Certes, les Irlandais ont « mal » voté selon la Vulgate politiquement correcte en vigueur à Bruxelles. Faut-il pour autant mettre les Irlandais au pain sec et à l'eau, à la place de l'Irish Stew et de la Guinness « is good for you » ? Est-ce mal voter que de faire valoir son droit constitutionnel de peuple souverain ?
Le 20 février dernier, le Parlement européen a voté une résolution par laquelle il s'engageait à respecter le vote des Irlandais.
Le croiriez-vous il s'est trouvé des députés pour voter « non ».
Ces démocrates de la pensée unique condamnaient par avance tout vote « non » conforme des Irlandais !(dont 46 députés français).
Ainsi, aujourd'hui, les pleureuses institutionnelles de la Commission ou du Parlement cherchent déjà les moyens de neutraliser, voire de tenir pour nul et non avenu le résultat.
Bien qu'il n'en ait pas reçu le mandat, M. Barroso exige la poursuite de la ratification , alors que cette décision dépend des souverainetés nationales.
Il faut prendre ce vote pour ce qu'il est : le refus du peuple irlandais de participer à une construction institutionnelle -qui est quand même l'amorce d'un super-state- dont il ne voit pas l'intérêt national pour lui et dont il ne veut pas plus que les Français ou les Néerlandais.
« Right or Wrong », ce vote moins aussi important que le maire de Dublin doit être respecté, quelque soit la conclusion qu'on en tire, à moins que la démocratie n'ait plus de sens.
On voit refleurir les mêmes explications pseudo-pédagogiques que l'on a lues ou entendues lors des votes français et néerlandais:on n'a pas assez expliqué ou les électeurs n'ont rien compris, mal informés ou dévoyés, ou c'est un vote contre le gouvernement en place, etc.
La conclusion logique est que soit les dirigeants nationaux ou européens sont incompétents , soit les électeurs sont des imbéciles qu'il faudrait faire revoter (déjà Commission et Parlement s'accusent l'un l'autre).
Une autre antienne des déçus condamne ces Irlandais ingrats qui ont bien profité de l'Europe : marché unique, euro, afflux d'investissements, libre circulation des travailleurs, procurant une main d'œuvre en général qualifiée, leur permettant de voter impunément « non ». Mais justement, si l'Europe a permis tout cela, quel est l'intérêt de s'encombrer d'un Traité qui privera l'Irlande de son Commissaire ?
La conjonction de la règle de l'unanimité (que le mini-traité devait modifier!) et de la règle constitutionnelle irlandaise (obligation de faire ratifier les traités par le peuple souverain) a provoqué ce blocage.
Par ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets, qui ont abouti aux trois « non » depuis 2005. D'abord ce sont les classes aisées qui votent « oui » et qui s intéressent aux subtilités constitutionnelles, alors que les classes « travailleuses » (ouvriers, employés, commerçants) en jugent d'abord l'impact nul sur leur sort, voire négatif ou nocif.
Dès lors, proposer aux peuples, - selon le cas- de se prononcer par un vote sur un texte juridique aussi complexe alors que, répétons-le, leurs préoccupations bien réelles sont ailleurs - et nous savons tous ce qu'elles sont - relève de la myopie politique, voire de la psycho-pathologie des élites.
À cet égard, les dirigeants européens -Commission et Conseil- se comportent comme les dirigeants belges, les premiers ne voient que l'institutionnel, les seconds que le « communautaire ».
Le résultat est le même : incapacité de gouverner et immobilisme vis-à-vis des crises multiples qui nous assaillent. De plus entre 2005 et 2008, il n a été tenu aucun compte de la demande sociale légitime des peuples, lesquels s'aperçoivent aussi de l'incapacité des dirigeants européens de piloter le vaisseau économique européen sur les eaux agitées de la mondialisation.
Sur le plan extérieur, comme l'écrit Charles Grant dans TIME, l'incapacité de l'Union à se faire représenter par une seule personne et à le faire accepter par les électeurs ne peut que susciter le scepticisme, voire la dérision dans les grandes capitales, et déconsidère toute action diplomatique de l'Union. Déjà, la France mène au Proche-Orient une diplomatie franco-française.
Enfin,la confusion sémantique entre un Traité et une Constitution a visiblement échappé aux responsables politiques européens et nationaux, jusqu'à proposer une bouillie pour chats, pompeusement baptisée « traité constitutionnel ».
Or, il s'agit de deux actes politiques fondamentalement différents : le premier règle et codifie les rapports entres États-Nations souverains, le second relève d'une volonté populaire explicite, exprimée à l'issue d'un évènement fondateur irrésistible entrainant un consentement unanime à une vie commune, exprimé par une Constitution.
Or ce n'est pas (encore) le cas aujourd'hui en Europe.
Alors, que faire ?
La première option qui viendrait à l'esprit serait: « Kick them out !», « Foutez les dehors ! ». Nous laisserons les juristes apprécier la validité et la licéité de cette option en droit européen et international.
Les irlandais méritent-ils un tel traitement?
Tout autant que les Polonais, les Baltes ou les Hongrois, l'Irlande a toujours été partie prenante de la civilisation européenne, dont l'immigration a été l'un des meilleurs représentant de notre culture aux États-Unis.
Les moines-enseignants irlandais ont alphabétisés et christianisé le continent. L'Irlande à l'instar de la Grande-Bretagne joue le rôle de « passeur » des nouveautés venues des États-Unis.
Elle a su organiser et intégrer une main d'œuvre immigré choisie, notamment polonaise en accord - dans ce cas - avec le pays d'origine. Bien que statutairement neutre, elle participe à l'Eufor et à d'autres opérations des Nations Unies.
Rien ne justifie donc, le rejet de l'Irlande. On peut donc plaider pour un temps plus ou moins long de réflexion, car toutes les ratifications si elles ont lieu ne sont pas encore acquises, et attendre le nouveau Parlement issu des élections européennes de 2009.
Soit alors, l'Irlande se serait dotée des moyens institutionnels d'adhérer à l'intégration politique, ce qui est douteux soit elle resterait associé à l'UE sur la base du traité de Nice conservant les droits et devoirs qui en découlent, soit elle choisit « l'opting-out » de son propre chef .
Mais peut être d'ici là le poison de l'unanimité aura-t-il été dissous dans de nouvelles eaux politiques.