LE DÉBAT POLITIQUE ET CONSTITUTIONNEL BELGE

La Flandre et le retour de l'ethnonationalisme
Auteur: 
Jacques LIPPERT
Date de publication: 
16/7/2008

Dans un article récent du « Monde », M. Ferenczi constatait le retour de l'ethnonationalisme en Europe. Et il ajoutait : « la conception « ethnique » de la nation fondée sur l'idée de racines communes, par opposition à la conception « élective » ou « civique » qui repose sur un choix politique semble avoir de beaux jours devant elle ».

En Europe occidentale,aujourd'hui la Flandre correspond parfaitement à cette définition. La conception ethnique de la citoyenneté en Flandre se fonde non seulement sur des racines communes, mais aussi et peut-etre d'abord sur un sol défini historiquement ,qui ne se confond pas avec la Belgique, et comme tel jugé inaliénable, et sur l'unicité territoriale exclusive de la langue néerlandaise , ces trois composantes étant non négociables , avec Bruxelles héritage historique de ce sol sacré ,tout comme le Kosovo est vu par les Serbes comme le berceau de leur Nation.

Dans ce contexte, la revendication de la liberté linguistique et politique (électorale) pour les minorités de langue française en région flamande, conception élective,est pour tous les partis flamands, inacceptable et les « facilités » négociées en 1963 ne sont que provisoires et révisables. Aux yeux de ces partis, et semble-t-il de leurs électeurs la conception ethnique est « source de cohésion et de stabilité », comme le relève l'historien américain Jerzy Z. Muller - cité par M. Ferenczi -, l'élément francophone, corps étranger est perçu comme allochtone et destabilisateur, et les effets destructeurs sur la Belgique et ses institutions sont minimisés ou ignorés.

Cet ethnonationalisme s'alimente à des sources historiques séculaires,depuis la lutte bourgeoise et populaire contre le roi de France suzerain et ses vassaux nobles dès le XIIIème siècle fondée sur le communalisme démocratique de villes telles que Bruges et Gand qui connurent de sanglantes punitions autant que de triomphantes révoltes.

Les guerres de religions entraînent l'immigration des nobles protestants et des intellectuels aux Pays-Bas du Nord libéraux et coupent la Flandre des idées nouvelles et de l'évolution de la langue néerlandaise.

À la fin du XIXème siècle, l'émergence de nouveaux écrivains et poètes flamands (même si certains écrivaient en français), ressuscite à la fois un passé glorieux et une langue considérée comme grossière par l'élite francophone dominante et bannie de l'administration,de l'armée, de l'école, de la Constitution jusqu'en 1893 et de l'Université jusqu'en 1934 !

On a là le schéma classique de la réappropriation de sa culture et de ses instruments, par un peuple dominé et négligé par ses gouvernants. Toujours, la revendication linguistique mène à la revendication culturelle laquelle engendre la revendication de l'autonomie économique et pour finir politique. Lors d'une telle évolution, l'exclusion de toute autre langue apparait comme une mesure fondamentale et urgente de défense de la pureté ethno-linguistique du territoire ,fut-ce au déni de la conception « élective » de la démocratie.

C'est dans ce terrible piège de deux conceptions antinomiques de la vie citoyenne et politique que se débat et débat la Belgique depuis plus d'un an. A défaut de trouver un énième compromis historique provisoirement satisfaisant pour les deux Communautés la voie sera ouverte à l'indépendance de la Flandre.

L'autonomie régionale a conforté la Flandre comme Nation en devenir et 25 ans de self-government comme proto-Etat (évolution qui ne s'est pas produite en Wallonie et à Bruxelles restées régionalistes et « belgicaines »). À l'exception des Verts tous les partis partis flamands ont aujourd'hui leur aile indépendantiste active, et plus particulièrement les démocrates-chrétiens, dont le partenaire NVA (Nouvelle Alliance Flamande) dicte l'agenda politique belge en utilisant habilement la menace de crises récurrentes. Pour la première fois, les partis flamands ont usé de leur supériorité numérique pour exiger la mise à l'agenda de la Chambre d'un vote sur la scission de l'arrondissement électoral bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde, brisant ainsi de facto le « pacte fédéral ». Malgré son dynamisme, la Nation en devenir voit ses partenaires wallo-bruxellois des ennemis prompts à attenter à son intégrité linguistique et territoriale.

C'est en ce sens que l'on peut parler de crise d'adolescence, du désir d'émancipation du Roi-Père et de la Belgique-Mère, du sentiment d'être encore brimé par l'État belge, de la permanence d'une mentalité d'assiégés, reliquat d'un passé révolu. Mais c'est aussi en s'opposant que l'on se construit.

Dès lors, quelles voies s'ouvrent-elles à la Flandre pour achever sa maturité politique, dépasser les mentalités issues du passé et sortir de l'impasse institutionnelle actuelle ? Nous en voyons deux : soit, une souveraineté-association dans un cadre confédéral et un nouveau partenariat constitutionnel avec les autres entités ; soit aller jusqu'au bout du processus et créer l'Etat-Nation flamand, déjà doté de structures éxecutives et législatives, d'un drapeau et d'un hymne.

Dans l'un ou l'autre cas, la Flandre n'échappera pas à la nécessité de garantir les droits de la minorité de langue française vivant sur sol, gage de bonne foi démocratique et de bonne gouvernance, condition nécessaire pour se conformer aux voeux déjà maintes fois exprimés par les instances européennes et internationales.

Car, comme le souligne le politologue espagnol Joseph M. Colomer ,si les petites nations offrent une double garantie d'efficacité et de démocratie (aux conditions soulignées ci-dessus ), elles ne sont viables que dans un « empire » qui assure leur prospérité économique, à savoir l'UE à la condition d'être acceptable et accepté.

Nul ne peut dire ce qui l'emportera en Belgique dans les prochaines semaines, d'un nouveau et peut-être inédit compromis historique ou de la pesanteur du courant ethnonationaliste vers un Etat-Nation, dont il faut souhaiter qu'il sache se montrer plus ouvert et plus tolérant, oublieux des rancoeurs du passé et prêt à servir chacun de ses citoyens et résidents sur une base d'égalité démocratique, au-dela d'un ethnocentrisme enfin dépassé.

Bruxelles, le 16 Juillet 2008 Jacques LIPPERT
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