LA DISPARITION DE UNION SOVIÉTIQUE ET SES CONSÉQUENCES SUR L'ÉCHIQUIER GÉOPOLITIQUE EURASIEN

Auteur: 
Jacques Lippert
Date de publication: 
5/9/2008

De 1989 à 1991, l’Union Soviétique subit un double processus de dissolution et de démembrement, au sens littéral des termes: dissoudre et arracher des membres. En acceptant, la troisième "corbeille" d’Helsinki, celle concernant les libertés, Breznev avait ouvert la boîte de Pandore. Dès lors, les dissidents appuyés par des figures de proue scientifiques ou intellectuelles n’allaient cesser de l’utiliser comme arme civile et pacifique contre les pouvoirs communistes. Conscient de la nécessité profonde de réformer le système, Mikhail Gorbatchov s’attaqua de front aux réformes politiques et économiques. Les premières provoquèrent une telle soif de débats et de liberté qu’à part la Pravda, la presse soviétique est à partir de 1986, la plus libre à l’Est au moins jusqu’en 1989. Les secondes, appliquées de manière désordonnée à une économie planifiée relativement saine jusqu’en 1985- 86, finirent par provoquer l’effondrement de celle-ci. En 1988, le PIB était encore à 5,5 % de croissance et le revenu national à 4,4 % ; en 1990 le premier avait chuté de 2% et le second de 4% ! Les répercussions sur les dépenses militaires furent immédiates : une chute de plus de 20 % en 1990 !

La vision stratégique de Gorbatchov d’une « maison commune » européenne ou coexisteraient l’Union européenne, un pacte atlantique plus européen et un Pacte de Varsovie qui ne s’attaquerait plus à un de ses membres, supposait un renouvellement spontané des directions communistes de la "Ost-Europa", qui non seulement ne s’est pas produit et auquel s’est substitué le mouvement des peuples, (Wir sind das VOLK) auquel fort sagement, Gorbatchov refusa d’opposer l’Armée Rouge. Le mouvement des peuples allait modifier profondément la carte politique de l’Europe, habilement co-géré sur le plan diplomatique par Gorbatchov, Kohl et Bush Sr, il allait aboutir au dernier grand évènement diplomatique du XXème siècle : la paix de Paris. Ce traité mettait fin à la Longue Guerre du XXème de 1914 à 1990. Ce fut aussi la derniére grande partie diplomatique de Gorbatchov. Il était en train de perdre le glacis occidental construit par Staline ; il pouvait peut-être encore sauver l’Union Soviétique en négociant une aide financière et technologique avec les Etats-Unis maintenant que la menace sur l’Europe allait disparaître et que l’Allemagne réunifiée e allait rejoindre sans délai l’OTAN. Le trio Bush-Baker-Rice allait la lui accorder dans l’espoir de transformer progressivement l’URSS en Etat parlementaire pluripartite, tandis que Kohl lui accordait 130 millions de dollars d’aide alimentaire. L’URSS, en contrepartie d’élections libres était admise dans la société des Etats démocratiques.

L’Acte final rassemblant les signataires d’Helsinki se voulait « Une Nouvelle Ere pour la Démocratie, la Paix et l’Unité» et portait tous les espoirs d’un nouvel ordre international, unipolaire pour les uns,multipolaire pour les autres. Il établissait un droit international universel et des normes de gouvernance et cloturait le siècle ouvert le 28 juillet 1914.

En mars 90, l’article 6 de la Constitution Soviétique était aboli, introduisant le multipartisme en URSS.

L’Union Soviétique était désormais une coquille vide, le PC allait non seulement être dissous, mais aussi interdit. Le pays allait désormais subir le double choc de la démocratie et du capitalisme sauvage. Le PCUS s’était montré incapable de conduire le passage qualitatif du camarade au citoyen.

Son écroulement et sa dissolution aggravèrent les tensions entre le Centre et la périphérie. Les PC des Républiques étaient livrés à eux-mêmes et de plus en plus tentés par l’indépendance. Les tentatives de répression (Pays Baltes,Géorgie) furent des échecs sanglants et, à la fin de 1991, la dissolution de l’URSS, entraîna les indépendances de toute la périphérie, mettant fin à plusieurs siècles de patiente construction de l’Empire russe vers l’Asie Centrale, le Caucase et les Mers intérieures du Sud. Les grands but stratégiques (accès aux ressources, accès aux mers chaudes, maîtrise des steppes, glacis occidental) et politiques (contrôle des "nationalités" dans un ensemble politique russifié) s’étaient envolés en fumée en quelques années.

En même temps, l’axe géopolitique et géostratégique du monde s’est déplacé vers l’Est, du Rideau de fer vers le triangle Caucase-Asie Centrale-Asie musulmane non-arabe (Iran, Turquie).

Des lors les jeunes Républiques, dont la plupart fêtent leur dix-septième anniversaire, acquiérent une importance géopolitique autonome. Toutes, à un titre ou à un autre, disposaient d’atouts économiques à faire valoir, mais pas des moyens de leur mise en œuvre. L’ancien Centre, en proie à une situation financière, économique et politique anarchique entre apparatchiks avides et maffieux, se voyait contraint de lâcher prise. Comme dans tout système colonial, les nations de la périphérie avaient peu voire pas de lien entre elles, le Centre les dirigeant à travers les plans quinquennaux.

Le problème était de trouver à la fois de la technologie, des capitaux, et de la protection vis-à-vis de l’ex-empire. Seuls les Etats-Unis étaient en mesure de le faire et de plus désireux de pousser leur avantage avant le retour d’une éventuelle résurgence de la puissance russe. De plus les Etats-Unis surent se montrer accomodants quant à la forme plus ou moins démocratique des régimes partenaires. Ainsi, la conjonction de l’expédition d’Afghanistan et de la faiblesse et de la corruption russe sous Jeltsin, permit aux Etats-Unis de s’implanter en Ouzbekistan, au Tadjikistan et au Kirghistan, sous forme de bases, de conseillers et de formation de l’armée et des services secrets mais aussi d’importants financements pour l’achat d’armes et d’équipements. La Géorgie avait aussi fait l’objet des attentions du Département d’Etat et de la CIA. Dans cette région les USA et l’UE sont en compétition politique. Le Monde a pu publier en 2003 la carte qui montre américaine dans la zone Moyen-Orient-Caucase-Asie Centrale, là ou va selon BRZEZINSKY se jouer l’avenir du Monde.

Si l’on ajoute qu’à l’Ouest la frontière de l’OTAN et de l’UE, c’est désormais la RUSSIE et qu’au Sud les USA ont établi un cordon, on s’étonne que la Russie n’ait pas réagi plus tot !

Nénmoins, toute situation politique étant par nature réversible, le Président Karimov (Ouzbekistan) s’est aperçu le premier que les proximités géographiques pesaient peut-être plus que les amitiés lointaines. Dans un éblouissant exercice de revirement diplomatique (à propos d’une divergence de vue sur la répression d’une manifestation) il a fermé la base concédée aux USA et signé dans la foulée un accord de coopération, d’assistance et de défense mutuelle avec Moscou en 2005.

Analysons maintenant brièvement la situation des quatre aggrégats issus de l’ancienne Union Soviétique, à la lumière du retour de la Russie sur la scène géopolitique, dû à l’instauration par Poutine d’une nouvelle équation politique : démocratie contrôlée dans un Etat capitaliste autoritaire. Cette conjonction vise à s’imposer en challenger idéologique de la démocratie "soft" occidentale.

Les évenements de ces dernières semaines ont renforcé les vues du Président Karimow (et de Napoléon) : on n’échappe pas à la géographie.

Le premier groupe des trois pays baltes est bien arrimé à l’Occident à travers l’UE et l’OTAN.

Le second (Biélorussie, Ukraine et Moldavie) est perméable aux influences russe et européenne, l’Ukraine faisant l’objet des visées de l’UE, des USA et de la RUSSIE et comme la Géorgie, source potentielle de conflits.

Le troisième (Arménie, Géorgie, Azerbaidjan), surtout les deux premiers soint vitaux à la fois pour la Russie et pour l’Occident au cœur d’une guerre tiède.

Le quatrième se trouve à la fois sous influence de l’OTAN à travers les bases, de la Russie (Ouzbekistan) et de la Chine. Les régimes y restent plus ou moins autocratiques.

Ce dernier groupe est susceptible aussi d’intéresser l’Inde et l’IRAN.

On voit donc que les conséquences de la disparirition de l’URSS ont engendré des bouleversements géopolitiques considérables. La paix de Paris a clos un chapitre de l’Histoire pour en ouvrir un autre, non moins dangereux. Pour Vladimir Poutine ce fut « une catastrophe géopolitique ».

Le retour musclé de la Russie sur la scène internationale, tout autant que la disparition de l’URSS nous apprend qu’aucune situation historique ou géopolitique n’est irréversible, pour autant qu’on tienne compte de la géographie et de l’Histoire et qu’il se trouve des hommes pour assumer l’une et l’autre.

Jacques Lippert Bruxelles, le 5 septembre 2008