Un meurtre c'est un meurtre d'où qu'il vienne et qu'elles qu'en soient les motivations.
La conscience collective se révolte au tragos et à la mort d'homme et exprime, vis à vis du sang, l'antique condamnation d'Abraham. Ce que le droit ne peut cependant décréter par lui même c'est la qualification juridique et morale du geste. Folie démentielle, acte politique, terroriste ou insurrectionnel ?
L'ordre des faits éclaire peut être l'ordre des motivations.
Depuis le 11 Septembre nous sommes en guerre contre le terrorisme, et l'offensive islamiste qui a débuté en 1979 avec le retour de l'Ajatollah Khomeini en Iran, est une vague longue, durable et déferlante.
Cette guerre n'est pas finie car l'offensive historique de l'Islam radical s'est amplifiée et a pris trois formes conjointes: politico-culturelle (inadaptations, prêches, retour au Khalifat), politico-stratégique (conflits asymétriques) et économique et sociale (immigrations incontrôlées). A l'emploi d'une violence endémique dans toutes les régions du monde s'est couplée une occupation lente, incessante et caractérisée de l'espace public des sociétés ouvertes et une utilisation abusive du « jus publicum européeum » contre l'esprit des lois des pays d'accueil. Une flagrante insoumission aux contraintes sociales, aux coutumes et aux mœurs de ces derniers, de la part des minorités ethniques, politiques et religieuses a été monnaie courante. En Europe l'inaction des gouvernements face à une immigration de peuplement et de conquête spirituelle, constituant le revers de la globalisation, a creusé des dégâts difficilement réversibles. En Norvège le pourcentage des immigrés est de l'ordre d'environ 10% de la population et s'est accompagné comme partout d'une islamisation grandissante et d'une criminalité et insécurité confirmées par tous les rapports ministériels et de police judiciaire.
Dérèglementée, moléculaire, individuelle et collective cette immigration, non intégrée et communantarisée a été globalement assistée, tout en demeurant hostile aux pays d'accueil. Sa présence et ses droits ont été justifiés en termes d'humanisme et de solidarisme social par les élites « de progrès » des pays d'immigration.
Au regard sociologique, cette vague a secoué en profondeur les équilibres démographiques, culturels et religieux en Occident et en Europe.
Au cours des années le vécu psychologique de ce phénomène a aggravé toutes les anomies, déjà présentes, dans les sociétés d'Occident et a provoqué une crise de rejet, de plus en plus avouée, de nature politique et culturelle, dont la forme publique est le populisme et son antidote idéologique, le négationnisme « démocratique ».
Du perceptuel au vécu et du vécu au refoulé, puis du subi au sentiment de révolte, la limite du tolérable s'est nourrie d'une idée de menace et celle-ci d'un ensemble de réactions ayant pour source originelle, l'idée de danger, cette fois-ci mondial.
Au plan revendicatif, la confusion entre guerre de religion et guerre sociale réunissant sous un même slogan, « immigrés, chômeurs, indignés, mouvements minoritaires, divers « contras »=Tous unis ! », a engendré une perte des repères des populations et des classes, directement menacées par la précarité des conditions et des statuts.
Au plan des croyances, l'Occident a été confronté à une « guerre weberienne des dieux », insidieuse et inavouée et à un conflit de vérités qui ne dit pas son nom. Un conflit de convictions et des mœurs ne peut coexister longtemps sans l'établissement d'une sécularisation acceptée ou alors sans déchirures et ruptures de la cohésion sociale, bref sans guerre civile.
La dépolitisation du social, accompagnée d'agnosticisme moral a rendu ainsi possibles des revendications et des attentes impossibles à satisfaire.
De surcroit et dans le cadre d'un révisionnisme historique d'appoint, l'inversion des enjeux mémoriels de la part des anciens colonisés est devenue culpabilisation globale de l'Occident, moyen de monnayage de l'anomie sociale et dénonciation de l'esprit de combat des colonisateurs d'hier, qui a justifié l'émancipation politique successive des peuples dominés et subjugués. La projection morale de cette vague d'émancipation s'est étendue à la sphère de la sexualité et a effacé le distinction, dans les métropoles, des rôles respectifs des deux sexes.
Il n'est pas négligeable de rappeler que les revers de toutes les formes d'égalisation hommes-femmes se sont accompagnés d'une déresponsabilisation et dévalorisation morale et sociale du sujet masculin (qui comportait autrefois une prise traditionnelle de responsabilités et de risques). Cette féminisation a eu, comme répercussion psychologique, un éloignement de « l'homme » de sa naturalité, et de son esprit conquérant et a produit une génération d'indifférents et une sorte de « Lib-Lab » sexuel.
Ces revers ne caractérisent pas, pour l'heure, les sociétés traditionnelles ni leurs prolongements minoritaires en Occident.
Ainsi ce déphasage de croyances et de mœurs a engendré un esprit d'insoumission qui se manifeste comme mépris de l'esprit public et comme rejet d'une loyauté et d'une appartenance autrefois acceptées et nécessaires.
Les différentes facettes de ce phénomène s'insèrent dans une crise plus large de la modernité comme unité du projet social et comme modèle de progrès. Ceci a autorisé une conception dégradée de la démocratie comme ensemble de corporatismes et de subjectivismes, idéologiques, religieux, raciaux et culturels, supposés équivalents ou d'égale dignité.
C'est dans ce contexte interculturel ou plutôt de vide culturel et de dissolution des anciennes croyances qu'est né l'esprit de révolte des minorités Skins et un besoin ressenti et diffus de conservation de l'ordre social. C'est de ce terrain, social et moral, qu'est né le « meurtre d'Oslo » et a pris forme une réaction froidement planifiée du tueur norvégien.
Ces mutationes globales sont psychologiquement ingérables par les sujets les plus faibles de la société de telle sorte que les sirènes des solutions violentes, conformes à des interprétations subjectives de type défensif, ont facilement prise sur des personnalités aux pathologies simplificatrices, immatures ou obsessionnelles, craignant une atteinte ou une menace pour leurs convictions.
Le crime ou la vengeance sacrificiels et symboliques traduisent ainsi ces évidentes contradictions sociales et personnelles et ont une valeur d'alerte sociétale.
Elle ne sont que des symptômes d'une pathologie crisogène plus générale, politique et au fond historique.
En réalité le problème de l'immigration est devenu la grande question sociétale du XXIème siècle, celle qui concerne la nature de la société européenne de demain, la question englobante, car elle résume trois grandes composantes d'avenir, la politique européenne d'accueil et de libre circulation, la politique de développement et d'emploi, la politique urbaine et sociale et pour terminer, la politique culturelle, éducative et sécuritaire.
Elle est comparable, avec une plus grande portée et prospective, à la question de la classe laborieuse en Angleterre au tout début de la révolution industrielle, au paupérisme du XIX siècle et aux grandes enquêtes menées, à l'époque, par les philosophes, les économistes, historiens, utopistes et philanthropes, qui réfléchissaient simultanément à la condition d'un bon tiers de la population britannique et à l'avenir de la Grande Bretagne et de son empire, appelant « la Providence à faire quelque chose à ce sujet ».
Le nom actuel de cette Providence s'appelle-t-il Commission, Conseil, Parlement européen ou plus simplement Union Européenne ?
LA LECTURE SYMPTOMALE ET SYMBOLIQUE.
LE TRAGOS ET LE PRIX DU SANG, FACE AU DOUBLE MEURTRE SOCIÉTAL
L'idée de s'attaquer aux causes (le siège du Premier ministre, la réunion d'été des jeunes élites décisionnelles multi-culturelles d'aujourd'hui et de demain), au lieu de s'attaquer aux effets (l'immigration elle-même) de la part du meurtrier est une subtile discrimination de l'intelligence politique de l'acte criminel, qui exclut la folie et légitime l'option violente par le recours implicite à une image destabilisée de la société norvégienne.
Il s'agirait alors d'une signature meurtrière surprenante, conduite en réaction au « meurtre archétype » de la constitution imaginaire de la société (Cornelius Castoriadis). En effet toute société a une institution archétypique, celle de sa fondation imaginaire et de l'idée centrale qui préside à son origine.
Ce geste relie ainsi, par sa violence extrême, le rejet de l'islamisation des sociétés occidentales. Ce rejet va par ailleurs du référendum anti-minarets des paisibles Lantz-Knechts Suisses (2008) à l'acte subversif du « Croisé Viking » (2011).
Selon cette interprétation qui n'a rien de paradoxal, le message du crime serait politique et le négationnisme qu'il dévoile dans le drame, une réaction consciente et délibérée, aux yeux du tueur, à la cécité intellectuelle des gouvernants et à l'énième traitrise des élites progressistes.
Il n'est pas sûr que ce message soit aperçu en sa vraie portée et dans sa radicalité prospective et réitérable.
En effet la liturgie des funérailles comme exorcisme du tragos, a-t-elle été une catharsis collective, dictée par le shamanisme multi-culturaliste ambiant ?
Un refoulement umanimiste pour enterrer la culpabilité collective, sans rien changer aux causes, sans se poser des questions, sans explications et donc sans réponses, a-t-il été un signe de courage intellectuel ou de faiblesse politique et morale ?
La société post-moderne n'aime guère le sang, le meurtre ou le drame. Elle n'aime ni les symboles ni les archétypes. Elle refuse naïvement les mythes, afin de mettre une pierre finale sur un opprobre sociétal inattendu, par une sorte de répugnance humaniste ou par simple retour à une conscience collective anesthésiée.
Ce refoulement ne peut satisfaire l'analyste et une large partie de l'opinion aura un autre avis sur la question et prononcera peut-être d'autres réponses. Non! Messieurs Breivik n'est pas fou! C'est un vengeur! Et sa vengeance contre le meurtre silencieux de la constitution imaginaire de la société nordique, relève d'une « blessure archétypique » et d'un recours sanglant et extrême au tragos grec, savamment théâtralisé afin d'être exorcisé.
Toutefois il ne peut y avoir de catharsis sans pathos, sans angoisse et sans libération de l'ame. La présente réflexion, écrite « nigro lapillo » a une valeur d'éclairage et d'enquête. Ni justification ni prise de partie.
Bruxelles, le 4 Août 2011
(*) Sociologue et Juriste, I. Seminatore s'exprime à titre strictement personnel et non institutionnel.