LES TROIS TYPES DE BALANCES INTERNATIONALES LA « BALANCE OF POWER », LA « BALANCE OF THREATS » ET LA « BALANCE OF ISSUES » VR2

Bréviaire épistémologique des concepts basiques
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
21/10/2011

L'ERE DE L'ASYMETRIE ET DES RISQUES NON CONVENTIONNELS

Depuis 1991, nous sommes entrés dans l'ère de l'asymétrie et des risques émergents et non conventionnels qui demeurent au cœur du système et ne peuvent être écartés par la menace de represailles militaires.

Or si les Nations-continents et les États-civilisation se confirment comme les pivots des régions stabilisées, la sécurité collective se déploie dans les régions instables et dans les conflits mineurs. Simultanément le multipolarisme s'affirme comme tendance à la régularité classique des regroupements politiques dans l'organisation des relations internationales et la compréhension de cette évolution exige de faire recours au relativisme historique, pour dégager une vision systémique de la complexité et des alliances de sécurité. Ces dernières sont par ailleurs les seules à rétablir la symétrie sur laquelle repose tout système d'équilibre et ces équilibres, liés aux systèmes de sécurité, garantissent la préservation de la stabilité, de la coopération et du dialogue. Chaque période historique est caractérisée par un certain type de menaces et élabore en conséquence des alliances et des modèles de sécurité appropriés aux défis de son temps.

L'insécurité et les menaces du monde actuel découlent de l'hétérogénéité des valeurs et de la différenciation éthique du monde, qui constitue la vraie nature de la complexité du système international. Il est ainsi impossible de lire un système international sans faire recours aux types d'équilibres qui caractérisent le regroupement de ses acteurs et la morphologie des relations globales de sécurité. Trois types d'équilibres départagent les analystes et les décideurs en fonctions de la rationalité, stabilité et résilience recherchée: « la Balance of Power », « la Balance of Threats » et la « Balance of Issues ».

 LA RELATION ENTRE LA « BALANCE OF POWER » ET LA « BALANCE OF THREATS »

Du point de vue morphologique et en termes d'équilibres, si la condition structurelle du système est l'anarchie, comme absence institutionnalisée d'un pouvoir normateur, l'insécurité est permanente, l'affrontement toujours possible et la probabilité d'occurrence des conflits élevée.

Dans ces conditions l'indéterminisme probabiliste des conduites (belligènes, coopératives ou mixtes), constitue le champ d'action du pouvoir rééquilibrateur des unités politiques (« Balance of Power ») qui veulent limiter les conflits et réduire l'éventail des menaces.

Cependant là où la menace est la modalité de l'acteur qui veut maximiser sa revendication ou son gain, l'exhibition offensive de la force engendre la « Balance of Threats ».

Ainsi la raison de l'imprévisibilité de la « Balance of Threats » ne repose pas sur l'instabilité chronique de la « Balance of Power » mais sur l'aléa permanent que font peser les motivations perturbatrices et les défis émergents sur les conflits entre unités politiques, symétriques et asymétriques.

La condition permanente de la « Balance of Threats » (où la sécurité est une conséquence et un dérivé de la menace) exclut une pacification même provisoire de la vie internationale et fait de l'insécurité la causalité essentielle qui caractérise les situations de tensions aiguës; situations qui précèdent le recours à la force.

Le but politique de la « Balance of Power », fondé sur l'anticipation et le long terme est absent de la « Balance of Threats », qui résulte d'un équilibre fondé sur l'urgence de survie et vise à protéger les acteurs faibles et en désarroi dans une conjoncture de rupture des compromis et d'affrontement imminent.

La « Balance of Power » conduit à une évaluation globale du système, défensive et dissuasive, et traduit une lecture politique de sa morphologie générale, tandis que la « Balance of Threats » institue la menace en une occurrence presque mécanique de rééquilibrage stratégique et glisse vers une quête de rétorsion ou de préemption.

En conclusion, la « Balance of Power » est conservatrice, anticipatrice et calculatrice ; elle préserve la stabilité, en opérant par des interactions politiques et des ajustements faibles, en particulier dans les systèmes de forces de type classique.

La « Balance of Threats » est réactive, perceptuelle et déstabilisatrice, car elle suscite des interactions fortes, dictées par la gravité des incertitudes et par une évaluation offensive des capacités adverses comme foyer d'incertitudes et tête de réseaux d'acteurs exotiques.

La première vise la sauvegarde globale du statu quo, la deuxième instaure un stress permanent et une incertitude obsessionnelle. Or le type de calcul qui caractérise les deux Balances est inséparable des contextes expérimentaux (culturels, traditionnels, historiques, etc.)

Ainsi le principe du calcul et sa limite sont fondés, dans la « Balance of Power », sur la rationalité expérimentale, sur le passé, l'historique, le référentiel. Cette rationalité demeure la valeur normative de la prévision et l'expression de sa cohérence rigoureuse. De surcroit et en termes de procès, la « Balance of Power » traduit la continuité entre acteurs nationaux et systèmes internationaux.

Cependant l'existence d'autres variables, sub et trans-étatiques, exige une référence à des potentiels de nuisance, bouleversant les principes de calcul venant des réducteurs de complexité que sont les États.

La « Balance » classique, comme fondement ontologique du système international n'exclut pas une complémentarité de théories, ni une conjugaison des variables, symétriques et asymétriques, à condition d'accepter que le principe de compréhension (« Balance of Threats ») constitue une cognition partielle du principe de connaissance (la « Balance of Power ») puis, de consentir également que l'intégration holistique de la « Balance of Power » impose une posture cognitive à l'acteur.

Ce dernier n'est plus seulement neutre ou simple spectateur des équilibres souhaitables, mais perturbateur des mêmes, car l'impact de la prévision sur les conduites altère le statut inclusif de la connaissance comme dans les sciences physiques.

Dans notre cas, le sujet de l'action demeure le politique, livré à une interrogation stratégique et méta-historique d'anticipation du système ou de survie et, au plan global, d'altération de l'équilibre général.

En termes épistémologiques, si l'ontologie révèle la nature de l'être (historique) et la force de l'Etat permettant de saisir sa capacité d'action, sa prévisibilité et un certain type de « ratio », le mouvement met en scène les comportements, les variables, le champ des rivalités, les motivations, les cultures du risque, bref les indéterminismes.

Il en résulte ainsi que la « Balance of Threats », est politiquement vide et hypothétiquement indéterminée. En effet, elle est constituée d' un ensemble de variables sur lesquelles ne peut intervenir un quelconque facteur de modération commandé par la raison politique et donc une idée de limite clausewitzienne de la guerre, ni une quelconque logique de paix dictée ou d'intérêt partagé.

Affermir le primat épistémologique de la « Balance of Threats », cela veut dire s'en tenir presque uniquement à la logique des dangers perceptuels, autrement dit désincarner la rationalité de la riposte, de sa substance historique et de son fondement permanent, la société et le pouvoir, sa volonté ou sa cohésion.

À l'échelle globale, cela signifie également dissocier le choix d'agir des demandes ou des revendications politiques multiples, venant du camp adverse et de son propre camp.

La différence conceptuelle entre la « Balance of Power » et la « Balance of Threats » repose en définitive sur la non confusion de la dualité des matériaux expérimentaux de référence qui a pour but d'éviter de commettre une « erreur de catégorie » épistémologique (G.Ryle). Le décideur et l'analyste doivent éviter la confusion entre l'historique, le constant et l'exploré (la « Balance of Power ») et la loi probabiliste des relations de nuisance (« Balance of Threats ») en leurs répercussions politiques.

En effet, les menaces traduisent le péril de rationalités et de calculs hétérogèns et la nature indiscernable de la complexité.

SOCIOLOGIE HISTORIQUE OU FORMALISATION?
REALISME OU NEOREALISME; ARON OU WALTZ?

 Partons d'un paradoxe. L'hypothèse d'établir l'unité générale des sciences politiques internationales sous l'autorité dominante de la sociologie de l'État et du pouvoir politique1 et donc de façon générale de la « Balance of Power » comme savoir universel, est-elle une exigence sensée ou une conjecture arbitraire?

La « Reine des Sciences » de la politique internationale s'articulerait alors en deux figures emblématiques : l'équilibre stationnaire (le politique ou l'État, comme cristallisation des relations socio-politiques d'une conjoncture historique) et l'équilibre dynamique (la politique, les perturbations, la loi du mouvement, le procès historique ou le magma sociologique).

Le premier serait l'ossature brute de toute ontologie historique, la synthèse de la rationalité dominante interne et elle exprimerait également un certain type de déterminisme extérieur.

La deuxième, l'indéterminisme « pur », le monde des particules politiques en mouvement, l'univers des électrons libres, la pluralité irréductible des rationalités et représenterait le moment extrême de l'hostilité, qui marque l'épuisement ou l'échec des accords possibles. Il désignerait le moment signifiant de l'inimitié radicale, visant à plier la volonté de l'autre (ou des autres) et donc à soumettre sans combattre, ou alors à en venir à l'affrontement (la Balance des menaces).

Si la « Balance of Threats » sert à réagir aux crises de l'immédiat et du court terme, la « Balance of Power » vise à rechercher la stabilité et la paix et à prévenir les dangers du long terme.

Les « Balance of Power », « Balance of Threats », « Balance of Issues » sont liées au différents modèles de sécurité, les influencent profondement et en sont influencées.

Du point de vue du concept de stabilité, de rationnalité et de résilience:

La « Balance of Power » vise le maintien de l'équilibre.

La « Balance of Threats » veut prévenir un déséquilibre général ou local et elle appartienent au même espace de rationalité de la première.

La Balance of Issues est une anticipation sur les défis hégémoniques de demain, coventionnels et non conventionnels et sur la domestication des incertitudes non questionnées et donc sur des chaînes d'instabilités dynamiques inconnues.

La « Balance of Issues » est en rupture de rationalités et d'espace conceptuel car elle présuppose une autre notion de sécurité et d'équilibre. En effet elle entend façonner un tout autre champ d'action aux inconnes imprédictibles, en vue d'une maîtrise systémique des événements futurs, anticipés comme actuels.

Elle definit ainsi un champ de défis de sécurité nouveaux, issus de la pensée de la simultanété et de catégories d'actions futures interrélées.

DE LA « BALANCE OF THREATS » À LA « BALANCE OF ISSUES »

Le jugement « d'opportunité » des interventions à caractère militaire, unilatéraliste et non universalisable qui a pour objet les relations hégémoniques, ouvre un grand questionnement sur la notion de pari historique et sur la rationalisation des choix étatiques dans le domaine des équilibres mondiaux.

Ce jugement concerne les notions d'anticipation, de rupture et de mutation du champ stratégique et donc une nouvelle figure de la Balance, la « Balance of Issues », inductive, spéculative et aventureuse, intégrant la « Balance of Power » à caractère dissuasif et proactif et la « Balance of Threats » à caractère préemptif et conjoncturel. Il s'agit là d'un critère de légitimité  nouveau dans l'emploi de la violence, d'ordre systémique et politico-stratégique, qui échappe à toute définition légale, normative ou morale, car la « Balance of Issues » n'a pas l'homme et les scrupules moraux comme référents et destinataires, mais l'État, ses calculs, « sa raison » et sa culture. Il se situe en effet dans l'horizon de la perspective historique et de la vision planétaire et réticulaire des regroupements politiques.

Le choix de la « Balance of Issues » découle d'une crise de décision, d'une incertitude hégémonique prolongée et d'une quête de sens sur l'avenir du monde.

Dans ces situations, il s'agit de considérer l'ordre à venir comme la résultante d'un choix de nécessité face à la multitude des futurs possibles, ouvrant sur de grandes aventures historiques, hors de notre cadre de rationnalité et du prix à payer pour y parvenir.

En effet, l'utilisation de la violence est fondée, dans cette hypothèse extrême, sur l'évaluation insyndicable des responsabilités qui ont pour enjeux, l'essence même de l'hégémonie, la morphologie du système et la redistribution générale du pouvoir. Cet emploi a pour objectif la transformation de « l'intérêt stratégique » actuel en « intérêt vital » à long terme, et induit un renversement de champ stratégique et une rupture de conceptions, de postures et de manoeuvres des adversaires et des acteurs mineurs liés aux camps en lutte.

La « Balance of Issues », dictée par la puissance d'une vision prospective aux limites de l'impensé politique, vise à forcer l'Histoire en marche et à revendiquer une alternative hégémonique durable aux dimensions systémiques et planétaires.

L'idée qui découle de ce grand pari stratégique est celle d'une sécurité plus assurée, d'un type d'équilibre plus stable ou moins menaçant et d'une gouvernance internationale à long terme, plus équitable ou mieux acceptée.

C'est une vue du lointain qui en est le critère inspirateur et qui vise à limiter l'ingouvernabilité d'un système ou mettre un terme à la désagrégation progressive de l'ordre, de l'autorité et des hiérarchies établies, tout en s'assurant d'une résilience maximale. Cette percée dans l'inconnu fonde la recherche d'une solution sur une série d'incertitudes majeures et précipite l'ordre vacillant d'une époque vers son issue naturelle, fondant une nouvelle perspective de sécurité sur des bases sociétales, planétaires et civilisationnelles à complexité réduite.

BRÉVIAIRE ÉPISTÉMOLOGIQUE DES CONCEPTS BASIQUES

En matière de relations internationales et d'un point de vue analytique il apparaît utile de déceler les relations entre les concepts et d'en retenir la hiérarchie dans le but de mieux saisir l'importance causale des phénomènes. Ainsi l'altérité domine l'identité, l'hétérogénéité l'homogène, la division l'unité, le singulier l'universel, l'autonomie des parties la logique de l'ensemble, car les parties intègrent rarement le tout et maintiennent leurs singularités pour le régénérer ou le détruire.

Il n'y a pas d'égalité ni de symétrie entre les parties, soient-elles de mesure, de forme, d'origine ou de poids, aussi bien en nature que dans l'architecture cognitive.

En effet, dans les jeux d'équilibre s'imposent les déséquilibres et les forces plus créatives mènent la danse des logiques d'influence.

Les parties s'associent, se divisent et se déplacent et il n'y a pas de synthèse du réel, mais de simples vues d'ensemble à caractère visionnaire ou intuitif.

Les abstractions ne sont opératoires ni dans la science ni en histoire et nécessitent de moyens et de finalités éthico-politiques pour acter les processus.

Les idées générales et les concepts (de système, de complexité et de mouvement), relèvent des sciences de l'esprit, de la philosophie de la connaissance ou des sciences humaines et démeurent en tout cas invérifiables.

Elles constituent au mieux des référents modélisés, au plus des objectifs intéressés; dans la plupart des cas des théories aux buts ouverts et multiples.

Si la science des systèmes sert à stabiliser les structures et les équilibres, les doctrines du mouvement prétendent réorienter les axes du procès en leur sens général.

La logique du mouvement présuppose à son tour la notion de temps, alors que l'historicité est étrangère à la structure et agit sur celle-ci par le biais des notions d'acteur, de force et de stratégie.

Il va sans dire que la force domine l'étendue globale d'un ensemble et que la hiérarchie dicte les normes d'appartenance et les types de sujétion à la totalité.

En conséquence, les unités d'action d'un système se situent, dans leurs dynamique, entre les impératifs normatifs de la structure et les poussées irrésistibles du mouvement.

De plus, les fractales de la division et le principe du conflit dominent sur l'idée générale ou la synthèse.

Le conflit est un choc entre deux volontés hostiles et deux positions, l'actuelle et celles revendiquées dans la durée et au moyen de l'abstraction.

C'est le critère même du mouvement, l'âme destructurante du tout qui se déploie sur le terrain de la violence, exerçant une fonction de subversion et de diffraction, radicale et irréductible.

Dans ce cadre, l'appel au concept d'égalité entre les composantes apparaît comme le masque d'une autre hiérarchie, d'une autre prééminence de rang, un escamotage de l'évidence, un principe étranger à l'architecture du réel, à sa connaissance dépouillée et à son arborescence diffuse.

Dans ces conditions, partir du général ne signifie rien d'autre, conceptuellement, que fixer les structures d'appartenance et d'action, afin d'en déceler l'utilité cognitive et la temporalité historique.

Partir d'une situation donnée, cela veut dire mettre l'accent sur l'inadéquation de la structure actuelle par rapport à un but étranger à celle-ci, qui consiste à mettre en cause le mode d'organisation de la totalité.

Toute analyse se ramène à des concepts, les concepts à des postulats sociétaux et ceux-ci à des fonctions hiérarchiques et à des champs de forces antinomiques.

L'approche morale et ses équivoques interprétatives, optimistes ou pessimistes, relèvent uniquement de la posture philosophique des acteurs et pas de leur position dans la structure.

La loi du changement opère à l'intérieur d'un système, qui en est l'architecture englobante et générale, conceptuelle et cognitive, contraignante et finale.

Elle confirme partiellement sa modalité par le biais d'autres positionnements fonctionnels ou par la revendication d'un autre champ d'historicité et d'hostilité réticulaire et diffuse.

Le changement n'est rien d'autre qu'un mode d'agencement différent de l'ensemble, incompatible avec la forme antérieure. Toute théorie est en soi conservatrice, puisqu'elle est la science du tout, qui se donne comme architecture générale de l'être, toujours immanent et toujours repensée.

Le devenir ou l'histoire en marche, irréductible à la structure est une force gravitationnelle puissante allant vers le profond inconnu; est une grande galaxie noire en mouvement perpétuel et en expansion chaotique et sans fin, comme la vie, le cosmos ou la lumière qui traversent l'univers et le temps.

Rectificatif :

Nous tenons à informer nos lecteurs que l'article paru sur la revue Eurasia n°2, deuxième parution, nous a été envoyé par l'Ambassade du Kazakhstan à Bruxelles et ne relève pas de la signature de Mme Aiman Zhekeyeva.

 

1A la manière de la tentative de O.Von Neurath en 1930 dont la thèse revient à atteindre l'unité générale de la science sous l'autorité exclusive de la physique promue en "Reine des Sciences".