MCIS-VI
VI EME CONFÉRENCE DE MOSCOU
SUR LA SÉCURITÉ INTERNATIONALE
26 - 27 avril 2017
COMPTE-RENDU
SOMMAIRE
- PRÉSENTATION GÉNÉRALE
- ORGANISATION
- Sessions Plénières (26 et 27 Avril)
- Sessions de débat
- POINTS ET THÈMES SAILLANTS.
LEÇONS UTILES, OBJETS DE RÉFLEXION. QUESTIONNEMENTS
- LES INTERVENTIONS
- APPEL A UN "HELSINKI BIS"
- CONSTATS NON CONTROVERSES
- CONSIDERATIONS PHILOSOPHIQUES ET
THÉORIQUES CONCERNANT LA RELATION ENTRE GUERRE ET
POLITIQUE ET LE PRINCIPE DE "LIMITE"
- RAPPORT
SECURITY AND THE NEW STRUCTURING PARADIGMS
VI MCIS
VI MOSCOW CONFERENCE
ON INTERNATIONAL SECURITY
COMPTE-RENDU
de la VIème Conférence sur la Sécurité Internationale
des 26 et 27 Avril 2017 à Moscou
par
Irnerio Seminatore
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
La Conférence sur la Sécurité Internationale qui s'est tenue à Moscou les 26 et 27 Avril 2017, a porté sur le thème:
SÉCURITÉ GLOBALE: LES DÉFIS DU XXIeme SIÈCLE
Des représentants d'environ 90 États, des Ministres de la Défense et des Chefs d’État-Major Généraux des armées des pays invités,ainsi que des responsables de 7 des plus importantes organisations internationales (UN, OSCE, CIS, CSTO, ICRC), ont participé à cette importante réunion.
Une audience qualifiée de 772 experts internationaux, dont les propos ont été repris par 300 périodiques et 800 médias, a mis en valeur des débats nourris, animés par des décideurs de haut niveau, des observateurs indépendants, des directeurs de Think-Tanks et d'autres personnalités internationales et ouverte par une allocution de "bienvenue" du Président de la Fédération de Russie, Son Excellence Vladimir Poutine.
La conférence est à sa sixième édition et remplit une fonction d'information, de relais et de débat entre pays européens, asiatiques, du Proche et Moyen Orient, africains et latino-américains, qui y trouvent une tribune d'expression indépendante et de non-alignée.
Compte tenu du contexte politique, de l'agenda des principales puissances et de l'imposant effort organisationnel consenti, il faut considérer cette conférence comme une assise alternative et concurrente de celle de Munich, d'expression euro-atlantique.
Elle s'impose à plusieurs égards, comme une référence pour le grands acteurs eurasiens et comme une caisse de résonance et d'amplification des préoccupations sécuritaires mondiales.
ORGANISATION
L'organisation de la Conférence a été repartie en deux Sessions Plénières et en plusieurs panels de discussions sur les sujets suivants:
Sessions Plénières (26 et 27 Avril)
SÉCURITÉ GLOBALE: DÉFIS DU XXI SIÈCLE
Parmi le cinq sous-titres sont à signaler les sujets suivants:
- Système international polycentrique
- Le terrorisme international comme menace globale
- Rôle de la force militaire dans les relations internationales
LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE; SITUATION ET TENDANCES
Sous-titres significatifs:
- Transformations des institutions de sécurité euro-atlantiques
- Interactions NATO-Russie
- Capacités de l'OSCE dans l'établissement des mesures de confiance
La Session Plénière (du 27 avril)
a été consacrée aux deux thèmes:
ASIE-PACIFIQUE. BALANCE DES INTÉRÊTS OU ISSUES MILITAIRES?
- encadrement des menaces à la sécurité régionale
- sécurité des routes maritimes
- alliances militaires et balance de la force militaire
- dialogue du militaire au militaire comme facteur de stabilité
LES ENGAGEMENTS DU MILITAIRE AU MILITAIRE: LES ASPECTS RÉGIONAUX
Problèmes de la sécurité régionales et solutions possibles.
Sessions de débat
MOYEN-ORIENT / OBJECTIFS MODERNES DU CONTRE-TERRORISME ET DU CONTRE-RADICALISME
- Groupes radicaux
- Meilleures pratiques et résultats des opérations militaires de contre-terrorisme
- Dialogue politique en Syrie, comme transition vers un réglément post-conflictuel
SÉCURITÉ ET ESPACE DE L'INFORMATION ET LIBERTÉ D’ACCÈS:
INTERRELATIONS CONTRADICTOIRES
- Sécurité de l'information militaire
- Accès direct à l'information pour les mass-media
BMD: IMPLICATIONS POUR LA SÉCURITÉ RÉGIONALE ET GLOBALE
- Posture des USAA BMD en Europe
- BMD en Asie Pacific: implications pour la sécurité régionale
LA SÉCURITÉ EN ASIE CENTRALE: LE FACTEUR AFGHAN
- La menace terroriste dans la région
- ISIL et les Talibans: les liaisons de la même chaîne
POINTS ET THÈMES SAILLANTS.
LEÇONS UTILES, OBJETS DE RÉFLEXION. QUESTIONNEMENTS
La conférence a débattu allusivement des conceptions militaires, des postures et conduites stratégiques ainsi que des visions géopolitiques et hégémoniques d'un acteur global absent, les États-Unis d'Amérique et son principal instrument de puissance et d'alliance planétaire, l'OTAN. Les représentants du reste du monde se sont ainsi positionnés par rapport à cette perspective.
A fait défaut également la lecture du système international et l'argumentation des intérêts des États incontournables de Europe et du monde occidental.
Cette absence et ce manque d'interlocuteurs, en vue d'un dialogue et d'une coopération de sécurité, surtout en Europe, est significative de la rupture de confiance et des difficultés d'entente entre acteurs majeurs et entre grandes régions du monde et caractérise cette période comme de deuxième "guerre froide".
En ce sens on peut définir la sixième conférence internationale de Moscou, comme une une instance de questionnement stratégique collective, ayant justifié plusieurs types d'interrogations, dont il est opportun d'en retenir au moins trois:
- Le premier est le questionnement de l'Europe sur elle même ou la nostalgie de la souveraineté perdue. L'inconnue trouve sa réponse dans le propos suivant: La "souveraineté partagée" sauvera-t-elle l'Europe?
- Le deuxième reflète la préoccupation des "Tiers États" planétaires et se conjugue ainsi: "La dissuasion pourra-t-elle suffire?"
- La troisième est de nature géopolitique et bouleverse les catégorie de l'entendement hérité et pose la question géostratégique de l'ordre global, dont voici la formulation:
"L'Eurasie" est-elle encore le cœur du monde, ou est elle devenue une appendice de ce qui reste de l’environnement d'Hégémon, un simple résidu du jeu triangulaire, entre Russie-USA-Chine?
A propos de l'absence des États-Unis et de leurs alliés, ce "vide" rappelle une contrainte stratégique, la "loi de l'autre" du chapitre VIII de Vom Kriege de C.Clausewitz, la loi suprême et rigoureuse de la guerre, qui, livrée à elle même ne connaît pas de limites; La limite,dont il est ici question affirme clairement qu'il "faut concilier la nature propre et permanente de la guerre avec la "diversité" des guerres, des faits de guerre".
Autrement dit il faut concilier les mésententes, les oppositions et les antagonismes pouvant dériver vers la guerre à la "diversité" des acteurs et des situations hostiles, à la nature du conflit politique.
Il faut tenir compte en somme de l'intention de l'adversaire, car "l'intention c'est la fin, tandis que la guerre c'est le moyen et l'on ne peut concevoir le moyen sans la fin), dans notre cas sans la présence de "l'autre".
Et cela pour débattre, avant de guerroyer, dans une conception du lien intime et étroit entre guerre et politique.
Cette introduction doit être corrélée à l'interrogation de fond du colloque, reprise par le Ministre russe de la défense en conclusion de la Conférence sur "l'évitabilité ou inévitabilité de la IIIème guerre mondiale.
En effet l'évaluation du niveau de la menace globale, de l'état de la sécurité et du type et de la qualité de la coopération diplomatique, militaire et stratégique existante dans les différentes régions du monde, dépendra de la riposte que l'on saura donner aux situations de crise.
SUR LES PRÉOCCUPATIONS RUSSES
A la lumière de l'analyse du paysage stratégique mondial, comment résumer les préoccupations russes?
On ne pourra mieux les formuler que sous forme d'interrogations:
- comment assurer la stabilité régionale dans le cadre d'un environnement de défis sécuritaires traditionnels ("regime change") et montants (lutte antiterroriste)
- comment œuvrer pour une coopération militaire multi-nationale en Asie centrale, en Asie-Pacifique et au Moyen Orient, dans un cadre multipolaire d'alliances militaires
- comment concevoir un nouveau système de sécurité en Europe, inclusif et non exclusif, fondé sur le dialogue, la coopération et l'équilibre des forces.
- comment faire face à l'élargissement de l'Otan vers l'Est, à un esprit de confrontation renouvelé et à une tentative de contournement géopolitique et géostratégique (installation d'un bouclier balistique antimissiles en Pologne et en Roumanie, dont le risque majeur est une obsolescence de la dissuasion et une dépendance aggravée vis à vis d'Hégémon, seul détenteur de la clé nucléaire).
La Conférence, qui a développée ces premiers points, portant une emphase particulière à la lutte antiterroriste, s'est voulue, politiquement une validation des alliances militaires eurasiennes et plus largement globales, soulignant l'aspect préoccupant des tensions internationales, entretenues, aux vues de la Fédération de Russie, par le camp euro-occidental.
AXES DE RÉFLEXION PARTAGÉS
- Un changement global de la situation internationale et une détérioration progressive de l'ordre mondial
- Une crise aiguë du système de confiance et une politique de confrontation, comportant une forte augmentation des tensions.
- Un appel au dialogue , dans le respect du principe de non-intervention et de respect de la souveraineté
- L'opposition aux forces extrémistes inter-ethniques et inter-religieuses.
LES INTERVENTIONS
Les thèmes d'ordre général de la conférence, précisés dans les sessions premières des 26 et 27 ont été l'objet d'une présentation argumentée, fondée sur l"entendement rationnel, attribué, dans la "trinité" de Clausewitz, à la primauté et à la compétence du politique.
Le concept de sécurité y a été décliné en ses différentes variantes, conceptuelles, opérationnelles et systémique et la tonalité, non contestée, de la situation actuelle, a été résumée d'entrée de jeu par Andrei Lavrov, Ministre des Affaires Étrangères de la Fédération de Russie en trois constats:
- Agenda international toujours plus nourri
- Situation de moins en moins stable
- Transformations internationales sans précédant
L'architecture mondiale de sécurité, indivisible, est sous menace immédiate et à long terme. Or, le rappel du concept russe de sécurité, qui s'inscrit dans le "processus d'Astana", comme plate-forme internationale pour normaliser la lutte antiterroriste, se situe dans l'espace géopolitique qui va de Lisbonne à Vladivostok et contribue ainsi à la définition d'une architecture mondiale de sécurité, comportant l'abandon de toute philosophie d'hégémonisme.
Or, si les interventions du Président Poutine ont identifié la menace principale de notre période dans le terrorisme, en appelant à une coalition internationale contre ce phénomène, le Ministre russe de la Défense, Son Excellence Monsieur Shoigu a fait appel à une coopération américano-russe, surtout en Syrie, sans oublier la sécurité européenne.
Il est cependant utile de souligner qu'il ne peut y avoir de menace globale, sans une stratégie indirecte de certains États, soutenant politiquement, militairement et financièrement cette menace.
En ce qui concerne l'espace de sécurité euro-russe et l'architecture de sécurité européenne, le Général A.Gérasimov, Chef d’État Major Général des trois Armées, considère que l'Europe est devenue une zone élevée de confrontation entre l'Otan et la Russie, mesurable à l'évaluation de trois politiques:
- l'augmentation continue d'armes offensives
- l'augmentation des capacités des ports et des aérodromes, avec des cours de préparation au combat pour les pilotes, sur des avions à capacité nucléaire
- l'installation en réseau de systèmes de missiles anti-balistiques, en vue d'une confrontation militaire
- les menaces de frappes dans l'espace cybernétique, susceptibles d'être assimilées à un acte d'agression selon l'art.5 du traité de l'Atlantique Nord (de difficile application, vue la difficulté d'identification de l'origine)
- du point de vue interne, les vagues croissantes de l'immigration
Ces éléments entraînent une diminution du niveau de confiance mutuelle, compte tenu, en particulier, de la désignation continue de la Russie comme accusée.
- au niveau de la guerre de l'information tous les maux russes sont emphatisés, par une dissémination ouverte de la menace russe présumée et par une perversion et transformation des concepts, conduisant à une offuscation de l'intelligibilité des situations.
A l'inverse de cette politique et pour contrer ces dangers la Russie, selon les déclarations du Général Gérasimov, augmentera ses offres de coopération, car ce pays, dans la tendance, est ouvert au dialogue et à une préoccupation personnelle de sécurité
A preuve, une rupture entre l'Union Européenne et la Russie ouvre une porte aux pays hostiles de l'Otan.
Par ailleurs, l'attaque soudaine des États-Unis en Syrie pousse à prendre en considération deux options:
- Une augmentation proportionnelle de l'engagement militaire russe
- Un dialogue pour le renforcement de la confiance
Avant de revenir sur les interventions des deux rapporteurs du Bélarus et de la Serbie à l'Ouest et de l'Inde, Iran, Pakistan et Afghanistan dans le sous-continent asiatique, puis du Secrétaire Général de l'OSCE, S.E.M l'Ambassadeur Zannier, il est opportun, pour des raisons à la fois politiques et stratégiques, d'évaluer dans la juste mesure, celle de la perspective immédiate et celle du long terme.comme le propose l'Ambassadeur russe auprès de l'OTAN, S.E.M l'Ambassadeur Grushko, concernant l’importance de deux facteurs systémiques:
- La résolution de l'OTAN sur le risque de guerre entre l'Europe et la Russie ,au Sommet de Varsovie de juillet 2016
- Les autres politiques additives et hostiles, prises à ce même sommet, en termes de reconduction des sanctions économiques à l'encontre de la Fédération russe et comme campagne pour l'accroissement des budgets militaires des pays membres, de l'ordre de 2% du PIB, soit de 200 milliards d'euros par an, contre un ennemi qui n'existe pas
A son tour S.E.M. l'Ambassadeur Zannier, Secrétaire Général de l'OSCE a explicitement reconnu que l'ordre international actuel ne fonctionne pas, mais qu'au lieu d'en changer de paradigmes, l'ordre actuel continue d'évoluer, paradoxalement, selon les mêmes principes, ce qui conduit à faire recours à la logique des armements dans le but d'augmenter la sécurité.
Cette logique accroît en revanche les conflits,ce qui justifie de revenir aux formes de coopération déjà expérimentées, puis abandonnées.
Les préoccupations concernant la dégradation de la situation sécuritaire se sont entre-temps étendues au Sud-Est asiatique et à l'Asie Centrale.
Le Ministre indien de la Défense a rappelé l'absence de solutions rassurantes pour des pays, pris individuellement et a tenu à souligner que la conception multilatéraliste de la sécurité reste la clé de la politique de son pays, même si la participation de l'Inde à des exercices maritimes a opéré dans un cadre bilatéral au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS).
A propos de l’Afghanistan ont été évoqués trois aspects interactifs, engendrant de l'insécurité et exigeant de nouvelles alliances politiques:
- la dynamique des relations globales et les inférences de la mondialisation
- l'usage illégal de la force militaire et donc l'ingérence dans les affaires intérieures d'autres États
- l'utilisation partisane de l'aide humanitaire
La présentation du contexte général de la conjoncture politique en Europe a été approfondi, au début des sessions plénières du 26 avril, concernant la "Sécurité européenne", les interventions du représentant du Bélarus, le Ministre de la Défense A.Lavkov et de l'ancien Président de la République de Croatie, S.E Stjepan Mesic, se sont illustrées à cette tâche.
Lavkov a énuméré les constats et les facteurs de préoccupation de la situation stratégique à l'Ouest:
- contexte d'agressivité croissante
- diminution du dialogue
- militarisation européenne accrue
- expansion de l'OTAN et manœuvres de préparation pour un attaque en premier
- lobbying militaire des États-Unis pour de nouveaux armements
- inclusion des pays neutres dans la coopération mutuelle, et dans des exercices exercices de battlefield
Il a relevé l'existence d'un esprit de confrontation dans un contexte de sécurité indivisible, ce qui rappelle le retour à la guerre froide et, par conséquent à une exigence de dialogue.
APPEL A UN "HELSINKI BIS"
L’Ancien Président de la Serbie, Stjepan Mesic, partant d'un même constat, a débuté par une recommandation appuyée, l'augmentation du niveau de confiance.
Sa justification, un désordre global et une menace diffuse d'attaques terroristes, consécutives aux migrations.
Un constat, le dialogue ne peut s'appliquer au terrorisme.
En effet, face à une situation dégradée et à l'absence d'une volonté politique des européens, la première victime est la sécurité européenne, qui résulte d'un mélange de myopie, de scepticisme et d'hypocrisie.
Une tentative de "sortie de crise" serait, peut-être, l'idée de convoquer une conférence "d'Helsinki bis" sur la nouvelle architecture de sécurité en Europe.
Enfin, la conférence ne pouvait passer sous silence, dans sa dernière session plénière, les répercussions des relations sino-américaines et de la balance des intérêts militaires en Asie-Pacifique, sur le thème du dialogue euro-russe et euro-atlantique.
Ainsi le problème de la sécurité régionale et celui de la sécurisation des routes maritimes ont été abordées sous la forme, indirecte, du "Silk Road", puis des alliances et des engagements du militaire au militaire.
Le thème de l'Asie-Pacifique et, indirectement de la Chine, est servi à ne pas oublier le tournant majeur qui s'est désormais établi dans la définition triangulaire de l'ordre mondial, depuis le début du siècle et que la Russie et la Chine ont désormais besoin l'une de l'autre, en Eurasie, face à la puissance dominante extérieure thalassocratique.
La conférence elle même n'était censée l'aborder que sous la forme d'une coopération purement militaire.ce qui ne dissipe nullement l’ambiguïté et l'épaisseur de cette relation, tantôt bipolaire, tantôt tripolaire, pour définir les notions conjointes d'intérêt commun.
Il faut rappeler que la notion d'ordre politique est la synthèse historique de la survie nationale, qui est la sauvegarde, dans ces deux cas de la démesure unitaire d'un espace territorial immense, difficile à être conquis et singulier pour être transformé, un espace nécessaire à l'un et à l'autre pour s'opposer à une puissance concurrente, conquérante et extérieure et pour constituer un facteur important de leurs buts de stabilité commune.
Pour toutes ces raisons la conférence se solda par le constat, d'un réveil chinois, d'un retour de la Russie et d'une inconnue stratégique de l'Amérique, faisant porter l'accent de l'espoir sur la réversibilité du conflit et sur les bénéfices, espérées, d'un environnement global de sécurité.
Il convient de retenir quelques axes et quelques considérations, partagées par la presque totalité des intervenants étatiques, gouvernementaux et stratégiques indépendants.
CONSTATS NON CONTROVERSES
Une série de constats ont été dressés:
- Un accroissement des capacités militaires conventionnelles et du potentiel nucléaire de l'Alliance Atlantique
- Une propagation de la menace terroriste, impliquant l'augmentation de la coopération
- Un accrois internationale dans la lutte contre l’extrémisme et le radicalisme religieux
- La dénonciation de la guerre indirecte et hybride à travers la cyberwar, le réseau de think-tanks et les médias occidentaux hybride
- Une aggravation de la campagne menée en Occident contre la Russie, considérée de plus en plus comme l'ennemi.
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CONSIDERATIONS PHILOSOPHIQUES ET
THÉORIQUES CONCERNANT LA RELATION ENTRE GUERRE ET POLITIQUE ET LE PRINCIPE DE "LIMITE"
par
Irnerio Seminatore
La préoccupation de fond sur l'évitabilité ou inévitabilité de la III guerre mondiale a été exprimée en conclusion du colloque par le Ministre de la défense de la Fédération de Russie Mr Shoigu. Sur le plan purement théorique il faudra approfondir la portée de cette interrogation, que l'on ne pourra tenir pour rhétorique.
A partir de celle-ci une série de questionnements s’imposent:
Peut on éviter la guerre? Peut-on la limiter?
La guerre a-t-elle une loi intrinsèque et laquelle?
Compte tenu des caractéristiques du monde actuel, polycentrique et fragmenté, l'idée tirée de Clausewitz que dans la guerre il ne peut y avoir une"limite à la violence", car "la guerre, livrée à elle même ne comporte pas de limites", entraîne la conclusion que la guerre absolue des armées est un antidote à la guerre totale des peuples et à l’anéantissement des "sociétés". Par sa liaison intime entre violence et politique, c'est seulement la politique qui peut poser une "limite" à "l'épreuve de force" (le duel militaire) et à l"épreuve des volontés" (l'antagonisme entre acteurs politiques). Si l'affrontement ne peut être exclu, car la guerre est un phénomène universel et permanent, concernant l'antagonisme et les finalités belliqueuses de l'esprit humain, la spécificité concrète des conflits (morphologie du système, acteurs principaux, Balance of Power, géopolitique régionale et globale, rapports de forces), devra se plier à la multiplicités des manifestations de l'intention hostile et s'occupera, ainsi, de la connaissance concrète des systèmes d'armes, ainsi que des stratégies et tactiques des adversaires.
A cet effet la conférence a consacré plusieurs "tables de débats" aux aspects opérationnels liés aux antidotes de la guerre totale (systèmes de lancement et d'interception), qui appartiennent à la sphère des moyens et des modalités de l'action militaire. Ils ne feront pas reculer les principes généraux et universels de l'antagonisme, de l'hostilité et de la violence politique, et, en conclusion, de la dissuasion, donnée pour échouée; mais seulement les opérations de passage à l'acte, à la dialectique de la frappe et de la riposte, en leurs multiples scénarios et répercussions.
Quand le militaire s'adresse au politique pour résoudre la crise sur laquelle il ne peut intervenir, à cause de l'absence de "limites à la violence" et face au risque d'une guerre d'anéantissement collectif, comment concilier la guerre selon son essence (ou guerre totale) avec la nature des guerres limitées et aux enjeux définis?
Comment thématiser le combat guerrier sans la double contrainte, de la fin et des moyens? Et comment conserver la liberté d'action ou "l'être pour soi", en s'arrachant à l'idée de la mort collective, lorsque la vie historique passe par la lutte, le duel et le combat?
Comment distinguer enfin,dans une confrontation globale, menée directement ou par personnes interposées, l'essentiel de l'accessoire et s'élever à un degré de connaissance de la "Stimmung" (ambiance ou contexte) de notre époque, par l'assimilation des affaires supérieures des États du monde et de leurs cultures? En effet, l'une des fonctions de la conférence a été de faire accéder les officiers généraux et les experts, à une connaissance scientifique de l'essence (Wesen) des phénomènes de guerre (Ercheinung), en montrant leurs liens avec la nature du politique.
Cela a été conçu par l'emploi d'une approche didactique et déductive, distincte de la préparation au combat, qui présuppose de techniciser le concept pur (le concept de guerre), par une approche spécifique et inductive (les guerres concrètes). Ce fut également un entraînement à la compréhension de l'art de la guerre et à la discipline du commandement.
En effet la véritable école du commandement d'un Chef de l’État et d'un Chef des armées, comme intelligence personnifiée du politique se repère sur le terrain de l'action, à partir de la culture générale acquise et de la doctrine de la souveraineté à sauvegarder, dictant la décision sur l'état d'exception.
Ceci est d'autant plus vrai que, - comme l'affirma Ch. de Gaulle en 1934 - au fond des victoires d'Alexandre, on retrouve toujours Aristote, bref une philosophie et une culture.
Or le dialogue entre adversaires désignés ou, entre fins et moyens, et, en définitive,entre politique et guerre, pose le problème de l'enjeu de la conférence. Celle-ci doit être interprétée, à nos yeux, comme relation entre l'idée de raison, (État), l'idée d'irrationalité (terrorisme), le probabilisme des enjeux (dissuasion ou guerre non codifiée), la guerre d'anéantissement ou "sans limites" des colonels chinois et la "guerre hybride" de Gerasimov, comme affrontement systémique (virtuel) et comme vision d'un nouvel ordre international post-conflit.
L'inconnue de notre temps est l'utilisation programmée des frappes balistiques anéantissantes et donc le passage d'une guerre codifiée à une guerre sans règles et non maîtrisée, autrement dit la transition vers une guerre qui s'amplifie dans l'asymétrie des moyens et dans la disparité profonde des univers culturels et spirituels, qui ont différemment forgé les caractères nationaux.
Cet aspect est clairement explicité par Hegel dans son livre "Sur la Philosophie du Droit", lorsqu'il rappelle l'illusion pure de l'individualisme moral, qui, en Occident, s'apparente au cosmopolitisme, pour maintenir l’enthousiasme de l'âme (irréfléchie et irrationnelle), dans les limites de la raison et donc dans une sorte de stagnation historique.
Dans le cas de l'Occident actuel, la santé morale des peuples européens se rabaisse considérablement au sein de la "Stimmung" de notre époque planétaire, car elle se différencie au sein des deux univers, de l'illusion et de la réalité. Il n'est pas question ici d'une quelconque glorification hégélienne , car ce qui est poursuivi dans ce texte est le rappel de la vision probabiliste des événements et la pondération, toujours aléatoire, de l'entendement rationnel du politique et des États.
Pour les européens, le problème est de combattre l'inertie de l'économique et de l’échange, comme figures de la stagnation historique contemporaine, face à la défense de leurs libertés et à l'exigence internationale et conjoncturelle "d'être pour soi".
Les ennemis de l'Europe chercherons toujours à scruter comment est rêvée la paix et insensé Kant dans les esprits défaitistes et nihilistes, pour savoir comment leur faire stratégiquement la guerre.
La conférence a refusé l'arrogance de l'idéologie pour une analyse de l'état militaire du monde et par le rappel qu'au fond des affaires supérieures de l’État , il y a toujours un calcul et une idée de limite, bref une rationalité.
Ainsi, on pourrait re-titrer la Conférence pour un "usage Wissenchaftlich" (didactique) de la guerre, comme possibilité de la limiter en ses secousses telluriques et systémiques, par une théorie politique des États, consistant à établir, à l'usage de l'Europe, une logique des contre-poids à la Montesquieu et donc un équilibre de la balance planétaire, entre Hégémon et les acteurs politiques de l'Eurasie.
Bruxelles le 27 mai 2017
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RAPPORT
SECURITY AND THE NEW STRUCTURING PARADIGMS
The relationship between the "Balance of Power" and the "Balance of Threats"
Professor Irnerio SEMINATORE
President of the European Institute of International Relations
Director of the Academia Diplomatica Europaea Brussels
CONTENTS
- THE GLOBAL INTERNATIONAL SYSTEM
- CHANGES ON THE GLOBAL STRATEGIC CHESSBOARD
AND THE EMERGENCE OF NEW STRUCTURING PARADIGMS
- THE ERA OF ASYMMETRY AND NON-CONVENTIONAL CONFLICTS
THE GLOBAL INTERNATIONAL SYSTEM
The current international system results from three major evolutions of the historical scene and from three remodelling strategies of the main players on the world stage.
The major evolutions are:
- the exhaustion of strategic stability from 1991 to 2001;
- the modelling of a new Eurasian geopolitics from 2001 to 2011;
- the appearance of a strong hybridization of threats and vulnerabilities, involving both states and exotic players, from 2011 onwards.
As regards the remodelling strategies of the major players, the structuring of the international system is a consequence of the following socio-political considerations and phenomena:
- the regional destabilization resulting from the failure of the invasion of Iraq;
- the transfer of the world's 'centre of gravity' from Europe to Asia, forcing the United States to operate a 'strategic pivot' towards Asia-Pacific;
- the adopting of a doctrine of 'strategic linkage' between distant themes, regions and problems to influence the various regional balances of forces.
- the predominance of a leading triangle of powers, Russia, China and the United States, whose influence weighs on regional and global issues and also on the instability of each regional framework (South-East Asia, Near/Middle East and Gulf, Central and South-Eastern Europe)
- the aggravation of the global socio-economic and socio-cultural crisis, the process of
delegitimisation of the European Union and NATO, through a relativistic reading of article 5 of the Washington Treaty.
These trends reveal the weaknesses of the liberal international order, the decline of democratic regimes and the promotion of alternative models of power (autocratic forms and conservative revolutions in Eurasia).
Moreover, since 1945, Europe has ceased to operate according to the two criteria on which every international system is organized: the balance of forces and the principle of sovereignty, which it had upheld since the Treaty of Westphalia of 1648.
CHANGES ON THE GLOBAL STRATEGIC CHESSBOARD
AND EMERGENCE OF NEW STRUCTURING PARADIGMS
All these observations make it possible to highlight the general characteristics of the current international situation, which can be grouped as follows:
- rising uncertainty about the new 'multipolar coalitions' in a context of increasing bi-polarism (China-USA) and in the face of a wave of diffuse Islamic terrorism;.
- a collective security and defence system that largely falls outside the control of the existing institutions (UN, NATO ...) and current governance institutions (G8, G20)
- the cross-combinations of 'Balance of Power' and 'Balance of Threats' practised by rising powers (mixes of threats and vulnerabilities);
- the impossibility of separating the diplomatic from the military, which anticipates the regulation and prevention of crises in order to achieve its strategic objectives,
- the proliferation of ballistic-nuclear firepower and the spread of nuisance and terrorism (North Korea, Iran, etc.)
- the offensive dominance of cyber-war and space wars. This is inducing a change in the balance of forces between attackers and defenders (with an advantage for the attacker)
- asymmetry, hybrid wars and uncontrolled conflicts.
In prospective terms, it can be argued that post-nuclear security will be guaranteed by the geopolitics of space and by the robotic-digital revolution.
Indeed, nuclear power continues to serve at once as a deterrent to states, and as an effective or terrorist instrument for sub-states and exotic groups.
Finally, the universal institutions of debate and prevention, as sources of mediation and international regulation (UN, etc.), are relegated to collective security missions and to minor tension management interventions.
THE ERA OF ASYMMETRY AND NON-CONVENTIONAL CONFLICTS
Since 1991, with the proliferation of players and the disparity of risk, we have arrived in the era of asymmetry and unconventional conflicts. These remain at the heart of the system and cannot be removed by the threat of military reprisals.
The inability of the United States to take on board a differentiated global order has taken the shape of a slow decomposition of American power, which the Trump administration is seeking to redress.
Thus the transition from the “global dominance” of the unipolar period to the “global leadership” of the successive period is defined by a series of equilibria of networks and by the arbitration function that the United States exercises among them.
As a result the United States, with its 'global leadership' position as against Russia and China, has a wider range of options and potential recourse to a more diversified array of political and military capabilities (strategic alliances and partnerships of choice, extending from Europe to the Turkish plateau, to the Near and Middle East, and to a constellation of islands and peninsulas that make up the 'pivot countries' of Japan, India and the Gulf.)
But while the nation-continents and state-civilizations confirm themselves as the pivots of the stabilized regions, collective security is achieved through deployment in unstable regions and in minor conflicts.
At the same time, multi-polarism is asserting itself as a trend towards political regroupings in the organization of international relations. Understanding this evolution requires the use of historical relativism in order to develop a systemic view of the complexity and security alliances.
Brussels, 23 April 2017