TABLE DES MATIERES
STABILITÉ CONTESTÉE ET DISLOCATION DE L’ORDRE
REALISME ET INTERDEPENDANCE EN LEUR PORTEE EXPLICATIVE
MODES D’EXERCICE DE L’HEGEMONIE
L’HEGEMONIE, LA PUISSANCE SOCIETALE ET LE LEADERSHIP
GEIST, ELITES ET LEADERSHIP
RIVALITE SYSTEMIQUE
VISION REGIONALISEE DE LA SECURITE ET POLITIQUE D’ALLIANCES
CRISE UKRAINIENNE. CONFLIT LIMITE OU AFFRONTEMENT GLOBAL ?
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STABILITÉ CONTESTÉE ET DISLOCATION DE L’ORDRE
Il peut apparaître paradoxal de parler d'hégémonie établie, dans une situation internationale turbulente et chaotique, en Europe, en Afrique et en Asie, lorsque s’aggravent les signes d’une dislocation progressive de l’ordre existant et se précisent les prolégomènes d'un conflit de grande intensité et de portée systémique.
Avec l'effondrement de l’URSS et la brève période d’unipolarisme américain, s’est mis en place progressivement un système d'interactions non-hiérarchiques, où le parcours incertain de l’Amérique a privé le monde d’un leader incontesté, capable d’imposer un arbitrage planétaire. Ce phénomène signale l’entrée dans une phase de transition systémique et d’alternance du leadership. Dès lors, l’étude de l’hégémonie et des cycles hégémoniques devient l’objet primordial des préoccupations de la communauté des politistes, car cette étude a des répercussions sur les réalités et les métamorphoses de la puissance. Elle influe directement sur les stratégies qui concourent à la maintenir et à la préserver, ou en revanche, à la contraster et à l'abattre.
Ainsi, si le concept de l’hégémonie peut être reconduit au paradigme de l’acteur rationnel et sa conduite est susceptible d’être abordée en termes de fonction, de conjoncture et de système, l'étude de la puissance peut se prévaloir aujourd'hui de deux approches théoriques, réaliste et transnationale, dont la divergence relativise leur portée explicative
REALISME ET INTERDEPENDANCE EN LEUR PORTEE EXPLICATIVE
Dans le cadre de cette opposition, l'approche réaliste présente les traits suivants :
- la prééminence du politique et l'importance de la rivalité de puissance au cœur d'un environnement hétérogène
- l'hégémonie comme principe régulateur « hard » de l'ordre global.
- l’anarchie, comme univers de relations dépourvues d’autorité centrale.
- l’existence de structures et d’institutions intermédiaires, conditionnant la liberté d’action des États.
- l'omniprésence virtuelle du conflit, comme facteur de remodelage de la scène planétaire, étatique et sub-étatique.
- la théorie, comme modèle explicatif prééminent et souhaitable.
En faveur des approches transnationales et de la conception de l'hégémonie comme pouvoir d'influence on repère les paradigmes qui suit:
-la théorie de l’interdépendance et du social international
- l’autonomie croissante des flux, échappant au contrôle des États vis-à-vis des acteurs de régulation traditionnels encore soumis à la sphère inter-étatique.
-le recours à la -société civile et à ses acteurs
- la dialectique contradictoire de la globalisation et du localisme.
- la décentralisation des juridictions et des activités, en dehors des cadres de la souveraineté territoriale, apparaissant sous forme de réseaux régionaux.
- la sociologie et non la théorie, comme cadre d’intelligibilité envisageable.
C'est dans un pareil contexte que peuvent se comprendre les relations politiques de la scène internationale actuelle, relations dont la spécificité ne s’impose pas de manière évidente et dont la fragmentation cognitive découle d’une absence d’accord sur les centres d'intérêt essentiels, ou sur la signification à assigner aux phénomènes.
Ainsi l'autonomie de chaque discipline renvoie à des enjeux politiques qui demeurent des sources d'inspiration contradictoires pour les analystes et les hommes d’État.
On peut conclure que l'hégémonie est le pivot analytique vers lequel convergent de manière contradictoires les grands courants du réalisme et de l'interdépendance. Ainsi, l'utopie d'un gouvernement mondial ou d'une autorité supranationale efficace et contraignante résulte paradoxalement de l'égoïsme et de la rationalité de l’État, comme acteur virtuellement hégémonique. Dans cette hypothèse, la logique des « régimes internationaux » et de gouvernance globale, ne peuvent être compris que comme tentatives d'explication d'un ordre international non-hégémonique. Afin d'approfondir la conception de l'hégémonie et sa portée, il nous semble nécessaire de procéder par des essais de définition conceptuels.
MODES D’EXERCICE DE L’HEGEMONIE
En sa définition moderne l'hégémonie constitue le paradigme régulateur et structurant d'un pays, d'une puissance et d’un ensemble de pays et de sociétés. Ce paradigme est étroitement lié à la notion de pouvoir et à celle de système. Une puissance sans contrepoids est historiquement productrice de biens publics et donc de stabilité et de sécurité, si elle est productrice d'intérêts communs et donc de culture et de confiance mutuelles.
Par rapport au mode d'exercice de l’autorité, l'hégémonie est triadique et assume la forme politique, idéocratique et physiocratique et cette autorité peut être mise en œuvre de manière coercitive (hard) ou bienveillante (soft).
Par rapport à la base du pouvoir sur lequel s'appuie son assise, le concept d'hégémonie se configure comme État (ou structure politique unitaire), comme Fédération d’États et comme Empire.
En relation à la force, l'hégémonie est l'épanouissement du principe de souveraineté et d'indépendance politiques et la construction d'un projet de concentration du pouvoir de commandement et de décision.
Par rapport à la norme, l'hégémonie se veut la réalisation d'un projet d'intégration par le droit et le remplacement du concept d'incertitude par la notion rassurante de prévisibilité et de loi.
En fonction de la première expression (mode d'exercice de l’autorité), l’hégémonie se déploie différemment selon les objectifs, les moyens et les époques. Le but général de l’État hégémonique est d’obtenir la suprématie, la prééminence ou la primauté soit par l'adhésion volontaire (consensus et idées), soit en s'appuyant sur la force militaire (politique de contrainte), soit encore en se faisant valoir par le gain et par l'intérêt (pouvoir physiocratique ou économique).
Si l’on se réfère à la deuxième expression, celle qui concerne la base de l'autorité, homogène ou hétérogène, la pluralité des cultures et la fragmentation des souverainetés politiques et militaires peuvent configurer différemment l’émergence d'un pouvoir fédérateur et normateur.
L'exigence d'ordre et de stabilité, liée au concept structurel d'hégémonie est un fondement existentiel pour les trois types de pouvoir, idéocratique, politique et physiocratique. En sa forme hiérarchique intégrale l'hégémonie est l'Empire, seul capable d'assurer la stabilité géopolitique et stratégique globale à son profit et d'instaurer une confiance internationale partagée et diffuse.
L'impossibilité d'une hégémonie totale à l'échelle planétaire est due aujourd'hui au pluralisme, à la diffusion des pouvoirs et à la complexité de leurs interactions globales.
1. Le premier mode d’exercice de l’Hégémonie (consensus ou adhésion) implique la reconnaissance d'une hiérarchie de statuts et de valeurs (dans l'exercice du pouvoir) et d'un magistère institutionnel ou moral (pour l'exercice de la légitimité). Une différence importante résulte des commandements orientés à des valeurs et dictés par la législation de la foi ou par des impératifs imposés par l'ordonnancement juridique.
2. Le second mode d'exercice du pouvoir (domination), qui s’exerce par la force ou par la contrainte, peut être soumis à la loi et exclure parallèlement la liberté des sujets (despotisme) ou bien méconnaître les limités de la loi et en même temps la liberté des sujets (barbarie).
L’Hégémonie d'un acteur étatique sur un système d’unités politiques de même nature, ajoute aux deux dimensions du pouvoir (commandement/obéissance), la dynamique moderne de l’intérêt, de l’échange économique et du principe du gain. Il étend le champ de pouvoir à la production de biens et de services et à la création de liquidités ou de monnaie.
Dans l'hégémonie actuelle, nous constatons la fusion du pouvoir politique et des politiques de la science, sous couvert d'une idéologie techniciste et grâce à l’adoption d’une vision sécularisée du savoir et de la connaissance. Ainsi le champ global du pouvoir se ramifie à l'échelle planétaire, investissant la sphère du contrôle décisionnel sur d'autres acteurs par l'organisation du renseignement (rôle stabilisateur et structurel de l'intelligence/NSA). Renseignement et contrôle deviennent ainsi des domaines clés de la décision internationale et concernent les options stratégiques d’Hégémon, tant sur le plan politique que militaire.
L’HEGEMONIE, LA PUISSANCE SOCIETALE ET LE LEADERSHIP
En analysant l’hégémonie comme concept sociétal et structurant, celle-ci se pose en paradigme systémique et assume une figure singulière dans chaque période historique, se définissant formellement par ses attributs : l'équilibre, la stabilité, le changement, la défense des intérêts collectifs et la production de valeurs ou de « sens ».
Du point de vue de la politique interne, le leadership est la variante politique, césariste ou managériale d'une hégémonie, au sein de laquelle il s'incarne en une dimension oligarchique et subjective, mobilise le potentiel et le convertit en pouvoir extérieur. Son fer de lance est constitué par la vision large de la situation, par la capacité d'anticipation et d'invention, la saisie des occasions et la manœuvre, dictée par la culture opératoire d'une élite. Le leadership se définit également par la maîtrise des réformes organisationnelles, institutionnelles ou sociétales et par la souplesse d'adaptation permanente au monde.
Du point de vue de la politique internationale, l'Hégémonie ne produit pas toujours un leadership, car ce dernier est l'activateur d'une vision et d'un renouveau, bref d'une renaissance et d'une solidarité collective. La fusion d'un potentiel et d'une occasion inscrit de manière active la logique des intérêts et des valeurs dans un contexte plus large et de plus grande portée historique. L'interprète de cette fusion est la figure du leader. Ainsi, dans cette perspective, l'erreur stratégique ou le péché mortel du leader est sa tolérance. Le leader ne peut tolérer l'ascension d'un rival. L'épuisement historique des leaders marque le déclin d'une hégémonie comme civilisation et comme forme de pouvoir à vocation systémique.
Ainsi, le leadership peut être considéré comme l’agent stratégique du potentiel, réel ou virtuel, d'une unité politique en sa propension à renouveler et métamorphoser le monde et à s'investir dans une conjoncture de changement. Il transcende la conscience historique de la puissance, pour acquérir le caractère aventureux de l'impensé politique et de la surprise stratégique, dressés contre le conservatisme et le « statu quo ».
L'hégémonie est en conclusion l’imprégnation de la puissance sociétale par le pays qui l’incarne et désigne historiquement la créativité globale d’une nation ou d’un peuple et, plus en profondeur, la réalisation de son « Geist ». Le leadership frappe par la capacité (ou l'incapacité) de direction d'une oligarchie ou d’une élite1 et se focalise autour de l'art d'orienter l'ensemble de l'agir collectif par un « sens » (idée historique, cause universelle ou grandes conceptions du monde).
Il faut conclure que le concept d'hégémonie est de nature sociologique et téléologique, celui de leadership de nature politique et stratégique. Le premier tient à l'épanouissement d'une société par la puissance. Le deuxième à l'affirmation d'une volonté par les rivalités de pouvoir et par la maîtrise d'un dessein. De plus, le leadership est un art de la contingence, l'hégémonie une permanence culturelle assurée par la durée.
L’objectif primordial du leadership est de devancer les rivaux, de prendre des risques, de calculer les avantages et les coûts et in fine, d'imposer un ordre. Le leadership se propose comme une entreprise aventureuse car elle définit une ligne directrice et à risque, en fixe les modalités et les moyens et force un ensemble organisé à s'y tenir.
L'hégémonie exprime une évidence dynamique objective et incontestable et constitue le socle du leadership. Ce dernier en suggère et élabore le mouvement et l'action, la prééminence et la hiérarchie. Du point de vue interne, le leadership est la projection vers l'extérieur d'une ambition personnelle ou de groupe tendanciellement individualiste et anti-égalitariste. Sa raison d'être est l'arbitrage, son horizon des objectifs larges, sa force entraînante la capacité de mobilisation, sa finalité la confiance interne et internationale, son but ultime le succès.
Or, puisque la lutte et la rivalité entre les unités politiques comportent toujours une dimension idéologique, la lutte pour l'Hégémonie se configure dans la plupart des cas, comme une affirmation de primauté culturelle, informationnelle et militaire. Or la primauté culturelle s'affirme comme attirance pour un certain « mode de vie » et comme modèle d'excellence dans les domaines éducatif et scientifique. La primauté militaire s'oppose à la liberté inconditionnelle des rivaux et apparaît très peu conforme aux aspirations originelles de liberté des autres unités politiques. Elle se heurte au respect conservateur de la légalité internationale dans l'exercice du pouvoir dominant, respect qui est souvent bafoué et qui n'apparaît ni évident ni fréquent au cours de l'histoire
GEIST, ELITES ET LEADERSHIP
L'hégémonie apparait comme l’imprégnation de la puissance sociétale par le pays qui l’incarne et désigne historiquement la créativité globale d’une nation ou d’un peuple et, plus en profondeur, la réalisation de son « Geist ». Le leadership frappe par la capacité (ou l'incapacité) de direction d'une oligarchie ou d’une élite et se focalise autour de l'art d'orienter l'ensemble de l'agir collectif par un « sens » (idée historique, cause universelle ou grandes conceptions du monde).
Il faut conclure que le concept d'hégémonie est de nature sociologique et téléologique, celui de leadership de nature politique et stratégique. Le premier tient à l'épanouissement d'une société par la puissance. Le deuxième à l'affirmation d'une volonté par les rivalités de pouvoir et par la maîtrise d'un dessein. De surcroit, le leadership est un art de la contingence, l'hégémonie une permanence culturelle assurée par la durée.
L’objectif primordial du leadership est de devancer les rivaux, de prendre des risques, de calculer les avantages et les coûts et, in fine, d'imposer un ordre. Le leadership se propose comme une entreprise aventureuse car il définit une ligne directrice et à risque, en fixe les modalités et les moyens et force un ensemble organisé à s'y tenir.
L'hégémonie exprime une évidence dynamique objective et constitue le socle du leadership. Ce dernier en suggère et élabore le mouvement et l'action, la prééminence et la hiérarchie. Du point de vue interne, le leadership est la projection vers l'extérieur d'une ambition personnelle ou de groupe, tendanciellement individualiste et anti-égalitariste. Sa raison d'être est l'arbitrage, son horizon des objectifs larges, sa force entraînante une forte capacité de mobilisation sociale, sa finalité la confiance interne et internationale, son but ultime le succès, la victoire ou la gloire.
Or, puisque la lutte et la rivalité entre les unités politiques comportent toujours une dimension idéologique, la lutte pour l'Hégémonie se configure, dans la plupart des cas, comme une affirmation de primauté culturelle, informationnelle et militaire. Or la primauté culturelle est perçue en termes d’attirance pour un certain « mode de vie » et comme modèle d'excellence dans les domaines éducatif et scientifique. La primauté militaire s'oppose à la liberté inconditionnelle des rivaux et apparaît très peu conforme aux aspirations originelles de liberté des autres unités politiques. Elle se heurte ainsi au respect conservateur de la légalité internationale dans l'exercice du pouvoir dominant, respect qui est souvent bafoué et qui n'apparaît ni évident ni fréquent au cours de l'histoire
RIVALITÉ SYSTÉMIQUE
Le rival systémique d'Hégémon est, du point de vue stratégique, son « peer compétiteur » (Carthage pour Rome, Sparte pour Athènes, l'URSS pour les USA, la Chine pour l'Occident). C'est l'acteur montant qu'il faut isoler, diviser, encercler ou rabaisser. Le modèle de conflit d'Hégémon est systémique et global et son référent culturel est une civilisation. En effet est hégémonique l'acteur historique qui a universalisé ses intérêts et ses valeurs. L'Hégémonie n'est pas l'impérialisme comme domination directe, occupation territoriale et confiscation de la souveraineté, mais l’action d’endiguement qui assure la poursuite de buts communs et coopte d'autres alliés dans l’isolement puis dans l’élimination de l’adversaire.
VISION REGIONALISEE DE LA SECURITE ET POLITIQUE D’ALLIANCES
« Hégémon » fut la désignation, dans le monde hellène, du « commandement suprême » et d'une domination consentie. L'élément primordial d'une hégémonie historique est sa suprématie militaire, le « sine qua non » de son affirmation et de sa durée. Cette suprématie a deux fonctions : dissuader et contraindre. La force militaire qui lui est consubstantielle doit être écrasante, soit pour décourager un rival ou une coalition de rivaux, soit pour les vaincre et les punir, en cas d'échec de la dissuasion, face à une menace imminente ou en situation d'affrontement inévitable.
La supériorité militaire doit se traduire en une vision régionalisée de la sécurité et donc en une géopolitique d'alliances ou de coalitions (Serge Sur), appuyées sur des bases militaires, mobilisables en cas de besoin. Toute régionalisation de la sécurité ne doit pas contredire à la logique des équilibres mondiaux, ni aux intérêts stratégique et géopolitiques d'Hégémon.
La vision régionalisée de la sécurité est assurée aujourd'hui :
– par une diplomatie totale et par une série d'outils comme les institutions supranationales ou régionales de sécurité (ONU, OSCE, UEA, OTCS, etc) ou par des instances de coopération multinationales (BM, FMI, OIC).
– par la transformation de la puissance matérielle ou classique en puissance immatérielle et globale et, par conséquent, par l'intelligence et le Linkage vertical et horizontal qui constituent des transformations structurelles de l'hégémonie.
-par une association de la diplomatie et de la stratégie de la menace, allant jusqu’au risque nucléaire- Brinkmanship-
– par l'importance acquise par le « soft power » comme producteur de « sens » et comme facteur d'unification des valeurs et des pratiques sociales innovantes (l’éducation, la science et la culture).
L'idée de convertir le pouvoir militaire en pouvoir civil est confiée, en situations d'exception, à la légitimité acquise par l'exercice de la coercition et de la force, qui deviennent sur le long terme les sources du droit. La mesure de l'hégémonie interne a comme critère de référence l'asymétrie de statut, l'obéissance critique ou l'adhésion enthousiaste. Celle du pouvoir international, la supériorité de puissance et la capacité de structurer le champ d'action des autres unités politiques, par la définition unilatérale des règles de conduite et par le pouvoir de sanction qui leur est assigné. Lorsque l'hégémonie se prévaut du consensus et d'un système de légitimité fondé sur la culture ou sur le ralliement à un « modèle de vie », la force de l'hégémonie se mesure à la créativité d'une société et à sa capacité à proposer des images, des plans et des projets d’amélioration et d’ordre aux autres forces sociales et à d'autres unités politiques. Elle apparaît ainsi comme « Soft Power » (Joseph Nye).
CRISE UKRAINIENNE, CONFLIT LIMITE OU AFFRONTEMENT GLOBAL
La plupart des analystes occidentaux, interrogés sur les issues des tensions et des menaces que se renvoient les unes les autres à propos de la crise ukrainienne, justifient leurs prévisions sur le sens et les intérêts du président de la Fédération de Russie, évoquant l’hypothèse d’une gesticulation et faisant appel à la logique de l’acteur rationnel et donc au poids de l’aléas encouru. Ils en tirent la conviction que la montée en puissance de troupes et de matériel militaire obéit à une pression psychologique permettant d’obtenir les objectifs poursuivis, pesant sur les négociations diplomatiques et sans combattre. A l’opposé de cette hypothèse, l’argument contraire prétend évoquer le risque d’un conflit global et dans la faible possibilité de contenir et limiter la guerre en Europe du Sud- Est. La raison en est la menace à la sécurité existentielle de la Russie, à proximité de ses frontières, portée par l’OTAN et la puissance globale dominante, les Etats-Unis. Un conflit indirect, par personne interposé, conçu dans le but de donner une double leçon, aujourd’hui à la Russie et aux européens et demain à la Chine. En complément de la thèse théorique de Gilpin, selon lequel on peut parvenir à une stabilité globale par une guerre locale, G.Modelski fait intervenir une hypothèse concurrente, celle des cycles longs, afin d’expliquer la durée des phénomènes hégémoniques ( 80-100ans ) et décrit le lien qui existe entre le cycle des guerres, la suprématie économique et les aspects politiques et économiques du leadership mondial. En ce sens les guerres seraient des phénomènes physiologiques et naturelles du système international qui interviennent à intervalles réguliers. En effet, depuis 1500 et le début de l’ère moderne, les guerres font partie à chaque fois d’un système global plus large du simple système régional et impliquent des répercussions non seulement stratégiques mais systémiques et civilisationnelles ;
Ainsi les acteurs majeurs ne peuvent faire retrait à l’occasion d’un pari ou d’une grande aventure historique. Ils doivent jouer le jeu qu’ils ont entrepris et qui les portent, par une escalade systémique, à s’engager dans une épreuve de plus en plus périlleuse. Les considérations locales et d’ordre tactique portent en soi -l’horloge de l’histoire et poussent les facteurs de la stratégie à ramifier en direction de la grande politique et à concerner le système dans son ensemble.
Le danger vient alors de la transformation du conflit local en affrontement global, car l’acteur hégémonique ne peut jouer une pièce importante, restant cachés derrière les rideaux de l’Histoire et les frontières de la menace.
Bruxelles-Bucarest, le 23 Décembre 2021