COMMENT DISSOUDRE DES REVOLTES EN FUSION ?

Auteur: 
Thomas Flichy de La Neuville et Thomas Dumont
Date de publication: 
13/1/2019

Tout se passe comme si les révoltes qui ponctuent l’histoire se coulent dans le lit d’une même rivière. Certes, l’eau de la colère peut déborder au delà ses rives brumeuses, buter sur quelques rochers inconnus ou bien se refroidir aux abords d’îles jamais englouties au point de former quelques plaques de glace, mais il lui faut néanmoins suivre un cours tracé à l’avance. Quelles sont ses lignes de forces ? Aux origines des émotions populaires, l’on trouve généralement la faim, tenaillée par la fiscalité. C’est bien la fiscalité romaine, conjuguée à la misère, qui lance sur les routes de l’Empire les bandes armées des Bagaudes qui rançonnent le Nord-Ouest de la Gaule entre le IIIe et le Ve siècle. Les impôts impopulaires déclenchent également les émeutes contre l’Empereur Justinien à Constantinople en 532, c’est eux aussi qui donnent naissance aux émeutes du sel à Moscou en 1648. Le déclenchement de ces troubles est d’autant plus rapide, que le pouvoir est aux mains d’une ploutocratie. L’on sait que le dieu Ploutos avait été jadis aveuglé par Zeus, comme nous le narre Aristophane. C’est la raison pour laquelle ses fidèles aiment à se murer dans l’autisme. En réalité, les ploutocraties qui ont pu prospérer dans la longue durée, couronnaient des écosystèmes commerciaux. Ces derniers étaient pourvus de mécanismes de désamorçage parfaitement efficaces contre les émeutes. C’est ainsi que Carthage put prospérer dans la longue durée et Venise éviter toute révolution grâce à de précieux informateurs-délateurs : les gondoliers. Toutefois, lorsqu’une ploutocratie monte à l’assaut d’un vieil empire aristocratique et guerrier, les difficultés surviennent inévitablement. Le banquier Ouvrard en fit les frais face à Bonaparte, tout comme les oligarques confrontés à Poutine. Naturellement, les dérèglements de la vie privée des Princes attisent l’émeute. La sédition Nika, qui éclata à Constantinople en 532 fut par exemple provoquée par l’hostilité à l’Impératrice Théodora, issue du milieu du spectacle et suspecte de se prostituer. De la même manière, le massacre de la Saint-Barthélemy eut pour toile de fond un projet de mariage impopulaire, celui d’Henri IV avec Marguerite de Valois, deux époux fort mal assortis. L’ambition personnelle du Prince, joue également un rôle déterminant, César n’avait il pas été nommé dictator perpetuo avant son assassinat ? Parmi les causes premières des révoltes, l’on peut enfin retenir le rejet d’une présence étrangère au sommet de l’Etat. C’est elle qui déclenche les Vêpres siciliennes contre les Français en 1282, la révolte de 1517 contre les Lombards de Londres ou bien l’émeute de Madrid de 1766 contre le ministre italien Esquilache. Ces révoltes débutent souvent par une étincelle festive. C’est au cours du mardi gras 1229, qu’éclatent les émeutes étudiantes de la Sorbonne dans le quartier Saint-Marcel. Les vêpres siciliennes débutent pour leur part après les fêtes de Pâques. Ces troubles ne prennent de l’ampleur que si s’opère la fusion des révoltés. S’il n’avait pu rassembler les différentes tribus germaniques contre Rome, Arminius n’aurait pas vaincu à Teutobourg. A la même époque en Chine, les sourcils rouges menaçaient le pouvoir Han en opérant la fusion des révoltés rivaux. L’on peut enfin se ressouvenir de l’alliance contre nature entre les factions bleues et vertes à Byzance, qui sonna l’hallali du pouvoir impérial et fit 30 000 morts en 532. Mais la fusion des révoltés, si elle est une condition nécessaire, n’est pas suffisante, il leur faut également l’expertise militaire. Pendant les émeutes de Mertyr en 1831, la présence d’émeutiers formés militairement leur permis de mettre au point des formations paramilitaires et surtout un commandement central assorti d’un système efficace de communication. C’est ainsi que les émeutiers défirent le 93e régiment du train. Dans ce contexte, comment le pouvoir peut-il réduire l’émeute ? En divisant les émeutiers naturellement : les turbans jaunes se dissoudront à la mort de leur chef en 192, mais surtout en les écrasant militairement. Mais pour être efficace, la réaction du pouvoir ne doit pas être forcément conventionnelle : lors des émeutes de 1517, c’est bien l’armée privée du Duc de Norfolk, qui vint à bout des récalcitrants. A l’inverse, lorsque la bourgeoisie libérale de la seconde république prétendit étouffer dans l’œuf la révolte de la faim des ouvriers des ateliers nationaux en décidant de leur fermeture, elle ne fit qu’attiser leur révolte. Sa réaction mécanique, qui entraina le général Cavaignac à détruire les 400 barricades parisiennes, ne fit que précipiter la chute de la IIe république. Face aux troubles, un régime ne résiste pas longtemps à son propre manque d’imagination.