Dans l'esprit du grand public,le terme de diplomatie publique s'identifie comme le contraire de la diplomatie secrète. La réalité est néanmoins un peu plus complexe. Nous distinguerons donc la diplomatie traditionnelle qui naturellement ne se fait pas sur la place publique ,de la diplomatie parallèle ou personnelle et de la diplomatie familiale. Celle-ci était pratiquée par les Souverains européens souvent de manière épistolaire ou par le biais d'hommes de confiance (parfois des diplomates) en vue d'arranger des mariages ,qui permettaient de modifier l'équilibre politique par l'apport de dots territoriales. La diplomatie personnelle permet de préparer des évolutions politiques ,parfois majeures, dans une discrétion que ne permettent pas les canaux diplomatiques traditionnels. Le meilleur exemple reste le voyage de Richard Nixon en Chine, qui engageait un nouvel avenir pour la géopolitique mondiale. Qu'est-ce alors que la diplomatie publique? Le fait est plus ancien que la chose.
Les milieux académiques s'accordent à dire que le terme a été utilisé pour la première fois par Edmund Gullion,un diplomate états-unien en 1965 lors de la fondation du Centre Edouard Murray à l'Ecole Fletcher de droit et de diplomatie de l'Université Tuft. Néanmoins ,Nicholas Cull du Centre de Diplomatie Publique, dans son ouvrage "Public diplomacy Before Gullion:The Evolution of a Phrase" écrit: The earliest use of the phrase "public diplomacy to surface is not American at all but in a leader piece from The Times in January 1856.It is used merily as a synonym for civility in a piece critisizing the posture of President Pierce" .
Mais s'il n'y a pas de consensus sur l'origine du terme, il n'y en a pas non plus sur sa définition. Le Centre Murrow (qui offre un Master dans cette discipline) la définit comme suit dans sa brochure : the influence of public attitudes on the formation and execution of foreign policies.It encompasses dimensions of international relations beyond traditionnal diplomacy...(including) the cultivation by governements of public opinion in other countries; the interaction of private groups and interests with those of another...and the transnational flow of information and ideas.
Il existe beaucoup d' autres définitions plus ou moins extensives ou restrictives.
Posons-nous maintenant cette question :la diplomatie publique se confond-elle avec la propagande, comme le pensent beaucoup?Le terme propagande peut se définir ainsi: "la propagation systématique d'une doctrine ou d'une cause ou d'informations reflétant les vues et les intérêts de ceux qui défendent ces vues ou ces doctrines".Propagande évoque évidemment propager et propagation,tel que dans l'Église catholique la Congrégation pour la propagation de la Foi. Remarquez que ces définitions ne nous disent rien de la véracité ou de la conformité à la réalité de ce qui est propagé. Le terme de propagande est plutôt connoté à celui de falsification. A cela Edouard Murrow , alors Directeur de l'USIA répond "Truth is the best propaganda and lies are the worst.To be persuasive we must be believable;to be believable we must be credible;to be credible we must be thruthful.It is as simple as that".Ainsi le terme "diplomatie publique" devrait équivaloir à propagande véridique,pour certains ou à propagande déguisée pour d'autres. En 1987, la Commission Iran-Contra du Congrès des États-Unis proposera de définir la diplomatie publique de "lobby des relations publiques payé par les contribuables".
Mais néanmoins c'est bien aux États-Unis que la diplomatie publique fût un élément essentiel de la politique étrangère dès le début de la guerre froide. La United States Advisory Commission Public Diplomacy a été créée pour évaluer l'efficacité de la diplomatie publique des Etats-Unis, à la fin des années 1940.En 1953 le Président Eisenhower créa l'United States Information Agency(USIA),laquelle par ailleurs en vertu du Smith-Mundt Act de 1948 est interdite de faire de la propagande interne. Avec la CIA , l'Agence mêne une guerre culturelle à travers la Voix de l'Amérique ou Radio Free Europe,et permet d'offrir à l'audience de l'Est une information que leurs dirigeants leur refusent et de diffuser l'American Way of Life à travers le jazz, la peinture ou la littérature.
En Europe de l'Ouest il s'agissait de développer des réseaux d'amis des USA à travers les Centres Culturels Américains,les échanges scolaires,universitaires et culturels. En face l'URSS disposait de relais très efficaces. Sa diplomatie publique(pour autant que le terme y eût un sens) pouvait compter non seulement sur les PC nationaux et leurs organisations syndicales, de jeunesse ,d'associations et aussi de leur presse et des innombrables intellectuels,compagnons de route pour les uns,imbéciles utiles pour les autres,tous véhiculant la contre-culture destinée à détruire la bourgeoisie.
Font aussi partie de la diplomatie publique, le "Ich bin ein berliner" de Kennedy ou le " Mr Gorbatchev destroy this wall" de Ronald Reagan.
En 1999 l'USIA fut dissoute et se fondit dans le Département d'État,c'est-à-dire dans l'United States Information Service. De 1991 à 2001, la priorité sera donnée à l'élargissement du modèle occidental aux territoires autrefois contrôlés par l'Union Soviétique et à l'incorporation de ceux-ci dans l'OTAN,puis dans l'Union Européenne, la diplomatie publique des deux institutions se faisant pédagogiques.
La diplomatie publique se réoriente vers d'autres tâches :accompagner la mondialisation,la transformation économique de la Russie et des PECO et la lutte contre le terrorisme islamiste. Dans un combat asymétrique caractéristique de la lutte contre un ennemi diffus et omniprésent ,au milieu de populations hostiles,le militaire doit à la fois prévenir l'escalade de la violence ,la contrôler et la réprimer.Il se fait policier,administrateur,geôlier,diplomate,psychologue,communicateur,juge,spécialiste de l'Islam. S'il commet une bavure ,tue des civils torture ,ce sera à la diplomatie publique de tenter de réparer les degâts. Pour communiquer, il doit créer des radios et des télévisions et les gérer et parler les langues des populations. Dans ce combat ,l'influence est capitale .C'est le modèle occidental ,et surtout l'American Way of Life qu'il faut rendre désirable. La nécessité de la reconstruction fait travailler les Armées avec des ONG qui leur reprochent de jouer au soldat humanitaire, avec des armées privées qui vendent leur services de protection clés en mains avec des techniques de pointe et enfin avec des multinationales pressées de remporter des marchés,tous ayant des intérêts et des buts contradictoires et chacun portant son propre message. D'autre part il faut compter avec une opinion publique en Europe surtout,hostile à l'action militaire.
Tout cela justifie que tous les acteurs disposent d'une politique internationale d'influence basée sur des arguments et des faits « vrais »,c'est-à-dire vérifiables,tout mensonge entraînant des dégâts ravageurs.
La structure politique et psychologique de la société de l'information et de la communication fait qu'il faut communiquer juste et vite vers une opinion publique immédiatiste et des médias simplificateurs jusqu'à l'outrance.
La complexité sur le terrain-parfois dans des pays sans État ,où les seigneurs de la guerre,les gangs et les maffias se partagent le terrain avec les rebelles,et où toute armée régulière s'est débandée-a produit la nécessité de l'action de coopération civilo-militaire dans laquelle l'UE excelle et qui suppose des communications publiques cohérentes.
C'est la raison pour laquelle le Président George W. Bush créa dès 2001 un sous-secrétariat d'Etat à la diplomatie publique,confié à Charlotte Beers ,une publicitaire. Pour certains ce n'était qu'une " propaganda abteilung " déguisée,qui produisit des vidéos montrant la liberté religieuse dont jouissaient les musulmans aux Etats-Unis.On créa aussi des radios en arabe en Irak et en Afghanistan ,ainsi qu'une télévision ,al Hourrah, concurrente d'al Jazeera.Bush créa aussi un " Bureau of Strategic Influence " qui fut fermé lorsque la presse révéla qu'il pourrait mener des actions de désinformation aux EU même.
En décembre 2007,la diplomatie publique passe sous la direction d'un ex-financier et directeur du magazine « The American »,plutôt conservateur.
Le Département d'État créé aux USA et dans le monde des cercles d'influence, avec des intellectuels,des journalistes, des hommes d'affaires etc. François-Bernard Huyghe relève que « certaines opérations sont sous-traitées à des agences de communication qui »vendent » l'opposition à Saddam, ou la thèse des armes de destruction massive, tel le Groupe Rendon.
La diplomatie publique est-elle utile et suffisante pour contrer le terrorisme ,et comme le dit le "Council on Foreign Relations" capturer les esprits et les cœurs ?
Et il répond : "Qu'ont gagné les EU s'ils ont perdu la bonne opinion de l'humanité?". Pour améliorer l'image des EU il propose de combiner la diplomatie,la puissance économique ,la puissance militaire et la diplomatie publique ,et il reprend à son compte la définition de l'USIA : "promouvoir l'intérêt national et la sécurité nationale des EU en comprenant,informant et influençant les populations étrangères." Par exemple, plutôt que de rejeter en bloc le Protocole de Kyoto et le Tribunal Pénal International, le CFR estime que les EU auraient dû proposer des amendements et des contre-propositions. Même inacceptables pour les autres parties ,de telles propositions auraient permis de véhiculer une image plus positive des États-Unis.
Il recommande aussi d'intervenir en amont de l'opération et non pas après, d'associer les entreprises, recruter des messagers privés de l'Amérique à l'étranger.
La diplomatie publique devient un marketing appliqué aux relations internationales ,mais reste néanmoins un appendice,plus ou moins indépendant de la « hard power ».
Pendant les années Clinton ,Joseph S. Nye de la John Kennedy School de Harvard, avait fait de la diplomatie publique le centre de son paradigme de la « soft power », la puissance douce. Cette approche correspondait à « l'enlargement » , l'exportation du modèle américain dans un contexte de paix retrouvée et de nouvel ordre international.
Dans un article récent, Joseph S. Nye revient sur la problématique de la nouvelle diplomatie publique. Il souligne qu'en un temps de profusion de l'information la crédibilité est essentielle, et il cite en exemple la BBC. Il voit dans la diplomatie publique trois dimensions:
1°la communication quotidienne pour expliquer le contexte des décisions intérieures ou extérieures.
2°la communication stratégique qui par opposition à la première se prolonge dans le temps sur des thèmes récurrents.
3°la troisième qui vise le long terme,et qui par le biais des individus permet de développer des relations durables et confiantes..
Mais Nye reconnait « que le pouvoir dans l'ère de l'information mondialisée devra,plus que jamais comprendre une dimension douce d'attraction mais des dimensions plus dures de coercition et de paiement. La combinaison efficace de ces trois dimensions,c'est-à-dire la pensée,l'épée et l'argent, s'appelle le pouvoir intelligent.
C'est tout ce que nous souhaitons à l'Union Européenne.