La dimension géopolitique de la communication stratégique
entre la Russie et l'UE
Présentation
Dans le cadre des échanges de réflexion sur le rôle de la communication politico-diplomatique entre médias et think tanks de l'Union européenne, et de la fédération de Russie, nous avons reçu un document d'analyse du Professeur Evgeny Pashentsev, docteur en histoire, responsable de recherche à l'Académie diplomatique de la Fédération de Russie, et directeur du centre international pour les études sociales et politiques. Le Professeur Pashentsev est titulaire de la chaire de philosophie du langage et de la communication de l'Université Lomonossov de Moscou. Avec ce document, le professeur Pashentsev expose sous forme d'entretien les points saillants des divergences entre la communication des pays et des institutions de l'Union européenne (Parlement, Présidence du Conseil et Commission) et les activités d'information du Kremlin. Il établit une comparaison informative et psychologique à trois niveaux, tactique, opérationnelle et stratégique entre ces différents acteurs en vue d'une amélioration de la communication et de la confiance politique, académique et économique.
Deux autres thèmes sont analysés dans cette étude:
- le thème des ONG et des groupes de réflexon qui ont critiqué la stratégie antiterroriste russe au Caucase du Nord, la présentant comme un crime contre la population locale et l'intervention russe en Syrie en appui de Bachar al Assad.
- l'attention portée aux "fake news" et à la communication utilisée par les partis politiques, les médias et les entreprises de communication dans le but d'influencer l'opinion publique.
En ce qui concerne ce dernier aspect, l'auteur met en garde sur le fossé que ce type de désinformation peut créer entre pays et citoyens et entre les gouvernements centraux.
Le document proposé mérite une attention particulière, compte tenu des arguments d'"intérêt général" traités et de l'actualité et virulence du débat en cours à leur sujet.
Inutile de souligner les répercussions de ces analyses et ces pratiques sur les jeux d'influence politico-diplomatiques et sur leur caractère perturbateur.
Indépendamment de la concrète évaluation de l'analyse, il nous semble opportun que le débat soit poursuivi en son évolution, en sa technicité, et en sa complexité.
Nous le soumettons ainsi à l'examen critique de nos lecteurs.
Irnerio Seminatore et Pierre-Emmanuel Thomann
15 octobre 2017
Entretien avec le Professeur Evgeny Pashentsev, 22 juin 2017
1. En 2016, le Parlement européen a adopté une résolution. Selon cette résolution, le Parlement « note avec regret que la Russie utilise des contacts et des réunions avec pour des actions de propagande et pour affaiblir publiquement la position commune de l'UE, au lieu d'établir un dialogue sincère », un commentaire qui souligne qu'il y a une vraie guerre d'information entre Bruxelles et Moscou. Est il vrai que la Russie a utilisé différent outils de propagande dans le cadre son conflit avec l'UE ? Ou bien cette résolution peut-elle être considérée comme faisant partie de la stratégie de communication de l'UE pour contrecarrer la fédération de Russie et justifier les sanctions et les politiques entreprises jusqu'ici ?
Il est regrettable que la résolution du Parlement européen adoptée le 23 novembre suive volontairement ou involontairement la logique agressive de la guerre de l'information. Cette guerre n'est pas tant dirigée contre la Russie que contre les États-membres de l'UE. Cette résolution, donc, souligne que la stratégie d'information du Kremlin est complémentaire avec sa politique d'engagement avec les États membres de l'UE au niveau individuel dans des relations bilatérales, la coopération économique et des projets communs, afin d'affaiblir la cohérence de l'UE et de saper les politiques de l'UE. Mais cela signifie aussi que étant donné la baisse de la croissance du commerce international, les actions de la Russie et de certains pays pour établir des échanges économiques mutuellement bénéfiques sont trop facilement accusées d'être des activités destinées à saper l'unité de l'Union européenne. Et cela n'est pas dans l'intérêt des États de l'UE qui ont des problèmes économiques graves. La baisse du prix des matières premières et dans une moindre mesure, les sanctions ont aboutit à une baisse de la moitié des échanges entre l'UE et la Russie.
Les statistiques les plus récentes montrent que l'économie russe; qui d'après Obama « était en lambeaux » , recommence à croître malgré les sanctions (0.2% pour le dernier trimestre de 2016, 0.3% pour le premier trimestre 2017). Au débat de 2017, la datte extérieure de la Russie s'élevait à 40% du PIB, ce qui indique la stabilité de la situation économique et financière du pays. C'est beaucoup mieux que les indicateurs correspondants de la plupart des pays de l'UE (la dette extérieure du Royaume-Uni est de 314 %, des Pays-Bas de 525% de l'Irlande 725% , la France de 210%, etc...), bien que des sérieux problèmes économiques subsistent en Russie. On peut observer une réorientation de la Russie vers d'autres marchés, les relations avec la Chine se développent rapidement. Au premier trimestre 2017, on a observé une croissance rapide du commerce entre les deux pays de plus 37%. Les gouvernements russes et chinois espèrent augmenter le chiffre d'affaires bilatéral de 200 milliards de dollars avant 2020.
Pendant ce temps, le poids de la dette des États membres de l'UE avec une croissance faible ou proche de zéro (et c'est ce qui se produit dans l'UE depuis la crise économique de 2008) est associé à des perspectives d'effondrement économique et des explosions sociopolitiques et /ou une guerre. La baisse dramatique du commerce qui s'est produite avec un partenaire important, tout en prenant en charge le régime oligarchique en Ukraine, qui pose des interrogations sur sa légitimité dès l'origine, n'est pas susceptible de bénéficier à l'UE pendant cette période difficile de son existence. Les sanctions leur couverture médiatique ne touchent pas autant la population et les entreprises que les pays de l'UE. La demande croissante dans les pays de l'UE pour une normalisation des relations avec la Russie, provient, selon mon opinion, des aspirations nationales des ces pays, et non pas des « intrigues » du Kremlin pour diviser l'UE.
Malheureusement, le document semble moins affecter la relation avec la Russie que remettre en question la crédibilité et les politiques de l'UE. C'est en tout cas la position de nombreuses organisations influentes dans le domaine de la communication. la FIJ (la FIJ représente plus de 600 000 journalistes dans 140 pays ) et la FEJ ne sont pas convaincues par cette résolution controversée qui semble promouvoir la censure , comme le président de la FIJ l'a expliqué dans une lettre envoyée aux agences d'information Ria Novosti et Sputnik.
La structure de la résolution suit la logique de la gestion des perceptions. Premièrement, la résolution a pour objectif de « d'identifier et d'exposer la désinformation russe et la propagande », et ensuite seulement elle suggère de « comprendre et contrer la guerre de l'information de ISIL/Daesh, la désinformation et les méthodes de radicalisation ». cela signifie que la Russie est considéré comme un ennemi plus important que Daesh. Selon une opinion minoritaire officielle ( introduite par le groupe parlementaire GUE/NGL), « Il est irresponsable de placer un État comme la Russie sur le même plan que Daesh... reconnait la Russie pour ce qu'elle est, : un partenaire clé pour l'UE et un acteur global clé, tant en ce qui concerne la sécurité que la lutte commune contre Daesh. Malgré le soutien massif pour la résolution des élites et des médias « mainstream », seulement 304 Députés européens ont soutenu la résolution basée sur le rapport « Sur la communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers », avec 179 voix contre et 208 abstentions. Certains députés l'ont qualifié de « ridicule » et d' « insensé » . « L'UE a besoin de manière urgente d'un ennemi, que ce soit la Russie ou n'importe qui d'autre, qu'elle peut blâmer pour ses propres erreurs » a souligné le député européen français Jean-Luc Shaffhauser à RT. On ne peut pas être d'accord et soutenir avec ceux qui fuient leurs responsabilités pour la crise actuelle, qui font la promotion de l'image d'un faux ennemi, et plus grave qui font des bénéfices avec une nouvelle course aux armements en oubliant de manière irresponsable les leçons du passé. Les problèmes graves que l'UE rencontre affectent bien sûr négativement la Russie. En revanche, le « Déclin de l'Europe » peut se transformer si on a de la chance en crise globale et en menace d'une grande guerre qui ne peint que être stoppée par la renaissance des nations européennes basée sur la démocratie progressiste et la constitution d'une alliance sincère.
2. En lisant plusieurs journaux européens et en collectant des informations publiées dans les médias, il semble que l'UE and la Russie ne peuvent plus être mais en raison de leurs intérêts géopolitiques et économiques. Est ce que l'Europe et la Russie peuvent survivre séparés pendant ces temps difficiles caractérisées par la récession économique, les menaces terroristes and les problèmes socio-culturels comme l'immigration ? Qui peut bénéficier de cette séparation ?
Je dirais qu'il sera évidemment plus difficile de résoudre les problèmes les plus compliqués de notre temps de manière séparée. Il est impossible de résoudre les problèmes de sécurité, d'environnement et autres problèmes uniquement chacun pour soi. La taille modeste de notre planète exige de plus en plus de prendre en compte nos intérêts réciproques mais pas seulement des paroles, mais des actes aussi. Pour ceux qui doutent de la perspective stratégique des relations entre la Russie et les pays de l'UE, je leur conseille de regarder une carte - ils sont voisins et cela ne vas pas changer. Du point de vue d'une connaissance élémentaire de l'économie, il est clair que les échanges de produits entre voisins, est plus profitable que les échanges des mêmes produits à l'autre bout du monde. personne n'a encore annulé les frais de transports. C'est encore plus avantageux s'ils ne sont pas sujets à des facteurs politiques. mais ceux-ci peuvent être inventés. la crise en Ukraine par exemple. Qui est le bénéficiaire ? Seneca nous donne la réponse : Cui prodest scelus, is fecit (Medea, 609-610).
Les projets d'intégration sur le continent le plus vaste de la terre, où plus de 70% de la population vivent, ne peut être efficace sans la Russie, encore moins contre la Russie, ceci est compris à l'Est (mieux compris) et à l'Ouest de l'Eurasie (mais temporairement moins bien ). La Russie a besoin de travailler dans cette direction, en projetant notre importance objective, nos mots et nos images aux audiences internes et externes. Je veux souligner que l'élément principal, n'est pas la puissance militaire, on ne peut non plus être fort seulement avec la géographie, les ressources naturelles ont une tendance fâcheuse à ne pas croître mais se réduire. Cela veut dire que nous avons besoin d'une attractivité économique et sociale et il y a encore beaucoup de travail à faire dans cette direction, bien que des changements positifs sont indéniables après la dévastation des années 1990. Il y aura encore des interférences non pas par sympathie personnelle ou antipathie avec la Russie, mais à cause de la crainte de perdre des milliards de profits et le leadership géopolitique. Ce facteur objectif doit aussi être pris en considération, ainsi que la calcul des alliances de long terme ou temporaires, ainsi que les incertitudes. Il a été démontré dans l'histoire que la comportement des envahisseurs, forcés de partir en retraite, pratiquent la politique de terre brûlée, afin que les forces de libération ne puissent pas l'utiliser.
Il est assez symbolique qu'en plein milieu de la crise ukrainienne, le fondateur et directeur de STRATFOR, Georges Friedman ai argumenté que l'empire américain était entrain de construire un cordon sanitaire contre la Russie et devait prendre en compte l'expérience de l'empire britannique en incitant les Européens à se lever les uns contre les autres. O% bien se référer à la propre expérience des États-Unis en soutenant l'Iran et l'Iraq, afin qu'ils entrent en guerre entre eux, mais pas contre les États-Unis. « C'est certainement cynique, c'était certainement immoral, mais cela a marché » a souligné Friedman, en tant qu'invité du Chicago Council on Global Affairs. En suivant cette « logique pragmatique », en entrainant la Russie contre l'Europe, et les revenus d'un nouveau plan Marshall pourrait permettre de restaurer le bien-être financier de l'élite américaine. Est ce que l'Europe a besoin de cela ? Est ce que la Russie a besoin de cela ? Je ne parle même pas du danger extrême d'une telle logique à l'âge nucléaire. A l'occasion de sa visite en Russie, Marine Lepen a souligné que les États-Unis agissaient d'un manière qui démontrait le besoin pour Washington de provoquer une nouvelle grande guerre sut le continent européen, d'après la chaîne de télévision RT. « Les sanctions imposées à la Fédération de Russie en raison des difficultés en Ukraine ne contribuent qu'à un avenir sombre pour toute l'Europe, tant en ce qui concerne les sphères économiques que socio-politiques. Une situation semblable a été observée à la veille de la Première Guerre mondiale », a prédit le leader du parti de gauche Les Insoumis, Jean-Luc Mélanchon.
Qu'est ce qui est nécessaire pour un développement progressif des relations entre l'UE et la Russie ? Il est nécessaire d'éviter de dicter les politiques et d'imposer des décisions, d'abandonner la « diabolisation » du partenaire, nous avons besoin de compromis et la recherche de voies nouvelles pour combiner nos intérêts. La communication stratégique est la synchronisation des décisions, des mots et des images en politique publique sur les questions les plus importantes et les enjeux de long termes.
Je pense que l'efficacité de la communication stratégique en tant que moyen de collaboration est négligeable en cas d'intérêts stratégiques et d'objectifs qui ne correspondent pas. Dans ce cas, la communication stratégique devient inévitablement un outil de la guerre de l'information. En créant un climat pour un dialogue international favorable, la communication stratégique peut jouer un rôle positif très important, mais elle peut aussi aggraver la situation. Dans une certaine mesure, la communication stratégique elle-même est un facteur important (et en partie autonome) de rapprochement ou de séparation des parties, et il est extrêmement important qu'elle serve la première tâche, et non la seconde. Un tel programme d'optimisation conjoint de la communication stratégique est totalement inapplicable face aux tensions croissantes entre la Russie et la Chine, d'une part, et les États-Unis d'autre part. Des changements politiques, économiques, technologiques, sociaux et politiques profonds sont nécessaires dans tous les pays clés, en tenant compte de leurs caractéristiques nationales, mais suivant leur intérêt commun de surmonter la menace d'une nouvelle guerre mondiale et d'un développement digne, démocratique et progressif de toute l'humanité. Cependant, cela n'a rien de commun avec la pratique du « changement de régime » avec la participation des services spéciaux américains. Cette pratique a été condamnée sans ambiguïté par Donald Trump peu de temps après sa victoire aux élections présidentielles. « Nous allons arrêter de chercher à renverser les régimes et à renverser les gouvernements, les peuples ».
3. Que pensez vous à propos de l'importance de l'aspect communication dans les relations entre l'UE et la Russie, en particulier en termes de communication stratégique? Et comment voyez-vous les problèmes de communication stratégique de l'UE du côté russe ?
Dans la communication stratégique, les actions sont cruciales pour la transmission des messages aux groupes cibles et à l'ensemble de la population qui, dans une large mesure, déterminent leurs activités. Il est tout à fait naturel que les États individuels et les entités publiques développent leur communication stratégique, même si ce terme n'est pas présent dans les documents officiels d'un pays particulier.
Quel genre de messages, malheureusement, l'UE transmet-elle aujourd'hui avec ses actions au monde? Hélas, les signaux de désunion interne et l'incapacité à faire face à des problèmes croissants. Les incantations sur le désir de renforcer l'unité européenne de la part des hauts fonctionnaires (même si derrière eux il existe un puissant appareil de propagande) ne peuvent plus donner l'impulsion vers l'unité de l'UE depuis longtemps à la plupart des Européens si les actions et les images de la réalité objective montrent le contraire (le développement différencié entre l'Europe du Nord et du Sud, la croissance de la dette extérieure, la crise migratoire, la stratification croissante des populations urbaines, etc.). L'absence apparente de synchronisation des actions, des mots et des images indique l'absence pratique de Communication stratégique de la part de l'UE, bloquant l'ensemble du système complexe de mécanismes nationaux, interétatiques et supranationaux de l'UE, et entraine les conséquences les plus graves pour son unité. Le manque de synchronisation entraîne une diminution des attentes et l'efficacité de toutes les initiatives d'intégration, car les gens cessent de croire en elles. L'attraction pour les investissement à long terme de la région diminue, la désunion interétatique et les conflits interethniques s'intensifient, la société est caractérisée par une incertitude croissante des gens à propos de leur avenir, etc. Tout cela peut être prouvé . Les paramètres quantitatifs, statistiques internationales et enquêtes sur la population sont contenus dans de nombreux rapports européens.
La Russie n'est pas intéressée par cette évolution de la situation. Même si nous abordons la question uniquement à partir des positions commerciales - pourquoi la Russie souhaiterait-elle perdre des marchés stables? Mais la chute des prix de l'énergie, les problèmes croissants dans l'UE et la politique de sanctions en sont la cause. Simultanément, la Russie a des options alternatives pour développer ses relations économiques, comme je l'ai déjà dit.
4. Nous ne pouvons pas considérer les relations UE-Russie de manière indépendantes car il existe des facteurs externes et un acteur clé, tout d'abord les États-Unis, qui ont un rôle important et peuvent influencer le dialogue entre eux. Quels sont les effets de la politique étrangère et de la communication stratégique des pays extérieurs sur les relations entre l'UE et la Russie ?
Bien sûr, les relations entre l'UE et la Russie ne se développent pas dans le vide, elles sont influencées par de nombreux facteurs objectifs et subjectifs. Je suis d'accord avec votre référence au rôle important des États-Unis dans le développement du dialogue entre l'UE et la Russie. Malheureusement, il est loin d'être constructif la plupart du temps. On se souvient que l'administration Obama a accusé la Russie d'interférer dans les affaires intérieures de l'Ukraine, bien que toutes les actions russes soient une réponse pourtant très mesurée au coup d'état qui a entraîné le renversement du président de la République, V. Ianoukovitch, qui n'était pas tout blanc non plus, mais constitutionnellement élu. Il a été destitué par une participation décisive des néo-nazis et des ultranationalistes au coup d'État en utilisant, explicitement et implicitement, le soutien des États-Unis et de plusieurs autres pays de l'OTAN. Pourquoi des prétextes pour les sanctions ont-ils été avancés ? Washington est mécontent de la volonté de la Russie de construire un monde multipolaire plus équitable en tenant compte des différences objectives entre les pays. L'évolution de la Russie ne contredit pas et ne menace pas les intérêts nationaux des États-Unis mais menace clairement les ambitions impériales des éléments les plus réactionnaires et les plus agressifs de l'élite financière et militaro-politique des États-Unis.
L'élection de Donald Trump au poste de président des États-Unis n'a pas encore beaucoup modifié la situation. Le président doit se concentrer sur ses opposants politiques qui jouent activement la « carte russe » pour défendre leurs intérêts. Et après n'importe quel résultat des élections aux États-Unis, il existe un système de contrepoids qui laisse le pouvoir réel à l'oligarchie dirigeante, malgré de sérieux désaccords dans ses rangs sur les moyens de préserver et de renforcer ses positions dans le monde. Je suis d'accord avec le lauréat du prix Nobel et ancien vice-président des États-Unis Al Gore qui, dans son ouvrage de recherche fondamental "The Future", déclare: «... l'affaiblissement de la prise de décision démocratique aux États-Unis et le renforcement du contrôle de la démocratie américaine par les puissances de l'argent et des entreprises privées, ont paralysé la capacité du pays à prendre des décisions rationnelles en faveur de politiques qui pourraient résoudre ces problèmes » (voir plus: A. Gore. The Future. P.119 - 121).
De nombreux membres importants de l'administration de D. Trump sont partisans d'une attitude agressive envers la Russie. Il est difficile de s'attendre à autre chose puisque l'élite américaine vise à préserver son leadership mondial, et ceux qui remettent en question leur « professionnalisme » sont écartés (rappelons le sort de M. Flynn). La différence significative par rapport à l'administration précédente est que le dirigeant actuel de la Maison Blanche demande résolument aux membres de l'alliance occidentale d'augmenter leurs dépenses militaires: les États-Unis ont de plus en plus de dettes et leurs bénéfices diminuent. Accuser Moscou d'être le « démon et agent du mal » est plus utile que dénoncer Daesh ( comme l'a montré la résolution déjà mentionnée du Parlement européen) et, par conséquent, il sera possible de rassembler les alliés et d'obtenir des commandes militaires très profitables.
Le nouveau président américain a montré ce qu'i attend des alliés. Le 20 mai, il a conclu des contractas lors d'une visite officielle à Riyad. L'Arabie saoudite achètera des armes US pour 109,7 milliards de dollars. C'est le plus important contrat de vente d'armes ponctuelle dans l'histoire américaine. Il pourrait s'élever jusqu'à 350 milliards de dollars sur dix ans.
Les nouveaux contrats aideront l'Arabie saoudite à préserver sa sécurité dans la région du Golfe Persique, à lutter contre la piraterie de manière plus efficace et ce, conformément à la déclaration du Département d'État « face à une dangereuse influence iranienne et à des menaces liées à l'Iran ». Mais les pays de l'OTAN et de l'UE ne se pressent pas pour augmenter leurs dépenses militaires sans ressentir une menace tangible de la Russie - en réponse aux pressions de Washington. Au cours du sommet de l'OTAN de mai, Trump a insisté sur la nécessité d'augmenter les contributions de tous les membres du bloc de défense à 2% du PIB, chiffre qui a déjà été adopté en 2014 lors du sommet de l'OTAN au Pays de Galles, mais qu'il n'a pas été atteint. Il est peu probable que les choses changeront dans un proche avenir.
D. Trump est assez cohérent car il a promis au complexe industriel militaire une augmentation significative des dépenses militaires au cours de sa campagne électorale. Pour l'instant, l'instabilité internationale et les tensions dangereuses au sein des relations américano-russes sont maintenues, ce qui a un effet néfaste sur les relations de la Russie avec les pays de l'UE. Lors de sa visite officielle en mai dernier à Washington, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov a eu des entretiens avec le président américain Donald Trump et le secrétaire d'État Rex Tillerson. « Il a été confirmé que malgré toutes les difficultés, nos pays peuvent et doivent agir ensemble pour résoudre les problèmes clés de l'agenda international », a déclaré Lavrov lors d'une conférence de presse à l'ambassade de Russie à Washington suite à une réunion avec le président Trump. Le président américain a de son côté décrit la réunion avec le chef du ministère des Affaires étrangères de la Russie comme « très, très positive ». Dans une déclaration ultérieure, la Maison Blanche a déclaré que Trump « a souligné son désir de construire de meilleures relations entre les États-Unis et la Russie » . L'avenir montrera si c'est possible ou non.
Quant au rôle d'autres pays, il y a bien sûr l'Ukraine. Une solution est envisageable grâce à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk. Cependant, Kiev n'est pas en mesure de suivre ce chemin. Les ultranationalistes et les néo-nazis ukrainiens (bien armés et en nombre considérable) et les acteurs extérieurs qui utilisent l'Ukraine dans leur propre intérêts mercenaires, entravent le processus de paix. Kiev ne prend pas le risque de dire « non » aux accords de Minsk. En outre, il ne peut mettre fin ni à la corruption, ni à l'inefficacité de l'économie, ni à la croissance de la dette extérieure, ni à la situation difficile de la population. Pour obtenir de l'aide de l'UE et des autres sources, Kiev doit faire de nouvelles concessions. Alors, répondant à la question de savoir si Bruxelles était prêt à débloquer des financements si le projet de loi n'était pas approuvé par la Verkhovna Rada (parlement Ukrainien), le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré en février 2017 que parmi les conditions d'attribution de la deuxième tranche de l'assistance de l'UE figurait la levée de l'interdiction des exportations de bois (le 9 avril 2015, la Verkhovna Rada a adopté une loi interdisant l'exportation de bois et de bois scié sous forme non transformée pour une période de 10 ans appelée « bois rond » ). Puisqu'il soutient ces mesures antinationales, le président Poroshenko s'isole de son propre pays. Il semble que dans la situation actuelle, Kiev soit tout simplement incapable de résoudre sa crise interne et de normaliser ses relations avec la Russie. Sans cette normalisation, l'Ukraine, malheureusement, n'est pas en mesure de jouer un rôle positif dans le développement des relations entre l'UE et la Russie, et certainement un rôle négatif.
Je voudrais également mentionner le rôle de la Chine dans le développement du dialogue entre la Russie et l'UE. Le rôle n'est pas direct mais indirect, mais ce n'est pas moins important. Pour relier les deux plus grandes économies du monde, l'UE et la Chine, par voie terrestre plus rapide et moins cher, cela est possible en traversant la Russie. Les projets Russes et Chinois de corridors de transport modernes sur les vastes territoires d'Eurasie impliquent logiquement leur extension à long terme vers l'Europe. Ils sont extrêmement bénéfiques pour engager une véritable coopération économique entre les peuples du plus grand continent de la planète, y compris les peuples d'Europe (les opposants à ces projets ne dorment pas, ce qui explique les raisons du soutien externe en Ukraine et en Syrie pour créer une zone d'instabilité et de conflit renforcée par un programme d'information mondial correspondant). Dans le contexte d'une situation internationale saine, je pense que non seulement les pays eurasiens pourraient participer a de tels projets, mais si on va plus loin, on peut imaginer les perspectives d'une grande intégration eurasienne et la création progressive d'un espace économique commun de Shanghai à Lisbonne. Dans l' intérêt stratégique de la Russie, de la Chine, des pays de l'UE et des États-Unis et d'autres pays du monde - la construction d'un système de relations de bon voisinage à long terme serait la meilleure impulsion pour le développement dynamique et progressif de l'humanité. La voie vers un tel avenir sera épineuse, longue et pleine de dangers, mais il n'y a pas d'alternative pacifique.
5. En 2016, l'Italie a été l'un des pays qui ont soutenu la mission de l'OTAN en Lettonie mise en place pour renforcer les moyens de défense contre une éventuelle attaque russe. Quel est le rôle de l'OTAN et des pays baltes dans les relations UE-Russie et comment ce mythe de « l'agression russe » a-t-il façonné le dialogue entre les deux parties ?
En examinant le site du Centre pour les communications stratégiques de l'OTAN à Riga, établi à l'initiative de plusieurs pays membres de l'OTAN, vous pouvez trouver beaucoup de documents visant à « contrer l'agression russe » et « la propagande russe ».
Il convient de mentionner la publication du 10 octobre 2016 intitulée "The Kremlin and Daesh Information Activities" où tout le raisonnement est construit sur un simple tour de passe-passe pour identifier le « mal absolu qui serait évident pour la majorité écrasante des résidents de l'UE (et des Russes), en La personne de Daesh et la Russie. Dans ce document de trente pages, pour plus d'une dizaines de fois, l' analyse des menaces pour l'Occident provient de la Russie et de Daesh: « Les deux Daesh et la Russie comprennent ... » , Daesh et la Russie Appel ... », « Les deux Daesh et le Kremlin tentent ... » , « Kremlin et Daesh peuvent engager indirectement l'Occident ... » .
Dans le même document, la publication justifie presque la conclusion selon laquelle la propagande russe est la plus dangereuse, c'est-à-dire plus dangereuse que le « mal absolu ». Si Daesh doit être physiquement détruit (ce qui se produit actuellement sur les champs de bataille), comment ne pas détruire un mal plus grand ... aussi physiquement ? Dans les discours de la classe politique et les brochures de l'OTAN, une telle conclusion n'apparait pas encore, mais la propagande en soutien à cette idée est sans équivoque. Ce la signifierait la troisième guerre mondiale et de la mort de la civilisation humaine. Les déclarations répétées des hauts responsables de l'OTAN concernant la « menace » croissante de la Russie, l'activation de l'OTAN dans les pays voisins, notamment les États baltes, ne favorise certainement pas un dialogue constructif entre l'UE et la Russie. Cette situation entrave la construction de relations de bon voisinage entre la Russie d'une part, et la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, d'autre part. Mais je crois qu'avec le temps, nos relations s'amélioreront.
6. L'information - la confrontation psychologique a ses niveaux: tactique, opérationnel et stratégique, et chacune d'entre elles a ses propres objectifs à atteindre. Quelles sont les objectifs au niveau stratégique?
Vous avez avec raison souligné ce niveau au moins en tenant compte de l'expérience de l'effondrement de l'URSS et de la crise qui s'en est suivie dans toutes les républiques postsoviétiques. La cause provenait des facteurs socio-économiques et politiques objectifs, mais aussi le désir conscient et la capacité professionnelle de certaines forces extérieures à les instrumentaliser. Dans le domaine de l'information et de la confrontation psychologique, il est possible de distinguer divers schémas d'influence explicite et implicite sur la manière de penser et d'agir de certains groupes sociaux, des élites dirigeantes, des hommes d'État au niveau individuel, la prise de décisions managériales erronées, provoquant une répression contre les oppositions et bien plus encore. En fait, nous parlons d'un impact systématique et à long terme sur les éléments clés de l'organisme social dans le but de créer un environnement favorables abus tendances négatives de son développement.
Les mesures politiques, économiques et diplomatiques prises envers la prochaine victime d'une agression directe ou « changement de régime » (plus souvent, les deux combinés) ont toujours une séquence cible interne afin, d'une part, de renforcer la déstabilisation interne et, d'autre part, d'autre part, l'isolement externe du régime répréhensible. La cohérence de ces mesures devrait progressivement provoquer une attitude négative vis-à-vis des autorités parmi la population d'un pays donné et une condamnation de ses actions de la part de la communauté internationale. Comme il n'y a pas de gouvernement idéal sur Terre et que les systèmes sociopolitiques existants sont loin d'être parfaits à tous les points de vue, ce n'est pas si difficile à faire lorsque vous détenez la puissance économique, militaire et informationnelle écrasante. Cependant, une attaque extérieure ne commence au moyen des alliés politiques que lorsque le « fruit » a mûri, et lorsque le degré objectif de décadence du régime est élevé (corruption, bureaucratie, concentration élevée de la propriété et stratification sociale, etc.) et que le degré de mécontentement avec ce régime est significatif parmi la population. Ainsi, la soi-disant « révolution » (et en fait, un changement de régime dans le but de la réorientation géopolitique du pays) est une tentative selon différents moyens , notamment en contrôlant la conscience politique et les actions des groupes cibles par une confrontation utilisant les technologies de l'information, pour articuler encore plus les contradictions existantes dans la société.
Je tiens à souligner qu'il est impossible d'abolir le droit et le devoir des citoyens de s'opposer à un régime répressif, et plus encore, d'abolir les lois objectives de la révolution sociale. les citoyens sont pourtant capables de distinguer la révolution de l'objectif de changement de régime change menée au nom de cette révolution.
7. Croyez-vous que la Russie et l'Union européenne sont prêtes à améliorer leurs relations et à surmonter les problèmes liés à la confiance ou n'est-ce qu'un désir de l'une des parties ou de certaines communautés politiques, académiques et économiques à l'intérieur du continent européen ?
Je pense que la relation entre la Russie et l'UE devrait être appréhendée dans le contexte des évolutions qui se déroulent sur la scène européenne. Et il faut séparer les structures supranationales de l'UE et les pays qui font partie de cette organisation. La situation dans les différents pays au niveau individuel est également ambiguë et volatile. Le renforcement des partis eurosceptiques aux différentes orientations sociales en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en France et dans d'autres pays ne signifie pas que la population de ces pays veulent rompre les liens économiques, politiques et culturels entre eux: ils ont une longue tradition de liens entre eux, bien qu'ambiguë. Nous parlons d'un accroissement de l'insatisfaction à l'égard de l'efficacité sociale du mécanisme supranational pour réglementer les relations interétatiques au sein de l'UE, qui correspond davantage aux intérêts de l'élite bureaucratique supra-étatique de l'UE et à certaines entreprises transnationales que les intérêts de la majorité des citoyens de l'UE. Même si nous avons entendu dans les déclarations de l'UE des évaluations encore plus critiques de ses propres actions, de la reconnaissance des erreurs et des problèmes dans le processus d'intégration européenne, la possibilité de telles erreurs en ce qui concerne la politique étrangère, en particulier vis-à-vis de la Russie, n'est pas admise.
Et, si le public européen a le droit de ne pas être d'accord avec ces erreurs, comme le démontre le Brexit et les résultats des élections dans plusieurs pays européens, alors la Russie a peut-être elle aussi le droit de ne pas être d'accord sur le degré de responsabilité que l'on lui attribue à propos de la crise en Ukraine ou les accusations d'ingérence dans les élections dans certains pays européens ? Et il est tout à fait inutile de considérer ceux qui comprennent la normalisation des relations avec la Russie, non pas comme la reddition et la reconnaissance de la responsabilité de tout ce qui s'est passé, mais comme un processus de dialogue entre deux partenaires égaux qui sont responsables des destinées de leurs peuples et un la paix sur la planète, comme des traîtres aux intérêts nationaux et des « marionnettes de Moscou ». Au contraire, ceux qui mènent des affaires pour aggraver les relations entre la Russie et les pays de l'UE sont dangereux et irresponsables en jouant avec le destin du monde en mettant en péril l'avenir et l'existence même des pays européens.
Cette responsabilité est essentielle pour les peuples européens compte tenu du fait que c'est en Europe où les deux guerres mondiales ont commencé (et que la Russie ne les a pas démarrées), l'humanité ne survivra probablement pas à une Troisième Guerre mondiale. Si la tendance au renouveau des élites politiques mène à une démocratisation radicale de l'UE ou à sa désintégration en raison de désaccords insurmontables n'appartient sans doute pas à un avenir si lointain, et les peuples de l'UE ont le droit de décider de leur propre destinée sans ingérence extérieure. Ce n'est que dans le contexte de processus démocratiques progressifs dans l'UE qu'un développement durable des relations avec la Russie est possible.
La Russie est-elle indifférente à ce qui se passe dans l'UE? Bien sûr que non. Pour des raisons économiques, puisque les pays de l'UE dans leur ensemble restent le partenaire commercial principal pour la Russie. Pour des raisons culturelles, car l'interpénétration et l'influence mutuelle de nos cultures sont difficiles à ignorer. Pour des raisons historiques car il suffit de rappeler que les deux premières guerres mondiales ont commencé en Europe et le fascisme qui est devenu une menace pour le monde entier est né et s'est renforcé au cœur de l'Europe.
L'idée d'isoler la Russie est dangereuse et stratégiquement peu prometteuse. Historiquement, la Russie est économique et culturellement liée à l'Europe comme aucune autre région du monde. La stagnation, l'affaiblissement et pire encore la destruction de ces liens nous apporteront également des dégâts. Pour arriver à la normalisation de nos relations à la fois en Russie et, comme je le vois, dans l'UE, de la part de personnes provenant de différents groupes sociaux, nous avons besoin de beaucoup de patience et nous ne devrions pas nous attendre à un résultat rapide, mais nous devons constamment travailler pour un meilleur climat à l'avenir.
8. Le terrorisme est une menace commune affectant l'Union européenne et la Russie. Même si Bruxelles et Moscou ont déclaré à plusieurs reprises qu'il n'est possible de confronter ce phénomène qu'en coopérant, les médias européens, les ONG et les groupes de réflexion ont critiqué la stratégie russe contre le terrorisme dans le nord du Caucase, en l'étiquetant comme un crime contre la population locale et l' intervention russe en Syrie comme un soutien à Bachar el Assad, et en l'interprétant comme un plan du Kremlin pour établir son avant-poste au Moyen-Orient et défier les intérêts européens et américains dans la région. Comment interpréter ces critiques dans le contexte des relations et de la communication entre l'Union européenne et la Russie ?
Ici, nous devons tenir compte du fait suivant. Les militants de Daesh et d'autres organisations terroristes dans l'UE et la Russie ont fait des centaines de victimes ces dernières années dans quelque dizaines d'attaques terroristes seulement dans l'UE et la Russie et beaucoup de victimes pourraient encore s'ajouter. La Russie « agressive » en Syrie a détruit des milliers de militants qui auraient pu revenir en Europe pour poursuivre leur construction d'un califat mondial. Et pour l'empêcher, les militaires russes risquent leur vie en Syrie. Les soldats de la coalition antiterroriste menée par les États-Unis risquent également leur vie. Ce n'est qu'en établissant une coopération efficace dans la lutte contre les terroristes, que les pertes communes se réduiront. Accuser la Russie d' « actes criminels » en Syrie, ce que certains médias ont fait, et pas seulement les médias, donne un atout aux militants pour recruter des jeunes en Europe pour aller se battre contre les Russes. Certains sont poussé par le chômage qui atteint 50% parmi les jeunes, d'autres, par la soif de l'aventure, et malheureusement cela est peu mentionné. Mais d'autres peuvent revenir en Europe et essayer d'exprimer à nouveau leur violence. Et ils sont déjà entraînés à ces méthodes.
Nous devons également tenir compte des circonstances suivantes: où, par exemple, existe-t-il un système multipartite représentant aujourd'hui divers groupes sociaux, ethniques et confessionnels - dans le territoire contrôlé par le gouvernement syrien ou dans les territoires contrôlés par Daesh? Ou, peut-être, en Arabie Saoudite ? Où sont les représentants des différentes confessions religieuses qui, non seulement s'entendent, mais aussi protègent la patrie commune? Où une femme n'a-t-elle pas besoin de se couvrir son visage d'un voile sans craindre de risquer des accusations pour infraction à la loi religieuse ? Les femmes travaillent déjà en grand nombre en Syrie: elles sont enseignantes, ingénieurs, médecins, financiers, managers et députées du parlement syrien, etc. A l'Université de Damas, il y a plusieurs milliers d'étudiantes. Par contre je suis loin d'idéaliser la situation sociale actuelle et le système politique en Syrie. Cependant, cette situation ne doit être comprise qu'en termes de comparaison. Et apparemment, nous ne devrions pas comparer la Syrie à la Finlande, par exemple, mais à d'autres États arabes (soit-dit en passant, ils sont beaucoup plus riches et ne sont pas affectés par les conflits). Ici, la politique du deux poids, deux mesures fonctionne volontairement ou involontairement pour les terroristes et leurs clients. Et cela fonctionne aussi pour ceux qui répandent la terreur en Europe. Je voudrais également noter que la politique de « non-intervention » des puissances occidentales dans la guerre civile en Espagne, puis la « conspiration de Munich » a ouvert la voie au fascisme en Europe et, pour l'arrêter, l'URSS qui a souffert le plus dans cette lutte, a sacrifié plus de 20 milles vies. La Russie ne veut pas répéter ces « erreurs ». En raison de sa situation géographique, de sa population multiethnique et multiconfessionnelle, la Russie ne peut pas se permettre de « tolérer » les groupes militants chauvins, et peu importe les idées idéologiques ou religieuses qu'ils proposent.
9. Une attention particulière aux "fake news" a été donnée récemment en Italie et à la communication stratégique utilisée par les partis politiques, les mouvements sociaux, les médias et les agences de communication, et même certains États pour influencer l'opinion publique. Comment les "fake news" affectent-elles les relations entre les pays et la confiance de la population envers le monde de l'information? Croyez-vous que ce type de désinformation peut créer un écart entre les pays et entre les citoyens et les gouvernements centraux alors que ce n'est pas vraiment nécessaire ? Qui profite vraiment de ces "fake news"?
Les "fake news" sont partout dans les médias et ils jouent un rôle important dans la construction d'une "Fake Matrix" où toute nouvelle "fake news" contribue à la précédente et aboutit à une "Fake Reality". Une " "fake news" meurt, mais les nouvelles arrivent et la réalité sociale et ses vraies contradictions continue d'être plus vagues à chaque fois. Nous assistons à un assaut sophistiqué sur le spectre complet du libre arbitre et pire, des millions de personnes sont habitués à cette fausse réalité et construisent des "fake news" par eux-mêmes. Par exemple, Facebook a récemment signalé que 83 millions de profils sur Facebook étaient faux.
Les "fake news" jouent un rôle très négatif dans les relations entre les États, qu'il s'agisse du domaine politique ou commercial. En octobre 2016, le bulletin d'information russe RBC a rapporté que sept entreprises avaient été enregistrées entre mars et juillet 2016 au Royaume-Uni avec des noms similaires aux entreprises russes bien connues. Les noms des sociétés enregistrées en Grande-Bretagne étaient Rosneft Oil Company Ltd, PJSC Tatneft Ltd, JSC Transneft Ltd, Oil Company LUKOIL Ltd, Surgutneftegas Ltd, PJSOC Bashneft Ltd et Public Joint Stock Company Gazprom Neft Ltd. Les entreprises étaient fausses et n'en avaient aucun rapport avec les entreprises russes. L'inscription des sociétés à responsabilité limitée avec une charte standard est facile en ligne. Cela prend 24 heures et ne coûte que £ 12.
Au début de l'année 2017, cinq compagnies pétrolières russes ont gagné des procès et des poursuites judiciaires au Royaume-Uni pour faire en sorte que leurs doubles frauduleux et inconnus qui ont été enregistrés l'année dernière soient retirés de la UK Companies House, sur décision des tribunaux. Mais si il n'y avait eu aucune réaction chez RBC, ou aucune réaction des entreprises russes, tous les médias traditionnels auraient révélé la « vérité » sur les grands scandales liés aux activités des grandes compagnies pétrolières russes au Royaume-Uni. Et peut-être, Vladimir Poutine deviendrait le premier héros des ces nouveaux faux scandales. Cette affaire a été dévoilés et n'a pas causé de gros dommages. Mais certaines "fake news" font leur travail correctement.
Ce n'est pas la première fois dans la période récente que des fausses entreprises ont fait l'actualité. Le 17 octobre, Scott Dworkin, un militant contre le candidat à la présidentielle Donald Trump, a publié ce qu'il croyait être une preuve de liens illicites entre Trump et la Russie: une liste de 249 entreprises russes avec « Trump » à leur tête. La liste était supposée devenir plus tard le premier élément dans un rapport à charge sur les prétendues relations de Trump avec les Russes et publiées par le parti démocrate, où Dworkin était l'un des principaux conseillers. Des dizaines d'articles sont apparus très rapidement sur les sites des partisans du Parti démocrate et mentionnant le fait qu' « une enquête vient de révéler que Trump a des centaines d'entreprises en Russie ». Pour de nombreux observateurs de la Russie, la liste des entreprises était cependant une évidente tactique de diversion - principalement en raison de l'application laxiste de la loi par la Russie contre le « branding illégal ». Et en général, si l'on veut croire à la force magique des fausses marques, la Russie ne se serait pas pas préoccupée du résultat des élections aux États-Unis: depuis 1993, 19 entreprises avec le nom « Clinton » ont été enregistrées en Russie. 12 ont fait faillite. L'OJSC « Clinton » à Saint-Pétersbourg est apparue comme le projet le plus réussi. La société effectue le nettoyage des ordures.
Je n'ai donné que deux exemples de "fake news". Dans le premier cas, les "fake news" ont été le résultat d'attaques synchronisées dans le temps et l'espace sur un certain nombre d'entreprises leaders russes. Cela n'a pas fonctionné. Les détracteurs privés de sociétés réelles sont-ils impliqués dans l'apparition des doubles de ces sociétés qui, en utilisant la consonance des noms, infligent des dommages sur son image ou en termes financiers qui peuvent être calculés avec de nombreux zéros ? Ou encore certains services spéciaux sont-ils impliqués dans ce processus ? Apparemment, nous le saurons un jour. N'oubliez pas que la guerre de l'information psychologique entre les États a ses différents niveaux: tactique, opérationnel et stratégique, et chacun d'entre eux a ses propres problèmes à résoudre.
Dans le second cas, le milliardaire charismatique Donald Trump connu pour son succès commercial pendant plusieurs décennies a incité plusieurs dizaines de petits entrepreneurs russes à enregistrer leurs entreprises sous le nom de « Trump » . Il l'ont fait à un moment crucial dans la campagne électorale (plusieurs semaines avant le vote) pour prouver les liens illégaux de Trump avec la Russie. M. Trump devait ensuite présenter ses excuses sur des choses qu'il n'avait jamais faites, et il doit le faire encore maintenant, pendant sa présidence. Son adversaire politique peut être ravi. Cela endommage l'efficacité de la politique étrangère de D. Trump. En outre, elle affecte le prestige national du pays et ses intérêts nationaux en souffrent. Je pense que si Clinton Hillary avait gagné, elle aurait du se justifier dans des liens douteux avec la Russie. En avril 2016, John Schindler, ancien analyste à la NSA, a demandé à Hillary Clinton d'expliquer les détails du lien de son chef de campagne avec le Kremlin. Ensuite, il y a eu d'autres attaques similaires. La fausse réalité a un effet considérable sur les processus politiques, les relations internationales et, à certains égards, les déforme avec des cas individuels exacerbés ainsi que la situation internationale dans son ensemble.
Evgeny N. Pashentsev. Docteur en histoire, éminent chercheur à l'Académie diplomatique du Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, directeur du International Centre for Social and Political Studies and Consulting (ICSPSC). Professeur à la Chaire de Philosophie des Langues et de la Communication à Lomonosov, Université d'État de Moscou. Auteur et rédacteur de 33 livres et plus de 100 articles académiques. Membre du Conseil consultatif de Comunicar (Espagne) et du Comité de rédaction du Journal of Political Marketing (États-Unis d'Amérique).