le salon des glaces de Versailles. Le révisionnisme plus débridé, déborde ici largement du seul aspect diplomatique et exhibe la décomposition de l'hégémonie historique, qui s'est exercée sur la Russie, tout au long de dix siècles. En assignant des rôles de combat au monde russe dans le contexte de la multipolarité, la première tâche serait d’achever l'éradication de l'occidentalisme et du familialisme amoral, visant à mettre un terme à toute métaphysique et la deuxième en se consacrant à la création de l'avenir russe. « La Russie-ajoute-t-il a désormais une idéologie: les valeurs traditionnelles et les lumières historiques ...et notre idéologie est l'édification de la nouvelle Jérusalem....et c'est dans le futur et donc dans l'éternel ». C'est l'alliance de l'identité et de la foi (du monde russe), opposé à l'alliance contradictoire des individualismes étatiques et des égoïsmes irréductibles des pays sacrilèges de l’Ouest.

Révisionnisme, anti-hégémonisme et révolution

L'une des causes des multiples tensions du monde actuel est la remise en cause des règles définies par d'autres, des conditions établies et jamais volontairement acceptées. Ainsi la conscience active de vouloir réécrire l'histoire, en ses fondements doctrinaux, pour ce qui concerne les idéologies politiques (marxisme, libéralisme) ou dans les accords établis, mais tenus pour dépassés (Yalta), cette conscience est l'un des aspects du révisionnisme, qui est aujourd'hui planétaire et qui se veut totalisant et anti-hégémonique. Puisque l'hégémonisme d'une civilisation, d'une culture et d'un ensemble de pays fait partie des données incontestables de l’histoire, comme dans le cas de l'Occident collectif, une certaine idée de la stabilité, de la coopération, des régimes politiques et des formes d’Etats, constitue le fond de la revendication incontournable du processus de révision des mœurs, des traditions et des us en cours dans le monde. Cependant cette revendication, liée à l'identité ethnique et à des nationalismes divers, mais aussi aux frustrations et revanches de révoltés, cette revendication renvoie à la coexistence conflictuelle du passé et du présent et dépasse la sphère des idées pour remettre en cause les structures de pouvoir, d'autorité et d'influence des sociétés existantes et de leurs conceptions du monde. Or, sur la ligne de front du révisionnisme étatique se situent les pays et les nations qui luttent pour une « autre » hégémonie et, implicitement, pour un autre type de leadership et de modèle de société, pour ces pays et pour ces peuples la catégorie centrale du révisionnisme est l'anti-hégémonisme et cette notion remplace la notion- mythe de révolution, comme changement radical de légitimité, de régime, et de société. En matière de relations internationales, elle remplace la distinction de puissances satisfaites et puissances insatisfaites. En ce sens, le révisionnisme n'est que le « Cahier de doléances » des puissances à la dérive, dominées ou colonisées (agents de l'ennemi, de l'étranger, complotistes, etc.) Le concept de révisionnisme, appliqué à la théorie de l'histoire et à la conjoncture actuelle est le préambule d'une transition d'allégeances à un projet géopolitique qui n’a pas encore fait ses épreuves.

Hégémonie et système international

Du point de vue historique, une interprétation des fondements des systèmes internationaux exige d'avoir un point de gravité théorique dans le concept d'hégémonie comme champ des transformations profondes d'une époque et de l'ensemble du processus historique. En effet, l'hégémonie marque l'identité d'un système, qui est l'englobant général de son pouvoir ainsi que de son champ d'autorité et d'influence, bref, de sa civilisation. Parties intégrantes de la dialectique historique, l'hégémonie et la lutte hégémonique constituent l'empreinte d’une ère de développement ou de lutte, conduites par une classe ou un peuple-nation éclaireurs et guides. À ce sujet R.Gilpin, théoricien américain de la stabilité hégémonique soutient la thèse selon laquelle chaque système comporterait une hégémonie exclusive et marquante, personnifiée par un acteur historique dominant. Cette hégémonie aurait des caractéristiques récurrentes, d’émergence, apogée et déclin, dont abondent les exemples; Rome pour la Méditerranée et le monde antique, l’Espagne pour « el siglo de oro », le XVIe la France pour le « le Grand Siècle », le XVIIIe, la Grande-Bretagne pour le XIXe et la grandeur victorienne, les États-Unis pour le XXe et la « Démocratie impériale ». Ces unités politiques, villes-États ou empires civilisationnels ne tolèrent pas la dualité des pouvoirs et ne conçoivent que l’unicité exclusive des toutes les expressions de l’autorité et du commandement, civil et militaire. Aujourd’hui comme hier l’hégémonisme (ou unipolarisme) sauvegarde la stabilité, que le multipolarisme remet en cause, dans une dialectique aléatoire et imprévisible.  Dans les périodes de multipolarisme tous les facteurs de stabilité et d’intégration normative (ordres, institutions, statuts et valeurs) sont contestés et l’affrontement rendu finalement inévitable. Se pose alors la question de savoir si l’enjeu du recours à la force aura pour objet le système lui-même ou si la menace à la stabilité vise une amélioration de statuts au sein  la hiérarchie établie « dans » le cadre du système existant .Le problème de « l’alternative de système » se posait déjà à l’époque de la bipolarité, mais sous un aspect économico-politique (capitalisme-socialisme), tandis que l’enjeu du changement de la multipolarité actuelle vise explicitement le système, en son aspect global, politico-civilisationnel et historique (Orient-Occident, Nord-Sud).

Le troisième âge nucléaire, le problème du seuil et la stratégie intégrale de Poirier

L'impossibilité d'aborder les domaines de l'affrontement de manière cloisonnée et les hypothèses d'action simultanées et imbriquées, ont conduit à des révisions stratégiques et tactiques de la part des grandes puissances. C'est dans la perspective d’une évolution du nucléaire en trois périodes que la question de la dissuasion doit être analysée et comprise. Le premier âge a été marqué par la bipolarité, la confrontation entre deux superpuissances, l'équilibre de la terreur (MAD, destruction mutuelle assurée) et la stabilité stratégique. Le deuxième fut celui des espoirs de désarmement, nés de la guerre froide et achevé à la fin des années 1990, avec les crises de la prolifération. Le troisième a été une combinaison de logiques de puissance, de développement de moyens conventionnels offensifs et un rééquilibrage des capacités nucléaires, qui impose l'obligation de mieux combiner dissuasion nucléaire et forces conventionnelles. Puisque la réalité du monde doit être prise en compte sous le prisme des rapports de forces politiques, diplomatiques, militaires et culturelles, sans oublier l'économique et le scientifique, le sujet du révisionnisme, déterminant de l'action de pilotage de cet ensemble de forces est l'action du politique. Or le débat en cours sur la révision stratégique du nucléaire concerne en réalité toutes les actions conduites « sous le seuil » de l'emploi de la force et exige le recours à des stratégies intégrales (L.Poirier), puisque la guerre, en tant qu'activité humaine, est hybride par nature.  Le point de la situation nous oblige à revenir sur le politique, qui doit évaluer du moment et de la gravité d'intervention du nucléaire, marquant l'échec de la dissuasion. Ce moment et cette décision représentent donc un « seuil », au-dessous duquel la puissance nucléaire jugera gérable un conflit de haute intensité par des moyens conventionnels. Élever ou baisser ce seuil désigne donc la nature de la réplique à une agression ou encore une posture défensive ou offensive en politique étrangère. La modification de ce seuil, impliquant ambiguïté, incertitude et risque est donc, à proprement dire, un « révisionnisme stratégique » dont la gravité donne la mesure du danger du moment historique et de la conjoncture internationale.

Dissuasion, nucléaire tactique et escalade

Si le révisionnisme s'exprime de plus en plus dans le troisième âge nucléaire, comme volonté de remise en cause de l'ordre mondial, suite à l'entrée de nouveaux acteurs dans le jeu de la rivalité sino-américaine, le domaine du nucléaire évolue vers une plus grande incertitude, conflictualité et complexité. En effet augmente considérablement, suite à la guerre d'Ukraine, la perception de la menace d'emploi du nucléaire tactique et du recours éventuel à celui-ci en termes de communication (gesticulation dissuasive) et de diplomatie coercitive (compellence - visant à modifier le statu quo, Th.Schelling), Le débat sur l'efficacité de la dissuasion est ainsi relancé et  ses concepts-clé revisités, investissant tous les étages  de sa structure cognitive et opérationnelle. L'occasion en est le conflit en cours en Europe, la troisième guerre mondiale éventuelle, la géopolitique des grands espaces et la stratégie militaire opérationnelle dans les différents théâtres de conflits. Commençons par l'Ukraine et l'Europe. Dans une déclaration de février 2022, le président Poutine invita les occidentaux à ne pas franchir les « lignes rouges » non définies), en faisant recours à l'indétermination stratégique et à l'ambiguïté des intentions. Il annonça à la télévision russe de « mettre les forces de dissuasion de l'armée en régime spécial d'alerte au combat ». L'ombre du nucléaire existe ainsi virtuellement depuis le début du conflit et il s'agit d'une intimidation visant à dissuader l'opinion publique occidentale de soutenir ultérieurement la fourniture d'armes à l'Ukraine. Cette intimidation s'inscrit dans un contexte risqué, où les règles du jeu sont en train d'être révisées et où la grammaire de l'escalade pourrait ne plus être maîtrisée du côté russe et du côté OTAN. Mais escalade pour quel type de guerre ?  Cet affrontement armé peut-il se limiter au terrain conventionnel, ou dériver vers le nucléaire ?  La dissuasion, qui est un simple prolongement du conventionnel, selon les américains, constitue une rupture et un changement de nature pour les européens. La question plus pertinente du débat sur l'escalade porte en fait sur la finalité de la guerre (zweck) et sur l'antinomie d'intérêts et de buts qui concernent la remise en cause de l'ordre européen ou de l'ordre mondial. Or, la signification essentielle d'une escalade stratégique ne peut porter que sur l'atteinte à l'être national et à la défense des intérêts vitaux de la nation.  Pour mieux préciser, trois conditions pourraient justifier des frappes nucléaires de la part de la Russie:

- la réponse à une agression de la Russie et de ses alliés par des armes nucléaires de destruction massive

- la réponse à une agression conventionnelle de la Russie et de ses alliés, menaçant l'existence de l’État

- des risques d'escalade nucléaire avec les puissances nucléaires de l'Occident (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France)

Cependant ils existent plusieurs niveaux de dissuasion et différents types d'escalades selon le but de guerre, à partir du niveau le plus élevé, celui du système inter-étatique dont la « fin » est l'hégémonie politico-civilisationnelle d'une époque historique, comportant une guerre totale et absolue entre pôles en compétition. Dans ce cas l'escalade exercera ses effets sur les trois niveaux de la polarité (regroupement unitaire d'un ensemble géo-politique), le niveau tactique, stratégique et systémique. Signalons que l'interdépendance des niveaux constitue une inconnue complémentaire pour les calculs de rationalité stratégique. Quant au jugement concernant les décisions à prendre sur la poursuite des combats ou sur l'ouverture des négociations, l'évaluation du choix dépend de l'assurance en sa propre supériorité et simultanément en la faiblesse morale et politique de l'adversaire. En l'état actuel, pouvons-nous savoir d'avance dans quel camp se trouvent le sentiment de supériorité (Ukraine ou Russie), ainsi que l'état de faiblesse morale et politique (Etats-Unis ou Union européenne) ?

En réponse aux « menaces occidentales » d'accroître le volume et la sélectivité du soutien militaire à Kiev et d'abaisser « le seuil d'utilisation des armes nucléaires », le ministère russe de la défense a décidé de promouvoir « la première étape des exercices (...) sur la préparation à l'emploi d'armement nucléaire non stratégique » (21 mars 2024). Cependant une rupture du tabou nucléaire en Ukraine de la part de la Russie apparaît pour l'heure peu probable, car sous la tutelle du nucléaire est exclue une défaite politico-militaire des forces conventionnelles.

Moscou et le tabou du nucléaire

Or, ce danger est apparu avec l'émergence et le développement du conflit ukrainien et implique une modification radicale des répercussions, européennes et mondiales du conflit. Il indique, dans les spéculations de politique étrangère, le degré de proximité d'une troisième guerre mondiale et, dès lors, les mesures ou décisions pour la prévenir ou pour y intervenir et combattre. Deux personnalités y ont développé l’analyse de ce danger, avec des arguments et des objectifs différents, l'américain Robert Kagan, en février 2017 et Viktor Orban, premier ministre hongrois le 11 août 2024; révisionnisme systémique et stratégique dans le premier cas et révisionnisme politique et institutionnel dans le deuxième. Dans les deux cas, une vision du monde divergeante et critique. La remise en cause de l'ordre européen et mondial fait-elle de la Russie une puissance révisionniste intégrale ? Il a été remarqué que la Russie ne semble pas représenter un État révisionniste typique, mais une entité politique à révisionnisme faible, limité par son économie et par sa perte de vitesse dans la compétition technologique mondiale.  L'absence de mention dans la doctrine nucléaire russe des capacités chinoises comme menaces potentielles est expliquée en revanche par sa performance politique, par sa promotion d'une stratégie eurasienne et par un partenariat sino-russe, dans une perspective historique extrêmement dangereux. Parmi les atouts de Moscou on remarquera une utilisation accrue des capacités nucléaires à des fins politiques, rendue possible par une modernisation constante de son arsenal, dans ses deux composantes, stratégiques et non stratégique, permettant une plus grande liberté d'action et une projection améliorée des forces, autorisées par un talent hors pair, consistant à prendre des risques jugés inacceptables par les Etats-Unis et l'OTAN.

Edward Luttwak, la Guerre Froide et la stratégie indirecte. Empire romain, Empire américain, mêmes enjeux ?

Edward Luttwak, à la sortie de la défaite politique et morale du Vietnam a eu l’originalité de mener une réflexion absolument non prosaïque sur la réussite stratégique de Rome, qui pourrait avoir encore valeur d’exemple pour la stratégie contemporaine de l’Amérique. En partant de la question-clé : « Comment une combinaison de force militaire (trente légions, soit 200 cent mille hommes), de diplomatie (un réseau d’alliances et de clients) et d’infrastructures fixes (Limes, aujourd’hui bases militaires dans le monde) a pu endurer si longtemps, contre tant d’ennemis et avec si peu d’hommes, un empire étendu allant de Britannia à l’Euphrate ?  Luttwak a proposé une réflexion historique fondée sur une conception stratégique évolutive et donc, sur la distinction de trois systèmes: le système des Etats-clients (période julio-claudienne), le système des frontières fixes et de défense dissuasive (des flaviens aux sévères) et, après la grande crise du IIIème siècle, due à l’accentuation de la pression barbare, la défense élastique avancée ou en profondeur. A quel système ressemblerait davantage la stratégie actuelle de l’Empire, si les analogies historiques avaient une valeur de pertinence et d’exemple ? Assez probablement à la transition entre le deuxième et le troisième système, celui d’une défense élastique et d’une stratégie indirecte, qui consiste à « conserver la force et n’utiliser la puissance militaire, qu’indirectement, en tant qu’instrument de lutte politique » (corruption des gouvernements-clients et des élites asservies). Dans quelle mesure le passé de l’Empire de Rome se rapproche-t-il de l’Empire de l’Amérique d’aujourd’hui, et l’Europe, comme ensemble d’Etats-clients, de l’asservissement et du vasselage ?

Robert Kagan, La stratégie du « pivot » et le partenariat transpacifique (PTT)

A la suite de l’Euro-Maïdan » - 2014, Robert Kagan s'interroge sur la stratégie américaine dans l'instabilité du système international actuel, due à l'intersection de deux grandes tendances, l'une qui représente le déclin de la puissance américaine, l'autre l'activisme de deux puissances révisionnistes classiques et montantes, la Russie et la Chine. Il rappelle que l'ordre et la stabilité peuvent s'effondrer soudainement dans la violence et que la stabilité est inhérente à un ordre unipolaire dominant. Cependant le système ne dépend pas uniquement de la puissance d'un pôle, mais de la cohérence et de l'unité d'une coalition et de ses alliés, car les puissances en pleine ascension ont besoin d'insécurité et s'alimentent de la crise de confiance et d'autorité du pouvoir dominant et de la crainte d'engagements dans la défense de ses intérêts à l'échelle mondiale. Or la remise en question de l'ordre réduit la sphère des responsabilités et pousse à la tentation de composer avec les puissances antagonistes et rivales. L'accusation d'un leadership faible adressée à Obama prend, dans le plaidoyer de Kagan, la forme d'une dénonciation de sa stratégie du « pivot », qui a dégarni sans vraie nécessité le Moyen Orient et laissé tomber le Partenariat Transpacifique qui n'aurait guère banni la vraie menace des systèmes autocratiques de pouvoir, le défi continu porté par l'ordre démocratique à la légitimité de leur règne. Le regroupement bi-multipolaire des pays d'Orient et d'Occident, du Nord et du Sud, témoigne désormais, d'après Kagan, de l'impossibilité de maintenir la position dominante qui a été celle de l'Amérique depuis 1945 et vient du constat que les puissances révisionnistes sont à l'offensive et la troisième guerre mondiale est aux portes. Le retour aux sphères d'influences consacrerait un retour à Metternich et à la crainte du système de la Sainte Alliance pour la contagion du libéralisme. Sans un barrage déterminé contre le révisionnisme, la politique de l'Amérique dans le Pacifique signifierait, pour les Etats-Unis un retranchement derrière les îles hawaïennes et pour la Chine la domination du Pacifique et de l'Asie orientale et méridionale; à l'Ouest, pour la Russie, une influence prépondérante dans les pays baltes, dans les Balkans, en Europe centrale et orientale, et naturellement, en Asie centrale. La régénération demandée par Kagan, néoconservateur affiché, visant à donner un avantage aux Etats-Unis conjugue le réalisme d'une stratégie de l’équilibre, en son versant hard, à la conception militante d'une confiance, en soi douteuse, sur la légitimité universelle du libéralisme et du pouvoir démocratique.

Viktor Orban, l'illibéralisme et la pérennité de l'Etat-Nation

C'est sur l'illibéralisme, que butent les conceptions de Viktor Orban, le dernier parangon des dirigeants souverainistes du continent. Le dépassement de l'Etat-Nation, sur lequel est bâtie la philosophie politique de l'Union, est pour Orban, l'essence même de la conception progressiste, libérale, internationaliste et globaliste de l'espace. Cette conception conduirait à la faiblesse, à l'irrationalité et à la désintégration de l'Occident. Dans un discours prononcé en 2019, Viktor Orban présente l'illibéralisme comme une démocratie reposant sur l’Etat-Nation et les valeurs chrétiennes, et lui affilie Robert Schuman, et Winston Churchill. Il évoque la notion de « liberté chrétienne » comme un substitut à l'illibéralisme et dont le sens serait plus large et intégrateur.

Or notre époque, bien loin d’être celle de la victoire définitive de la « démocratie » est de plus en plus marquée par une crise de la représentation « démocratique » et par l’émergence de démocraties « illibérales » ou démocratures. Autrement dit, des régimes caractérisés par des pouvoirs forts, par un populisme qui mêle nationalisme et religion et par une conception de la souveraineté, dont la projection déterminante est d’ordre diplomatique et militaire, car la diplomatie et l’appareil militaires constituent les outils décisifs de l’appareil d’État et en définitive de la paix et de la guerre. Il s’agit là, par paradoxe, d’une inversion du récit selon lequel l’Union Européenne, bâtie sur l’utopie kantienne est porteuse de réconciliation en Europe et dans le monde, quand, tout au contraire, elle est impuissante et désarmée face à la guerre.      

Primat de la Souveraineté ou primat de la subordination hégémonique ?

Des figures comme Trump, Poutine, Orban, Xi Jinping, Erdogan, Bolsonaro, sont sorties de la « part d’ombre » du néo-libéralisme, en s’opposant au primat libéral de la discussion et du compromis et ont forcés les adversaires à se soumettre au primat de la souveraineté, qui met un terme à toutes les discussions et subordonne les litiges et les conflits à des décisions irrévocables. Dans le souci de mettre un terme à la guerre par procuration et à l’affrontement hégémonique qui oppose par personne interposé les Etats-Unis à la Russie en Ukraine, Orban a entrepris une exploration d’intentions auprès de Poutine, Trump et Xi Jinping, estimant que l’UE, dont il assure la présidence tournante, doit avoir une fonction de paix sur la scène internationale. Se dressant ainsi contre la politique de subordination des pays européens vis à vis des « Etats-Unis, Orban a ulcéré l’Union, qui lui a reproché de ne pas avoir eu de mandat à ce sujet et d’avoir joué à la provocation, totalement contre-productive et l’a menacé de raccourcir l’exercice de la présidence hongroise tournante.

La Guerre Froide a-t-elle été une guerre limitée ?

Vis-à-vis de la guerre et dans la recherche d’un compromis, à la longue inévitable, Orban a-t-il été sur la même ligne de Raymond Aron quant à ce sujet, dans les années 1947-1991, jugeant que :« La guerre froide est une guerre limitée, limitation qui porte non sur les enjeux, mais sur les moyens employés par les belligérants..(n.d.r. -dissuasifs et virtuellement apocalyptiques) ». Un aspect important de l’approche critique de Victor Orban est l’aspect multilatéraliste et anti-polariste des démocraties et de la première d‘entr’elle, les Etats-Unis, globalement dominants et auxquels est asservie l’Europe. En effet Washington s’oppose à toute forme de souverainisme européen et veut éviter que de nouveaux blocs se créent dans chaque continent au sein de la tendance multipolaire émergente. Elle veut empêcher en particulier que la Russie et l’Union européenne se développent comme deux pôles indépendants et virtuellement convergents dans un monde multipolaire, qui affaibliraient la « Démocratie impériale ». Pour empêcher l‘Allemagne et avec elle l'UE de devenir le partenaire de la Russie, les États-Unis encouragent toutes sortes de politique, y compris des actes, tels que le sabotage du gazoduct Nord Steam. Frappée au cœur de sa souveraineté l'Allemagne peut-elle avoir une politique étrangère et de sécurité indépendante ? Sans le rétablissement de la souveraineté allemande, la souveraineté française et européenne ne seraient que limitées. Le nœud entre légitimité politique et système international apparut en son évidence en 1942 en pleine guerre, à Raymond Aron, qui réfléchissait à la configuration géopolitique du continent après le conflit. Il en conclut, quant aux régimes politiques que l’Europe libérale, ne pouvait être fondée que dans le cadre politique des nations.et, en définitive, de l’atlantisme. Cependant il était conscient que le temps de l’équilibre européen était révolu et qu’il fallait désormais concevoir, pour préserver la liberté retrouvée, un équilibre planétaire, dans lequel, pour faire contrepoids aux empires continentaux, l’engagement des puissances océaniques était nécessaire, en premier lieu celui de la Grande Bretagne et, avec elle, celui des Etats-Unis. La restauration de la démocratie libérale était à l’époque à ce prix !  La restauration de la souveraineté européenne est en 2024, aux jeux d ‘Orban au prix du patriotisme européen, de l’anti-interventionnisme extérieur et de l’État Nation, bref, de la puissance européenne réhaussée dans la scène internationale et fondée sur le refus de la nouvelle guerre en gestation.

Raymond Aron, Hans Delbrück, Polybe

« La menace de nouveaux Césars » (1942), la bataille d’anéantissement et la « paix de capitulation »

Il y a cent ans, en réponse au désarroi de la première guerre mondiale Oswald Spengler avait défini le triomphe de nouveaux Césars », toujours d’actualité, comme « la perspective dans laquelle le règne du sang mettrait fin au règne de l’argent » et dans la transition entre ces deux situations historiques, s’imposeraient, par l’anarchie, de grands aventuriers, qui méprisent les hommes et peuvent fonder des grands empires. La chance de ses nouveaux conquérants serait suspendue à la décision des armes. En 2024 comme hier en 1942, la conscience d’une nouvelle civilisation et d’une nouvelle hégémonie constitue une perspective plausible pour une telle émergence. Dans l’article de 1942, Raymond Aron essaie d’anticiper les conditions de l’Europe à l’issue du deuxième conflit et, par une rétrospective hasardeuse, il analyse la transformation du but de guerre d’Hannibal, après la défaite romaine de Cannes (216 a. J.C). Pour ce faire Aron remet en cause l’interprétation de Clausewitz, sous-jacente à la doctrine hitlérienne des conquêtes territoriales et s’appuie sur la pensée de Hans Delbrück. Interprète de l’Histoire de Polybe, en particulier de l’exemple de la deuxième guerre punique. La réflexion d’Aron porte sur le rapport entre guerre et politique, stratégie d’anéantissement et capitulation de l’adversaire, consécutive à l’effondrement militaire.

Poutine (Hannibal) face à l’OTAN et à l’Occident collectif ?                                                                                                                                                      

Sur la stratégie d’usure et la paix de compromis

La question-clé des analystes historiques a été de savoir pourquoi Hannibal, qui avait défait les légions romaines à Cannes, archétype classique de la guerre d’anéantissement, n’avait pas porté le siège sur Rome et avait temporisé à Capoue. La réponse ne pouvait être que politique et simultanément stratégique. La longue hésitation de Capoue aurait dû induire, dans les calculs d’Hannibal, la défection des cités italiques contre l ‘emprise de Rome, dont la force reposait sur les alliances.

Delbrück insiste sur le fait qu’Hannibal était pleinement conscient du rapport de forces, et que la grandeur d’Hannibal résidait dans sa capacité à comprendre que ses propres ressources étaient limitées et qu’il ne pouvait pas espérer une victoire d’anéantissement. Delbruck renversa alors la formule clausewitzienne bien connue:

« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », en lui donnant la signification   inverse, dense de conséquences, à savoir « la politique doit être, dès le temps de paix, commandée par les exigences de la guerre ».

Aron, converti au magistère de Clausewitz après le conflit et à partir d’une lecture approfondie du stratège prussien, remarquera que:

« Hannibal savait très bien ce qu’il faisait lorsqu’après la victoire du lac Trasimène, et de nouveau après Cannes, il décida de ne pas marcher sur Rome. Dès le départ il avait en tête un autre moyen pour vaincre l’ennemi. Incapable d’écraser totalement les Romains, de les anéantir en tant que grande puissance, il conçut la guerre afin de les fatiguer et de les user, jusqu’à ce qu’ils acceptassent de conclure une paix de compromis. Dès ce renversement conceptuel : « La stratégie devient politique, et la politique stratégie ».

Allant au delà des risques interprétatifs des analogies historiques, la grande question d’aujourd’hui est la suivante: « La stratégie d’usure » d’Hannibal, comme paradigme archétypique d’une stratégie gagnante, peut-elle inspirer en son pur principe, la stratégie de Poutine, avec l’opération militaire spéciale en Ukraine ? Et la paix de compromis proposée par Moscou en mars 2022, serait-elle justifiée par l’état des forces russes et par une « limite » stratégique, d’ordre politique ?

Puisqu’une paix de capitulation n’est possible que suite à un choc décisif et à une victoire militaire écrasante, comme celle recherchée en 40-42 par l’armée allemande, à partir d’une conception de la « guerre totale » de Ludendorf, la paix de compromis résulterait d’une guerre qui ne se donne pas pour but la destruction immédiate de l’adversaire, comme c‘est le cas de l’opération spéciale russe d’aujourd‘hui.

La conception du centre de gravité du conflit mondial de demain et les calculs sur la stratégie d’usure et sur le niveau des forces de la part de Poutine, prennent-elles en considération le déplacement de l’équilibre européen vers l’équilibre planétaire et mondial ? 

Aron s’est à l’époque appuyé sur la pensée de Hans Delbrück, car en l’été 42, un effondrement de l’Union soviétique était encore redouté. Au contraire, la situation en novembre était plus rassurante: les Japonais avaient été arrêtés dans le Pacifique, les Anglo-Américains débarquaient en Afrique du Nord, et sur le front de l’Est commençait la bataille de Stalingrad. Aron avança l’hypothèse que l’œuvre de Clausewitz pouvait être interprétée non plus dans le sens de l’anéantissement, mais dans la perspective de la guerre d’usure, la politique pouvant alors reprendre tous ses droits. La perspective de Poutine d’aujourd’hui ressemble-t-elle à celle d’Hannibal dans la longue résistance de Capoue ?

Par ailleurs, avec la seconde guerre mondiale, une nouvelle révolution spatiale était en cours, dont le résultat reconnaissable était le grand espace continental, immédiatement remarquée par Carl Schmitt.

Pour Schmitt, une paix authentique devait protéger le grand espace eurasien   du risque de guerre, faute de quoi on ne pourrait pas parler d’une paix réelle

Au fil de cette interprétation, la recherche d’une paix de compromis en Ukraine, dépendrait de l’intervention indirecte des puissances extérieures dans le cadre trop étroit du continent, car la résolution de la crise européenne dépend de l’équilibre des forces dans le monde. C’est la clé du raisonnement de de Gaulle en 1940, selon lequel a défaite de la France n’était qu’un épisode de la guerre mondiale aux portes. Aujourd’hui nous sommes en face d’une«  révolution systémique » et pas seulement d’une « révolution des espaces » En effet si la « révolution spatiale » rend caduque la vieille répartition des terres en Etats-Nations comme en Europe, elle conduit à la réorganisation de celles-ci sous forme d’empires, comme cela avait été conçu par le nazisme et  par l’Union soviétique, la révolution systémique est une révolution hégémonique et donc l’émergence d’ une autre conception du monde, civilisationnelle, spirituelle et cosmique. Le nazisme et le communisme soviétique auraient dû se réaliser dans le cadre de l’univers occidental, réformé, surmonté ou réinterprété. La « révolution systémique », dont Poutine doit se redouter, concerne l’aboutissement d’un empire universel décentré et d’un souverainisme idéologique totalisant, qui ne pourrait se réaliser sous le contrôle de la Russie, mais dans le cadre d’un univers spirituel sinisant. Ainsi Poutine, comme Hannibal à Capoue, a dû changer le but de guerre initial, conçu comme guerre d’anéantissement en le transformant en guerre d’usure et visant une paix de compromis.

Strausz-Hupé et les grandes révolutions systémiques

L‘approfondissement du concept de révolution systémique a été au cœur des préoccupations de Robert Strausz-Hupé à la fin du deuxième conflit mondial et son l’originalité en a fait un classique dans l’étude des grands cycles de transition pluriséculaires. L’histoire du monde civilisé serait scandée par quatre grandes conjonctures de changement, embrassant l’univers global des relations du monde occidental.

Il s’agirait de « révolutions » concernant les grandes aires de civilisations connues, ayant eu lieu par vagues ou par conflits en chaîne, lorsque la structure des rapports d’une unité systémique, prise comme type d’organisation, n’aurait plus été en mesure de fournir des réponses adéquates aux besoins et aux défis émergents.

L’humanité aurait connu, en somme, quatre grands modèles de mutation dans le cadre du monde de l’ouest. Cependant la grande révolution du système internationale en cours pourrait se   réaliser hors du cadre occidental, dans l’espace planétaire tout entier et sans exclusions.

Voici, en survol les éléments caractérisant des quatre révolutions de l’humanité:

− L’antique ou impériale, commencée avec la guerre du Péloponnèse et achevée, après quatre siècles, avec un seul empire universel. Toute une aire de civilisation, la Méditerranée, qui constituait l’univers entier des anciens, en fut secouée jusqu’à ses fondements. Le système des États n’était plus le même à la fin de l’époque considérée, car on passa du système fragmenté des cités grecques à l’Empire unifié de Rome ;

− La révolution féodale, issue de la désagrégation et de l’effondrement de l’ancienne unité, à partir du Ve siècle de l’ère vulgaire et comportant une multiplicité pulvérisée de formes politiques, sous le couvert fictif de la double unité de l’Église et du Saint Empire romain germanique ;

− La moderne, depuis l’aube de la Renaissance, où le système féodal cède à la nouvelle configuration de pouvoir, le système des États-nations, s’affirmant définitivement en 1648 avec la « Paix de Westphalie » ;

− La « révolution systémique de l’âge planétaire », débutée au XXe siècle, accélérée après la Deuxième Guerre mondiale, avec le processus de décolonisation aujourd’hui réouvert et poursuivi après l’implosion de la bipolarité et les ajustements successifs pour la définition d’un système multipolaire.

Le rapport « espace – ressources – démographie » allait subir, depuis la fin de l’ordre bipolaire, une modification radicale, suivi par des « ruptures » dans la hiérarchie et l’importance des mutations technologiques, scientifiques et spatiales. Ainsi, des divergences nouvelles, des dissymétries anciennes et des antagonismes stratégiques et politiques se manifestent aujourd'hui entre les zones grises du globe, dont les issues peuvent être inscrites dans les grandes analogies historiques et dans les modèles de transition connus.

Relativisme culturel, universalité contestée, légitimité autocratique

Le relativisme, l’universalité et la légitimité démocratique sont les limites les plus évidentes de l’hégémonie occidentale pour l’univers non européen. Le relativisme culturel comme socle théorique de l'universalisme européen s'inscrit dans une tradition longue qui va de la pensée contre-révolutionnaire de Joseph le Maistre et d'Edmund Burke, jusqu'au libéralisme de Isaiah Berlin et aux exégètes autoritaires de la guerre froide. Il est emprunté aujourd'hui pour soutenir la conviction que la culture de l'occident est supérieure à celle d'autres modèles culturels. Une lecture pluraliste de l’universalisme des Lumières nous pousse à comprendre les effets du rejet de ce relativisme culturel, qui conduit les intellectuels et les dirigeants de la Russie, de la Chine, de l’Iran et de l'hémisphère Sud à contester l'universalité des droits de l'homme et à fonder la pleine légitimité du gouvernement autocratique sur le refus du concept de démocratie. Le pouvoir d'ingérence de l’Ouest est ainsi combattu par une conception jalouse de la souveraineté étatique, en particulier après l'expérience du « regime change » en Libye, Syrie, Irak. La valorisation du pouvoir autocratique apparaît comme une solution bifront car elle sert d’une part à légitimer l'élimination de l'opposition interne et de l’autre à résister aux sirènes de l'hégémonie occidentale. L'universalité contestée de l'Occident est également fondée sur une crise profonde de l'ordre dominant du passé La vision ethnocentrique de la scène mondiale du XVIII et XIX avait conduit à la conciliation de l'histoire et du droit naturel dans le cadre d'une sociologie de la domination des relations humaines qui assimilait l'altérité sociale à l'étrangeté et la légitimité de la domination à la « chance d'obtenir obéissance » (M.Weber). Face au révisionnisme généralisé du XXIème siècle et à la thèse selon laquelle aucune croyance, ni aucun principe moral n'est ni absolu ni universel, le relativisme culturel européen doit il céder la place aux arguments d’un pluralisme minoritaire qui suscite la dissolution de tout ordre sociétal, de telle sorte qu'il n'y aurait plus de peuple, plus de gouvernement et plus de nation, mais seulement amalgame social sans cohésion et pouvoir politique sans légitimité ?  Face aux diverses expressions du progressisme militant, qui refuse le principe de toute « vérité », l'issue du relativisme culturel trouve une solution dans son absorption dans le concept global d'hégémonie, qui définit la totalité des expressions politiques et culturelles de chaque époque historique.

Instabilités civilisationnelles et chocs anti-hégémoniques répétés

Puisque la partition politique de l’Allemagne et celle de l’Europe n’interdirons pas aux mémoires historiques de jouer un rôle de premier plan, les grandes périodes d’instabilités du futur seront civilisationnelles et leurs issues marqueront les changements des systèmes internationaux, intégrant des pays et des sociétés en pleine transformation et des unités étatiques et supra-étatiques, gouvernant sur des peuples disparates. Des guerres civiles, terroristes et hybrides rendront quotidiennes l’inquiétude et la peur, car les périodes d’instabilités civilisationnelles seront des périodes de chocs anti-hégémoniques répétés et violents. Les projections concernant des plaques tectoniques en mouvement pourraient opposer, dans un premier moment, un choc inévitable entre Orient et Occident, hémisphère Nord et hémisphère Sud, des équilibres stabilisés à l’ouest et des dislocations incessantes par vagues et par contagion à l’est. Puis, dans un deuxième temps, une incessante répétition de chocs chaotiques s’installerait face au vide d’un pouvoir, las de combattre et imposerait le retour d'un ordre totalitaire ou masqué, consacrant l'émergence de nouvelles hégémonies politiques et civilisationnelles.

L’OTAN et les alliances militaires dans une période d’instabilités élargies.                                        

Trimarium et Mitteleuropa, théâtres de guerre de demain ?

L’alliance peut être définie comme une entité de coordination politique et militaire dans laquelle des acteurs se joignent à d’autres pour affronter un ennemi ou une menace commune et donner suite à un intérêt commun de sécurité. L’Alliance atlantique et le vieux Pacte de Varsovie ont représenté pour la communauté stratégique internationale les paradigmes référentiels de l’idée d’alliance. L’avènement de la multipolarité a entraîné la constitution de plusieurs réseaux d’acteurs, dont la particularité est moins de vouloir renverser l’ordre international, que d’obtenir une meilleure place en son sein, cherchant à conserver leur marge de manœuvre dans un espace plus aléatoire et incertain. L’OTAN, stipulée dans une période d’antagonismes irréductibles  et de confrontation militaire probable dans le théâtre du centre-Europe fait aujourd’hui un semblant d'unité autour d’un soutien inconditionnel à l’Ukraine, du refus  d'une grande négociation sur les conditions de sécurité égale en Europe et en Eurasie, ainsi que du déplacement des axes de conflit vers l’Est L’exigence de maintenir une présence américaine renforcée sur le continent  trouve son expression  durable non seulement dans  l’alliance atlantique, mais aussi dans l’Initiative des trois mers ou « Trimarium » (la Baltique, la Mer Noire et l’Adriatique, jusqu’à la mer Egée), lancée en 2015 par la Pologne et regroupant 13 Etats-membres. Le but en est la création d’une zone-tampon du port de Hambourg à celui de Trieste, au cœur de la vieille Mitteleuropa et de Constanta, sur l’estuaire danubien de la mer Noire. Il s’agit de tempérer les tensions et les instabilités en Europe centrale et dans les Balkans entre germains, slaves, latins et ottomans parallèlement à l’élargissement de l‘OTAN vers l’Est, avec une implication de la Moldavie, en cas d’affrontement avec la Russie. La consolidation d’un nouveau « rideau de fer » du Golfe de Finlande à Trieste a pour signification de désaligner les arrières du conflit russo-ukrainien, en cas de poursuite du conflit en Europe centrale, suite, éventuellement à la défaite de l’Ukraine, en verrouillant la Mitteleuropa. Compte tenu du fait que l’Initiative des trois mers reprend une idée de Nicholas Spykman de 1942 dans son livre « America’s strategy on World Politics », la guerre par procuration conduite par l’Amérique en Ukraine et la constitution d’une initiative de solidarité maritime du Nord et du Sud du continent européen, marque la convergence de l‘adoption des projets de deux grands théoriciens de la géopolitique américaine, Spykmann et Bzrezinzki. Quelle est la signification géopolitique de l’initiative des trois mers ? Celle de créer un dialogue Nord-Sud sur différents enjeux, susceptible de favoriser les échanges et la paix ou, en revanche, celle de creuser un fossé entre la Russie et la partie occidentale du continent, en excluant la Russie et l’Italie et secondant les ambitions de la Pologne et celle de la Croatie dans la Méditerranée ?

Limiter l’accès de la Russie aux océans

Au cours des derniers trois siècles la Grande-Bretagne puis les Etats-Unis ont poursuivis des tentatives constantes pour nier l’accès de la Russie aux océans du monde et au XIXème pendant la guerre de Crimée (1853-1856) les diplomaties européennes n’hésitaient pas à déclarer que l’objectif de la guerre était de repousser la Russie en Asie et de la couper des affaires européennes. Ce fut en souvenir de ce précédent que Moscou, en réaction au coup d’État soutenu par l’Occident en 2014, s’empara de la Crimée pour ne pas perdre sa flotte de la Mer Noire au profit de l’OTAN. Le sabotage des accords de Minsk (2012-2015), ainsi que des accords de paix d’Istamboul (2022) avaient une signification évidente: armer l’Ukraine pour qu‘elle reprenne la Crimée et fasse de Sébastopol le port stratégique de l’OTAN pour le contrôle de la Mer Noire, repoussant la Russie vers la masse continentale. Il s’agissait d’une transformation géopolitique du vieux « Grand Jeu », qui avait opposé au XIXème en Asie centrale, l’Empire des tsars et l’Empire de sa gracieuse majesté. Malgré ce néo-révisionnisme historique la disparition de l’Empire britannique et la perte de statut de la Grande Bretagne, n’ont pas interdit à Halford Mackinder et à la grande Amirauté britannique de revivre et se réincarner dans les desseins de l’Amérique, de Mahan et de Spykman.

Système et ses niveaux de pouvoir

Avant d’identifier les espaces de pouvoir et d’influences de la Grande Bretagne ou des Etats-Unis dans le monde d’aujourd’hui il est instructif d’en définir le cadre général et abstrait, le système international.

La morphologie de cet ensemble superpose plusieurs niveaux de pouvoir :

− les pôles de puissances classiques, pluricentriques et virtuellement conflictuels (Amérique, Europe, Russie, Chine, Inde…)

− un bipolarisme global dissimulé, fondé sur un condominium à caractère asymétrique (États-Unis et Chine)

− trois grandes zones d’influence, inspirées par trois aires de civilisation, constituées par l’Europe, les États-Unis et l’Empire du Milieu.

C’est dans ce contexte, que la grande scène des pouvoirs mondiaux abritera une multitude de stratégies, qui seront universelles pour les Nations unies, économiques pour les institutions de Bretton Woods, sécuritaires et militaires par le système des alliances régionales (OTAN, OTSC, AUKUS...).

La singularité géopolitique des États-Unis, la grande île du monde, est qu’elle sera forcée de se normaliser comme puissance hégémonique dans l’immense étendue de l’Eurasie, centre de gravité de l’Histoire.

L’Amérique deviendra-t-elle un pôle de puissance parmi d’autres, disputé, mais toujours dominant ou bien sera-t-elle absorbée dans le mouvement ascendant de la multipolarité planétaire ?

Mouvements stratégiques et antinomies d’alliances en Eurasie

Dans tout système international, le déclin de l’acteur hégémonique se signale par un resserrement des alliances militaires. Ce moment se présente comme une antinomie d’options entre les puissances conservatrices (ou du « statu quo ») et les puissances perturbatrices (révisionnistes ou insatisfaites).
Se départagent ainsi aujourd’hui les stratégies des acteurs majeurs de la scène mondiale, une stratégie défensive, de stabilisation et de vigilance active pour l’Ouest et une stratégie offensive, de subversion et de remise en cause de la hiérarchie de puissance, pour l’Est.

Ainsi, dans la conjoncture actuelle, deux mouvements stratégiques rivaux s’esquissent au niveau planétaire :

– le partenariat sino-russe, assurant une coopération de plus en plus étroite sur l’immense Heartland eurasien et une stratégie active d’autonomie et de sécurité sur la masse continentale centrale

- la stratégie du « containement » des puissances continentales par les puissances maritimes du « Rimland » (Amérique, Japon, Australie, Inde, Europe, etc.), comme ceinture péninsulaire de l’Eurasie.

Rappelons que les deux camps sont en rivalité sur les questions stratégiques et que la Chine a été définie « concurrent systémique » par l’UE.

C’est par référence à la triangulation géopolitique et stratégique de la Russie, des États-Unis et de la Chine, et en sous-ordre de l’Europe, de l’Inde et du Japon que doit être comprise la liberté de manœuvre des puissances régionales au Moyen-Orient, au Golfe et en Iran et c’est là que se repère l’une des clés de la stratégie générale des grandes puissances.

Instabilité et intégration hiérarchique

Morton Kaplan, qui avait décrit, dans les années 1970, les règles de comportement des États et les conditions qui peuvent rendre instable le système de l'équilibre dans la transition du système bipolaire au système multipolaire, a affirmé, parmi ses recommandations, que dans un système à cinq pôles (USA, Europe, Russie, Japon, Chine), le rôle de l'équilibrateur (ou du balancier), a une fonction d'intégration fonctionnelle des ressources (USA versus OTAN); un rôle qui fut déjà bien compris par Bismark dans sa fonction « d'honnête courtier ».

Or, chaque pôle, fondé sur le principe de l'intégration hiérarchique, comporte une fixité relative des adhésions, ce qui peut constituer une menace pour les acteurs isolés et non membres du bloc (la Serbie au sein des Balkans occidentaux ou l'Ukraine et la Géorgie, considérés comme des pays tampons ou sujets à influence).

Par ailleurs l'intégration hiérarchique comporte souvent un sous-système politique commun, démocratique ou autocratique, qui renforce la stabilité du bloc et lui accorde une élasticité fonctionnelle dans les domaines de la protection et de la solidarité (soutien de l'UE à Porochenko dans les négociations de Minsk 1 et 2, de l'OTAN dans l'équipement de l'armée ukrainienne et de Soros dans les opérations de déstabilisation des « migrants » et de « régimes change »

Equilibres de sécurité entre système et sous-systèmes

Or, si les lignes de démarcation entre les pôles étaient définies, à l'époque de la bipolarité, par la rigidité des équilibres stratégiques (équilibre dissuasif ou équilibre de la terreur), le facteur militaire, qui avait été relégué au second plan après l'effondrement de l'Union Soviétique, redevient aujourd'hui la principale définition des rapports entre les pôles dans le système international de l'âge planétaire, en pleine transformation (dénonciation du traité INF et START, prolifération des armes nucléaires utilisables - Iran, Corée du Nord - doctrines de subversion et d'intimidation violentes). SI les équilibres de sécurité entre acteurs majeurs du système résultent des alliances globales et visent à contre-balancer les coalitions adverses et à s'assurer de la stabilité du tout, l'étendue planétaire du système implique la coexistence d'un équilibre général des forces entre pôles reconnus et de multiples équilibres régionaux entre sous-systèmes dissemblables, où se définissent concrètement les relations de rivalités ou d'antagonisme entre les actants locaux. Pôles et sous-systèmes engendrent ainsi des relations complexes et hybrides, tant au plan militaire que civilisationnel  et contribuent à donner des réponses partielles à la quête de règlements négociés, d'où dépendent les relations entre l'Europe et l'Amérique et celles de l'Europe avec le reste du monde.

Les rapports de force militaires et la synthèse diplomatique souhaitable

Le but d'empêcher un affrontement entre les pôles majeurs du système mondial, exigerait que l'Europe, dépourvue d'unité, de cohésion et de leadership, s'implique dans une nouvelle synthèse des relations diplomatiques, économiques et militaires et conjure les menaces les plus graves, concernant leurs répercussions sur le théâtre européen.

Or, si les lignes de démarcation entre les pôles étaient définies, à l'époque de la bipolarité, par la rigidité des équilibres stratégiques (équilibre dissuasif ou équilibre de la terreur), le facteur militaire, qui avait été relégué au second plan après l'effondrement de l'Union Soviétique, redevient aujourd'hui sur le devant de la scène politique internationale

L’Empire américain et les alliances militaires

L’idée de disposer d’un relais d’alliances indispensables au rayonnement militaire dans le monde sans aliéner leur liberté d’action a été à la base du projet géopolitique et stratégique des Etats-Unis, à l’issue du deuxième conflit mondial.  Ce fut l’exercice des responsabilités de leader de l’Occident qui élargit progressivement l’engagement des Etats-Unis et ses interventions dans les deux hémisphères, impliquant l’Amérique dans des conflits sans fin. Ceux-ci étaient imposés à la nouvelle puissance atlantique par l’exigence de protéger leurs Etats clients ou vassaux et par l’orgueil de tenir leur rang.  Cette situation perdure et manifeste encore toute son importance. En effet les Etats-Unis sont, aujourd'hui, la puissance dominante, hégémonique. L'un des piliers de leur poids et de leur influence est constitué par un réseau d'alliances militaires mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la guerre froide, Le maintien et l’extension de ce réseau est la caractéristique incontournable de la conjoncture actuelle, qui apparaît comme la planification générale d’une confrontation à grande échelle en Europe. C’est avec une préoccupation logistique globale que les Etats-Unis ont déployé en 177 pays du monde 800 bases militaires avec près de 200 mille hommes, soit le 10 % du personnel militaire de l’armée. C’est également dans ce tournant que s’inscrivent les adhésions de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Il s’agit d’un bouclier la défense et la sécurité de la Baltique et de l’Arctique qui interdit l’accès maritime de la Russie et la repousse vers l’espace eurasiatique.

Jens Stoltenberg et l’élargissement de l’OTAN

Or, dans une perspective d’intimidation le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a affirmé en septembre 2023 que les actions de la Russie visant à empêcher l'extension de l'OTAN se traduiraient par une plus grande expansion de l'OTAN: « Le président Poutine a déclaré à l'automne 2021, et a envoyé un projet de traité pour lequel il prétendait la signature de l’OTAN de ne pas étendre l’Alliance, comme condition préalable pour ne pas envahir l'Ukraine. Bien entendu, nous ne l'avons pas signé. C'est le contraire qui s'est produit. Nous l'avons rejetée. Il est donc entré en guerre pour empêcher l’OTAN de s'approcher de ses frontières et il a obtenu une présence accrue de l'OTAN dans la partie orientale de l'Alliance. Successivement il a constaté que la Finlande avait déjà rejoint l'Alliance et que la Suède en sera bientôt un membre à part entière ». Stoltenberg n'a pas précisé pourquoi il pensait que l'expansion de l'OTAN était la cause de la guerre et il a insisté sur le fait que l'Ukraine doit faire partie de l'OTAN et que la Russie doit être stoppée en Ukraine car elle est susceptible d’attaquer successivement les pays baltes. Malgré les déclarations de l'OTAN selon lesquelles l'alliance ne prévoit aucune action militaire contre la Russie, les décisions opérationnelles entreprises indiquent tout le contraire: les États-Unis et leurs alliés se préparent avec une extrême urgence  à la guerre. Et la Pologne est considérée par les Etats-Unis comme un tremplin pour le début des hostilités.

Aléxis Philonenko sur Léon Tolstoi et son fatalisme théorique,

in «  Essai sur la philosophie de la guerre »

En pleine Guerre Froide (1967),  Aléxis Philonenko, commentateur de Kant et de Fichte, procédant à une relecture de « Paix et guerre » de Tolstoi et à une révision critique de la campagne  de Napoléon en Russie, corrige l’idée, vulgarisée par les historiens, sur la stratégie russe, visant « ab initio » à attirer Napoléon à l’intérieur de cet immense espace continental, affirmant que le Tsar Alexandre aurait adopté une « stratégie dilatoire », doublée d’une « grande stratégie  de l’approche indirecte ». Il ajoute, dans une sorte de synthèse qui opère entre la logique prospective de l’action et celle rétrospective de l’histoire comme « mouvement rétrograde du vrai », que la liaison entre les deux logiques serait constitutive du fatalisme de Tolstoi et de son mépris des « causes », les causes essentielles des guerres. Celles-ci auraient pour origine une sorte de fatalité biologique, comme le croyait aussi Henri Bergson, philosophe et diplomate français, qui revendiquait l’importance des énergies spirituelles dans la créativité humaine. Tolstoi, tout en s’accordant avec Clausewitz, Fichte et Hegel sur la puissance des forces morales reste indifférent aux causes secondes, les intrigues politiques, les calculs stratégiques et les intérêts économiques, qui seraient des évènements concomitants, surmontés par les « esprits forts » mais indiqués, après coup, comme des causes et des raisons de la guerre. Quoi de plus logique que de voir en la guerre un « phénomène irrationnel », à l’origine et à la structure animales ? L’auteur de la « Guerre et la Paix » affirme et soutient que l’ordre, le projet et le plan, ne prennent leurs significations qu’une fois l’évènement achevé et que la logique rétrospective de « l’histoire pensée » aboutit aux mêmes conclusions de « l’action vécue ». En renversant l’image hégélienne de Napoléon, voyant passer en l’Empereur le destin du monde et en citant un long passage du « Mémorial de Sainte Hélène », Tolstoi montre combien les objectifs de Napoléon étaient chimériques et contraires à son action historique. Peut-être le Maréchal von Mainstein, à l’époque de « l’Opération Barbarossa », doit avoir relever le même contraste dans la personnalité de Hitler. Quel jugement pourra être porté demain sur Poutine, sa rationalité, ses objectifs et son régime en Ukraine et dans le monde ?

Hégémonie et subjectivité historique

Le sort du monde moderne dépend de la candidature à  l'hégémonie  de l'Etat - civilisation montante, peut-être la Chine, dans son antagonisme à l'Hégémon américain ainsi que de l'état de décomposition des nations européennes de l'ouest, déstructurées de l'intérieur par des différences éthiques hostiles et en lutte pour une autre demeure de l'homme Rien ne s'accomplit dans le monde sans subjectivité historique et sans force morale, car l'essence ultime des forces en lutte est la volonté d'atteindre un but, jugé prééminent et suprême, celui, transcendant, de son propre peuple et de sa propre nation.

Bruxelles, le 23 septembre 2024

 

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LA MULTIPOLARITÉ AU XXIE SIÈCLE

https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782360932047-la-multipolarite-au-xxie-siecle-irnerio-seminatore/

La multipolarité est tout à fait familière au monde des médias et au langage courant, mais elle échappe à une connaissance approfondie du sujet et à ses répercussions. Ainsi l'ensemble des essais ici réunis, prétend lui conférer un statut adéquat à la compréhension de l'évolution globale de notre conjoncture. En voici les points forts :

*Le XXIe siècle sera celui de la multipolarité et des principaux competitors de l'ordre global, le Triangle, États-Unis, Chine et Russie, de la même façon que le XXe a été le siècle de la bipolarité et de ses deux Grands, les USA et l'URSS. Ce livre est le premier ouvrage à traiter de manière approfondie du thème majeur de notre conjoncture historique, la configuration des acteurs principaux, le changement des équilibres globaux et la dialectique de la paix et de la guerre à l'âge nucléaire.

*Ces études permettent de comprendre et d'analyser le Grand Jeu entre pôles de puissances établies et en devenir et leur lutte pour l'hégémonie systémique, dont l'aspect principal, pour le contrôle du monde, est l'Eurasie, pivot géographique de l'Histoire. Ainsi ce recueil consacre une série significative de réflexions à l'éternelle dialectique du conflit entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, le Heartland et le Rimland.

*L'analyse met en exergue l'alliance stratégique et anti-hégémonique de la Russie, de l'Iran et de la Chine, à laquelle s'oppose le containement de la masse eurasienne, par la ceinture péninsulaire extérieure du Rimland mondial, constitué par la Grande Ile de l'Amérique, le Japon ,l'Inde, les pays du Golfe et l'Europe

*En soulignant le déplacement de l'axe de gravité du monde vers l'Asie-Pacifique, provoqué par l'émergence surprenante de l'Empire du Milieu, ce livre s'interroge sur le rôle de la Russie, ennemie ou partenaire stratégique de l'Europe de l'Ouest, justifiant le deuil de l'ère atlantiste, aggravée par la démission stratégique du continent et le délitement des alliances militaires permanentes et principalement de l'Otan.

*L'hypothèse d'un affaiblissement de l'Occident, en sa crise de consensus et de légitimité, aggravée par les différends euro-atlantiques et la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union Européenne, influent sur la dissolution de l'ordre international et européen.

*Du point de vue rétrospectif et philosophique, le bilan dressé par cet ouvrage, force au constat que nous sommes à la fin du cycle des Lumières et de la Raison historique, qui furent à l'origine de la modernité occidentale et des régimes représentatifs et ces considérations sont sous-tendues aux analyses historiques, politiques et stratégiques, qui constituent la matière première de cet effort de réflexion globale.

 

L'EUROPE, LA MULTIPOLARITE ET LE SYSTEME INTERNATIONAL

https://www.vapress.fr/shop/L-Europe-la-multipolarite-et-le-systeme-international_p197.html

Ce livre couvre la transition qui va de la fin du système bipolaire, à l'unipolarisme américain, puis au multipolarisme actuel. On y traite des mutations des structures de pouvoir, des sphères d'influence et des ordres internationaux.

Parmi ces changements parfois chaotiques, trois thèmes constituent le fil conducteur de l'antagonisme qui secoue le système, des débats qui animent ses disputes et des conflits qui le remettent en cause :

• L'Europe, comme acteur géopolitique inachevé ;

• L'environnement stratégique mondial, comme cadre historique ;

• La triade des puissances établies, qui se disputent l'hégémonie du système (États-Unis, Russie et Chine), comme acteurs de conservation ou de changement.

Du point de vue européen le passage à la multipolarité signifie plus d'indépendance, de liberté d'action et de souveraineté vis-à-vis de la puissance hégémonique. Dans ce contexte, l'interprétation des pratiques diplomatiques et des stratégies de politique étrangère obéit aux critères de la Realpolitik et de la Macht-Welt-Politik, remises à l'ordre du jour par la World Politics anglo-saxonne. L'ambition de ce recueil est de constituer la synthèse d'une époque qui s'interroge sur les fondements de sa « raison historique » et sur le sens des multiples incertitudes qui se dégagent des événements et des tendances en cours.