L'ARCHITECTURE EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ

Réalités et attentes dans les relations euro-russes
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
9/6/2009

Qu'entendons nous par l'expression d' « architecture européenne de sécurité » ?

La question mérite réflexion et plusieurs réponses sont possibles.

  • la première témoigne de l'existence d'un dialogue pan-européen sur l'avenir du continent et d'une confiance à retrouver comme principe de base de la diplomatie, au sujet des structures politiques et militaires aptes à la poursuivre et à l'approfondir. Ce dialogue dépend en large partie des nouvelles relations que les États-Unis, par leur rôle mondial et la Russie, par sa position géopolitique , établiront avec l'Europe. Entre les deux, la priorité y est, de façon générale, à l'équilibre des forces et à la politique de la balance en Europe.

  • la deuxième fait état de l'exigence d'une politique concertée des pays majeurs de l'UE et, entre eux de la France et de l'Allemagne, face au démantèlement du système international antérieur, qui ouvre sur un monde de « puissances relatives » engendrant de l'instabilité et de l'insécurité.

  • la troisième réponse est consécutive à l'élargissement de l'OTAN, qui exprime l'aspect sécuritaire des relations triangulaires USA/Europe/Russie sur le continent et, en conséquence, sur l'hémisphère Nord dans son ensemble.

    Cette réponse porte sur la revendication de « zones d'intérêts privilégiés » à caractère régional de la part de l'UE et de la Russie en Europe de l'Est, aux Balkans et au Caucase et l'évitement de « zones grises stratégiques » dans les pays Baltes, pour ce qui est des forces conventionnelles en Europe.

  • la quatrième réponse affiche la volonté de la part de certains États, la France en particulier, du dépassement des « acquis atlantiques », intégrant les enjeux géostratégiques de l'UE dans une dimension évolutive à caractère systémique et donc tendentiellement multipolaire, celle d'un « Grand Jeu » planétaire.

    Les relations euro-méditerranéennes et celles de la zone de la Grande Mer Noire, du plateau turc et demain de l'Asie centrale, s'inséreraient dans cette évolution, ouvrant sur une multitude d'issues internationales.

  • la cinquième concerne spécifiquement les relations euro-atlantiques redéfinies et par conséquent une architecture modulable de la sécurité occidentale et européenne. Celle-ci peut-être articulée de deux manières, autour d'une euro-zone de défense (PESC/PESD ou SAFE), ou bien d'un pilier européen au sein de l'OTAN. La dernière option est justifiée par une vision commune de la sécurité européenne et résulte pour l'essentiel des défis extérieurs et de la reconfirmation à tous les États-Membres de la fermeté de l'engagement de l'Alliance quant à l'art. V.

Ce sont là des conditions indispensables à la relance d'un partenariat euro-russe ambitieux et de relations apaisées avec Moscou, après la période de tensions consécutives au conflit géorgien.

À ces réponses font suite des conséquences, dans chaque cas différentes, en ce qui concerne les relations européennes vis-à-vis de la Fédération de Russie, dont les griefs et les arguments capitaux reposent sur :

  • la logique des élargissements successifs et donc sur des tentatives d'isolement de Moscou, interprétées comme des « menaces » portées à l'ancien espace soviétique et comme des « manoeuvres » d'affaiblissement et de déstabilisation auprès de l' « étranger proche ». Pour le Kremlin, cette politique trahit la réticence des USA, sous les deux administrations Bush, à accepter la Russie comme puissance de premier plan.
  • la nature des transformations de l'Alliance Atlantique en alliance politique et la redéfinition de la présence militaire américaine en Europe.
  • l'hypothèse du déploiement de systèmes anti-missiles de théâtre en Pologne et en Tchéquie, qui traduit un réflexe de méfiance hérité de la guerre froide.
  • et, in fine, le refus de tenir compte des intérêts de sécurité de la Russie en Europe (discours de S. Lavrov à l'Université de Moscou en 2006).

Confrontés à des tendances lourdes et à des « défis globaux » qui divergent toutefois, en matière de défense, des « intérêts communs » et des « intérêts nationaux » (prolifération nucléaire, extrémisme islamique, changement climatique, sécurité énergétique, crise financière, etc.), les élites russes tentent de donner un dessein et une ambition au « retour de la Russie » sur la scène internationale.

Nous pouvons résumer cette ambition en trois points :

  • retour de la Russie sur le théâtre des puissances qui pèsent dans le monde, tant à l'Ouest qu'au Caucase et en Asie Centrale. La manifestation la plus évidente de ce retour a été l'accumulation des contentieux et la rhétorique liée à l'emploi de la force en Géorgie. Ceci a provoqué une rupture de confiance avec l'Ouest et l'adoption d'une logique de confrontation à la place de celle de partenariat.
  • retour de l'autorité de l'État et restauration de la « verticale du pouvoir », accompagnée de la restriction des libertés politiques intérieures.
  • retour aux dynamiques de modernisation, de diversification économique et de croissance après le traumatisme des années 90, dues pour l'essentiel aux ressources énergétiques et à ses débouchés.

Le « retour de la Russie » sur la scène internationale s'inscrirait selon certains analystes occidentaux dans une « opacité » d'intentions et dans des cadres conceptuels qui préfigurent une nouvelle Weltanschauung géopolitique de l'État russe, un « État-civilisation », rallié à une mouvance néo-impériale à caractère cyclique.

À preuve de cette hypothèse, l'écrivain et chercheuse française Françoise Thom étale les étonnants passages de A. Prokhanov[2], de K. Pisarenko[3] et de M. Leontiev, auteurs significatifs de la nouvelle historiographie russe, qui justifient l'évolution autoritaire[4] du système de pouvoir allant de Elstine à Poutine dans le but de montrer comment les déterminismes spirituels de l'eurasisme et de l'anti-libéralisme prennent corps dans une stratégie de « reconquête des terres » et de projection vers l'Ouest. Elle parvient à ces buts par le recours explicatif à l'analogie historique et à la « théorie des cycles », de forte empreinte culturaliste.

C'est donc dans le cadre d'une conception de l'empire, comme nécessité vitale de l'État russe, que prendrait forme l'exigence d'étendre l'hégémonie russe, d'abord à « l'étranger proche » et ensuite à l'ensemble de l'Europe, par la soustraction du « Rimland » occidental de la masse eurasienne à l'influence géopolitique et idéologique de la « Grande Ile » du Monde.

En termes d'élargissements, Dimitri Rogozine, actuel Ambassadeur russe auprès de l'Alliance Atlantique est formel et une inversion stratégique s'impose. « Ce n'est pas à l'OTAN de s'étendre vers l'Est, c'est à la Russie de s'étendre vers l'Ouest ». La dépendance énergétique de l'Europe constituerait le fer de lance et le vecteur capital de la projection de puissance russe au cœur de l'UE, dont les agents d'influence seraient les stipendiés de Gazprom et l'entourage des décideurs européens, corrompus par des contrats juteux.

Ainsi autour de ces « décision makers » se constituerait un puissant « parti russe » dont « l'axe idéologique » est l'anti-américanisme et le corrélat économique l'anti-libéralisme. Selon cette interprétation, l'origine de la crise reposerait sur l'égoïsme unipolaire et sa diffusion, sur un modèle économique et financier, mondialisé et pernicieux.

Dans cette situation nous serions les témoins du naufrage du modèle américain, qui est également celui des conceptions euro-centriques en général et principalement des conceptions de la démocratie et de ses valeurs.

A l'effondrement du paradigme idéologique de l'Occident, s'ajouterait celui de la fragilisation de l'UE et la « failure » institutionnelle de celle-ci, la renationalisation des politiques, le retour aux « intérêts nationaux » et à ses optiques déformantes.

C'est sur la base de ce repli et de ce vide sécuritaire que l'OTAN et les USA, au sein d'une UE divisée et incertaine, se montreraient incapables d'assurer des garanties de défense aux pays amis.

C'est là que s'insérerait l'exploitation coordonnée des incertitudes de l'Ouest par l'idéologie, la diplomatie et la politique étrangère et de sécurité russes.

La Russie, par un dessein coordonné, essayerait de mettre à rude épreuve la solidarité européenne, déjà écartelée par les épisodes de la Géorgie, de l'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie, de la Moldavie, de la Transnistrie et de l'Ukraine.

C'est dans ce cadre que sont valorisés les « intérêts nationaux » européens et la « sécurité égale » promise à tous, constituant les deux piliers diplomatiques de l'offensive sécuritaire de Medvedev, d'abord à Berlin (5 juin 2008), et ensuite à Evian (8 octobre 2008). La présentation de son « Pacte de Sécurité pan-européen », allant de Vancouver à Vladivostock, en serait la formalisation coopérative à caractère global.

Sous cet angle la reconstitution de l'Union russe, comme empire eurasien et État-civilisation, ferait de contre-poids à la crise du modèle économique néo-libéral, à l'effondrement d'un système de valeurs obsolètes et à l'éclatement politico-institutionnel d'Hégémon, leader de système, en une constellation d'États désagrégés et politiquement excentrés[5].

Dans ce même contexte, et sur la base de cette même clé de lecture, le « plan de sécurité » du Président Medvedev permettrait à l'Europe de sortir de la crise, par une plus forte intégration euro-russe et par un abandon du protectorat américain.

Le cinquième empire russe serait alors né, surgi de cette stratégie inventive qui reconduirait l'histoire occidentale à l'histoire russe et à sa conception de l'État, celle « d'être le noyau et le centre de rassemblement d'autres États ».

Un rassemblement en cercles et en « anneaux de Saturne », dicté par la logique de proximité à l'Empire. Or la géopolitique d'un empire est due au flottement des frontières, dont l'intangibilité est un décret politique naturel et irrationnel, absolument contraire au péril, ressenti par la puissance expansive de disparaître.

L'étendue de la coopération entre l'Europe et la Russie dépend ainsi en priorité de la définition d'un nouveau cadre de sécurité en Europe et dans le monde, et donc du retour général et partagé de la confiance. Il dépend certes de la géographie, de l'histoire et de la culture, invoquées par Medvedev, qui dans leur diversité, demeurent communes. Mais il s'inscrit avant tout dans une même lecture du système international et dans une même capacité de trouver des réponses communes aux grands défis du siècle.

Deux préalables font obstacle à cette finalité de raison :

  • la manière de surmonter la crise économique et financière actuelle et de relancer les investissements et la croissance. Cette crise n'est que l'expression aigüe, pour Moscou, de la crise permanente du syndrome unipolaire étendu à la sphère économique.
  • l'abandon de l' « atlantisme », comme principe structurant de la stratégie de sécurité de l'Occident, qui découle pour la Russie, de l'échec du moment unipolaire de la conjoncture historique.

La nouvelle architecture de sécurité en Europe, vue du Kremlin, présuppose en outre que la mondialisation soit accompagnée d'un rôle accru des États, seuls garants des formes de diversification, de développement et de modernisation réussis. Les institutions supranationales, dans la conception russe, n'ont d'autre fonction que celle d'être des arbitres entre stratégies économiques nationales différentes.

D'où l'importance du rôle du politique comme régulateur unitaire de l'économie et de la sécurité. En effet, l'interdépendance asymétrique de la sphère de l'échange, étendue à l'échelle de la planète (mondialisation) n'élimine guère pour le Kremlin, qui demeure fermement « realpolitiker », ni les centres politiques indépendants, de conception et d'action (souverainetés politico-militaires), ni la pluralité des pôles de décision et de pouvoir mondiaux (multipolarité). Ceux-ci, au contraire, influent directement sur la multiplicité des réseaux qui se sont constitués au cœur des sociétés civiles transnationalisées.

Par ailleurs, la conception unipolaire du monde sur le plan politique, se double, aux yeux de la Russie, d'une organisation unipolaire du modèle économique, monétaire et financier. Il en découle que la crise actuelle menace, partout dans le monde, la stabilité du développement et la prospérité des peuples. Face à l'aggravation de la crise et à la fin de l'illusion d'une auto-régulation du modèle de l'échange, sans l'intervention d'un autorité publique, la Russie prône la création de nouveaux centres financiers et de monnaies régionales fortes. Il s'agit de la traduction en devenir de la configuration multipolaire du monde, embrassant le politique et l'économique. Cette hypothèse rendrait obsolète la centralité occidentale actuelle et favoriserait l'engagement, dans le processus de réforme du système financier, d'autres grandes économies-clés, celles de la Chine, de l'Inde, du Brésil, du Mexique et de l'Afrique du Sud. Ainsi l'architecture européenne de sécurité en serait renforcée, par l'intégration, dans cette nouvelle gouvernance mondiale, de la sécurité énergétique, composante capitale de l'ambition russe.

Par ailleurs l'élargissement des préoccupations sécuritaires aux « menaces non traditionnelles » exige d'englober, dans l'éventail des relations Europe-Russie, le changement climatique, la santé publique, la stabilité économique, et l'exploitation en commun des ressources d'hydrocarbures, rendue possible par la fonte de l'Arctique. Cet éventail justifie la relance d'un partenariat de dimensions ambitieuses, qui est volé en fumée lors de la crise ouverte par le conflit géorgien. Au sein de l'OTAN et dans le camp de ces Etats-Membres, la première victime de cette crise fut l'unité de confiance euro-américaine sanctionnée par l'Art. V. de l'Alliance, qui constitue le fondement même de la « défense collective » euro-occidentale.

Quant à la seconde vague des élargissements de l'OTAN aux pays de proximité de la Fédération Russe, lancée au sommet de Prague en novembre 2002, la Russie aurait peut-être accepté de l'avaliser, le cas où l'Alliance se transformait en organisation politique, sans augmenter ses capacités militaires. Ce fut l'inverse qui se produisit.

Ainsi, dans la lutte contre le terrorisme, la non-prolifération, la défense anti-missiles de théatre, la coopération inter-armées, les réformes des appareils de défense, le statut des forces, la gestion des crises et les situations d'urgence, l'éventail des « menaces » fut élargis à celui des « défis ».

Le reproche constant de la Russie à l'égard des Etats-Unis et de l'OTAN, contre la politique d'élargissement, fut encore celui d'avoir décidé le démantèlement de l'ancien système de sécurité sans consulter le Kremlin. Or l'intervention de Medvedev à l'Evian, en octobre 2008, prône l'instauration d'un système de sécurité pan-européen, qui « devrait consolider la région euro-atlantique dans son ensemble, sur la base d'une règle du jeu, égal et uniforme ».

Venant au « caractère inadmissible de l'usage de la force ou de la menace de l'usage de la force dans les relations internationales », le traité proposé « devrait cimenter une approche unifiée de la prévention et de la résolution des conflits dans l'espace euro-atlantique ».

La recommandation de fond de D. Medvedev a été néanmoins celle, oubliée par les européens, selon laquelle la conclusion d'accords de fond, portait « sur les enjeux politiques et militaires », car ce sont ces enjeux de « hard security » qui sont au coeur des débats.

Quelle est, dans les conditions de la conjoncture actuelle l'importance des espaces de complémentarité et de coopération entre l'Europe et la Russie ? L'Europe et la Russie, dans le contexte mondial d'aujourd'hui, constituent, chacune à sa manière, des acteurs mondiaux classiques[6], essentiels mais non globaux et surtout « atypiques »[7] au sein d'une configuration multipolaire du système.

Quel pourrait être le challenge d'un Agenda commun favorisant la stabilité sur le continent et projetant cette stabilité sur les équilibres du système planétaire global ?

La voie la plus sûre d'établir des relations larges et constructives avec la Russie consiste pour l'Europe dans l'exigence de définir ses propres intérêts et priorités, ses « intérêts communs » en matière de sécurité et de stabilité politique et énergétique, et ses priorités, d'ordre économique, monétaire et financier. Cela demande un accord de principe sur les cadres institutionnels d'exécution et de décision et donc sur les sièges de discussion, de dialogue et de négociation. Puisque les relations politiques et stratégiques doivent relever des autorités les plus élevées des deux parties, l'importance de la ratification du Traité de Lisbonne pèse lourdement sur les relations extérieures et le facteur d'entraînement des présidences tournantes n'est que le révélateur de cette carence.

Cependant dans les conditions actuelles, le rétablissement de la confiance apparaît comme le premier pas d'une consolidation du dialogue diplomatique de l'Union européenne et dans l'attente ce dialogue ne peut que valoriser son rôle de « puissance soft ». Il s'agit d'un rôle, assurément limitatif, qui lui interdit de traiter directement et sur un pied d'égalité avec la Russie de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et du terrorisme nucléaire. En revanche il devrait lui permettre de se saisir des dossiers de la sécurité énergétique et de ceux inhérents aux défis communs.

Or à une analyse approfondie, des éléments d'une nouvelle gouvernance apparaissent aux décideurs des deux parties, sur la manière de trouver des réponses communes à des défis communs. En effet, la « conciliation des intérêts », par leur nature divergente, peut constituer un premier rapprochement dans l'effort de trouver des compromis raisonnables. Cette divergence a ses racines non seulement dans la géopolitique mais également dans l'histoire et la psychologie nationale. Il s'agit d'un effort non négligeable qui est fondée sur l'abandon des vieux stéréotypes de la guerre froide et sur la promotion d'objectifs compatibles avec les ambitions des deux pays.

Ils doivent être en harmonie avec les bouleversements induits par le transfert de ressources de l'Occident vers les pays exportateurs d'énergie, comme la Russie et le Golfe, ou vers les puissances manufacturières émergentes comme la Chine et l'Inde.

La prise en considération de ces bouleversements implique de donner à ces pays un rôle plus central dans la gestion de l'économie mondiale. Une amélioration des relations entre l'Europe et la Russie découle de la capacité commune d'opérer un changement d'accent du domaine de la sécurité à celui de l'économie ou, pour le dire dans un langage convenu, de la gouvernabilité classique, qui demeure l'apanage de la « high politics », à la gouvernance multilatérale, qui relève des institutions de Bretton-Woods. Ceci veut dire de passer de la logique de la compétition et de l'affrontement à celle des compromis possibles, en terme d'affaires, de financements et de technologies.

L'établissement de relations plus constructives doit exclure en perspective la politisation instrumentale des questions fâcheuses ou stériles, à forte empreinte idéologique, en partant du principe de la dissymétrie des besoins et des formes de développements différentes. Il apparaît évident que les questions économiques sont soumises à des considérations stratégiques et géopolitiques et doivent être négociées dans le cadre de ces priorités. Elles doivent être intégrées dans des paquets thématiques et régionaux acceptables et négociés, en adoptant la méthode des « linkages horizontaux ». Ainsi certaines questions prioritaires peuvent servir de base à des « dialogues plus structurés » entre pays, permettant de sauvegarder des équilibres mondiaux durables et non-conflictuels. Un de ces paquets est le développement de la Sibérie et de la Russie extrême-orientale, garantissant un renforcement de la souveraineté russe dans la région, et sauvegardant l'élément stabilisateur principal, celui d'un ordre mondial qui peut être défini comme un « status-quo » amélioré en Asie Centrale. Ici le développement des réseaux d'infrastructures reliant l'Asie Centrale à l'économie indienne, via l'Afghanistan, devrait favoriser l'expansion économique du subcontinent indien en direction des pays du Heartland eurasien, ainsi que des régions russes de l'Extrême-Orient.

Or il serait erroné de laisser croire que l'ancien espace soviétique en Asie Centrale et dans la zone des trois mers, Baltique, Mer Noire et Mer Caspienne puisse devenir une zone d'influence exclusivement russe et soumise, comme telle, au leadership russe et à une « stratégie de pénétration globale » marginalisant la présence occidentale, américaine et européenne. Il serait également pernicieux de laisser libre la Russie de contrevenir au respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des pays de la région. L'espace ex-soviétique occupe une place particulière dans le sentiment national russe à cause des liens de toute nature tissés au cours des deux derniers siècles. Or, une analyse appropriée pousse à tenir compte des réalités d'aujourd'hui, qui ne sont plus celles du passé et qui comportent une concurrence d'intérêts et d'influences, constituant la monnaie courante de la mondialisation. Concurrence d'intérêts et d'influences qui doit apparaître légitime à condition de ne pas compromettre les relations de confiance réciproque, nécessaires à faire avancer d'autres dossiers.

Cette considération vaut tout particulièrement pour l'Ukraine, le Caucase, et l'Asie Centrale. Dans ce marchandage global et dans ce « linkage eurasien », les intérêts et les logiques d'influence géopolitique constituent les seules monnaies d'échange acceptables. En effet le soutien aux mouvements démocratiques et aux revendications de valeurs est perçue comme une ingérence interne et fait partie des « principes non négociables et à long-terme », qui ne peuvent être intégrés dans un marchandage croisé. Par ailleurs, les « règles » d'investissement doivent être ouvertes et claires surtout dans les « secteurs sensibles ou stratégiques » afin de ne pas nourrir des réactions défensives et protectionnistes. Enfin les politiques de gestion de l'économie mondiale doivent laisser davantage de place à une autre distribution de la puissance économique, à laquelle pourront contribuer les fonds souverains à condition qu'ils ne soient pas exploités à des fins politiques.

L'architecture européenne de sécurité et le rôle de l'OTAN changèrent profondément depuis la chute de l'Union Soviétique. L'affaiblissement de la Fédération de Russie devait conduire de part et d'autre à concevoir différemment le rôle de la Russie en Europe. Pour le Ministre des Affaires Étrangères d'Eltsine, Andrei Kozyrev, la relation entre la Russie et l'OTAN n'était qu'un aspect d'un nouveau système de sécurité qui devait comporter, aux yeux du Kremlin, la soumission de l'OTAN à l'Organisation de Coopération et de Sécurité en Europe (OCSE), excluant tout projet d'élargissement à de nouveaux membres. Le calcul d'Eltsine en 1993, selon lequel un rapprochement à l'OTAN pouvait être utile à la Russie, conduisit, après de dures négociations, à la rédaction d'un Acte fondateur OTAN/Russie, de mai 1997, d'où résulta la création du Conseil Conjoint Permanent OTAN/Russie (CCP) auprès du « Conseil de l'Atlantique Nord » (CAN), formalisant le lien OTAN/Russie selon la formule (16+1). Celle-ci accorda à la Russie un « statut spécial » de consultation, sans « droit de veto » sur les délibérations à prendre. Une situation qui révéla toute sa faiblesse en deux occasions :

  • celles des premiers élargissements de l'OTAN à l'Est (en 1993)
  • celles de l'autorisation en 1998 de « frappes aériennes limitées », suivies d'une « campagne aérienne par phases successives » au Kosovo, sans mandat du Conseil de Sécurité des NU.

Le gel des relations OTAN/Russie et la suspension des relations bilatérales devait intervenir le 23 mars 1999 lorsque l'OTAN lança l'opération « Force Alliée » contre la Serbie. La suspension des relations avec l'OTAN ne comporta cependant pas de rupture, car le double affaiblissement de la Russie, consécutif à la crise financière de 1998 et à celle politique, de la guerre de Tchétchénie, induisait Eltsine, par calcul, à choisir la coopération avec l'OTAN comme seule option possible. Après le 11 septembre, Vladimir Poutine, accédé depuis 1999 à la fonction de Premier Ministre et convaincu de la menace du « terrorisme international », comptait sur l'intégration de la Russie dans l'ordre international post-guerre froide de la part des États-Unis et de l'Europe.

L'Europe, par l'initiative de Tony Blair, se montra plus conciliante mais n'eut pas de succès dans sa demande visant à obtenir l'acceptation de la Russie au sein de l'OTAN, sur pied d'égalité. Ce refus s'étendit à un éventail de sujets, allant du contre-terrorisme à la prolifération, éventail qui fut encore élargi en mai 2002 à d'autres menaces et défis.

La Russie ne put ainsi bénéficier des garanties de sécurité comparables à celles de l'art. V et autres membres de l'Alliance. Ainsi il faudrait éviter la rhétorique sur un nouveau fossé suggérant l'idée d'une « nouvelle ligue de partage » au cœur du continent, comme l'a affirmé avec agacement Sergueï Lavrov, à la veille de la signature du « partenariat oriental » le 7 mai dernier à Prague, entre l'Union Européenne et six ex Républiques Soviétiques (la Géorgie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie, l'Azerbaïdjan, et l'Arménie). Ce partenariat, promu, aux yeux des Vingt-Sept, dans le but de stabiliser des voisins soucieux de se rapprocher de l'Ouest du continent, pourrait être interprété comme un choix entre la Russie et l'Union Européenne et susciter les craintes de création d'une « zone d'influence » de l'UE dans la région, éloignant les deux puissances, qui n'ont pas d'intérêts rivaux à se représenter l'une comme l'autre des acteurs aux visées irréconciliables. Cependant que, dans les déclarations de certains responsables européens (Mirek Topolanek) le « partenariat oriental » ne doit pas être un renouvellement des blocs Est et Ouest, dans celle d'autres (Allemagne, France, Italie) ne peut constituer « l'antichambre d'une adhésion à l'UE ». Pour ces pays, la « politique de voisinage », qui apparaît comme source de tensions avec la Russie, est à considérer comme un vecteur de stabilisation tant à l'Est qu'au Sud de l'Europe vis-à-vis d'États, dont l'économie et l'Etat de droit sont fragiles. En effet, ces acteurs conçoivent le « partenariat de stabilité » de l'UE comme un élément intégrant d'un « partenariat stratégique avec la Russie ».

Une Russie dont les visées tendent à limiter la présence occidentale dans le Caucase dans le cadre des discussions de Genève sur la Géorgie. Dans ce cadre, une recomposition des accords de cessez-le-feu négociés, se précise sous l'égide conjointe de l'ONU, de l'UE et de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe).

Par ailleurs, dans les Balkans occidentaux un jeu d'influence serré se poursuit dans le but de stabiliser la région. Une double politique est encore utilisée, faute de mieux :

  • l'élargissement de l'OTAN à la Croatie et à l'Albanie, pendant que la Macédoine est encore dans l'anti-chambre de l'adhésion.
  • la future intégration du Kosovo et de la Serbie dans l'UE, afin de sortir la Serbie de son isolement et de ses ambiguïtés, en la soustrayant aux sirènes de Moscou.

Or, ces manœuvres et ces calculs sont suspendus à la refonte des relations entre les États-Unis et la Russie, liées à la tournée du Président Barack Obama à Moscou au début de juillet, car se jouera à cette occasion une partie décisive entre les dirigeants russes et la nouvelle administration américaine.

Les grands enjeux sécuritaires sur l'ensemble de l'espace européen dépendront de la refonte générale des relations russo-américaines. L'adoption d'un « linkage thématique » entre désarmement nucléaire et armes conventionnelles, réglant les problèmes posés par le stationnement des forces russes sur les flancs sud-orientaux de l'Europe, apparaît un argument logique et légitime pour la diplomatie moscovite.

Depuis la guerre d'août 2008, la Russie n'utilise guère les mêmes clés de lecture de la diplomatie européenne et ne cesse de s'isoler de ses partenaires occidentaux potentiels , les États-Unis et l'Union européenne, conduisant à une détérioration de l'image mutuelle. Depuis un certain temps la Russie ne considère plus l'Union Européenne sous le seul prisme du partenariat. A la politique des visas et aux perspectives de libre-échange, inscrite dans le « Partenariat Oriental » de l'UE perçu par Moscou comme une nouvelle forme de « pratique coloniale » au plan des affaires et d'encerclement au plan politique, correspond une politique de force et de chantage énergétique. Il s'en suit une révision de la stratégie sécuritaire de la Fédération russe en Europe, qui implique une redéfinition de l'ordre politique issu de la fin de la guerre froide. Or l'impunité consécutive à la riposte en Géorgie, l'autorise à revendiquer une zone « d'intérêts privilégiés » dans la région. Par ailleurs une conception renouvelée de la géopolitique lui dicte de faire face à une « bataille pour les ressources » qui est inscrite dans l'attitude de Moscou vis-à-vis de l'Union européenne. Celle-ci est désignée désormais comme « entité hostile », perçue sous les signes d'une rivalité quasi-géopolitique pour son soutien aux régimes de couleurs et aux pays ex-soviétiques. L'atout principal de la Russie, son potentiel énergétique et gazier, devient aussi l'outil principal de l'influence politique de Moscou sur ses voisins de l'Ouest.

En effet, la « bataille pour les ressources », appuyée sur un énorme potentiel énergétique constitue le levier principal de la nouvelle « stratégie de sécurité nationale » pour « consolider son influence sur la scène mondiale ». Le document sur la stratégie de sécurité signé par le Président Medvedev le 12 mai dernier et remplaçant celui de 2000, n'exclut guère « l'emploi de la force pour résoudre des problèmes émergents ». Il mentionne par ailleurs que « l'équilibre actuel des forces près des frontières de la Fédération de Russie et de celle de ses alliés, peut-être violé ».

De manière générale, l'énergie, l'évaluation de la « menace », l'identification des « zones sensibles » autour du bassin de la Caspienne et l'apparition d'un « axe d'instabilité politique » tout autour des grands axes énergétiques, allant de la Géorgie à l'Ukraine, et de celle-ci à la Moldavie, définissent une aire de tensions nouvelles entre l'UE et la Fédération de Russie. Cette donne peu rassurante a incité l'OTAN à prévoir des « plans d'urgence (contingency plans) afin de faire face à des nouvelles menaces, d'où qu'elles viennent ».

S'agit-il d'un message qui vise à rassurer les anciens PECO face à un « retour prévisible de la menace »? L'évaluation de celle-ci ne fait pas l'unanimité des européens , ce qui interdit à l'Union d'acquérir une cohésion instaurant une conscience de soi d'ordre méta-politique.

De nouvelles coupures de gaz ont été évoquées à Khabarovsk par Medvedev et relayée par un conseiller diplomatique de la Présidence russe, le cas où l'UE n'acceptant pas de prendre en charge, même partiellement la dette gazière de l'Ukraine.

Or, si bien que l'énergie et les routes d'approvisionnement énergétiques constituent le nœud gardien des négociations euro-russes des 21 et 22 mai dernier à Khabarovsk, dans l'Extrême-Orient russe, les européens apparaissent divisés sur la stratégie générale à adopter vis-à-vis de Moscou. Ils apparaissent sans unanimité sur le maintien d'un véritable partenariat stratégique qui ne soit pas une déclaration rhétorique ou formelle et qui encourage effectivement la « politique du choix européen » prônée par V. Poutine lors de son premier mandat.

En effet, face à la proposition de Medvedev de s'accorder sur un nouveau « traité mondial de l'énergie », visant à remplacer la « Charte de l'Energie », signée en 1994 par 49 pays, mais jamais ratifiée par la Russie, les européens font valoir l'existence d'un traité déjà existant, à inscrire dans le nouvel accord de partenariat stratégique en cours de négociation. Ainsi l'Europe n'a pas le choix de diversifier ses routes d'approvisionnement mettant en place un partenariat. Le catalyseur commun en est le domaine énergétique. A ce sujet la permanence des préoccupations pour les approvisionnements futurs imputables aux conflits de la Russie avec des États de transit et liés à des insuffisances d'investissements en amont, dans le domaine des infrastructures engendre une exigence de diversification compte tenu de la demande de consommation.

Un « corridor Sud », avec l'appui des PECO, dont « Nabucco » apparaît désormais comme le projet prioritaire. Son parcours, court-circuitant la Russie, relierait l'Europe aux gisements de la Caspienne et serait concurrent du « North-Stream » qui passe sous la Baltique et est soutenu par la Russie et l'Allemagne. Ce projet devient source de divergence, de division infra-européenne et de conflit.

Il est ainsi inévitable que des conflits bilatéraux se glisseront dans l'Agenda commun des rapports UE-Russie et que l'ordre sécuritaire actuel, dans les perceptions des deux parties, s'inscrit à l'encontre des conceptions européennes majoritaires, tant au plan des intérêts que de l'ordre symbolique et médiatique. Ceci favorisera au Kremlin une vague conservatrice plus dure et sûrement contradictoire, par rapport aux attentes de deux parties.

Comment définir d'abord, et comment délimiter ensuite, un espace effectif de coopération entre la Fédération de Russie et l'Union Européenne, sans l'associer à un ordre politique et de sécurité, régional et mondial, qui prenne le relais de l'ordre international hérité de la guerre froide et non encore stabilisé ? Un ordre inclusif et non exclusif, celui de l'Europe historique et morale, ou celui de la « Grande Europe », qui aille au-delà des actuelles et étroites délimitations institutionnelles et politiques, et qui puisse jouer le rôle d'acteur planétaire.

Une entente sur la sécurité et la stabilité est-elle possible à l'heure des changements de leadership aux États-Unis et en Russie ?

Est-il possible de définir un ordre international quelconque sans une conscience critique de l'unipolarisme et de l'Atlantisme et sans une clé de lecture du passé récent et de l'avenir proche et souhaitable ?

Est-il possible de ne pas porter un jugement sur les jeux d'influence à vocation hégémonique des puissances majeures de la planète en Eurasie et en particulier, de la Russie et des États-Unis ?

Est-il concevable de concevoir un ordre international fondé tantôt sur la logique des valeurs, tantôt sur la seule logique des intérêts et de la coopération, à l'exclusion du traditionnel équilibre de puissance ?

Un modèle de coexistence entre blocs, purement coopérative, fut déjà proposé par Gorbatchev en avril 1987, à l'époque de la bipolarité. Mais la « maison commune européenne » demeura une pure métaphore politique sans autres issues que le double projet, d'une dissolution mutuelle du Pacte de Varsovie et du Traité de l'Atlantique Nord, ce qui aurait aboutit à la neutralisation du continent et à la création d'un vide de puissance, qui demeure de tout temps un facteur de convoitises et de conflit.

Dans les années 90 l'éclatement de la Fédération Yougoslave montra que l'OTAN, et guère la CSCE, reléguée par James Baker « à la conscience du continent » pouvait assurer le maintien de la paix sur le continent. Ce fût alors que commença avec les PECO le double « stretching » institutionnel et sécuritaire de l'élargissement du système euro-atlantique (EU-OTAN). Le « retour (manqué) de la Russie » des années 90 se différencie de celui des années 2009/2009 (propositions Poutine-Medvedev). Le premier était de nature coopérative , mais exclusive, conservatrice et régionale, le deuxième de nature inclusive, partiellement intégrative et globale.

Il s'agit d'une réflexion sur l'ordre euro-atlantique et planétaire de demain. Sa raison principale réside dans l'idée de fonder la nouvelle sécurité européenne sur l'ordre des nations et guère sur l'appartenance à une alliance ou à une coalition. Son levier principal est de reposer sur une réconciliation germano-russe calquée sur le modèle de réconciliation franco-allemande. Il s'agirait là, au moins au niveau des intentions, de doubler le moteur de l'intégration d'une dimension nouvelle et puissante, en garantissant l'indivisibilité de la sécurité européenne dans le cadre des principes des Nations Unies.

En termes de perspectives, il s'agit de ne pas créer des aires de sécurité différenciées, en prônant l'émancipation de toute logique caractérisante de la guerre froide. Le caucase en est la démonstration patente aux yeux de Moscou, clairement lisible dans l'exaspération d'une approche antagoniste dans la prévention des conflits. C'est encore dans le cadre d'une logique de confrontation que se placeraient les deux projets de création d'un « bouclier » et d'un « contre-bouclier » antimissiles, américain et russe, respectivement en Tchéquie et en Pologne dans le premier cas et à Kalinigrad dans le deuxième.

L'Agenda politique international devrait logiquement permettre une plus grande souplesse aux négociations trilatérales (UE-Russie-USA).

Trois raisons justifient cette perspective :

  1. le changement de leadership aux USA, au sein de l'UE et en Russie
  2. l'évolution de la crise financière et économique facilitant le renoncement à une nouvelle et couteuse course aux armements, au profit des politiques économiques et sociales
  3. la restriction et concentration commune de l'Ouest et de l'Est sur les aires les plus critiques de la planète (Irak, Iran, Afghanistan, Moyen-Orient, etc.)

Il n'est pas à exclure que dans une perspective de long-terme, l'objectif de Moscou réside dans la disparition de l'OTAN, absorbée dans le nouveau cadre de sécurité pan-européenne.

En termes idéologiques cette perspective devrait limiter l'utilisation instrumentale de la notion de démocratie et de la philosophie de la démocratisation, comme instruments au service de politiques d'ingérence interne et au fond, d'ambitions géopolitiques reformulées. L'espace de manœuvre qui se dégage de cette désidéologisation et dépolitisation, interne et internationale des politiques de sécurité, en serait considérablement accru et devrait permettre une augmentation considérable des politiques de coopération. Par ailleurs et au-delà des critiques et méfiances inévitables, certains observateurs remarquent une convergence entre le Pacte de Medvedev d'octobre 2008 et le document du Conseil de l'UE du 12 décembre 2008 intitulé « Garantir la sécurité dans un monde en pleine évolution ».

Ainsi l'élaboration d'un nouveau système de sécurité pan-européen pourrait permettre de concilier les objectifs d'un « Partenariat Oriental » (27+6) avec ceux qui sont prévus dans la perspective d'un « partnership stratégique » Eu-Russie. Les fractures au sein de la famille européenne entre les pays de la « Nouvelle Europe », qui conçoivent la sécurité et la menace en termes de paradigme réalistes et de « hard politics », pouvant toujours renforcer l'axe avec Washington et les pays de la « Vieille Europe » privilégiant une conception « soft » et négociale, pourraient trouver une ligne de compromis acceptable par tous.

Par ailleurs la participation de la Russie à l'élaboration assouplie d'un « partenariat triangulaire UE-Russie-USA » pourrait instaurer un système coopératif dans l'hémisphère Nord, en mesure d'absorber progressivement l'écart Nord-Sud et d'intégrer graduellement l'Asie et l'Afrique. Elle conduirait également à faire sortir la Russie de son isolement actuel (qui est source de conservatisme et de dérives nationalistes multiples), en facilitant puissamment sa « normalisation » internationale.

Irnerio Seminatore

[1] I. Seminatore est Professeur des Universités. Docteur en droit, Docteur en sociologie. Il est Président de l'Institut Européen des Relations Internationales (IERI) et Directeur de l'Academia Diplomatica Europaea (ADE) [2] Alexandre Prokhanov, « Rasti, inache sozhrut » Argumenty i Fakty, 29 octobre 2008 : « L'histoire de la Russie depuis l'époque païenne, c'est l'histoire d'une succession d'empires. (...) Le premier empire, celui de Kiev et de Novgorod, est tombé sous les coups de la cavalerie tataro-mongole, car il était affaibli par la libre pensée des principautés. Le second empire, la Russie moscovite, s'est achevé par le temps des troubles, lorsque les provinces ont de nouveau vaincu le centralisme. Le troisième empire, celui des Romanov, a vécu 300 ans (...) Il s'est effondré en février 1917, lorsque de nouveau triomphèrent les valeurs libérales. Staline a tiré la Russie de l'abîme, l'a rebâtie par le fer et par le sang. Ainsi fût édifié le quatrième empire. Au début des années 1980, l'URSS tomba sous les coups du libéralisme. Après la deuxième guerre de Tchétchénie commença la renaissance de l'empire russe. [3] « Staline dut lutter presque seul contre la folie démocratique généralisée (...) Il fallait choisir entre le triomphe de la démocratie, au détriment du fonctionnement de l'État, ou la stabilité politique sans liberté de discussion et sans élections. Ainsi se manifesta la tendance à la dictature personnelle de Staline ». [4] Une « évolution » qui rappelle la « technique du coup d'État » légal, à la Malaparte, appuyé sur les « siloviki ». Cette évolution bonapartiste où l'autocratie remplace le mode de décision collégiale, avait déjà fait dire à Voltaire, à propos de Mahomet dans l'article « Alcoran » de son « Dictionnaire Philosophique » : « un coup de pierre un peu plus fort que celui qu'il reçut dans son premier combat, donnait une autre destinée au monde ». [5] Igor Panarine prévoyant pour 2010 l'éclatement des États-Unis en cinq Républiques, la République Californienne à l'ouest, censée devenir une sphère d'influence chinoise, une République du Texas au sud, censée rejoindre le Mexique, une République du Centre-Nord qui ira au Canada, une République atlantique qui gravitera vers l'Union européenne, la Russie récupérant l'Alaska. [6] voir pour la distinction entre « puissance mondiale classique » et « puissance globale ». le chapitre 10 de l'ouvrage « l'Europe entre Utopie et Realpolitik », Irnerio Seminatore. Ed. L'Harmattan, Paris, avril 2009. [7] Est « atypique » un acteur essentiel qui ne dispose pas de la panoplie complète des atouts de la puissance. Ainsi son jeu et son influence internationales demeurent limités, car cette unité politique ne peut pas être un « acteur à part entière » et donc un véritable partenaire stratégique de la scène mondiale. En effet, les relations entre puissances atypiques (ex : Europe et Russie) constituent des « partenariats » déséquilibrés, de signe négatif, façonnés par d'importantes asymétries en termes de ressources et de valeurs, et soumis aux chantages de ruptures critiques et des carences d'alternatives viables. Il s'agit de partenariats de nécéssité ou de circonstance, liés à l'instrumentalisation politique des faiblesses de l'autre, limitant la liberté de manœuvre de chacun et recouvrant un potentiel de rivalité et une « puissance de négation » étendue et virtuellement incontrôlable.L'asymétrie du partenariat censé reposer sur des engagements mutuels de signe positif devient source de danger ou de menace, en situation critique ou de chantage, qui met à nu une dépendance vitale essentielle ou lorsqu'un acteur est de taille mondiale et son partenaire régionale, ou encore, lorsque l'importance de l'autre ne permet pas de réaliser ses propres objectifs ou ambitions, ni d'établir des engagements systémiques à grande échelle. En conclusion, l'Europe est une « puissance atypique » puisqu'elle dépend :

  • des Etats-Unis pour sa sécurité et sa stabilité
  • de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques
  • des résistances internes pour son processus d'intégration politique

La Russie partage ses traits de « puissance atypique » car elle dépend :

  • de la présence des USA en Asie centrale et Orientale, pour modérer les ambitions de la Chine
  • de la bonne santé économique de l'Europe pour garantir la sécurité de ses approvisionnements économiques et celle des sources de financement pour la modernisation de ses infrastructures et de son économie
  • de l'aide de l'Europe dans l'engagement du monde musulman sur la voie d'un développement durable et dans l'évolution contrastée entre tradition et modernisation.

Le trait commun du caractère atypique et spécifique de leur condition, pour la Russie et l'Europe, est que ces traits n'ont guère d'importance majeure pour la gouvernabilité politico-diplomatique du système international sur le long terme, face aux puissances émergentes et face surtout au déplacement de l'axe de gravité géopolitique vers l'Asie Pacifique. Le rôle effectif d'une puissance ne dépend pas uniquement de la perception (aléatoire et changeante), de ses capacités effectives de décision et de résolutions de crises mais de la différenciation influente sur un échiquier qui étale sa présence effective sur un plan régional ou mondial. Le mode opératoire d'une unité d'action(en politique, tactique ou stratégie) offensif/défensif, unilatéral/multilatéral est lié non seulement au degré de son intégration au système, mais également à la représentation que les acteurs ont :

  • du fonctionnement du système
  • de la hiérarchie de puissance et donc des rôles respectifs des acteurs.