NICOLAS SARKOZY ENTRE NIETZSCHE ET ROUSSEAU

ESSAI SUR L'INEGALITE HUMAINE
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
25/10/2025

Où voulait-il en venir Rousseau ? A la doctrine de l’égalité !

Question rhétorique à en douter !

 […] A la doctrine de l’égalité !… Mais il n’y a pas de poison plus vénéneux, car la doctrine de l'égalité paraît prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de toute justice…" (Nietzsche)

L'égalité ? Mais laquelle ? De la soumission, de l'obéissance absolue, de l'esclavage, de l'immoralité totale, du nihilisme ?  De Dostoïevski, d’Orwell ?

L'égalité ? Un obstacle certain à l'épanouissement individuel et une entrave délétère et sinistre à la vie sociale, réduite à une société de médiocres et d'angoissés. 

Or l'égalité c'est la Raison, les Lumières, la « Grande Révolution », La République régicide ! 

L'égalité c'est Rousseau !

Après la mort de Dieu, la fatalité du renouveau ne peut venir que de l'inégalité et du surhomme !  Du dépassement de soi vers la liberté créative et le surhumain.

C'est du Nietzsche !

Nietzsche opère une « coupure épistémologique » dans la philosophie occidentale moderne, à partir de Schopenhauer et y sera suivi par Joseph de Maistre, Spengler, Ortega y Gasset, Schmitt, Jaspers, Heidegger et tout le courant des anti-Lumières. 

Il fait pivoter la philosophie de l'histoire du côté du réalisme théorique, en laissant à la marge K.Marx, la gauche hégélienne et le prophétisme révolutionnaire. Sa critique sera radicale, tant en ses valeurs morales (inscrites dans l'interprétation chrétienne de l'histoire), qu'en en ses principes politiques (l'égalitarisme et la démocratie), ou encore en toute forme de platonisme ou d'idéalisme utopique. Il s'en prend aux valeurs du Christianisme et à la volonté du néant, qui a dominé l'histoire de l'Europe, sous l'influence de ce système de croyances. Nietzsche pense et vit dangereusement. 

Il ne s'inscrit pas dans un seul courant philosophique, mais est associé à la réévaluation des valeurs, à la volonté de puissance et à une nouvelle approche de la vie.

Puisque l'excellence et la créativité ne peuvent émerger qu'au sein d'une hiérarchie, où les plus forts (qu'ils soient capitaines ou sacerdos) sont ceux qui créent des valeurs, l'inégalité est essentielle à la quête de la grandeur individuelle, à la gloire des peuples et à la rédemption des coupables. Elle est essentielle à tout Sujet de la « Grande Politique ».

Rejetant l'idée d'égalité, comme doctrine qui contredit la nature humaine et l'épanouissement des « hommes supérieurs », la doctrine égalitariste, que Nietzsche associe au « ressentiment » des faibles et à la « morale du troupeau », tend à niveler les individus et à étouffer la « morale des maîtres ».

« L'injustice ne se trouve jamais dans l'inégalité des droits, elle est dans la prétention à des droits égaux ». Ainsi, le véritable langage de la justice serait de traiter les égaux comme des égaux et les inégaux comme des inégaux".

Dans « Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » (1755) le regard de Rousseau porte en grande partie sur une fiction, l'état de nature, préhumain, où « l'homme » aurait été naturellement bon et que la transition vers « un état de société » aurait corrompu, par le désir d'appropriation de la terre, origine de la propriété privée. Sous cet aspect JJ. Rousseau semble un précurseur de Proudhon (« la propriété c’est le vol ») et de Marx (la propriété est cause de tous les maux, son abolition la solution à tous les problèmes).

Ainsi, la fiction de l'inégalité naturelle de Rousseauconcernant les différences de santé, de force, d’intelligence, de génie, de fourberie ou de délire, qui sont dues au hasard et que la vie sociale accentue et aggrave, n'échappera pas au sarcasme de Voltaire, qui le remerciera avec les mots suivants : « On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage ».

Dans les célèbres disputes, empreintes de redoutable véhémence entre Voltaire et Rousseau, ce dernier, en inscrivant la modernité dans un « état de crise », qui est le « siècle des révolutions », interpelle à la fois les modernes et leur prétention fallacieuse d'occulter la réalité socio-historique de l'époque, aggravée de la déchéance générale de leurs mœurs et de leurs esprits.

Une contemporanéité éclatante !

Qu'en est-il de la condition de la liberté, de la liberté politique et de la liberté morale comme sentiment qui s'oppose à l'idée de société comme norme ou déterminisme, créant toute sorte de relation de dépendance personnelle ?

Qu'en est-il de la volonté de puissance et de l'Obermench, emphatisés par le nazisme ?

Dorian Astor, voulant dissocier la radicalité de Nietzsche de ses exégètes, explique comment le philosophe débusque la volonté de dominer.

« Derrière la morale et l'idéalisme, derrière la philosophie et les bons sentiments règnent les pulsions, les désirs, l'inconscient,.... Il démasque des luttes de pouvoir derrière la froideur de la rationalité. ... Il se méfie des idées d'universalité, de substance, d'Être, tous ces concepts qui nous font croire que le réel se déploie en dehors de nous, sans oser s'avouer que nous les interprétons en fonction de nos envies et notre volonté »

Si la force est un concept central pour Nietzsche, lié à la volonté de puissance, le force elle-même n'est pas une simple domination, mais une force d'affirmation de la vie, de croissance et de dépassement de soi, dicté par la survie de l'homme à la mort de Dieu.

 Or l'interprète de la postérité de Nietzsche dans le domaine la « grande politique » ou de la politique internationale comme politique de force est Carl Schmitt, théoricien de la conception selon laquelle l'inimitié et guère l'universalisme du bien, exige la défense de la survie d'une communauté politique. Celle-ci a besoin d'un État pourvu du « ius belli », car la guerre comme inimitié radicale ne peut exister que d’État à État. Sous cet angle, l’État qui mène une politique pacifiste ou humanitaire cesse d'être un sujet politique ou une unité significative du système international, car seul l’État, caractérisé par un rapport stable à son territoire reste dans une relation de possession naturelle avec lui et peut assurer l'autoconservation d'une société ou d'une civilisation.

Pour les nazis, la civilisation ou la culture étaient, à l'origine, la transcription harmonieuse de la nature. La dénaturation est intervenue quand l’évangélisation a introduit le judéo-christianisme, puis quand la Révolution française a parachevé ces constructions idéologiques, que sont l'égalité, la compassion ou l'abstraction du droit.

Ainsi la révision générale des normes et la réécriture de l’histoire de l’Occident par le radicalisme nazi, a imposé le culte de l'Etat, auquel fut étranger Nietzsche, hostile à l'adoption d'une conception égalitariste de l'homme et de la souveraineté populaire.

Hostile à la philosophie politique de Rousseau et à son interprétation de la modernité comme l’avènement d’une nouvelle ère, caractérisée par la progression d’une rationalité stabilisatrice de l’histoire.

Or, la pensée politique de Rousseau, construite sur le contrat social, postule que la société légitime découle du consentement du peuple et non de la domination, puisque l'homme est naturellement bon et que la société le corrompt, créant ainsi des inégalités.

Ainsi sa philosophie prône la souveraineté populaire, où la volonté générale est la source de la loi.

Il s'en suit que la relation entre Jean-Jacques Rousseau et les régimes autocratiques a constitué un sujet de débat et sa pensée a été considérée comme potentiellement totalitaire, en raison de la confusion entre liberté et cohésion sociale et de la subordination de l'individu à la volonté générale.

D'où peut venir en effet la légitimité d’un pouvoir politique ? 

Rousseau assume de rompre avec l’histoire des idées et fonde une philosophie propre, qui interroge la place de la liberté sous la loi, issue d’un peuple « souverain ». C’est une liberté « garantie » par les trois voûtes du mécanisme totalitaire (le démiurge de l'Homme nouveau, l'unité de la volonté, le parti révolutionnaire), directement issues de la volonté générale.

Rousseau, en bon philosophe, prétend de changer la nature humaine et dissoudre l'individu dans le tout collectif, l'entraînant à « supporter docilement le joug du bonheur public », mais le principe de la souveraineté populaire exclut les notions de séparation et de balance des pouvoirs, ce qui engendre le parti d'avant-garde et la « pensée unique »

Peu sûr de lui, le nom de Rousseau a servi toutes les tendances pendant la Révolution, de telle sorte qu'il y a eu « un Rousseau monarchien ou feuillant, girondin à la mode de Mme Roland, un Rousseau jacobin à la Robespierre et un Rousseau communiste à la Babeuf » (Trousson). 

Au cœur du débat actuel entre les héritiers de Nietzsche et ceux de Rousseau, où en sommes nous aujourd'hui, à l'âge de la post-modernité, où le Prince de la République de France et de Navarre, incarcéré dans la Charenton de la « Santé », passe du rôle de « surhomme » à celui de « citoyen », à la proclamation innocente, mais prisonnier du bien, en bénéficiant du « joug égalitaire des privilèges publics » ?