Ce sera une Europe à deux piliers au lieu de trois, selon David Cameron, car l'avenir européen de la Grande-Bretagne est suspendu à un double dilemme :
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la fin de la relation avec les USA qui pivotent désormais vers l'Asie ;
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la fin d'un engagement Britannique « à la carte », au sein de l'Union Européenne, justifié par l'exigence de maintenir le lien vital de l'Amérique avec l'Europe du vieux temps bipolaire qui fut éphémère et unique.
Ainsi, au rejet de plus en plus étendu de l'Europe, se rajoute un ressentiment anti-britannique, qui se distingue en ses motivations, du ressentiment anti-germanique dans les pays du Sud de l'Europe et du ressentiment anti-français, au nom des perceptions d'arrogance et d’égoïsme de ces trois pays. Entre une Europe à la carte britannique, une Europe intégrationniste et fédérale à l'Allemande et une Europe souverainiste et intergouvernementale à la Française, c'est une Europe bismarckienne qui se profile. Bref, une Europe des équilibres nationaux directeurs au sein des 27, projetés vers une multipolarité globale, eurasienne et transpacifique.
Dans les vœux de Cameron, le Royaume-Uni peut-il devenir une plate-forme offshore de l'UE, hors du cockpit des affaires globales et des jeux d'influence traditionnels ? Un Hong Kong ouvert, par rapport à une Europe forteresse repliée sur elle même et mangeuse de ses nations, tel un État Léviathan ? Peut-elle rivaliser avec Dubaï au Golfe, ou avec Singapour dans le Sud-Est asiatique, au sein d'une zone artificielle de multilatéralisme financier et de moindre complexité institutionnelle, dans un cas ou encore un espace purement marchand, hors des disputes et des règles contraignantes, dans l'autre ?
En Europe, la Grande-Bretagne ne pourra pas laisser sa place à Berlin ou à Paris qui sont au cœur d'un leadership géopolitique naturel, pour faire avancer un projet d'unité politique qui lui est intrinsèquement étranger. Peut-elle trouver des épigones au Nord et à la périphérie ? Peut-elle constituer un exemple, un modèle, une référence ? Ou rester, en revanche, le dernier refuge pour un régime dérogatoire permanent, consistant, à regarder le monde avec le prisme du grand large et d'un grand passé ?
David Cameron semble ignorer qu'il est en train de renégocier le passé et non l'avenir, flirtant avec le mythe d'une Histoire post-américaine, post-occidentale et post-atlantique où la Grande-Bretagne serait isolée au sein d'un paysage stratégique marqué par une nouvelle géopolitique de la puissance ! Éloigné, certes, de Bruxelles mais tout autant de Washington ou de Beijing ! Et si le Royaume-Uni devenait, à terme, une zone d'intérêt économique extérieure d'une UE ouverte ? Après tout small is beautiful ? Où se situeraient alors ses intérêts essentiels ? Quelles seraient les clauses de sécurité qui la lient à l'UE et au pôle européen ? La Grande-Bretagne peut demander de négocier tout, sauf son insularité et sa position géographique, qui sont liées au continent et ne peuvent comporter une dérogation spéciale face aux grands défis du siècle et aux menaces de demain.
Que pourra répondre le peuple britannique à un mariage de raison où dans la corbeille des rêves il n'y a plus de souffle pour l'Europe ni d'avenir européen mais seulement des calculs politiques intérieurs, qui sont à la fois partisans, personnels et tactiques ?