TABLE DES MATIERES
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LA MONDIALISATION ET SES DYNAMIQUES
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LES TROIS CYCLES DE LA CRISE ET SES REPLIS
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APPARTENANCE NATIONALE
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LA DÉCOLONISATION ET L'IDÉE DE LA NATION
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INTERNATIONALISME, INTERGRATIONNISME, MONDIALISME
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SUR LA LOGIQUE DES APPARTENANCES
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LE SYSTEME INTERNATIONAL,UNE MUTATION SYSTÉMIQUE, GÉOPOLITIQUE, HÉGÉMONIQUE ET STRATÉGIQUE
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LA CONFLICTUALITÉ, ET LA « TOILE » DU SYSTÈME INTERNATIONAL SES NIVEAUX CAPACITAIRE ET DE POUVOIR
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LA MONDIALISATION ET L'ABSENCE DE DIFFERENCIATION HISTORIQUE.
LE PRIMAT EXCLUSIF DE L'INDIVIDU ET DU VECU INDIVIDUEL
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MONDIALISATION, BIENS PUBLICS, ET ETATS PROTECTEURS
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LA MONDIALISATION, L'INTEGRATION BUREAUCRATIQUE
ET LES POLITIQUES D'EXCEPTIONS
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DROIT, POLITIQUE. Les catégories de l'obligation
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UTOPIE ET HEGEMONIE
La mondialisation actuelle résistera-t-elle à ses ruptures, à ses dynamiques turbulentes et à ses déstabilisations soudaines (Méditerranée, Proche-Orient)? Résistera-t-elle à sa mise en perspective, suggérée par l'épuisement de son idée centrale, celle d'un développement économique ouvert et anti-étatiste? Au point de vue analytique, la mondialisation ne pourra pas échapper à l'examen de ses répercussions dans les différentes régions du monde et, en particulier, au renforcement ou au déclin des Nations d'Europe et d'Asie.
Elle devra se mesurer à l'émergence et à l'affaiblissement des formes modernes de régime politique, aux transformations de l'hégémonie et de la légitimité, à l'étendue des conflits et des crises, autrement dit, à la révélation de forces nouvelles qui dominent la conjoncture, et, pour terminer, aux rivalités de demain. Et cela, à un moment où les Nations européennes sont imparfaitement unies et encore rivales, partiellement des sujets et encore des objets d'Histoire, souveraines mais déjà limitées et dépendantes. En Europe et en Asie, les ennemis d'hier sont devenus les amis d'aujourd'hui et les pays méditerranéens ont perdu leur statut d'alliés et de regimes stables en se déchirant et en se vouant à l'Islam.
Les lignes de séparation entre les Nations changent de tracé et de nouvelles inimitiés se dessinent. Dans ce cadre général, l'Europe devient une appendice de l'Asie, face à l'avenir, les limites géographiques des Nations apparaissent perméables et incertaines.
La grande transformation des rapports de force dans le monde a une conséquence : le repli et la décomposition des Impérialismes hégémoniques, des États-Unis et de la Russie, et comporte une exception, celle de l'Empire céleste. En Europe, l'écart entre les pays fondateurs de l'Union européenne s'est aggravé par l'hésitation de l'Allemagne à vouloir exercer un leadership politique, pourtant légitime
Cette transformation a une répercussion sur l'aggravation de la crise, puisqu'elle cumule trois cycles d'évolution :
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Le cycle à court terme, de remodelage du système et d'interactions, fortes, entre le cœur efficient du système et sa périphérie ;
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Le moyen terme, d'innovation et de destruction créatrice, résultant des asymétries de développement entre divers types d'unités politiques.
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Le long « cycle intellectuel », qui nait d'une nouvelle phase de la vie spirituelle de l'Humanité, marquée par le rétrécissement de l'universalisme européen, le relativisme moral et le particularisme historique, réaffirmant avec force le principe de la pluralité de l'expérience humaine.
Cette grande crise est enfin globale intellectuelle et morale parce qu'elle marque, par le désenchantement « européen », la fin des illusions collectives, la dérive et la désagrégation politique des continents et le repli sur le « particulare », au sens machiavélien du terme, accompagné de la montée des visions pessimistes et déclinistes de la raison historique.
Dans ce cadre, l'entrée en scène du peuple dans « l'agora » occidentale et du populisme dans le discours politique n'est guère l'entrée en scène du Dieu hégélien ou de la vérité dans le monde, mais de la révolte sans projet, de la fureur sans espoir et du temps immédiat sur le long terme.
Dans ce cadre de déstabilisation intellectuelle l'État fait figure de protecteur, en dernière instance, des défaillances du système et des dérives engendrées par la globalisation.
Au sein d'un ordre international turbulent, l'Europe réussira-t-elle la traversé de son Rubicon, celui du légalisme formel et de la dépolitisation normative ou bien choisira t-elle la respiration du grand large, celle du multipolarisme périlleux de la vie du monde ? Reconnaîtra-t-elle la loi naturelle de l'anarchie et de la hiérarchie de puissance et adoptera-t-elle en conséquence les contraintes sévères de la logique multipolaire ou bien, adoptera-t-elle la voie illusoire d'un multilatéralisme coopératif, en négociation permanente aux objectifs insaisissables et impossibles à atteindre ? Seule la dimension géopolitique et stratégique d'un acteur global convient à la dimension historique de l'Europe, une Europe qui doit redevenir maitresse de son destin, et douée d'un intérêt commun, deux attributs qui sont, en tant que tels, antagonistes vis-à-vis d'autres destins, d'autres intérêts, à d'autres revendications d'autres cultures.
Le nouveau type de concert européen prendra acte de l'échec du système de sécurité collective au niveau mondial, assuré par la stabilité relative du droit international et parallèlement de la faiblesse institutionnelle et politique du processus d'intégration européenne, comme amalgame d'hétérogénéités qui resteront incompatibles sans l'exercice d'une autorité supérieure, instituée et légitime et d'une sphère représentative unitaire qui puisse la constituer en « corps politique » selon l'image classique de Hobbes et pas seulement en espace de débat et d'institutions mi-irréelles et mi-fictives.
Ce qui caractérise le type de directoire européen établi par rapport aux mécanismes universels de régulation est le refus de l'emploi de la force en cas de rupture de la paix, mais cependant pas le refus de sanctionner un État, politiquement, économiquement, moralement et juridiquement pour la rupture du régime associatif ou fédératif, un crime politique qui est de pure coopération et se configure aujourd'hui comme crime de déficits excessifs, un crime contractuel mais pas de droit public international. Tout système politique est un système d'autorité et de conflit, puisqu'il y a lutte et compétition pour le pouvoir et transfert régulier et périodique de la légitimité et des allégeances, sans transcendance et sans sublimation, idéaliste et supranationale, d'un pouvoir à l'autre et d'un équilibre à l'autre.
Le retour aux États implique non seulement la reposte à des enjeux réels mais une hiérarchisation des espaces stratégiques. L'identification de ces enjeux impose à l'Europe d'inscrire ses initiatives dans un champ de rivalités entre acteurs politiques en lutte pour la vie, la survie et la puissance.
Enfin, le retour aux États est la réponse aux conflits et aux révoltes intérieures en quête d'alternance au pouvoir. Il s'agit là de la revalorisation du stratégique et du long terme, contre la primauté du circonstanciel et du tactique. Le retour aux États peut être interprété comme le retour de l'identité collective par rapport aux pluralismes des mouvements et des vécus individuels. C'est enfin l'empreinte du systémique sur le local, des peuples sur les antinomies de la diversité et de la fragmentation. On ne pourra passer sous-silence le retour des grandes ambitions et des choix volontaristes en politique internationale.
Or, si l'idée d'appartenance nationale a été la caractéristique propre de l'Europe contemporaine et, bien au delà, de la décolonisation et du monde moderne, la mise en place de l'Union Européenne, qui a éliminé toute justification aux querelles intestines du passé, n'a pas donné naissance à une conscience européenne et celle-ci ne s'est pas pour autant dégradée en nationalisme.
En réalité, une série de phénomènes ont dominé l'adoption moderne du sentiment d'appartenance nationale :
1.- Le phénomène culturel et historique qui, a été différent en Allemagne, en Grande Bretagne et en France :
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Idée cosmopolite, impériale et fédérale en Allemagne;
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Idée civilisationnelle et anti-provinciale en Grande Bretagne;
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Idée volontariste, souverainiste et fictive en France.
2.- Le phénomène unifiant de toute communauté politique – (Unité linguistique, éducation collective et modèle de développement).
3.- Le phénomène économique: espace commercial unifié pour une meilleure allocation des ressources et une plus grande mobilité des facteurs productifs (hommes, biens, services, et capitaux).
4.- La fonction sécuritaire ou de défense, se concrétisant par la définition d'une frontière et la délimitation symbolique de l'ami et de l'ennemi, réel ou construit.
Compte tenu de ces différentes fonctions de l'idée d'appartenance nationale, et après trente ans de mondialisation, les allégeances historiques sont restés nationales par delà la construction d'une Europe institutionnalisée, Elles reprennent aujourd'hui un attrait considérables et imprévus, reconduisant la légitimité populaire vers leurs berceaux naturel. En revanche et en dehors de tout modèle préétabli et de la constitution de grands espaces économiques, les souverainetés étatiques renforcent en Asie et en Amérique, les capacités et les jeux des grands acteurs continentaux.
L'effondrement des vieux Empires, français, britanniques et hollandais, avait donné naissance, avec le processus de décolonisation des années 1950-1960, à des États jaloux de leur indépendance et de leurs traditions millénaires. La division et l'affrontement de l'Empire soviétique et de la Chine communiste dans les années 1960-1970, puis la dislocation de l'URSS dans les années 90, ont donné vie à une kyrielle d'États nouveaux en Asie centrale.
Ainsi, l'Asie toute entière a changé radicalement de visage en 60 ans et l'Europe s'est transformée dans un sens radicalement opposé à son Histoire pluriséculaire. Le communisme soviétique est resté un sentiment de surface à l'Est et le communisme européen a retrouvé, après 1991, ses racines et ses personnalités nationales à l'Ouest.
« Regere imperio populos » a été le dicton des Empires européens au XIX ème siècle et le sens profond de la conquête et de la domination du supérieur sur l'inférieur.
L'inverse s'est vérifié en Europe, où l'affrontement de l'Allemagne nazie et de ses alliés a ouvert la porte à une forme de barbarie qui a dominé l'Europe de l'Est, sous l'empire de la force militaire du peuple-maître soviétique.
La finalité de l'indépendance nationale et/ou de la révolution sociale ont été les objectifs de la décolonisation, laquelle exigeait, pour triompher, l'effacement des inégalités et l'affirmation, du moins en principe, de l'égalité formelle entre colonisés et colonisateurs.
La diversité des Nations européennes, puis du nationalisme à vocation hégémonique en Europe n'a pas fait oublier la dimension historique des conquêtes, ni l'hétérogénéité des peuples.
Ainsi, l'idée nationale a été bannie en Europe occidentale par un double phénomène : le processus de décolonisation des conquêtes d'Outre-mer, suivie par la montée du socialisme, l'effondrement du rêve internationaliste de l'empire communiste, le processus d'intégration européenne et le mythe d'une mondialisation sans frontières, comportant l'avènement de l'Histoire universelle.
Or, l'usure de diverses pratiques d'autorité et de styles intellectuels dissemblables a fait revenir à la surface l'idée de Nation et d'État-Nation, comme identité et foyer protecteur de l'Europe post-moderne, par opposition à une forme déracinée d'individualité humaine, anti-hiérarchique et hypermoderne.
Entre-temps, la domination exercée par les « vieux pays européens » a déferlé dans le monde et l'Empire américain a complété ce triomphe par la figure contradictoire de l'impérialisme libéral.
La réaction à la mondialisation comme déracinement de l'idée de Nation a rejoint les déceptions euro-sceptiques et l'affirmation d'un autre rêve pour l'Europe et cette convergence a fait revenir les États-Nations sur le devant de l'imaginaire des peuples.
Parallèlement, les vieilles Nations n'ont pas oublié qu'elles furent de grandes puissances, la Grande-Bretagne en Asie à travers l'Inde, la Birmanie et Ceylan, le Golfe Persique, et l'Amérique du Nord, la France dans l'Empire du Tonkin, en Indochine et en Afrique Occidentale, au Maghreb et au Proche-Orient, la Hollande, l'Italie et l'Espagne dans leurs entreprises proches et lointaines, pour ne pas parler de l'Allemagne et de la Russie Tsariste. Ainsi, la notion de puissance fait partie du gêne européen le plus profond et le retour à la Nation est un retour à demi nostalgique vers un vide que l'Union européenne n'a pas su remplir, en le comblant d'une grande mission de civilisation ou d'un autre grand rêve missionnaire et civil, comme ce fut le cas à l'époque Kennedy pour le « Corps des volontaires » pour le développement de l'Amérique Latine.
L'interventionnisme actif des grandes Nations n'a pas besoin des armes, mais d'idées, car les idées et les idéaux sont plus forts et durables que les canons et les baïonnettes. Ainsi, l'Union Européenne semble en retrait par rapport au positionnement des attentes et des idéaux des années 1960-1970.
Les États-Nations européens se sont adaptés en 1945 à une structure des relations internationales totalement nouvelle et ont adopté progressivement une politique d'intégration mise en place en 1957 par les Six Pays fondateurs de la Communauté Économique Européenne (CEE) de l'époque (France – RDA – Italie – Belgique – Pays-Bas – Luxembourg). Ces États ont dépassé leur phase nationaliste d'avant guerre, mais sont restés nationaux.
Si, avant la seconde Guerre Mondiale, ils étaient des sujets d'Histoire, ils sont ensuite devenus des objets de celle-ci et des grands pays de l'Union ont été déclassés au rang de puissances moyennes.
Les grandes décisions d'ordre historique proviennent des « grands concerts » civils ou militaires, de l'OTAN pour la sécurité et la défense, ou de l'Union européenne pour les décisions d'ordre civil.
Ainsi, a disparu l'indépendance de conception et d'action, qui se rattachait autrefois à la notion de souveraineté nationale. Cette fonction « ultime » est présentée comme « partagée », car elle relève collectivement du Conseil européen ou collège des chefs d'État et de gouvernement. Après avoir renoncé à leur autonomie militaire, les pays de l'Union ont ensuite renoncé par Traité à leur autonomie monétaire. Ils réclament obscurément aujourd'hui un leadership de plein exercice.
Les européens se sont dotés d'institutions supranationales, et en dernier du Traité de Lisbonne au sein duquel le Service Européen d'Action Extérieure a accentué la dualité des structures de politique étrangère. Celle-ci est signalé par la convergence prospective de la politique internationale de l'Union.
Depuis la réunification allemande et celle du continent, l'Union doit encore atteindre une unité de conception pour adopter des décisions stratégiques plaçant les pays de l'Union sur le même plan que les autres États de la scène internationale – USA, Chine, Russie, Inde.
Les temps de l'action agitent de nouveau le monde. L'esprit de conservation retient l'Europe à la prudence à l'ennui historique et au « statuquo »
UNE MUTATION SYSTÉMIQUE, GÉOPOLITIQUE,
HÉGÉMONIQUE ET STRATÉGIQUE
L'Europe semble subir plutôt qu'agir sur les mutations du système international dont nous vivons les syndromes depuis 1989. Ces mutations s'inscrivent dans le sillage de quatre dimensions majeures, aux aboutissements incertains, systémique, géopolitique, hégémonique et stratégique.
A) La première grande mutation est systémique. Il s’agit de la mutation politique essentielle, car elle concerne la gouvernabilité du système et se caractérise par une série de nouveautés significatives:
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une organisation inter-étatique des relations internationales, multidimensionnelle et multi-polaire, orientant la distribution planétaire des pouvoirs vers la zone Asie-Pacifique;
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l’émergence d'un sous-système transnational fragmenté, le «social international», qui devient le lieu d’apparition de perturbateurs, subétatiques et infra-nationaux ;
B) La deuxième mutation est géopolitique et affecte les équilibres globaux de sécurité. Cette mutation intéresse les deux plaques continentales plus « sensibles » du monde, l’Asie et l’Europe. La décomposition du Hearthland et la fragmentation des zones de jonctions eurasiennes (trans-caucasie, espace turc, Balkans, Golfe), impose de clôturer, de manière cohérente, deux espaces stratégiques ouverts, de l’Ouest vers l’Est et du Nord vers le Sud. Une nouvelle architecture de sécurité demeure la réponse a apporter aux risques de déstabilisation, qui constituent les problèmes majeurs posés par cette mutation.
En Europe, la réunification du continent et celle de l’Allemagne ont déplacées les frontières de l’Ouest et de l’Alliance atlantique jusqu’au territoire russe ont exigées de concilier:
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la globalisation et la mondialisation de la sphère de l’échange, de la finance et de la communication, qui en fait le terrain privilégié des conflits de la troisième vague selon A, Toffler, conflits culturels, ou chocs de civilisations pour S. P. Huntington.
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la coopération économique avec la Russie, avec une étroite collaboration en matière de politique nucléaire et de sécurité (persistance de la dissuasion et extension du TNP).
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la sauvegarde de la liberté de choix des Pays de l'est européen, vis-à-vis de la tutelle de Moscou, avec la reconnaissance d’un statut de grande puissance, au moins européenne, a la Russie.
En Asie, l'instabilité qui y règne, découle d’une nouvelle Realpolitik régionale, aux rivalités fortes et aux ambitions nationales ravivées et dépend, en particulier, de l’évolution de la vie politique au Japon et en Chine.
L'instabilité au Japon est imputable à l’éventuel retrait des garanties de sécurité des USA et donc a la fin de la tutelle de l’Amérique sur la puissance nippone. L'instabilité chinoise résulte de la conjugaison croisée, d’une transition politique du régime, aussi délicate que significative, de la vigueur d’une croissance contagieuse et de l’agressivité prononcée en matière de revendications de souveraineté sur l’ensemble de la mer méridionale (Taiwan, Spratleys).
La portée de ces mutations influe sur les grands équilibres géopolitiques et géostratégiques de la conjoncture actuelle, aggravés par le déclin de l’activisme américain. La perception mouvante des menaces, dues a la ramification de la multipolarité, se fait sentir de façon particulièrement aigue en Asie-Pacifique, ou un réarmement généralisé et une accélération dans la modernisation des appareils de défense se somment aux incertitudes politiques internes.
L’inconnue sur les options des grandes puissances non occidentales dans l’équilibre régionale engendre une relation triangulaire aussi impressionnante qu’instable entre la Russie, la Chine et le Japon, et pèse sur la manière par laquelle l'Empire céleste se fera valoir dans la dynamique multipolaire du système international actuel.
C) La troisième mutation concerne l'hégémonie, et elle se signale par:
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L'absence d’un Leadership reconnu et de la force de légitimation d’un projet de civilisation ou d’une idée historique;
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La tendance au repli des États-Unis, la seule puissance globale existante et le doute d’elle-même et des autres sur sa capacité a affirmer a nouveau des responsabilités planétaires;
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L’exercice collectif de la gouvernabilité du système par un «co-optive soft power», une forme de «multilatéralisme autoritaire », affiché par l’Administration américaine. Ce référent confirme la thèse, selon laquelle, toute forme d'unipolarisme qui ne soit impériale est forcement précaire, ce qui nous permet de qualifier les «systèmes unipolaires non hiérarchiques » comme des systèmes en transition.
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La quatrième mutation est stratégique, car le changement dans les rapports de force et de puissance à l’échelle globale redéfinir le champ de la menace, les buts de l’action conflictuelle et le rapport de la stratégie a la politique.
La priorité stratégique, face a des sourdes anxiétés régionales, est désormais la prévention des conflits.
En même temps, suite a une série d’effets cumulés, politiques, stratégiques et technologiques, la stratégie devient intégrale, au sens ou elle intègre dans son mode opératoire des aspects non conflictuels d’action, tandis que la politique rétrécit, au moins en Occident, son aire de consensus. Par amplification de ses moyens d’action, le stratège européen étend et différencie son champ d'instrumentalité, par le rétrécissement de son aire de participation, le politique réduit sa plage de légitimité.
La violence armée se manifeste autrement que par des grandes guerres inter-étatiques, depuis la césure du nucléaire et les blocages et interdits multiples, introduits dans les cycles des conflits, mais elle resurgit sur le continent européen, limitée pour l’heure, à des modes dégradés.
Les conflits latents reflètent cependant des enjeux qualitativement différents, par rapport a ceux que nous avons connus dans la période précédente, et cachent, en dessous de cette phase d’attente, la portée d’une crise d’adaptation, partout présente. Aux antagonismes quasi universels, dans lesquels s’englobaient les querelles des acteurs mineurs de la scène internationale jusqu’à l’effondrement du système bipolaire, a succédé un projet de sécurité collective, qui a mis en sourdine la logique de la défense, moins évidente qu’hier, mais plus irremplaçable que jamais. Les antagonismes directs ne fondent plus, de manière primordiale, le comportement des grandes puissances, sans que disparaisse pour autant, au sein des sous-systèmes régionaux, la dialectique des tensions qui conduit a des conflits armées.
Ces dimensions de la conjoncture marquent le retour de la Realpolitik au cœur de laquelle l'Ancien Monde et l'Occident, apparaissent plus que jamais vulnérables et démunis face aux incertitudes et aux défis dont est façonné notre avenir désormais planétaire.
Or une nouvelle conflictualité est étalée sur la toile du système international actuel, celui-ci superpose plusieurs niveaux de pouvoir, de structures capacitaires et de dynamiques socio-politiques, hiérarchisées et interactives :
1) celui de la multipolarité et de la sphère oligopoliste des puissances conventionnelles, balistiques et nucléaires qu'est la sphère inter-étatique ou des pôles géopolitiques et stratégiques majeurs. Il s'agit de la dimension des antagonismes historiques, immédiatement ou virtuellement conflictuels. C'est aussi la sphère des alliances et des institutions de sécurité et de défense: de la prolifération balistique et nucléaire (Pakistan et Iran), de l'espace éxo-atmosphérique arsénalisé et de la cyberguerre.
2) celui d'un condominium « stratégique » et hégémonique à caractère asymétrique (Chine-USA), ou d'un bipolarisme global dissimulé, qui voile la fonction directrice et centrale des USA au milieu d'une toile de réseaux à vocation unipolaire.
3) celui, subordonné, de la globalisation, et du multilatéralisme ou encore de la coopération et de l'interdépendance, bref celui de la modernité avancée ou de la post-modernité. C'est la sphère mondiale de l'économie, de la production, de l'échange, de la finance, soumises aux marchés, à la guerre des monnaies et aux institutions de gouvernance globale ( FMI, G8, G20) et façonnée par trois grandes zones d'influence constituées par l'Europe, les USA et l'Empire du Milieu.
4) celui d'une grande texture de résonance, mixte ou élargie, calqué sur les sociétés civiles, les réformes sociétales, les transitions de régime, les Welfare States, les sociétés de l'information, les innovations scientifiques et techniques. Cette texture est composée par des actants multiples et en compétition, qui se distinguent par la densité de la communication, le volume des interactions et l'influence grandissante exercée sur les décideurs politiques pour la promotion des « biens publics globaux » (air, mer, espace, cyberespace), et plus généralement pour la gestion de la complexité et l'identification aux modèles d'historicité dominants.
5) Celui de la sphère sub-étatique, de désagrégation et de décomposition sociétales, d'instabilités chroniques, et de conflits diffus. C'est l'espace de la prémodernité et de l'écosystème humain et naturel, des zones de non droit, du terrorisme, des trafics illicites, de la criminalité et des migrations illégales. C'est le domaine de la recherche aventureuse et incessante de « sens », d'un ordre mondial alternatif et idéal, des champs culturels critiques, des mouvements fondamentalistes et des contre-modèles de société, ou encore d'antagonismes idéologiques et religieux, de tensions philosophiques et utopiques, multiples et illimitées. Dans l'ordre naturel ou organique, cet espace déréglé est caractérisé par l'écart grandissant et antagonique entre démographie et ressources et par les dangers et les menaces qu'il entraine et qu'il annonce. Ainsi cette « toile », aux points chauds multiples, est une poudrière planétaire aux niches d'insatisfaction ramifiées, proches des étincelles que va produire un jour l'alliance cataclysmique entre Thomas Malthus et Alfred Nobel. L'interaction de cette toile ouvre sur une ère de conflits, désormais sous nos yeux, aux quatre coins de la planète, qu'il serait insensé de nier, de ne pas voir ou de ne pas prévoir, oubliant les rendez vous tragiques de l'Histoire.
Dans ce contexte, la toile de la mondialisation abritera les stratégies d'araignée du pouvoir de demain, stratégies universelles par les Nations-Unies, stratégies économiques par les institutions de Bretton-Woods, stratégies sécuritaires et militaires par le système des alliances régionales (OTAN-OCS-ANZUS), stratégies de recomposition et de désagrégation politique pour les actants mineurs et locaux, exotiques, subétatiques et transnational.
La singularité géopolitique des États-Unis, la Grande Ile du monde, est qu'elle sera forcée de se normaliser dans l'immense étendue de l'Eurasie, qui demeurera le centre de gravité de l'Histoire. Ainsi, chaque « Chef de file » assurera la promotion de son modèle sociétale, qui sera: d'intégration supra-nationale et sans frontières pour l'Union Européenne, de « consensus » partagé pour le respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de la puissance « mesurée » pour la Chine Impérial de superpuissance militaire et d'interventionniste néolibéral pour la République, qui deviendra cependant orpheline du rêve américain et peinera à reconquérir l'avenir, pour elle même et pour le reste du monde.
LA MONDIALISATION ET L'ABSENCE DE DIFFERENCIATION HISTORIQUE.LE PRIMAT EXCLUSIF DE L'INDIVIDU ET DU VECU INDIVIDUEL
Or la mondialisation a produit partout, une rupture radicale avec les sociétés traditionnelles. Elle a exalté le primat exclusif de l'individu. Si la modernité des Lumières avait instauré un état d'esprit égalitariste et utopique, l'hypermodernité mondialisteconsacre la définition d'une condition vide de différentiation historique. La singularité concrète s'efface et le modèle abstrait se généralise, indistinct. Par ailleurs avec l'accélération du temps, disparait l'idée du futur, qui dévient une métaphore vide de contenu et donc d'espoir.
La scansion du temps (passé/présent/avenir), avait un sens dans les sociétés pré-modernes et dans l'alternance des cycles, dans l'utopie du salut et dans les « religions séculières » qu'étaient les vieilles idéologies. La scansion du temps avait une signification dans une théorie continue du devenir, bref dans les méta-récits collectifs de l'Histoire, propres des XIX et XX siècles.
Aujourd'hui la contraction du temps se réalise en son intégralité dans l'immédiateté du monde virtuel, un monde émancipé d'un centre, d'un lieu, d'une gravité et d'un devenir, un monde en réseaux et sans histoire.
Ce monde est un monde « global », réduit à sa dimension la plus abstraite. Ce monde est capillaire et sans structure hiérarchique, sans l'écho d'une lutte et sans la peur du vide qui définissaient l'inquiétude de la dissolution.
Aux vieilles servitudes se substitue un système de droits universels et l'extension indéfinie d'un seul modèle politique, la démocratie. Mais lorsque la particularité disparait, absorbée par l'abstraction il n'y a plus de figures tutélaires de l'autorité et du pouvoir, ni de transmission d'une expérience commune, car celle-ci est faite de la multiplicité des vécus de l'humanité et guère du travestissement d'une figure commune à l'Occident, le modèle démocratique.
Au tournant de le première décennie du XXIème siècle le modèle figé de la loi démocratique apparait comme un blocage dans l'évolution des formes autonomes du pouvoir politique. Le modèle même paralyse le modèle. Il ne représente plus un rêve mais un passage obligé. Il ne suscite pas une option, mais une étape contraignante, qui brise et fragmente le chemin de l'idéal.
L'individualisation concrète de l'Histoire a besoin de « gemeinschaft » pour ancrer l'expérience dans la réalité, a besoin de droit coutumiers pour enraciner les dispositifs juridiques dans une légitimité ancienne.
Dans le processus d'intégration européenne l'objet du culte ne peut être l'abstraction dépassionnalisée, comme religion rationnelle des élites de bureaux, car celle-ci n'engendre ni propage un rêve, une sacralité, un imaginaire. Elle est confinée à une référence séculière dépolitisée et vide (le fédéralisme), mais le cadre d'appartenance concrète et celui de la passion civique demeure celui de l'identité nationale;
Les affinités cooptées par les élites cosmopolites n'appartiennent plus à un monde localisé et précis mais à un monde transfrontières qui ne rapproche ni les lieux ni les cultures et où la sociabilité est davantage façonnée par l'ouverture sur l'incertitude et sur l'absence de repères.
Le processus de mondialisation engendre des ruptures, représentées par des formes de stabilisation provisoire de l'expérience et du vécu psychologique et anthropologique, mais cette rupture est nationale, ethnique, religieuse et laïque. Elle se déploie en fonction d'un méta-récit collectif qui lui confèrent une identité. Or dans le processus d'uniformisation de la mondialisation les hommes veulent retrouver une parenté et une proximité sensorielle, fraternelle et sociale.
Cependant la mondialisation s'est affirmée comme négation des espaces nationaux et au même temps elle a écrasée sous l'uniformisation de toutes les formes de vie, les traditions, les cultures et les mœurs, avant d'effacer les pouvoirs intermédiaires. Ainsi l'État revient comme réaffirmation de la singularité de l'expérience humaine et comme coexistence de mondes-distants.
Si, en conclusion, l'abstraction de l'époque des Lumières avait puissamment aidé à la construction de l'individualité historique de la nation, en détruisant les corps intermédiaires de la société et en déracinant le sujet de ses attaches traditionnelles, la deuxième phase de cette « libération », inversera le chemin adopté jusque là et édifiera autour de lui un système juridique de protection, dans tous les domaines d'activité. Elle favorisera l'enracinement du sujet dans une nouvelle culture collective, qui se constitua autour de l'État républicain.
De la même manière la révolution néo-conservatrice et néo-libérale libérera de façon idéologique, à partir des années 1970/80, la mythisation de l'État Providence, divinisé par les conceptions bureaucratiques du politique. Il restreindra le pouvoir de l'individu à la seule appartenance subjective, caractéristique des affinités partagées par des groupes intellectuels restreints.
Ceux-ci, confinés à des pratiques de cooptation fragmentées et souvent sectaires, ont édifié une sociabilité radicale et révoltée, libertaire et sans modèles, qui trouvera une extension dans un double processus, la mondialisation des modes et une espace de communication hors-limites. La première sera inter-générationnelle et anti-hiérarchique, la deuxième sera individualisée et portée par la blogosphére.
Les modalités de l'échange des codes minoritaires prendront la place, « volatile », des vielles « stabilités » culturelles, liées à la morale des pères, des traditions et des familles.
Dans l'extinction progressive des figures de l'autorité, les figures sociales classiques (la maitre, le prêtre, le fonctionnaire, l'officier, le professeur; le notable etc.) qui avaient eu pour fonction autrefois de transmettre les hiérarchies de référence, perdent totalement d'importance. Ainsi un changement profond intervient dans l'univers des valeurs, car ce qui fait autorité, ce qui est « seul légitime », aujourd'hui c'est le vécu individuel, le « partagé », « l'affinité », la « culture minoritaire », la « sensibilité du groupe ».
Dans le contexte général et occidental de sensibilisation inconditionnelle, consensuelle et privée, le trait le plus frappant est de démantèlement de la référence à 'la' figure centrale de jadis, porteuse d'une « morale collective » commune, l'État, conçu comme « bien public ». Ainsi s'accroit la dérive de l'anomie sociale, l'équivalence des expériences et l'accroissement des incertitudes. Il s'en suit la perte de légitimité d'une hiérarchie sur les autres et la suspension de la transmission des expériences et des codes de vie d'une génération à l'autre. On se demande qui assurera la transmission des savoirs et qui assurera l'intérêt général d'une société, comme impératif de stabilité intellectuelle et morale.
C'est là que la mondialisation et l'uniformisation des codes privés, doublés de l'élargissement abstrait du « modèle », exigent une retour à la singularité historique et un nouvel enracinement des hommes dans des espaces de tutelle et des lieux de repli.
À la base de ce retournement de situation, il y a l'absence des pouvoirs de garantie, ce qui engendre un besoin croissant de hiérarchies, d'administration réglementée, d'idée « politisée » et de « bien public ».
Dans cette sorte d'évolutionnisme sociologique se décèle l'incapacité théorique de saisir les menaces du temps, mêlées au risque de ne pas les identifier.
Martin Wolf, éditorialiste économique du « Financial Times » et de « Le Monde » définit les « biens publics » comme des biens « non exclusifs » et « non rivaux ». Il s'agit de biens dont la puissance et les avantages profitent à tous ceux qui ne les paient pas et principalement la défense nationale ou la sécurité collective.
Le concept de « stabilité » économique appartient à ce type de bien qui exige l'intervention de l'État et que les marchés ou l'économie financiarisée n'assurent pas.
M. Wolf rappelle que la stabilité économique est un bien très difficile à assurer, car elle concerne la dette publique et le contrôle de décisions de crédit privées, nécessaires à éviter des faillites en chaine et en particulier celles du système bancaire. La complexité de notre civilisation exige la sauvegarde par l'État d'une interdépendance équilibrée entre intérêts publics et intérêts privés, qui est une fonction hautement politique, une demande de « bien public ». Cette demande provient d'un élargissement des marchés et de leurs éventuelles défaillances. C'est un retour, un revers, un repli.
Ainsi chaque « modèle d'historicité » et chaque modèle de civilisation ont leurs exigences de « biens publics » qui caractérisent en particulier les transitions d'un système à un autre. Or la fonction sécuritaire du politique qui, au début de la révolution agraire, rendit les populations vulnérables au banditisme, permit, par la protection assurée par l'impôt, de stabiliser et d'accroitre les populations sédentaires. Le féodalisme ne fut rien d'autre selon l'auteur, qu'une régression publique et une forme de privatisation de la sécurité, assurée jadis par la souveraineté impériale et désormais par des « gangsters locaux », suite à l'effondrement de l'Empire romain. Régression, qui comporta un prix social énorme.
Les marchés sont incapables aujourd'hui d'assurer les « externalités », tels, l'éducation, l'environnent, les grandes infrastructures, l'approvisionnement des populations, dont la survie dépend du rôle des États, fournisseurs de subsides. Dans ce cadre la démocratie serait le principal instrument de régulation et de compromis social, en Occident, mais n'aurait pas la même fonction ailleurs.
C'est ainsi que la stabilité économique et politique garantie par l'État protecteur, devient le « bien public » principal à l'échelle mondiale.
La mise à la disposition par l'État d'un large éventail des biens, exigés par notre civilisation, la plus complexe de l'Histoire de l'Humanité, requiert de la part d'un système multipolaire un accord de coopération entre pôles pour l'érogation planétaire de tels biens, car au départ la capacité d'un État Leader d'exercer sa fonction sera forcement limitée et toute forme d'unipolarisme exige que l'État hégémonique assure lui même l'érogation de tels biens.
Ce raisonnement nous amène tout naturellement à nous interroger sur le rôle capacitaire du Leadership de demain et sur le débat en cours concernant le déclin de la puissance américaine.
Qu'est-ce que le système international ou la communauté des nations demande à la fonction du leadership et quelles grandes nations peuvent-elles l'exercer, les États-Unis ou la Chine?
La bureaucratie européenne ne peut peser sur la distribution du pouvoir international ni décider sur les grands dossiers géopolitiques et stratégiques et la « renationalisation » des politiques qui s'en suit n'est pas un phénomène occasionnel. Elle est due à l'existence d'un paradoxe: l'absence d'antinomie entre l'intégration et les pouvoirs politiques nationaux. Quel contraste peut-il exister entre des politiques d'exécution, gérées par des autorités administrative, et les politiques d'exception, menées par des pouvoirs constituants et souverains en charge des grands dossiers internationaux? Comme l'a affirmé Alan Milward1 la création de la Communauté a sauvé l'État-Nation au lieu de la faire disparaitre ou de le voir décliner. « L'intégration a été une réaction des États-Nations, un acte de volonté nationale ». Pas de contournement ni d'antinomie.
La logique qui se fait valoir sur ces dossiers n'est pas l'harmonisation des intérêts propres au processus d'intégration, mais la rivalité déclarée, propre à la logique étatique.
Il n'y a pas d'antagonisme entre l'intégration communautaire et les États car la première administre et gère au sein de l'Union et les seconds tranchent et agissent au sein du système international.
Le cercle des États a précédé et créé l'Union, rappelle Luuk Van Middelaar et ce cercle vient la renforcer par le développement de la sphère intermédiaire, celle des relations entre l'Union et les États-membres. Au sein de cette sphère, les États tendent à renforcer leurs intérêts essentiels par la méthode intergouvernementale. Celle-ci est suscitée par une lutte d'intérêts qui résulte d'une dissymétrie de capacités et des forces et doit se traduire selon les États en nouvel équilibre de pouvoir.
Il faut préciser ici qu'il n'y a jamais eu une soudure d'intérêts justifiant une opposition de fond entre l'inter-gouvernementalisme et la méthode communautaire, puisque ces deux sphères n'ont jamais été homogènes.
Cet ordre politique nouveau, souvent dicté par un Agenda conjoncturel, découle d'une exigence de survie de l'ensemble de la communauté. Vu de l'intérieur cet ordre traduit une renégociation permanente des équilibres internes, imposés par des chocs extérieurs et implique un engagement personnel des dirigeants nationaux, dont la fluidité des rapports parvient au cœur de la vie nationale des États membres et engendre une adaptation et légitimation des débats internes. L'européanisation des décisions nationales et la renationalisation des politiques d'intégration sont la résultante de ces débats. Ce jeu traduit une relation mouvante entre les deux sphères, nationale et communautaire, et donc une convergence entre un équilibre des forces politiques (nationales) et un équilibre du droit (communautaire), mais cet équilibre ne se traduit pas en rapport de puissance à l'extérieur.
Dès lors, les Traités qui scandent la genèse de l'ordre politique européen représentent un moment d'adaptation historique et de stabilité constitutionnelle entre deux types d'équilibre interieur et résultent d'une dialectique triadique:
-celle du « Concert européen », seul habilité à adapter l'Union au système international.
-celle des Nations, restées indépendantes et souveraines à l'égard de leurs politiques étrangères et aux grands dossiers mondiaux.
-celle des citoyens ou des opinions, représentant la sphère la plus réactive et la plus volatile aux chocs extérieurs et aux répercussions des politiques mondiales.
Le premier niveau de pouvoir parle et tranche au nom de l'Europe, le deuxième agit et s'exécute au nom des Etats-Membres et le troisième argumente et juge dans le cadre d'une seule légitimité restée nationale.
Au nom de la première, la figure du « concert européen » est censée délibérer de manière classique, au nom de la deuxième, l'Europe s'insère dans le prolongement des volontés nationales, qui restent les relais activateurs de l'Union. Au nom dela troisième, inaudible et virtuellement implosive, la sphère citoyenne est orientée vers l'issue constitutionnaliste qui est l'héritière du fédéralisme des années soixante et le seul référent du militantisme supranational.
Dans ce contexte, le constitutionalisme européen, né à la fin des années 1990 et limité à la seule gouvernance et à la politique prévisible, a essayé de surmonter les deux variantes des débats européens et leurs insuffisances:
-L'hybridation de la sphère étatique et de l'intégrationnisme, dans une sorte d'alliance inter-gouvernemental.
-L'hybridation de la sphère citoyenne et de la sphère bureaucratique dans une d'une coalition supra-nationale et fédérale. Ainsi le constitutionalisme a cru surmonté les apories de ces deux visions, en opposition réciproque et totalement autistes. Il a constitué ainsi la troisième voie entre le supra-nationalisme et l'intergouvernemental hors de tout rapport avec la réalité du monde!
Or, l'Histoire, où se joue notre avenir est une histoire qui voit le retour à la puissance publique et aux grands pôles mondiaux, demeurés en forme étatique, antagonique et rivale
Le conflit entre le droit et la force ou entre la théorie constitutionnelle d'une ensemble d'États et la politique n'est pas nouvelle.
En ce qui concerne l'Union, la nouveauté est le « vide d'historicité » du constitutionalisme européen récent, son « oubli » du conflit permanent entre droit et politique ou entre droit et puissance, l'oubli, également, d'une série d'autres thèses radicales, qui caractérisent l'essence de la politique, en ses « catégories » analytiques, épistémologiques et philosophiques. Ceci se traduit par la tendance à adopter les catégories économiques ou juridiques, comme « fondements » de la compréhension du politique et à adopter comme légitime cette impureté méthodologique, qui est, à proprement parler une défaillance de l'esprit scientifique .
La plus importante manifestation de cette « défaillance » repose sur l'absence d'unicité radicale de l'obligation politique, qui sied sur la notion d'obéissance et sur son impossible transfert dans celle, juridique, d'échange d'équivalents ou de contrat.
Il s'agit là d'une perversion fatale pour la notion de pouvoir, qui ne peut être échangée avec aucun autre principe, ni avec d'autres équivalents.
Ainsi on ne peut affirmer une valeur, en soi insyndicable, que par une procédure intellectuelle consistant à la considérer comme une catégorie universelle.
Cette procédure est adoptée pour définir la notion de régime politique, la « démocratie », comme « modèle » ou « valeur » et sans référence à une obligation ou à une légitimité contraignante.
La catégorie de l'obligation, conçue en forme « d'obéissance » et par corrélation avec celle de « sanction », a été totalement évacuée dans l'élaboration des catégories fondamentales du constitutionnalisme européen. Celui-ci évite soigneusement les « raisons » de la politique, comme force contraignante et utilise des « valeurs » déconnectées de toute théorie de l'État et de toute historicité. Les formes de la « légitimité » invoquées ignorent par ailleurs la diversité des formes de la légitimation, traditionnelle ou moderne, au profit d'une « légalité fictive », universalisée.
La faille théorique majeure consiste à considérer comme des manifestations de la « polyteia » européenne les « corps politiques fictifs », ou institutions artificielles (Commission, Conseil, Parlement Européen).
D'où l'impératif de repartir du « degré zéro » de l'analyse politique, pour un nouveau cycle de réflexion sur ce qui est politique au sens conceptuel de terme et ce qui ne l'est pas.
Ainsi se définissent de nouvelles questions, planétaires, propres à la nouvelle phase de la vie spirituelle de l'humanité, à l'age de la politique globale.
Quels en sont les enjeux et les atouts ? Le postulant consistant à partir de l'essor ou du déclin d'une puissance hégémonique comme étant dû à l'essor ou au blocage de son système politique et par conséquent aux répercussions de la pertinence de son système de gouvernement et de son appareil militaire est-il fondé en théorie? Les blocages résultent-t-il, d'un défaut de vision et d'une fragmentation des idéaux qui brisent l'élan de la nation vers des objectifs d'intérêt mondiaux?
Si l'on adopte le schéma Wolfien et Gramscien des « biens publics » la prééminence hégémonique ne pourra pas être assurée uniquement par la production ou l'échange de biens et services, ni par une économie financiarisée, ni encore pour la seule augmentation du PIB, mais par l'hégémonie culturelle et morale, par le primat, dans la bataille des idées, des valeurs symboliques et de la créativité du pouvoir intellectuel.
Dans le contexte actuel le pouvoir militaire (Kratos) pourra être assimilé ou intégré dans la morale du droit (« nomos ») et dans la morale de la liberté (étos)
La vraie fonction du leadership au niveau mondial sera d'arbitrer le transfert des ressources en fonction d'un rôle régulateur rétabli et d'une « politique de contre-poids », et donc en définitive d'une politique de « Checks and Balances » dans laquelle se concrétise le pouvoir modéré, suscitant un déblocage des institutions politiques à l'intérieur et un nouvel l'impérialisme démocratique à l'extérieur.
La mondialisation de l'économie produit-elle une mondialisation des « modèles culturels », capableq de retourner le vent de l'Histoire porté par une Utopie encore exclusivement occidentale ? Celle-ci n'est-elle pas le dernier produit de l'extrémisme de la raison ? Peut-elle produire l'ascension d'une nouvelle classe en Chine, une classe des « purs intérêts », guidée par un parti sans idées et sans visions, porteuse d'une politique de conciliation, élargie aux acteurs du monde, qui sont demandeurs d'espoirs et de symboles ? Et cette ambition de conciliation, de « pures intérêts et de gouvernance globale, des nouvelles classes confucéennes ni est-elle pas à contre-sens de l'Histoire que nous vivons et de l'Histoire tout-court, qui est encore et toujours dramatique et tragique et portée par une « guerre des Dieux » permanente et irréconciliable?
*Ce texte est la première partie, réduite, d'un document présenté au colloque 'L'Europe face à la crise' organisé par la Faculté de Droit de l'Université de Nantes le 16 mars 2012, dirigée par le Professeur Arnaud LECLERC et par le Professeur Jean Marc FERRY, titulaire de la "Chaîre de philosophie de l'Europe".
1in Luuk van Middelaar, « Le passage à Europe. Histoire d'un commencement » Bibliothèque des Codées. Ed. Gallimard, Paris 2012 pag. 31