MACHIAVEL, L'UTOPIE ET L'ÉTAT MODERNE
Renaissance Et Modernité
 
 La naissance de la pensée politique moderne, rationaliste et réaliste,  porte le nom de Niccolò Machiavelli. Cette pensée reflète les mutations  fondamentales qui transformèrent l'Europe du XVI au XVII siècle et qui  ouvrirent des nouvelles prospectives à la manière par laquelle les  hommes réfléchissent à la chose politique. Celle-ci n'est plus  subordonnée aux grandes interrogations métaphysiques ou à  l’ordonnancement providentiel du monde, mais uniquement à la logique  rationnelle de l'expérience humaine. 
 La pratique politique de la Renaissance, comme prototype de la  civilisation européenne, porte en soi les germes de la Modernité,  autrement dit :
 la politique d'équilibre ou de la balance dans les relations entre Dpuissances continentales.
 l'autonomie du politique, personnifiée par le Prince, le Sujet - Maître  de la realpolitik naissante marquée par l'absence de scrupules éthiques  et moraux.
 la distinction des trois morales, du droit, de la force et de l'éthique.
 S'ouvre encore au début du XVIème siècle une nouvelle page pour l'action  politique, la page de l'incertitude et des calculs, liée à la précarité  consubstantielle des situations de pouvoir ! 
 En termes de légitimité, la marche vers la modernité est caractérisée  par le fait que la loyauté politique, jadis personnelle, se commue en  allégeance populaire et les guerres dynastiques, qui n'impliquaient pas  des intérêts nationaux se transforment progressivement en « causes »  idéologiques dans les affrontements entre États et entre peuples –  nations.
 Les mutations induites par cette transition, qui va du XIVème au XVIIème  siècle, reflètent la crise profonde et avancée des valeurs de la  traditions et des institutions du Moyen–Age déclinant 
 
 L'irruption De La Force
 
 C'est dans dans un monde sans Dieu et sans harmonie universelle que  l'irruption brutale de la force, celle de la « furia francese » de  Charles VIIII, s’imposera en 1494 à la jeunesse de Florence, comme  facteur diriment des rivalités et des luttes qui affectèrent le système  des États italiens de la Renaissance.
 Ce fut une période dans laquelle l'émiettement de l'Italie ne laissait  d'autre choix que le triomphe de l'hégémonie impériale de Charles V, ou  le jeu de balançoire entre l'influence des Habsbourg d'Espagne et  d'Autriche et la prépondérance de la Monarchie française.
 Or deux grands phénomènes marquèrent profondément l'univers spirituel du  monde moderne : la laïcisation progressive de la culture en Italie et  la Réforme Luthérienne en Allemagne.
 Ces deux grandes réformes de la conscience et de la foi influèrent  puissamment sur l'élaboration  d'un pensée politique qui allait procéder  de nouveaux concepts, celui de souveraineté de Bodin, d’État-Léviathan  ou  de Dieu Mortel de Hobbes, de droits civiques de Locke, autrement dit  des trois théorisations fondamentales du pouvoir moderne, la  supériorité du pouvoir civil chez Bodin, la garantie de l'ordre publique  chez Hobbes et le droit d'insoumission contre le tyran chez Locke,  autrement dit la laïcité, l'absolutisme et le constitutionnalisme.
 Par ailleurs les historiens de la Renaissance saisirent avec la lucidité  la lente désagrégation de l'unité religieuse du Moyen-Age et  l’émergence parallèle d'une forme de pensée séculière, qui permit  l'émergence de l'État territorial moderne. Dans cette période furent  élaborés tous les concepts clés de la science politique occidentale : la  souveraineté, l'État-Nation, l'Empire universel, le contrat politique,  l’équilibre des forces, la « jealous emulation » et la théorie  naturaliste du pouvoir.
 
 L'analogie Historique
 
 En ce qui concerne l'analogie historique, le système des États italiens  de la Renaissance rappelle  la conjoncture politique de l’Europe  actuelle.
 Intégration continentale au lieu de l'équilibre péninsulaire, ruptures  d'âge, de conceptions et de politiques, bouleversement et extension des  espaces et des théâtres de conflits, caractère excentrique des grandes  décisions et des grandes puissances, convoitise des mêmes enjeux par des  acteurs globaux, hier nationaux, aujourd'hui mondiaux, rayon d'action  et puissance accrue des moyens d'intimidation et de force avec  l'artillerie naissante à l'époque, les panoplies balistico-nucléaires  et  les boucliers anti-missiles à la portée, hier, des économies  nationales et, aujourd'hui, des économies continentales. Cette  impressionnante démesure de l'histoire, dans deux conjonctures  semblables, n'est rien de plus qu'une extraordinaire dilatation de la  scène politique marquée par un déplacement des enjeux, une accumulation  verticale de la puissance, une solidarité troublante entre  l'organisation des ambitions et l'apparition de nouveaux étalons de la  puissance et de l'influence.
 Machiavel fut un pur produit de la Renaissance italienne et l'expression  d'une Seigneurie puissante, en lutte pour l'expansion et la survie. à  l'âge des monarchies nationales montantes de France et d'Espagne,  l'Italie est le reflet de la crise définitive de deux grandes  institutions œcuméniques du passé, la Papauté et l'Empire, érodées par  un éveil collectif, il « Rinascimento », autrement dit l’enfantement  d'un monde nouveau.
Ce dernier marque le modèle de la civilisation européenne de nos temps et l'Italie apparaît comme l'école de l'Europe, de la même manière par laquelle Athènes avait été l'école de la Grèce ancienne pour la Rome républicaine, puis impériale.
Le Prince Entre «Virtu» et «Fortuna»
 
 En termes philosophiques et suivant les conceptions de Machiavel , la  convergence du réalisme et de l'utopie doivent permettre a la  singularité de la « Virtu », dans la personne d'un grand architecte  politique, le Prince-Mythe, d'épouser l'entité hasardeuse de la  « Fortuna »,et de réaliser ainsi la nécessité politique de la Modernité,  l'unité italienne, ou avec le langage d'aujourd'hui, l'unité de la  Nation, à l'image de la France et de l'Espagne. Par cette référence  constante et après la descente de Charles VIII en Italie, l'algorithme  capital de toute équation politique deviens pour Machiavel l'Europe.
 Les mutations des équilibres européens fait du Prince, le Sujet- Maître de la politique, le seul garant de l'action historique.
 Ce sujet apparaît comme capable d'unifier le but de la conquête du  pouvoir et de son maintien, avec la catégorie du changement radical du  paysage politique et donc de l'utopie.
 Or l'utopie à l’épreuve de l’expérience n’arrivera pas à résoudre  l'antinomie de fond entre l'espoir du salut et la realpolitik ou encore  avec les concepts du XXème siècle, entre l'idéologie du progrès et la  réversibilité constante des aventures politiques. 
 En effet toutes les révolutions se feront au nom de l'utopie et toutes  les restaurations au nom du réalisme. Ceci vaut sans exceptions pour la  révolution démocratique des colonies américaines, l'ambivalence   de la  révolution française, la révolution bolchevique puis soviétique, la  longue marche de Mao Tse Dong et le révisionnisme pragmatique de Deng  Tsiao Ping.
 
 La Modernité Et L'âge Des Révolutions
 
 Or la Modernité naissante n'entra dans les entrailles des siècles que  par le radicalisme des idées et des principes, ouvrant sur un âge de  révolutions.
 Mais le mariage des intérêts et des idées n'est guère durable sans les  assertions démonstratives de la science et sans une révolution  paradigmatique. Or celle-ci était aux portes avec la remise en question  de la théorie géocentrique de Ptolémée, par la révolution scientifique  galiléo-copernicienne qui bouleversa les conceptions dominantes de  l'homme, de la connaissance et du pouvoir .
 En réalité, tous les penseurs qui préparèrent le terrain pour le  triomphe d'une révolution cosmologique, de l’univers et de l’expérience  humaine avaient la conviction que leurs contributions  aboutiraient non  seulement à la libération de l'homme de toutes les servitudes  ancestrales, mais que leurs expériences étaient la condition  intellectuelle des réformes et, plus loin, des transformations radicales  des relations entre les hommes, comme applications de la révolution  scientifique à la société.
 
 La Renaissance Et Sa Représentation
 
 L'image de la jeunesse, de la beauté corporelle, picturale,  architecturale et statuaire, les métaphores du printemps, donnent une  représentation de l'époque qui croit à l'homme nouveau et païen, à  l'harmonie et à l'équilibre des formes, comme à des aspects centraux  d'une nouvelle splendeur culturelle. Ce fut une époque bouleversée par  une nouvelle cosmologie, par l'Astrologie, par la Philosophie et par  l'Utopie, ce fut une saison marquée en Italie par un constellation de  génies.
 Dans la peinture : Botticelli,Raphaël, Titien, Donatello, Michel- Ange.
 Dans l'architecture : Brunelleschi, Bramante, Palladio.
 Dans la musique : Palestrina, Gabrielli, Monteverdi.
 Dans les poèmes d'amour ou épiques : Petrarca, Boccacccio, Ariosto.
 L'affirmation en somme d'une époque de géants et d'une profusion de  richesse de l’esprit, qui firent de l’Europe l’avant-garde du monde et  la maîtresse de l'espace artistique et intellectuel connu.
 Politiquement la montée au pouvoir de Giangaleazzo Visconti, après  Francesco Sforza, à Milan, de Cosimo puis de Laurent de Medici à  Florence et, suite à l'ouverture des trafics maritimes entre l'Italie  des manufactures et des marchands-banquiers vers l'Europe du Nord, à  Gent, Anvers, Amsterdam, Rotterdam et vers les villes hanséatiques de la  Baltique, à travers les routes atlantiques, marque une éclosion de la  créativité, de la prospérité et de la culture générale.
 Au cœur de la Renaissance et de l'Humanisme il y a la frappante  affirmation de l'homme et de l'individualisme humain comme virtualités  dignes des développements les plus divers, allant de la philosophie  morale à la logique et à la méta physique, du libre arbitre à la vie  active et à la richesse, dont les expressions élevées étaient des palais  fastueux et des théâtres, la musique de chambre, l'opéra et les belles  lettres. 
 Or si l'Europe de la Renaissance et de la Modernité ont eu un tel  retentissement  dans le monde , y– a-t-il encore une place dans  l'avenir  pour l'Europe post-moderne, pour sa renaissance et pour une  nouvelle utopie ?
 
 MACHIAVEL, LA SÉCULARISATION DU POLITIQUE ET LE CONCEPT DE LÉGITIMITÉ 
 
 Avec Machiavel, la pensée politique devient une activité sécularisée  inspirée par la logique des intérêts plutôt que par celle d'une vérité  ou d'une valeur, métaphysique ou morale. 
 Elle marque l'émergence de l'État moderne, du réalisme politique et de  la souveraineté absolue. Depuis Machiavel, la doctrine de l'État et la  tradition du réalisme embrassent toute entière l'Histoire occidentale  car elles font corps unique avec le concept moderne de souveraineté,  comme soumission à une autorité absolue indivisible et  inconditionnelle . C'est ce qu'on appellera plus tard la doctrine de la  « Raison d'État », comme conception de la puissance internationale et  interprétation calculée et rationnelle des intérêts nationaux. 
 La doctrine de Machiavel a un fondement idéologique et une justification  prospective. Elle est empreinte de la force entraînante  d'une utopie  armée et de la séduction d'un dessein politique porté par le Sujet  maître du politique, le Sujet Prince. Elle débouche enfin sur une  théorie de la volonté et du pouvoir d'État. Or l'antinomie entre  l'utopie et la realpolitik n'arrivera pas à résoudre le caractère  irréconciliable de ces deux philosophies contradictoires, l'utopie comme  quête idéaliste de nouveaux horizons politiques et la Realpolitik,  comme rappel de la réversibilité des conquêtes humaines. En effet,  toutes les révolutions se feront au nom de l'utopie et toutes les  restaurations au nom du réalisme. 
 
 La Sécularisation de la politique
 
 Les historiens de la Renaissance, bien avant Machiavel, avaient  parfaitement saisi la lente désagrégation de l'unité religieuse du Moyen  Age et l'émergence parallèle d'une forme de pensée séculière qui permit  l'élaboration de la théorie de l'État moderne. En effet, en moins de  deux siècles furent élaborés tous les concepts clés de la pensée  politique occidentale : la souveraineté, l'État-Nation, l'Empire  universel, le contrat politique, l'équilibre des forces, la « jealouse  emulation », la théorie naturaliste du pouvoir et le caractère décisif  de la force dans le règlement des affaires humaines. Partout en Europe,  les ruptures dictées par la force s'imposèrent comme les facteurs  diriments des hostilités et des antagonismes.  
 Depuis 1945, et après trois siècles de conflits, le réalisme politique  et la doctrine de l'État-force n’apparaîtront plus aux Européens comme  les régulateurs suprêmes des controverses internationales, supplantées  désormais par la domination universelle du droit. A la dure réalité de  la puissance se substituerait ainsi l'utopie d'une ordonnancement  idéaliste des affaires internationales par la voie du compromis et par  l'empire de la norme.
 La dépolitisation des conflits fut justifiée par la croyance dans la  législation collective de la communauté internationale. A côté de cet  affaiblissement de la politique comme rivalité violente, se  développèrent deux pratiques et deux philosophies réciproquement  actives, celle émergente de « la société civile » et celle ancienne de  la « légitimité ». 
 La première apparaît immédiatement comme une « frontière » sociologique  de l'État régisseur, la deuxième comme une « contrainte » du caractère  oligarchique voire monocratique de toute forme de pouvoir. De surcroit, à  côté d'une redéfinition de l'État actuel comme État post-moderne et  post-national, une triple « limite » s'imposa à l'Europe . La première  fut d'ordre historique, la deuxième d'ordre sociologique et la troisième  d'ordre philosophique. 
 
 Les «limites » de l'Europe
 
 La première limite porte sur la connaissance du présent et donc sur la  conscience historique. Elle est focalisée sur le rôle de l'Europe dans  le monde. Or ce rôle est appréhendé comme une coexistence hybride de  sécularisation, de néo fonctionnalisme et de neutralisation des  consciences. Il s'agit d'un amalgame complexe qui efface progressivement  la conception de la politique comme engagement militant et foi  combattante. Cette conscience du présent nous indique que nous vivons  une période d'épuisement. En effet, l'Europe est devenue une puissance  qui recherche une seule légitimité, celle du « status-quo ». Or cette  conscience postule l'utopie d'un rebond, d'un réveil civilisationnel. 
 La deuxième limite porte sur le constat que la désacralisation et la  laicisation absolues de l'esprit européen ont progressé dans la vie  publique comme dépolitisation. Ce processus a fait penser à la  neutralisation de l'existence, autrement dit la « paix universelle ».
 La troisième est intrinsèquement liée à la deuxième. Il s'agit de  l'illusion d'une harmonisation des intérêts. En ce sens, l'Europe  incarne la revanche anti-machiavénienne d'une « utopie désarmée ».  Historiquement, la neutralisation de la conscience européenne remonte au  XIXème siècle, à l'apparition d'une neutralité générale, dont « l’État  agnostique et laïc » est devenu l'expression emblématique. La légitimité  de l’État, jadis régisseur, puis gouverneur et ensuite décideur, repose  désormais sur son agnosticisme moral. Ainsi l'humanité européenne a  accompli en cinq siècles une complète migration du terrain de la lutte  vers le terrain du neutralisme et du champ de la foi et des guerres de  religions vers les guerres nationales, puis économiques et pour finir,  vers les luttes idéologiques.
 Si bien que de nouvelles guerres s'annoncent, à l'intérieur et à  l'extérieur de l'Europe, les « guerres weberiennes des dieux » entre  vérités et principes  opposés qui activent une virulence sanglante  faisant rage depuis quatorze siècles. 
 
 État et « société civile » 
 
 En effet, l'Europe d'aujourd'hui mène à son terme un processus débuté  avec la Renaissance, celui de la sécularisation de la politique. Pensant  tout ce temps, on est passé de l’État absolu du XVIIème et XVIIIème  siècles, à l’État libéral et neutre du XIXème, puis à l’État total et  autoritaire de la première moitié du XXème siècle et à l’État social de  la deuxième moitié du Xxème. On en est aujourd'hui à l’État post-moderne  et post-national. Dans cette perspective, la « société » civile est  devenue un « état de l'économie, de la culture, de l'assistance, de la  bienfaisance et de la prévoyance, de la solidarité, de la transformation  des moeurs. » La société civile embrasse ainsi tout le social. Les  mouvements sociaux, dans lesquels s'organisent les tendances et les  divers intérêts en lutte, constituant la société même, devenue un corps  civil hétérogène.
 La « société civile » d'aujourd'hui apparaît, en conclusion, comme un  amalgame de courants et de minorités revendiquant des statuts  particuliers au nom  de communautés non intégrées et comme segments d'un  ensemble au sein duquel  s'opposent des « sens » disparates  et conflictuels.
 
 LE CONCEPT DE LÉGITIMITÉ
 
 En revenant au concept d'État, là où il y a pouvoir, il doit y avoir  légitimité. Pour qu'il y ait obéissance et pour qu'il y ait affectio  societatis il faut une forme intime d'adhésion au pouvoir de la part des  citoyens. 
 La légitimité  est un attribut de l'autorité. C'est l'adhésion  volontaire à une forme spécifique de pouvoir. Dans l’État moderne, elle  exprime une connexion entre la théorie générale du pouvoir et la théorie  générale du droit. Anciennement et en tant qu’idée morale supérieure au  droit, elle porte témoignage du sentiment de dévouement qui transcende  la sphère de la politique. Ainsi, la source ultime de la légitimité se  situe sur un plan qui allait au-delà de l’ordre juridique et remontait à  la justification ultime de l’autorité (potestas). Depuis Ulpien et  Thomas d’Aquin, la légitimité a été pensée comme la raison d’être de la  société (affectio societatis) et causa remota du pouvoir.
 La légitimité se définit de façon générale par rapport à la totalité  d'une forme de pouvoir et pas à l'une des formes de régime politique,  démocratie, aristocratie ou dictature. Elle désigne les différentes  manières de se déterminer vis-à-vis de l'avenir ou pour le dire avec  Ortega y Gasset, par rapport au passé. Elle remonte à un principe  ordonnateur unique, la foi politique  et tire ses origines de la  communauté des croyants. Elle conserve, par ailleurs, la connotation  religieuse qui fait d'elle l'expression de la conviction profonde et du  libre arbitre de l'individu. 
 En Occident et du point de vue phénoménologique, la capacité du pouvoir  d’obtenir obéissance se définit par la croyance en la légalité, en sa  conformité à la loi en vigueur et à l'ordonnancent juridique existant.  Cette phénoménologie est soustraite  à l’incertitude de la norme  coutumière. 
 Mais la suprématie de la légalité sur la légitimité est attribuée par  Max Weber à l'avènement de la démocratie et au fait que le pouvoir est  lui même soumis à la loi car il ne peut être en aucun cas « legibus  solutus ». 
 Par ailleurs, cette supériorité de la légalité est due à l’affirmation  progressive d’une société hétérogène et individualisée (la  Gesellschaft), prenant le pas sur une société homogène et organique (la  Gemeinschaft). 
 La légitimité traditionnelle sera plus tard laïcisée par la théorie  roussouienne du « contrat » et par l’effort intellectuel de donner un  corpus idéologique à une fiction, celle de l'auto-institution de la  société par le « peuple ». 
 La critique de l'ordre moral et de l'ordre politique du passé par les  « Lumières » a conduit à renier la majesté de la tradition et de la  hiérarchie. 
 La recherche de légitimité politique des sociétés traditionnelles  non-occidentales naît aujourd'hui de la séduction qu'ont exercé et  continuent d'exercer sur ces pays les notions de « démocratie », de  « régime démocratique » et plus encore de « constitution » politique.
 Exaltant le modèle occidental, né de la « Raison », ces pays ignorent la  pluralité des courants de pensée, opposés et critiques des « Lumières  Historiques » et qui sont à l'origine du conservatisme néo-libéral –  Burke, de Bonald, de Maistre et plus proche de nous, Ortega y Gasset.
 Ce qui est remis en cause par les penseurs de cette « autre modernité »  est le fondement conceptuel de la démocratie, ainsi que le lien social  des régimes modernes et donc les notions de « peuple », de  « constitution écrite » et, in fine, de « souveraineté populaire ».
 Ce ne sont guère les méfaits de la Révolution qui sont condamnés par ces  penseurs, mais les détournements de la Raison. Ce sont les changements  de la perspective sentimentale qui sont visés par les « Anti-Lumières »,  le « culte de l'idée » et de la « Raison pure », la « Raison  more-geometrico » faite pour être aimée par elle-même. Ce sont ces  changements, qui ont abouti au rejet du passé et à la réinvention  totalitaire de la société et des empires idéologiques ou abstraits comme  l'Union Européenne.
 En effet la « légitimité » présuppose un accord sur les valeurs, les  idées et la philosophie sur lesquelles est bâtie une communauté  traditionnelle. Du point de vue du droit et de l’ordre international  sont aujourd’hui « légitimes » non seulement les formes de gouvernement  qui peuvent prouver l'effectivité de l'autorité, mais aussi l'expérience  de la communauté internationale fondée sur la reconnaissance de  l'État-nation et de l'État à souveraineté populaire. 
 Ceci pousse les régimes autocratiques à recourir au « suffrage  universel »pour se faire reconnaître comme « États de droit » sur la  base d’une « moralité positive », celle de la communauté internationale,  car est légitime l'État qui est régi par des lois. En effet, comme le  disait Rousseau, « les lois sont de actes de volonté générale ».
 On peut ainsi affirmer que la « souveraineté du peuple » est le  fondement de tout ordre juridique, interne et international et la  première expression de la modernité.
 En ce qui concerne l'Union européenne, la souveraineté et la légitimité  du pouvoir ne sont pas à confondre  avec le déficit démocratique. Ce  dernier fait référence à l'adoption d'un paradigme, le régime  démocratique, et restreint ainsi la recherche du consentement aux  citoyens qui considèrent l'organisation démocratique de l'Union comme  une référence nécessaire. En effet, les partisans de cette doctrine ne  décernent pas la logique des contre-pouvoirs qui est à la base de la  conception rousseauienne de la démocratie.
 Ces partisans se limitent à considérer les formes et les procédures  d'exercice des décisions communautaires au lieu d'examiner l'efficacité  comparative et les répercussions de ces mêmes politiques à l'échelle  internationale. En réalité, les critiques des néoconservateurs, des  néo-libéraux portent sur l’abstraction idéologique sur les artefacts  sans légitimité et sans histoire et donc sur les constructions, qui ne  sont pas fondées sur les mœurs, les traditions et le passé et dont la  seule légitimité est un concept abstrait.
 
   
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