L'EUROPE ET L'ALLEMAGNE DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE

Leadership, "noyau dur" et histoire globale
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
3/11/2010

      SOMAIRE

LE PROJET D'INTÉGRATION ET LE PROBLEME DU LEADERSHIP

Nous assistons depuis la chute du mur de Berlin et le processus de réunification à un accroissement du rôle et de l'importance de l'Allemagne en Europe et dans le monde et à une évolution conjointe de sa politique d'intégration, caractérisée par la projection de son intérêt national en dehors de revendications nationalistes. Or la politique d'intégration de l'Allemagne est signalée aujourd'hui, comme dans d'autres pays, par l'érosion de l'idéal européen. Cet idéal, né d'une vision originelle du continent, s'est développé au fil des années dans le cadre d'une stratégie de substitution, à caractère largement intergouvernemental.

Ainsi, l’Europe, qui s’est faite au gré des circonstances et par le poids de l’histoire ne correspond que partiellement au projet politique des pères fondateurs et a besoin de renouvellement, pour rejaillir avec une volonté plus affermie et un leadership plus incisif.

Entre les trois Europes qui interfèrent au plan culturel, civilisationnel et identitaire, l'Europe anglo-saxonne, l'Europe germano-latine et l’Europe slave, y a-t-il un autre lien possible, en dehors d'un leadership fédérateur, articulé et ouvert ? Comment assurer la stabilité dans le progrès et faire face au risque de désarticulation du système institutionnel, sans un leadership identifiable capable d’établir une liaison étroite entre des structures étatiques diversifiées et un pouvoir d'initiative supranational ?

L'histoire de cette exigence capitale de l'action politique, consistant à pouvoir avancer dans le progrès, dans la stabilité et dans la réforme en comptant sur un directoire stable, conforté par le soutien d'un nombre ouvert d'autres membres, est ce que l'on a voulu présenter par le passé comme le « noyau dur » ou le « couple franco-allemand ».

Un noyau fédérateur essentiel, sans lequel il ne peut y avoir d'« exécutif » réel, ni de responsabilité et de légitimité autres qu'apparentes.

L'émergence de ce concept et de ce principe d'action se fit sentir dès 1994, après l'effondrement du bloc soviétique, la réunification allemande et la signature du Traité de Maastricht (1992), qui consacra l'Union économique et monétaire, mais refusa l'Union politique.

En sa signification profonde, il remonte à l'entente de 1963 entre De Gaulle et Adenauer, consistant à éviter que la personnalité des deux peuples disparaisse à l'intérieur d'une structure égalitariste et dépolitisée.

Ce concept, si souvent évoqué, a-t-il encore un avenir dans une Europe à Vingt-Sept ?

L'histoire de ce concept, qui n'est pas seulement technico-institutionnelle, mais géopolitique et stratégique. Est-elle là pour illustrer le passé ou, au contraire, pour éclairer encore le futur et pour réaliser, en Europe et hors d'Europe, quelque chose de durable ?

LE RAPPORT LAMERS – SCHÄUBLE DE 1994 SUR LE « NOYAU DUR » FRANCO ALLEMAND

L'exigence d'un retour du politique dans le nouveau « concert des nations » après la réunification de l'Allemagne est signalée par le document de la CDU/CSU allemande élaboré en 1994, par Karl Lamers, porte-parole du groupe de politique étrangère au titre « Les nouvelles responsabilités de l’Allemagne après la réunification ; la stratégie institutionnelle de l’UE et l’avenir de l’Europe ».

Ce document, présenté le 1er septembre de la même année par le Président du groupe parlementaire de CDU, Wolfgang Schäuble au Bundestag, prit la forme d'une réflexion exigeante et lucide. Celle-ci marqua un tournant important dans la « normalisation » de la politique étrangère de l'Allemagne et doit être relue aujourd’hui à la lumière de l'actualité d'un système internationale remodelé et d'une évolution post-occidentale du monde.

Elle fut la résultante d'une prise de conscience historique, selon laquelle le projet d'intégration ne pourrait résister à des élargissements ultérieurs à l'Est, sans un approfondissement institutionnel de l'Union et sans une affirmation, en son sein, des « intérêts nationaux particuliers » de l'Allemagne et des impératifs de sécurité et de stabilité démocratique de ce pays au XXIème siècle.

Faire prévaloir la primauté de l'unité du continent, cela a signifié en 1994, de relancer le chemin de l'intégration par la proposition d'un « noyau dur » et donc d'un modèle d'intégration plus politique, au moyen de l'exigence d'un leadership jugé indispensable.

Après la réunification, le besoin du politique a prit la forme de la revendication d'une responsabilité plus significative de l'Allemagne dans un ordre international reconfiguré et a imposé une remise en cause des anciens statuts politiques, surtout à l'Est et principalement de celui de la Fédération Russe.

La conscience qu'une politique européenne de rechange appartiendrait à un scénario de décomposition de l'Europe et donc d'une catastrophe future, suscita un débat de fond sur l'avenir de l'Union et la réforme des institutions et ce débat apparut immédiatement comme incontournable par l'ensemble des pays européens. Les dirigeants allemands de l'époque voulaient aller plus loin dans le processus d'intégration et entendaient affermir une Union Politique du continent dans le but, comme le dit un jour le Chancelier KOHL: «  de sauver l'Allemagne d'elle-même ».

Or la difficile rationalisation des « intérêts nationaux », la lente européanisation des nations et l'atténuation du sentiment d'attachement au « bien commun », rendent tout à fait actuel l'autre face du dilemme prospectif de l'époque, celui du contrôle des pays-membres par l'Allemagne ( H.KOHL). Ainsi, après la réunification, la double vocation de la construction européenne à l'élargissement et à l'approfondissement fut rompue.

La coexistence d'une « communauté de valeurs »1, qui fut essentielle dans la période de la guerre froide et de la « communauté d'action »2 qui apparait impérative aujourd'hui, comportait l'émergence d'un « leadership européen », s'appuyant sur un « noyau » d'États partageant les mêmes convictions morales historiques et les mêmes capacités d'action dans le monde.

La finalité d'un « noyau restreint » de pays en mesure d'adopter les mêmes objectifs était d'éviter le danger d'une dilution de l'Europe en une zone de libre-échange améliorée.

Une telle évolution, ferait de l'Europe une aire dominée par l'Allemagne, par la reconstitution d'une zone d'influence orientale, danubienne et balkanique.

L'antidote à la reconfiguration d'une prépondérance hégémonique du « Land der Mitte » sur le continent, pouvant le tenter à nouveau, apparaissait alors le « noyau dur » franco-allemand.

Or historiquement, la seule logique du pouvoir ne suffit pas à refonder un leadership car celui-ci apparaitrait fondé sur un rapport de forces politiques pur et donc sur des égoïsmes nationaux renaissants.

GLOBALISATION ET RENATIONALISATION DE LA POLITIQUE

Depuis vingt ans et au cours de la crise actuelle s'est effectuée une renationalisation de la vie politique en Europe. Plus en amont et plus loin dans le temps, en l'espace de deux seules générations, l'Allemagne a su se redresser de trois chocs historiques :

  • en mai 1945, le choc de l’effondrement total du pays, le plus dramatique et ruineux de toute l’histoire allemande ;
  • en novembre 1989, la chute imprévue du Mur, comme prélude à la réunification de la RFA et de la RDA et à celle du continent ;
  • dans les années quatre-vingt, la secousse de la mondialisation, imposée insidieusement par l’ouverture de l’Europe sur le monde.

Les deux premiers chocs furent dictés par la géopolitique et par le paysage d'une Europe issue de la bipolarité; le dernier par la géoéconomie et la nouvelle configuration du monde, empreinte de la philosophie néo-libérale du « moindre État » et la lente prédominance de la finance sur l'économie,

Or les défis d’hier touchaient à la réorganisation de la société allemande et à sa réconciliation avec la famille européenne, tandis que les nouveaux seront dictés par la globalisation économique et la gouvernance multilatérale. Parallèlement, s'est modifié le regard de l’Allemagne sur le monde et indirectement sur l’Union européenne pour éviter que celle-ci ne devienne une administration locale et dépolitisée de la mondialisation.

Avec la réunification, l’Allemagne redevient le pays du protestantisme social qui, par la compétitivité, l’investissement et l’emploi influence profondément le continent et par sa politique de rigueur budgétaire indique le chemin que l'Europe doit parcourir pour garder sa place sur la scène internationale de demain. La « normalisation » de la politique étrangère allemande, fut donc conçue comme géopolitique et la géopolitique comme intégration de « l'intérêt national » dans le projet européen? 3

NORMALISATION ET INTERÊT NATIONAL

La « normalisation » allemande n'a pas atténué les raisons de compétition et de conflit car ont changé les terrains de la lutte et les espaces du pouvoir. Ainsi, l’Eurasie a pris la place de l’Europe sur l'échiquier planétaire et les enjeux politiques, économiques et sociaux seront devenus interrélés et globaux, par l'institutionnalisation d'un groupe d'États directeurs, le G20, dont la gouvernance sera constamment déréglée par l'éparpillement des pouvoirs et des contre-pouvoirs.

Si aujourd’hui nous vivons davantage au rythme du monde, nous restons cependant liés à une approche conservatrice de notre culture et de notre continent, qu’il est impossible de délocaliser.

Or, deux temporalités dominent l’horizon de la planète intellectuelle, la culture libre échangiste de la globalisation et de la communication en temps réel, une culture de la régulation multilatérale « Soft » et la culture classique, réfléchie et contraignante de la « Balance of Power », sécuritaire et « hard ». Au-delà de toute simplification, le monde est désormais post-occidental mais sans projet structurant, sans modèle universel et sans mythes créateurs.

Il est probable que ce monde, tardo-occidental pourra encore rayonner pendant le XXIème siècle, malgré les atteintes à la logique de la « raison » et la reviviscence du vieil antagonisme entre la raison et la foi et l'opposition des sociétés archaïques aux sociétés urbaines, déracinées et post-modernes.

L'ALLEMAGNE ET L'UNION EUROPEENNE

Depuis la réalisation de l'unité allemande, la politique étrangère de l'Allemagne est au cœur de la politique européenne. Par sa position géopolitique, son rôle historique, son poids économique, démographique et industriel, l'Allemagne constitue le « balancier » de la politique de l'Union et conditionne le statut de celle-ci dans le nouvel ordre multipolaire. Son appartenance à l'OTAN et aux institutions multinationales de « gouvernance », et sa conception du pouvoir d'influence font de l'Allemagne l'aiguilleur principal des institutions de l'Union Européenne mais également des relations euro-atlantiques et euro-russes.

La République Fédérale détermine en effet les dynamiques de trois politiques :

  • la politique institutionnelle, par la mise en œuvre rigoureuse et conforme des Traités de l'Union, exigeant un contrôle de constitutionnalité interne sur toute dévolution de compétences à l'Union ;
  • le soutien à une politique étrangère commune, marquée par la diversification des intérêts plutôt que par l'affirmation des identités;
  • A l'époque de Hans-Dietrich Genscher, la politique extérieure allemande se caractérisa par une « politique de responsabilité », un mélange de puissance civile et de politique introvertie, privilégiant l'approche multilatérale et le contexte institutionnel de l'Union. Le souhait de faire preuve de « retenue » et de poser l'accent sur la dimension morale de la politique étrangère est une époque révolue.
  • Depuis la réunification, la politique étrangère est redevenue ce qu'elle a toujours été, en son essence et en son pur concept, l'étroite unité de diplomatie et donc de stratégie ou d'action militaire. Elle garde encore, malgré la « normalisation » conduite par K. Kinkel et V. Rühe l'empreinte d'une Weltinnenpolitik idéaliste, dictée par une sorte de politique intérieure mondiale. C'est la raison pour laquelle la politique étrangère de l'Europe demeure réactive et non proactive.
  • la politique monétaire, budgétaire et fiscale et donc la gouvernance économique, les formes de la solidarité et l'avenir de la zone-euro.
LE PARCOURS ACCOMPLI

Le poids de la République Fédérale au sein de la famille européenne mesure le parcours accompli depuis la fin du deuxième conflit mondial grâce à l'orientation imprimée par Konrad Adenauer, premier Chancelier de la République Fédérale naissante.

La contribution de l'Allemagne à la paix en Europe Centrale ainsi que dans les zones d'instabilité et de tension qui vont du Golfe au Caucase, via le Moyen-Orient et le plateau turc, constitue un sujet de questionnement et un modèle de conduite atypique pour les acteurs de la scène européenne. Il en va de même pour les politiques de développement et de rigueur économiques, adoptées par la RFA depuis trente ans, ainsi que pour son exigence de respect du « Pacte de Stabilité et de Croissance » de la part des autres pays-membres de la zone euro.

C'est la raison pour laquelle une analyse des grandes orientations de la politique allemande de l'après-guerre mérite d'être étudiée en ses différents aspects, politiques et culturels.

Les options des milieux académiques et intellectuels doivent être davantage connues et mieux appréhendées par les opinions des autres pays européens. Or l'Allemagne demeure une grande inconnue pour l 'évolution du continent dans le système international de demain.

En effet, dans l'hémisphère Nord, les relations entre l'Allemagne, l'Est européen et la Russie s'inscrivent dans une tendance longue et pluriséculaire, celle de la « Drang nach Osten », marquée aujourd'hui par le repositionnement géopolitique de l'Union en Russie et en Asie Centrale. Le tropisme occidental de la Russie est aujourd'hui une partie intégrante de l'équation stratégique européenne allant de la Mer Baltique à la Mer Noire, du Golfe Persique au Caucase du Sud et de la Mer Caspienne au « pivot des terres », le vieux Heartland de Mackinder.

C'est dans ce contexte que le regard de l'Allemagne apporte une contribution d'ensemble à la stabilisation de la région et à l'établissement d'un partenariat stratégique avec la Russie qui affectent directement la sécurité de l'UE et sa stratégie politique d'acteur global.

La sortie du communisme et la stabilité dans l'Europe de l'Est furent marquée dans les années quatre-vingt dix par le cataclysme intérieur russe qui a produit une des grandes ruptures géopolitiques du siècle. Mais la mémoire la plus forte pour la conscience allemande restera la confrontation Est-Ouest et le prolongement du totalitarisme en RDA. Dans ce contexte la Russie et l'Allemagne voient-elles d'un même regard le XXIème siècle? Ou encore, l'Europe et la Russie vivent-elles démographiquement le même risque de déclin, auquel n'échapperaient ni l'une ni l'autre? Dans quel horizon géopolitique l'Allemagne retrouve-t-elle son destin?

C'est dans ce contexte qu'une nouvelle démarche de l'équilibre continental déplace les préoccupations institutionnelles de l'Allemagne et de l'Union vers une configuration des relations extérieures, tendanciellement multipolaires, imposant à l'UE un « nouveau contrat fondateur ».

LEADERSHIP ET « NOUVEAU CONTRAT FONDATEUR »

C'est dans un horizon planétaire qu'un Leadership continental apparaît nécessaire pour organiser une forme plus politique d'intégration. En effet est « Leader » l'homme ou le pays qui réveille de l'apathie, propose une vision du monde et forge une volonté.

Or la question qui hantait les esprits dans les années 90 était la suivante: « Comment l'Europe de l'Ouest pourrait-elle lier pleinement les États d'Europe de l'Est, en assumant simultanément le fardeau de l'ordre mondial et de la sécurité dans les marches orientales?

La politique de l'Allemagne et celle de l'Europe doivent s'inscrire aujourd'hui dans une géopolitique globale, dans une complexité plus dynamique et dans des temporalités décalées. Or, dans ce contexte, l'Europe, constituée d'un ensemble de nations marchandes et l'Allemagne, puissance manufacturière et navale se penseront-elles comme l'isthme occidental de l'Asie ou Rimland eurasien?

Au regard d'une conscience géopolitique redécouverte, l'Europe fait partie intégrante du Rimland mondial, dominé par le commerce, les débouchés maritimes, les voies de communication intercontinentales et les échanges par les voies des océans. Le combat pour le l'hégémonie dans le monde se fera encore une fois sur le front des continents ( façades subcontientales et péninsulaires) et de ce fait sur les rivages, les littorales et les routes maritimes interocéaniques du Rimland mondial.

Or, la politique d'élargissement vers l'Est et l'extension de la perspective géopolitique à l'Eurasie imposent à l'UE un noyau restreint et central de direction politique et l'abandon de toute poussée vers la périphérie, en particulier vers le plateau turc, qui ne soient précédés d'un approfondissement institutionnel adéquat.

A la lumière de la crise actuelle et de celles du passé, dictées par l'effondrement de l'Union soviétique, les réflexions sur l'avenir de l'Europe sont indissociables du rôle de l'Allemagne. Elles sont inséparables de la conscience historique que cette dernière nourrit aujourd'hui d'elle-même, de son rang et de sa nouvelle puissance.

L'EUROPE, L'ALLEMAGNE ET LA SECURITE
Allemagne / novembre 1989 – novembre 2009

Avec la « chute du mur » de Berlin du 9 novembre 1989 se sont lentement dissipés les « deux projets d'Europe », qui se sont opposées jusqu'au Traité de Lisbonne, « l'Europe des Etats » (ou des Patries) du Général de Gaulle et avec lui de K.Adenauer et « l'Europe intégrée » de Jean Monnet.

La première, souveraine, indépendante et équidistante des deux blocs se voulait une Europe troisième force.

La deuxième, « gradualiste » et fédéraliste se professait atlantiste. A cette Europe supranationale et arrimée à l'OTAN, le Général De Gaulle et avec lui Adenauer, opposèrent une vision de l'Europe historique confiant son avenir aux nations.

Entre temps, l'Europe était passée de Six à Quinze et plus tard à Vingt-Sept et l'Europe effective, celle d'aujourd'hui, perdit l'éclat géopolitique de ses origines et la référence idéale du projet et de la foi,. reléguée à une pure virtualité du processus historique.

Le « Traité de l'Elysée » de 1963 et le « Rapport Lamers-Schäuble » de 1994 sur le « noyau dur » franco-allemand apparurent ainsi comme deux « moments politiques » de la construction européenne, en mesure de maitriser le processus et permettant d'atteindre le substance identitaire et culturelle du continent, qui est niée, par définition, aux artefacts institutionnels.

Si l'Europe suscite aujourd'hui moins de passions et plus de rejets c'est que les bureaucraties ont pris le pas sur les politiques et la gestion sur l'inspiration. Or, il n'y a pas aujourd'hui un plan B pour l'Europe comme issue aux deux projets originels, sauf en cas de crise existentielle majeure, susceptible de resserrer les liens entre ceux qui croient à la volonté, à l'unité et à la puissance, soient elles des idées ou de la force.

L'Allemagne a pris clairement conscience, après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, que la sécurité de l'Allemagne et de l'Europe peut être menacée par des situations de crise en provenance de régions éloignées et d'un axe d'instabilité qui va de la Corne d'Afrique à l'Af/Pak, compte tenu des changements majeurs qui sont intervenus dans le monde depuis vingt ans et qui imposent à l'Allemagne et à l'Europe plus de responsabilités et plus d'obligations en matière de sécurité, de politique étrangère et de défense.

DU « NOYAU DUR » DE 1994 A LA TROÏKA FRANCO-GERMANO-RUSSE DE 2010

La morphologie du système international résulte de la stratégie des acteurs majeurs de la science mondiale et commande à la géopolitique des alliances militaires. Ainsi peut-on dire aujourd'hui que « le noyau dur » Paris-Bonn de 1994 correspond à une phase euro-centrée du leadership européen, et que la troïka Paris-Berlin-Moscou de 2010 est une hypothèse de gouvernabilité multipolaire de la sécurité à caractère eurasiatique?

La conception de « noyau dur » de 1994 reposait sur l'association fédératrice de deux nations indispensables, la France et l'Allemagne, d'où résulte l'Europe d'aujourd'hui et d'hier et sans lesquelles il ne peut y avoir d'Union.

En son fond, le noyau dur a été l’idée directrice d’une Europe plus intégrée politiquement. C'est un noyau ouvert et structurant, ouvert au pluralisme des composantes, des responsabilités et des participations, et structurant, au delà d'une règle, d'un texte ou d'une disposition de loi. Il préfigurait une dynamique politique du pouvoir européen face à l’extrême diversité des situations et à l'équilibre asymétrique entre pays-membres, fédérant par ailleurs des sous-ensembles variables que sont l’Europe de la solidarité et de la cohésion, l’Europe des politiques communes et l’Europe de la sécurité, de la diplomatie et de politique étrangère. C’est « la main invisible » de l'Union qui pousse à la conversion de la puissance nationale en puissance européenne.

Le « noyau dur » demeure, in fine, un concept politique et pas le substitut de ce concept, car il exprime l'exercice d'un rôle politique d'orientation, nécessaire au renforcement des institutions et à l'identification des autres pays au groupe de tête de l'Union. Il s'agit d'un rôle moteur, œuvrant dans le cadre d'une vision du monde multipolaire et d'un interventionnisme politique capable d'orienter le cadre institutionnel de l'Europe des Vingt-Sept.

Hiérarchisant les deux modalités d'intégration reconnues par le traité de Maastricht, la communauté d’action et la communauté des valeurs, ce concept ne peut être surdéterminé par l’économique, le monétaire ou le financier. En son aspect prospectif, il représente le noyau d'impulsion et de direction continentale indispensable à l'engagement dans un monde fondé sur l'exercice des souverainetés et faisant le contrepoids aux transferts continus de compétences des autorités nationales à l'Union dans l'élaboration des choix publics.

La troïka franco-germano-russe en revanche, esquissée à la rencontre de Deauville est une hypothèse de direction sécuritaire de l'espace euro-asiatique de l'hémisphère Nord susceptible de s'élargir à une série de coopérations économiques, scientifiques et culturelles s'inscrivant dans une dimension multipolaire du monde. Il s'agit d'un directoire excentré, dont le « format » peut être intégré d'un autre triangle Paris-Berlin-Varsovie ou « Triangle de Weimar ». Les jeux diplomatiques exigent en permanence des ajustements et des compensations, des assurances et des contre-assurances.

LA RUSSIE ET SA PLACE SUR LE CONTINENT

Depuis le 8 décembre 1991 où la puissante Union soviétique disparit en un instant, la diplomatie russe est obsédée par son retour à sa  « puissance globale », bien qu'elle demeure une puissance continentale redoutable, (Dominique David) à l'étendue eurasienne. Dans ses relations avec l'Europe et spécifiquement avec l'Allemagne, les « modernistes » russes ont accordé jusqu'au débutdes années 2000 une importance prioritaire aux évolutions de l'UE et à ses principaux pays membres. Or, la Russie s'interroge aujourd'hui sur sa place dans le continent et ne s'enferme plus dans une illusion bilatérale. Une série de facteurs et principalement le doute sur la volonté de l'Union d'entretenir des relations stratégiquement décisives avec elle, déclassent la cartographie diplomatique de Moscou envers l'Europe et lui font privilégier les relations bilatérales classiques, en particulier avec l'Allemagne et la Pologne.

Ses objectifs stratégiques projettent ses intérêts et ses poussées « multivectorielles » prioritairement en direction de l'Amérique, avec laquelle les relations demeurent déterminantes, de l'UE où la coopération se stabilise, malgré la perte de sa « fenêtre sur la Baltique » et malgré ses propositions (voir projet pan-européen de sécurité de Poutine et de Medvedev) qui revendiquent une « cogestion » concertée du continent, (compte des inadaptations des modèles actuels de gouvernance) et en direction de Pékin où le resserement des relations est dicté par une incontournable méfiance géopolitique. Le poids démographique, économique et militaire de l'Empire du milieu, lui interdit de le considérer comme une alternative à l'Occident. Dans l'espace centro-asiatique, le tandem russo-chinois se renforce et organise sa coopération dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai en raison de la crainte de Moscou, qu'un nouveau duopole de puissance régimente le monde sous la forme de condominium ou de « partenariat privilégié » marginalisant son rôle et son importance.

Dans ce jeu ouvert et trans-eurasien le retour de Moscou à la logique de puissance est fondé d'une part sur l'émergence visible d'un monde multi-polaire, la défense plus brutale de ses intérêts dans les zones prioritaires de son voisinage proche où son différenciel militaire lui accorde une redoutable efficacité politique locale et régionale. L'Union européenne est perçue sans enthousiasme à Moscou en raison de sa « régionalisation » politique , aggravée par la renationalisation des politiques de sécurité et de défense que le Traité de Lisbonne et la Constitution d'un Service Européen d'Action Extérieure ont pour tâche de contraster.

LE RÔLE DU NUCLEAIRE DANS LE DEBAT EURO-ATLANTIQUE ET
DANS LA PREPARATION DU NOUVEAU « CONCEPT STRATEGIQUE »
DE L'OTAN

Une modification des rapports de force et spécifiquement des équilibres nucléaires dans le monde, obligent l'UE à être partie prenante du dialogue stratégique d'où dépend l'évolution de la conjoncture internationale.

En Europe et dans toute la zone atlantique l'obligation de relever les défis de la sécurité, comme la prolifération, le terrorisme, la cyberdéfense et la sécurité énergétique poussent à un réexamen stratégique des fonctions principales de l'OTAN et à l'élaboration d'un « nouveau concept stratégique ».

Le but de l'Alliance aujourd'hui est de traduire la déclaration adoptée au Sommet de Strasbourg-Kehl les 3 et 4 avril 2009, en une nouvelle conception de la sécurité qui sera présentée au Sommet de Lisbonne les 19 et 20 novembre prochains, et qui laisse peu d'espace à de nouvelles propositions.

Ce sommet débattra du « Rapport Albright » dont les taches principales sont regroupées en quatre points:

  • dissuader et défendre les Etats-membres;
  • contribuer à la sécurité de toute la région;
  • servir de moyen de consultation sur la sécurité et la gestion des crises;
  • élargir la portée et améliorer la gestion des partenariats.

Dans ce rapport sont mentionnés les grands thèmes à l'ordre du jour : défense collective et euro-atlantique et sécurité concurrente du projet de sécurité pan-européen russe.

Depuis l'accession de l'Administration Obama, une approche globale et un accent nouveau caractérisent la question nucléaire ( désarmement et prolifération) la défense anti-missiles et ses répercussions, les dangers non conventionnels et pour terminer la réforme de la structure intégrée de l'Alliance, chaine de commandement inclue.

LA SECURITE EUROPEENNE, L'OTAN ET LE RÔLE DU NUCLEAIRE

Dans ce nouveau contexte stratégique, la capacité de l'Europe à exister sur la scène internationale passe par un accord entre la France et l'Allemagne sur l'avènement, un jour, d'un monde libre d'armes nucléaires.

Cette hypothèse se traduit par un retrait à terme, des armes nucléaires américaines ( tactiques) entreposées en Europe (au nombre d'environ 240). Cependant, ce retrait remet en discussion la dissuasion française qui en serait affectée au plan opérationnel et politique. En effet l'adoption d'un projet de bouclier anti-missiles à installer sur le continent, fera dépendre la sécurité européenne des règles d'engagement américaines en cas de déclenchement d'une alerte de la part de la chaîne de commandement des Etats-Unis, ce qui mettrait la survie du continent dans les mains d'une puissance extérieure.

Les Etats-Unis seraient en conséquence les maîtres des tirs visant l'Europe, par le raccordement du bouclier d'interception et de frappe stationné en Europe, au système central de décision et de riposte installé aux USA.

A la question de principe et de souveraineté, s'ajouteraient les deux questions liées, l'avenir de l'industrie européenne de l'armement, corollaire de l'Europe de la Défense ( PESD) et le resserrement des contraintes budgétaires nationales, induites par la crise actuelle.

Le désaccord franco-allemand à l'OTAN à propos de ce point important n'est pas dû à des divergences identitaires mais à la conception que les deux pays ont sur la sécurité et la défense européennes.

Le danger d'un désaccord sur ce sujet peut conduire à des issues malencontreuses pour l'Europe (Charles Kupchan: « Le Monde » du 14 octobre, page Débats) signalées par une menace actuelle, grave, puisque «  la politique européenne ( de sécurité et de défense n.d.l.r) sera de moins en moins européenne et de plus en plus nationale, tant et si bien que l'UE finira de ne plus avoir d'Union que le nom ».

TROÏKA FRANCO-GERMANO-RUSSE ET BOUCLIER ANTI-MISSILES DE L'OTAN

Peut-on passer aujourd'hui de la conception du leadership de 1994, fondé sur le couple fédérateur franco-allemand à une troïka pan-européenne de gestion sécuritaire de la multipolarité en matière de politique mondiale franco-germano-russe?

Peut-on associer un pays de la taille de la Russie aux autres partenaires sans susciter des réticences légitimes à l'Est du continent?

L'ancrage de la Russie à l'Ouest est-il de même nature que l'ancrage de l'Allemagne à l'Union?

Les réserves de certains pays membres et des États-Unis face à la consolidation et à la pérennisation de mécanismes de consultation proposés par Medvedev à Deauville, lors de la rencontre Sarkozy-Merkel relancent-elles les jeux d'influence russes en Europe et au Caucase?

A une première lecture, ces réserves prouvent que la multipolarité du monde agit en profondeur :

  • sur les relations euro-atlantiques (OTAN) en termes d'ouverture et de dialogue
  • sur les relations euro-russes, au sein même de l'Union et dans les zones de jonction et d'interposition intercontinentales du plateau turc et du Caucase du Sud.

En effet, le nouveau regard de la Russie vers l'Ouest est dicté d'une part par les préoccupations asiatiques de la Russie vis-à-vis de la Chine et d'autre part par le profit que la Russie pourra tirer dans sa relation avec la Turquie et Israël, en cas d'aggravation des relations avec l'Iran.

Ainsi, « l'accord » de Deauville entre Medvedev, Sarkozy et Madame Merkel sur les propositions qui concernent le projet de défense anti-missiles contre les menaces balistiques pourront affaiblir simultanément l'Allemagne et le leadership franco-allemand et fissurer la cohésion politique européenne, permettant à la Russie de jouer aux divisions internes à l'Union européenne.

On peut en effet douter que la dilution politique de l'Europe en matière de sécurité se superpose à la dilution économique de l'Union dans un espace de libre-échange élargi. L'affirmation d'une politique étrangère et de sécurité commune est-elle compatible avec la dualité institutionnelle des politiques nationales, autonomes et indépendantes et de type proactif (unilatéralisme, alliances, approche systémique, initiative, stratégie globale) à côté d'une politique concurrente de l'Union de type réactif

(multilatéralisme, sécurité collective, gestion des crises).

Ainsi, le « soutien de principe » de Paris au projet de bouclier anti-missile du territoire et plus seulement du théâtre, replonge le continent sous le parapluie américain, plus flexible politiquement de celui de la bipolarité et influant directement sur les relations franco-allemandes.

Cette protection américaine n'affaiblirait-elle pas les relations européennes au sein de l'Union, les désarticulant à termes :

  • et renforçant parallèlement le rôle de l'OTAN (et donc le pouvoir de l'Amérique sur l'Europe)
  • et ne laissant que peu de place à toute dissuasion indépendante de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis.Ceci aggraverait le fossé d'une coopération industrielle et technologique déjà asymétrique entre Américains et Européens au niveau industriel et de recherche.
L'ALLEMAGNE, PUISSANCE REGIONALE OU PUISSANCE GLOBALE?

La chute du mur de Berlin a eu des conséquences bouleversantes pour la réorganisation des équilibres de pouvoir en Europe et dans le monde. Depuis la fondation de la RFA en 1949, l'axe de la politique étrangère de l'Allemagne a été le maintien de la paix et de la sécurité entre l'Est et l'Ouest, par un activisme particulièrement marqué dans le désarmement et le contrôle des armements et l'ancrage du pays dans la communauté des démocraties occidentales et dans les relations euro-atlantiques (OTAN).

Le multilatéralisme et la politique d'intégration européenne ont été les vecteurs principaux de la légitimation de la nouvelle diplomatie allemande, pratiquant une « hégémonie soft » et une politique mondiale intravertie. La chute du rideau de fer et l'effondrement de l'Union soviétique restituent l'Allemagne à son rôle central en Europe et replacent le « Land Der Mitte » face aux deux options classiques du pays, celles de la priorité à accorder à l'Est ou à l'Ouest.

Face à ce dilemme qui s'est révélé dramatique dans l'histoire allemande en raison de l'antinomie des deux dynamiques « géopolitiques » qui en résultaient, le recouvrement de la souveraineté, consécutif à la réunification, a eu comme référent immédiat une réflexion de fond sur le rôle de l'Allemagne en Europe.

Le plus important témoignage de cette enquête a été le « Rapport Lamers-Schäuble » de 1994.

Les deux référents principaux du document, liés entre eux, furent la relance d'un noyau fédérateur et directeur en Europe et la poursuite d'une projection post-nationale dans le monde fondant la nouvelle identité allemande en dehors de revendications nationalistes ou identitaires.

Ceci comportait une stabilisation de l'Europe centrale et orientale, rendue possible, dès le 14 novembre 1990, par la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse avec la Pologne. Ce fut une réconciliation forcée mais éclairée qui ouvrit la porte à l'adhésion de ce pays à l'UE et à la poursuite de la OstPolik vers la Fédération russe, la confédération des Etats indépendants (CEI), l'Asie centrale et le Caucase.

Une importante reconquête culturelle et économique allait s'en suivre en direction des pays baltes et de l'Europe centrale, orientale et balkanique et complétait une entreprise d'irradiation stratégique à large spectre, moléculaire et en réseau. Des relations privilégiées et étroites envers la Russie, conduisirent à un partenariat privilégié et furent entreprises par le Chancelier Kohl (1982-1998) et son successeur G. Schröder (1998-2005) puis poursuivies par A. Merckel.

Ce retour actif sur la scène internationale de la part de l'Allemagne a changé la nature des rapports franco-allemands introduisant une dissymétrie de puissance dans le « couple », qui a contribué à la constitutionnalisation de cette relation, se reflétant sur le système de représentation et de vote au Parlement européen et au Conseil. Elle s'est traduite dans le débat sur l'Avenir de l'Europe et la politique européenne de sécurité et de défense, qui ont abouti in fine au Traité simplifié de Lisbonne.

Par ailleurs et à l'échelle globale, du fait de sa puissance retrouvée et du repositionnement stratégique de l'Allemagne dans le maintien de l'ordre et de la stabilité internationale, en dehors des zones traditionnelles de l'OTAN (autorisé par la Cour de Karlsruhe en 1994), l'Allemagne unifiée postule un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies et a remis en cause l'OTAN comme lieu privilégié des relations euro-atlantiques, ouvrant un chapitre nouveau aux relations bilatérales germano-américaines.

L'opposition allemande aux Nations Unies, lors du vote sur l'intervention américaine en Irak, au nom d'une indépendance retrouvée vis-à-vis du grand allié que la RFA avait suivi fidèlement depuis 1949 et qui avait permis l'unification de l'Allemagne grâce à Bush père, renforce l'intérêt de la politique étrangère de l'Allemagne pour la politique internationale. Celle-ci est mue désormais par l'ambition de jouer un rôle non seulement régional mais global dans le but, affiché, d'instaurer un ordre mondial stable en Europe et dans le monde.

LA DOUBLE REUNIFICATION, ECONOMIQUE ET POLITIQUE DE L 'ALLEMAGNE

Ce changement de nature dans la politique étrangère a été marqué par une interaction constante entre globalisation et multipolarisme. Or, la réunification de l'Allemagne a comporté des efforts laborieux pour surmonter le fossé entre deux pays, aux structures socio-économiques différentes.

Il a exigé d'énormes investissements à l'Est et deux décennies d'efforts financiers pour que le retard entre les deux pays se comble car on avait surestimé l'appareil industriel de la RDA et l'état de ses infrastructures. Ainsi, la décision politique du Chancelier Kohl d'aligner le Mark oriental sur le Deutschemark fut le révélateur de l'impossibilité des entreprises de l'Est de supporter la charge de salaires plus élevés.

Peut-on établir un bilan, à distance de vingt ans, de la contribution de l'Allemagne réunifiée à l'Europe, en termes économiques et politiques?

En termes économiques, la prééminence industrielle de l'Allemagne et sa force d'exportation constituent le « parapluie » protecteur de sa puissance retrouvée. Il faut y rajouter sa politique de rigueur budgétaire, adoptée par le gouvernement allemand pour se prémunir de la logique de l'endettement et de déficit excessifs. Cette politique est devenue le référent obligé du respect du « Pacte de Stabilité et de Croissance » ainsi que le garde-fou indispensable de tout dérapage de la finance publique et de dépenses étatiques inconsidérées.

En termes politiques, il en va en revanche autrement, pour ce qui est de l'indépendance et souveraineté de l'Europe vis-à-vis des États-Unis. En effet, si la diplomatie allemande a cessé d'être caractérisée par une culture de la retenue ( « Zarückhaltungs Kultur »), l'Allemagne a développé avec une extrême réticence et a minima son outil de défense et cela dans le cadre d'un emploi de ses forces, soumis à la double limite, d'une action multilatérale de « sécurité collective » et sous mandat des Nations-Unies, et d'une participation otanienne à la « défense collective » par des actions de rétablissement et de maintien de la paix, dans les crises qui interviennent hors Europe.

Ainsi, par son outil industriel et financier, l'Allemagne peut être considérée comme une puissance mondiale mais non globale et sur le plan politique, elle continue de demeurer une puissance régionale sans contribuer, au plan nucléaire, au maintien et à la consolidation de l'outil de dissuasion européen indépendant, qui est la dissuasion française.

Vis-à-vis des États-Unis et à leur prédominance militaire dans le monde, malgré la crise économique, l'Allemagne et avec elle l'Europe ne sont guère dans une position symétrique au plan géopolitique et stratégique. Cette fausse symétrie altère globalement le jugement comparatif entre l'Europe et les USA.

En effet, même au niveau économique, l'intime relation entre dette et souveraineté est surdéterminée par la puissance militaire des États-Unis.

Dans le cas du déficit extérieur américain vis-à-vis de la Chine qui est de l'ordre de 2.400 milliards de dollars, l'endettement des États-Unis indique son extrême vulnérabilité, sans entamer ni compromettre ses alliances militaires en Asie, avec Tokyo, la Corée du Sud, l'Inde et également le Pakistan, qui constituent des facteurs de force et d'intimidation vis-à-vis de Pékin.

Par ailleurs, n'échappera à personne l'existence d'un grand facteur de déséquilibre constitué par la démographie, qui est déclinante dans tout l'hémisphère nord, dramatique en Russie et préoccupante en Allemagne.

Cette tendance est faussement compensée par une immigration qui devient source de rejet et de coût élevés, car elle constitue une raison de rupture de la cohésion sociale et nationale et marque l'échec du multiculturalisme, de plus en plus incompatible avec les héritages nationaux.

Un chapitre particulier sera consacré aux mesures de rigueur et aux risques de récession économique vue l'impossibilité des « Etats-Providence » européens de financer l'Europe sociale (santé et retraites) et d'introduire des mesures d'austérité, qui parviennent avec difficulté à lier la politique conjoncturelle de rigueur budgétaire et le libéralisme monétaire, pour soutenir la croissance économique et l'inflation qui l'accompagne.

1Un ensemble d'idéaux de paix, de libertés politiques et de droits humains

2L'exercice concret des « souverainetés partagées ».

3 différente en ses visées de la « Géopolitik » de Karl Haushofer et des schématismes rationnels qui simplifiaient les lectures du monde et les interdépendances entre les deux hémisphères conçues en termes d'interdépendances Nord-Sud

* A paraître dans : "Essais sur l'Europe et le systéme International" l'Harmattan Paris / Décembre 2010