Les élections françaises sont les révélateurs d’enjeux évolutifs lourds de conséquence pour la société française, et par conséquent pour le projet européen.
L’élection du président qui se voulait « normal », est tout sauf normale.
L’élection de François Hollande à la présidence de la République française a été largement favorisée par le vote musulman (environ 5 à 6 millions de personnes, en se basant sur l’origine géographique de l’immigration)1 et les français d’origine extra-européenne, c'est-à-dire maghrébine et africaine. Lors du premier tour de l’élection, le vote musulman s’était largement reporté sur le candidat socialiste. Le candidat socialiste aurait obtenu près de 93% des suffrages des votants, selon un sondage Opinion way publié par Le Figaro2.
Le nouveau président a aussi été élu par une minorité de français avec un fort taux d’abstention (6%). Il ne rassemble en outre qu’un peu plus d’un tiers des français en âge de voter. 36 % des électeurs ont voté pour François Hollande, 34% pour Nicolas Sarkozy, tandis que 4% ont donné un vote blanc ou nul, 18 % se sont abstenus et 8 % sont non inscrits. La légitimité du nouveau président est donc précaire et fragilise par conséquent l’acceptation par la population des réformes promises.
Le haut score de Marine Lepen du front national lors du premier tour de l’élection présidentielle est l’autre message politique majeur de l’élection présidentielle française. Il souligne l’attachement d’une partie importante des français à la Nation, qui est le ciment véritable du pays pour permettre à ses citoyens de vivre ensemble, selon une représentation commune du passé, et un projet mobilisateur pour l’avenir
Les deux phénomènes politiques sont liés et représentent en réalité les deux faces d’une même médaille.
Les électeurs du candidat socialiste sont pour une grande part d’entre eux proches des mouvances multiculturalistes et tribales de la société française. L’assimilation des populations immigrées, ou l’attachement à la Nation, par indifférence ou par volonté consciente pour les militants politiques socialistes, n’est pas une priorité. Obtenir des droits pour des minorités et des communautés constitue leur projet de société. La présence des drapeaux dans les réunions électorales fut à ce propos hautement significative : des drapeaux tricolores dans les réunions électorales de l’UMP et du FN, les drapeaux du parti socialiste et les drapeaux arc en ciel des minorités sexuelles dans celles du parti socialiste, les drapeaux rouges du front de gauche. La fête des militants de gauche et des électeurs du candidat socialiste à la Bastille le soir de l’élection a confirmé ce phénomène : une présence ultra minoritaire des drapeaux français face à la présence de nombreux drapeaux étrangers, du parti écologiste, des oriflammes régionaux, des minorités sexuelles et des drapeaux rouges du parti communiste.
Le multiculturalisme politique inspiré du multiculturalisme et communautarisme anglo-saxons se diffuse grâce à la connivence entre journalistes, faiseurs d’opinion et la minorité de français qui détient aujourd’hui le pouvoir économique, financier, et qui propage la doxa en décalage avec la majorité des citoyens. Le système médiatique, à fortiori, proche de la gauche, mais aussi issu du service public reste largement complice de ce phénomène. L’éditorial du journaliste Thomas Legrand sur France Inter le 10 mai 2012 est révélateur de cette vision communautaire de la société. Selon cet éditorialiste, la nouvelle catégorie communautaire que l’on qualifie de« français de souche » des zones rurales constituent le problème de la société française : « Tout se passe comme si un nouveau problème d’intégration était en train d’apparaître. Non pas un problème d’intégration des immigrés, mais un problème d’intégration des Français de souche vivant dans ces zones rurales ou périurbaines sans étrangers et sans diversité ethnique ». L’éditorial de Nicolas Demorand à Libération a fait sienne l’expression de « république multiculturelle »3.
Le multiculturalisme politique, comme idéologie politique sous-jacente du parti socialiste, est partiellement masqué par le discours aux connotations indirectes de la « France diverse ». Le projet de droit vote aux étrangers aux élections locales démontre de manière éclatante cette dérive en faveur d’une relativisation du modèle d’assimilation français. La gauche a ainsi tiré profit de l’arrivée dans le corps électoral des français originaires du Maghreb et d’Afrique, en promettant des droits sans devoirs, ce qui du reste est une conception destinée à être élargie à l’ensemble de la société. L’organe de réflexion Terranova, proche du parti socialiste, soutient ouvertement cette forme de multiculturalisme politique. Tout en niant une identité française propre, en la qualifiant de « culturaliste », notamment l’héritage chrétien, cette organisation fait la promotion des identités diverses d’origine étrangère. Cet organe a même inventé le nouveau concept de « citoyenneté musulmane », qui est par définition une négation de la citoyenneté française.
L’analyse du démographe Laurent Chalard a souligné dans le quotidien Libération4 l’importance du facteur démographique et de l’influence de l’immigration extra-européenne récente sur les élections françaises. Sa conclusion en dit long sur son apriori idéologique : A propos de l’UMP, il a souligné que « La stratégie de droitisation de son discours et d’éventuelle alliance avec l’extrême droite est donc suicidaire à long terme ». Une alliance entre la mouvance « bleu marine » et l’UMP dont les électeurs ont des préoccupations largement partagées avec le Front national, aurait pourtant permis au président sortant de gagner les élections.
Au niveau national, le succès du Front national est le symptôme d’une volonté de résistance de plus en plus manifeste des citoyens français vis à vis des dérives trop longtemps tues par le système politico-médiatique au pouvoir : ils constatent le blocage des processus d’assimilation, la montée du communautarisme et du multiculturalisme politique destructeurs de la cohésion nationale. Ils se préoccupent de l’envahissement des idéologies favorisant une dérive selon laquelle des tribus cherchent l’obtention de droits particuliers sans loyauté ni devoirs à la collectivité. Ils dénoncent l’absence de protection vis-à-vis d’une mondialisation qui modifie les rapports de puissances politique et économique, et favorise une montée parallèle du sentiment d’insécurité.
Au niveau politique, l’idéologie multiculturaliste qui nie le principe d’une culture dominante de la nation pour maintenir sa cohésion et sa résilience en cas de conflit, provoque la montée des communautarismes. Même si la crise économique et le chômage sont des facteurs importants de ces dérives, les communautarismes sont en réalité des stratégies de pouvoir politique fomentées par les minorités qui refusent l’assimilation et même l’intégration et soutenues par une partie des intellectuels de la mouvance post-nationale fascinées par la repentance. La question postcoloniale s’aggrave à cette occasion, et la dénonciation du colonialisme selon une relecture sélective de l’histoire par les minorités issues des pays anciennement colonisés par la France et ses soutiens politiques et intellectuels, a pour objectif de s’attribuer une rente de situation de communautés usant de la victimisation pour prendre plus de pouvoir politique, au détriment d’une vision nationale commune. La république française et la situation de ses minorités est ainsi perçue par les plus fanatiques comme un prolongement des situations coloniales du siècle dernier. Ces idéologies hors-sol prolifèrent au détriment de l’enracinement des nouveaux arrivants. Cette fragmentation de la société a pour conséquence l’installation durable d’un cercle vicieux où xénophobie et racisme anti-blanc s’alimentent de manière croissante. Les organismes de lutte contre le racisme sont malheureusement tombés dans le piège de la dénonciation à sens unique favorisant à terme la formation d’une communauté de français de souche voulant rééquilibrer la situation.
En lieu et place d’un enrichissement, le multiculturalisme se traduit aussi par l’adoption d’une sous-culture de masse commerciale mondiale et d’inspiration directe des banlieues américaines en déshérence. Cet affaissement culturel, doublé d’un multiculturalisme politique favorisant le communautarisme continue de diviser les nations européennes et le modèle français en particulier. La mise en en difficulté du modèle français d’assimilation aboutit à une destruction de l’identité française et pourrait mener dans le pire des cas à la confrontation entre les différents groupements ethniques
Le vote frontiste exprime plus fondamentalement le rappel à l’ordre des fondamentaux géopolitiques : l’importance de la sécurité économique et identitaire d’une nation, selon une vision plus large des intérêts de sécurité, dans le contexte d’un processus de mondialisation incontrôlé et d’impasse du projet européen. Il exprime aussi un acte de défiance face à la cécité d’une grande partie de la classe politique qui est incapable de répondre aux attentes de beaucoup de citoyens. Il souligne aussi que la politique est fondamentalement une lutte pour la prise du pouvoir. La tentative d’enfouir les enjeux fondamentaux sous un discours technocratique et économiciste est de plus en plus illégitime, car professée par les catégories sociales préoccupées par la justification de leur pouvoir acquis.
L’irruption de la « frontière » comme thème de l’entre deux tour par le président sortant est à ce titre hautement significatif. Les préoccupations et les thématiques véhiculées par le Front national sont en grande partie similaires à celles de l’UMP. Ce rapprochement annonce des recompositions à droite, notamment une émergence d‘une nouvelle droite populaire, avec des porosités avec le Front national, voire des alliances politiques.
Le réveil du sentiment national pour une partie croissante des citoyens se caractérise par un paradoxe : la Nation en France est historiquement une représentation de gauche puisque l’émergence de la France Etat-nation s’est accéléréE avec la révolution française. La Nation, aujourd’hui reléguée avec condescendance par la droite libérale et la gauche, et considérée comme une relique du passé, fait son retour par la voie d’un parti que l’on qualifie à tort d’extrême droite. Le Front national se défend de cette appellation et s’estime au delà du clivage droit- gauche traditionnel. Le Front national rénové s’inscrit en réalité dans la mouvance gaulliste et souverainiste et non pas néo-fasciste. Le vide laissé par l’UMP phagocytée par les libéraux et centristes, en ce qui concerne l’héritage gaulliste, a favorisé l’émergence du front national qui remet à l’honneur des principes gaulliens depuis le changement de direction idéologique opéré par Marine Lepen. La candidate a réussi à tirer parti de l’aspiration au retour de la notion de souveraineté, de l’importance de l’Etat, et du rôle central de la Nation qui sont des fondements de l’identité française.
De nombreux experts politiques, journalistes et élus interprètent aussi la poussée frontiste comme un phénomène protestataire et la qualifient de « vote populiste ». La crise économique, une fois résolue, favoriserait le retour à la normale et le retour au centre de gravité politique libéralo-centriste. Le phénomène est en réalité représentatif d’une tendance qui empêchera tout retour en arrière. Le score obtenu par le Front national est probablement inférieur à ce qu’il aurait pu obtenir si le président sortant n’avait pas repris dans son programme une partie des revendications frontistes. Une majorité écrasante des médias a aussi favorisé le candidat du parti socialiste, et entretenu une désinformation calculée sur le contenu du programme du front national. Ce mouvement de fond, à l’inverse du discours sur le facteur protestataire, est pour une grande part un mouvement d’adhésion à une vision politique alternative face à cette crise multiforme.
Une autre erreur consiste aussi à n’y voir qu’une réminiscence des années 20 et 30 avec une montée parallèle des fascismes européens. Le programme du Front national, ne comporte aucune référence à une quelconque inégalité des races, ni considérations biologiques. Ces qualificatifs simplistes instrumentés par leurs opposants politiques, ou inspirés par des grilles de lectures dépassées, ont pour fonction d’éviter tout débat de fond, et de disqualifier par avance les arguments de ce mouvement qui veut débattre d’enjeux pourtant hautement légitimes : le lien entre Nation et immigration, la question de la sécurité interne mais aussi externe et son lien avec l’immigration. Le degré d’ouverture commerciale avec des pays qui ne respectent pas les mêmes règles environnementales et éthiques ; La place de l’islam dans la société, avec l’échec de l’islam de France et la propagation de l’islam en France ; le niveau de protection dans la mondialisation, la posture diplomatique et militaire face à l’islamisation des marges méridionales de l’Europe.
Le succès du Front national exprime la nécessité du patriotisme pour préserver la Nation, qui combine fierté du passé et projet d’avenir : il revendique la préservation d’une civilisation commune aux citoyens de souche et ceux qui s’y sont assimilés, et la nécessité pour les nouveaux arrivants de se fondre dans la culture dominante. Cet évènement rappelle que l’identité française est issue de deux grands héritages : l’héritage chrétien, royaliste et centralisateur, avec le droit du sang depuis le roi franc Clovis, et l’héritage de la révolution française, qui est laïc, centralisateur et républicain avec le droit du sol. Le succès de l’unité nationale française dans le passé s’est pourtant construit sur la conciliation de ces deux branches, assimilation comme durant l’épisode bonapartiste et gaulliste, et par un dosage subtil entre immigration et assimilation. Le droit du sol est aujourd’hui une impasse par la non-assimilation de nombreux immigrants et par le renforcement des dysfonctionnements tels que le phénomène d’aspiration vis-à-vis de l’immigration économique. Il aboutit en fin de compte à un remplacement de population à plus long terme lourd de conséquence pour les équilibres de pouvoirs internes, mais aussi externes. Le dosage subtil entre immigration et assimilation est caduc.
Rappelons-nous le commentaire de bon sens du général de Gaulle « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité ; sinon la France ne serait plus la France. (...) Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? (...) Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-deux-Eglises, mais Colombey les deux Mosquées ! »5.
Le vote en faveur du Front national exprime aussi un désir de retour de l’Etat. Il appelle à remettre la souveraineté au centre du projet politique national, notamment le contrôle du territoire, qui est le marqueur de tout peuple qui veut maîtriser son destin. Cela implique la réhabilitation de la frontière, qui est la condition nécessaire à la maîtrise du territoire. L’Etat comme ossature institutionnelle de la Nation n’est pas un organe de gouvernance d’une société gouvernée selon la loi du marché et la société civile. L’Etat est le centre de gravité du pouvoir dans le modèle français et entre en contradiction avec l’idéologie néolibérale d’après guerre.
Le mouvement de renouveau national va s’inscrire dans la durée, car il est porté par une part importante des actifs et des jeunes. L’opération réussie de dédiabolisation du Front national, attirera probablement aussi les citoyens provenant d’une immigration récente, qui ne supportent plus d’être tenus pour responsables de l’incapacité et l’absence de volonté d’assimilation des nouveaux immigrants.
Les conséquences politiques de la crise, qui s’est accélérée depuis 2008, commencent à émerger après l’illusion d’un retour à une certaine normalité. L’Europe ne sortira plus de la crise, qui est non seulement économique, mais avant tout politique, morale et géopolitique. Les analyses de type économiciste ne peuvent pas rendre compte correctement du phénomène. Les partis de gauche à l’occasion de cette élection ont réussi à faire temporairement passer pour secondaire les questions identitaires et les masquer sous les problèmes économiques qui sont réels, mais partiels, pour comprendre les grandes mutations géopolitiques.
Le champ de la politique française se scinde en trois grandes tendances.
L’élection présidentielle a donc révélé une France profondément divisée du point de vue politique en raison de l’immigration massive des dernières décennies et de l’ouverte néo-libérale à la mondialisation économique. Les stratégies électoralistes des partis de gauche risquent d’aggraver cette situation.
Une lutte impitoyable s’annonce entre des camps largement incompatibles : les citoyens attachés à la Nation et partisans d’une maîtrise forte de l’immigration et d’une plus grande protection économique vis-à-vis de la mondialisation. Les gagnants de la dérégulation néolibérale et de la libre circulation du capital au niveau mondial, de plus en plus minoritaires et proche des couches sociales détentrices du capital. Cette dernière catégorie a cherché à favoriser l’immigration qui leur donne un réservoir de main d’œuvre bon marché (l’aile libérale de l’UMP). Enfin, les citoyens aisés de centre gauche, portés par une idéologie multiculturaliste et libertaire, combinée à un fort sentiment de culpabilité vis à vis de la période coloniale. Les militants du parti socialiste, mais aussi du font de gauche et des verts estiment qu’une alliance avec les citoyens d’origine extra-européenne va favoriser le maintien de la gauche au pouvoir par la constitution d’une réserves de voix croissantes.
La mouvance favorable au maintien des valeurs nationales va attirer inexorablement les classes moyennes qui sont perdantes dans les configurations politiques autres que le maintien de la Nation et la réhabilitation des frontières. L’Etat a toujours été conçu dans l’histoire française pour protéger les classes moyennes et plus défavorisées.
Le camp socialiste, s’il persiste à épouser les revendications post-nationalistes d’une grande partie de ses électeurs, entrera en collision frontale avec la tendance à la réhabilitation de la Nation lors des élections futures.
La lutte entre les mouvements attachés aux valeurs nationales et les adeptes du communautarisme libertaire va se cristalliser. La Grande politique est de retour, avec ses oppositions fortes et ne sera pas exempte d’accrochages qui pourraient prendre une forme violente. Comme l’a souligné le philosophe Carl Schmitt, la politique, c’est la désignation de l’ennemi. La raison d’Etat dans les moments de crise grave pourrait favoriser la désignation d’un ennemi intérieur, si des mouvances internes mettaient en danger les intérêts vitaux de la Nation.
Les conséquences pour le projet européen
La signification géopolitique des élections françaises est importante pour le projet européen.
L’Europe qui avait été promise au français est l’Europe puissance, tandis que le projet a évolué sur un modèle inverse : une Europe dépolitisée, ultralibérale, mondialiste, communautariste dans le sens d’une idéologie de dépassement des Etats dans une gouvernance plus large, et de dépassement de la Nation.
Il est significatif que tous les candidats aient promis de se démarquer de cette Europe libérale : le Front national et le Front de gauche ; François Hollande qui a désigné le monde de la finance comme l’ennemi ; les promesses renouvelées de Nicolas Sarkozy, comme en 2007, à propos de l’Europe protection. Le Front national et le Front de gauche, qui rejettent ouvertement le système représentent près d’un tiers des électeurs.
Le programme socialiste du nouveau président français, qui a promis d’établir un nouvel équilibre vis-à-vis de l’Europe néolibérale, a pourtant peu de chances de s’imposer. Le diagnostic excessivement économiciste du Parti socialiste français repose sur une croyance démesurée aux vertus multilatérales et à la négociation selon un modèle participatif des différentes sensibilités. Les relations politiques intra-européennes, si elles ont heureusement mis hors jeu la guerre comme instrument de la politique, restent un rapport de force. Un projet de modification de la donne économique, sans modifier l’équilibre politique en faveur de la Nation et au détriment du modèle supranational selon un paradigme de souveraineté est politiquement périlleux car il n’est pas de nature à produire de la puissance.
Le différentiel qui pourrait devenir visible à moyen terme entre les promesses électorales et les résultats, par omission de se donner les outils de puissance pour créer le rapport de force, risque de renforcer la fracture entre le projet européen et les citoyens déçus.
Les mutations en France ont une forte valeur anticipatrice, par le poids de la France dans le système européen, et pour des raisons historiques. La France est issue d’une tradition étatique très forte et la formation de la Nation s’est constituée sur les temps historiques longs. Les phénomènes politiques français s’inscrivent dans une tendance européenne, mais comporte une dimension spécifiquement française qui va l’amplifier. Le processus d’intégration est dès ses origines de tendance libérale, et l’idéologie anti-étatiste qui s’est imposée à partir des années 80, entre en contradiction directe avec le processus de formation de la France comme Etat-nation.
Les fractures politiques européennes qui s’élargissent face aux impasses du projet européen vont désormais être de plus en plus visible.
Le projet européen dans sa forme actuelle reste une entité faible au niveau international et rencontre de plus en plus l’opposition de ceux qui veulent faire obstacle aux projets de ceux qu’ils perçoivent comme les profiteurs minoritaires de la mondialisation, dans un contexte de déplacement du centre de gravité du pouvoir accompagnant une mondialisation imposée de l’extérieur.
Cette nouvelle résistance est aussi la conséquence d’une lucidité des peuples dont les pressentiments, vilipendés sous le terme de populistes par ceux qui détiennent les leviers du pouvoir, perçoivent souvent les évolution de manière anticipée par rapport à la classe politique qui défend trop souvent ses bilans politiques et ses avantages acquis liés à sa situation de pouvoir.
Au fur et à mesure que l’on s‘éloigne de la disparition du monde bipolaire de la Guerre Froide, les stratégies visant à effacer les Nations européennes dans un ensemble supranational perdent de leur attrait chez les peuples européens ; le retour de la Nation en France, fait écho au retour de la Nation en Allemagne qui s’est manifestée avec la crise de l’Euro. La stratégie d’intégration européenne selon une fusion des intérêts, laisserait progressivement du terrain, dans le meilleur de cas, à une identification d’intérêts communs entre Nations portées par les Etats. L’Europe du général Gaulle et d'Adenauer s’impose à l’Europe de Jean Monnet qui était un avatar de la disqualification temporaire de la Nation après la seconde guerre mondiale, et une stratégie d’endiguement de l’URSS selon la manœuvre extérieure des Etats-Unis. La vision du général de Gaulle d’une Europe des Etats, et de la permanence des nations, même affaiblies et travaillées de l’intérieur par l’immigration et les gauches post-nationales, révèle sa pertinence.
La légitimité d’un projet européen qui a relativisé la notion de frontière et favorisé l’ouverture sans cesse plus grande au libre-échange est en régression constante.
Le retour de la Nation, n’est pas entièrement comparable avec les tendances dans les autres Etats européens. Le spectre d’une union improbable des droites dures européennes agité par les tenants du système n’est pas plus crédible que ceux qui croyaient en une intégration inéluctable des pays européens par le partage de valeurs communes supposées. Les peuples européens sont caractérisés par la diversité, et celle-ci se prolonge. Le retour de la Nation en France, parce qu’il fait spécifiquement référence à l’histoire française, différera toujours des idéologies nationales ancrées dans l’ethnicité.
Le retour d’un attachement à la Nation est un phénomène pourtant irrésistible qui entre en collision inévitable avec les mouvements politiques européistes qui persistent dans l’idéologie post-nationale. Il n’existe pourtant pas d’identité de substitution car il n’y a pas de Nation européenne. L’alternative est binaire : le retour de la Nation, ou le chaos.
Le retour aux nations sur un modèle qui prévalait avant le projet européen ne se produira pourtant pas. Les économies sont beaucoup plus imbriquées et des Etats européens isolés n’ont plus le poids pour promouvoir et défendre de manière efficacement leurs intérêts. Les Etats européens ont besoins d’alliés dans la mondialisation qui est une lutte entre grands espaces géopolitiques, mais aussi favorisant les recompositions internes aux Etats.
Les questions migratoires et identitaires pèseront de plus en plus et deviennent un enjeu pour la cohésion et la résilience des nations. Les Etats qui ne maîtrisent plus leur territoire, ouvert aux influences externes, à l’immigration incontrôlée et à la circulation sans entrave des capitaux extérieurs risquent l’affaiblissement rapide.
Une fracture économique s’est accélérée à l’occasion de la crise économique entre pays latins et germaniques, avec la France et l’Allemagne à la suture de ces deux Europe. Une autre fracture émerge entre pays à forte immigration provenant des pays musulmans et ceux caractérisée par une immigration des pays d’Europe orientale risqueraient d’aggraver le sentiment d’appartenance européenne commune entre les pays européens. Qu’adviendra t-il entre le Royaume-Uni qui se transforme rapidement par l’immigration musulmane asiatique, l’Allemagne par l’immigration turque, et la France par l’immigration maghrébine et africaine ? Trois pays où le modèle multiculturaliste a été qualifié d’échec par David Cameron, Angela Merkel, et Nicolas Sarkozy.
La déstabilisation des pays du Sud de la Méditerranée et l’installation de gouvernements islamistes dans chacun de ces pays ne devrait pas illusionner les européens devant les positionnements tactiques de certains de ces gouvernements. Ils donnent temporairement une image plus occidentale avant de se lancer dans la réislamisation plus franche des sociétés. Les commentaires d’une grande partie de la droite et de la gauche française sur la communauté de destin euro-méditerranéenne lors des révolutions arabes et l’opération de l’OTAN en Libye laisse perplexe quand à l’appréciation lucide des enjeux.
Le test véritable se produirait à l’occasion d’un conflit de grande ampleur au Moyen-Orient avec son cortège de troubles internes parmi les populations non-assimilées qui prolongeraient le conflit à l’intérieur des Etats européens. La manipulation potentielle des minorités par des puissances extérieures touchant aux intérêts vitaux des nations européennes augmente avec le temps et le rapport de force entre minorités non assimilées et récalcitrantes, alliées aux mouvances islamo-gauchistes face aux européens de souche. L’alliance du « grand soir et de l’islamisme » est un phénomène en progression.
Face à ces enjeux, l’Europe politique ne naîtra pas d’une décomposition de ses Nations, mais de leur revitalisation. Les outils de la puissance s’élaborent dans un premier temps dans la sphère intellectuelle. Le constat suivant devrait être souligné : L’Europe de Jean Monnet n’est depuis longtemps plus d’actualité. On ne fusionne pas les nations comme les entreprises selon les règles du droit de la concurrence.
Le message envoyé par les élections françaises ne doit pas être considéré comme une menace pour le projet européen, mais comme une chance à saisir face à la menace de dissolution d’un projet fossilisé par une utopie fonctionnaliste et apolitique hors-sol.
La vitalité du projet européen repose avant tout sur ses nations. Les thématiques de l’immigration et l’assimilation, la notion de souveraineté, les frontières, l’identité nationale sont à porter de manière complémentaire au niveau européen pour freiner la dépolitisation progressive du projet européen.
Le projet européen reposant sur la réhabilitation de la notion de souveraineté, et sur une stratégie offensive de défense des intérêts européens dans la mondialisation, aurait plus de chance de mobiliser les européens.
La renaissance du projet européen passe donc par l’élaboration d’un projet de combat dans la mondialisation, assorti d’une protection européenne, et non pas un ajustement dicté par les puissances extérieures engagées dans les rivalités géopolitiques internationales.
L’Etat réhabilité et la cohésion des nations européennes sont les seules véritables barrières aux mafias, au tribalisme, et à la domination des puissances étrangères. Le projet Européen aurait tout à gagner à se transformer en une alliance de Nations revitalisées qui veulent maîtriser leur destin et exercer une souveraineté démultipliée, et non pas partagée.
Bruxelles, le 04 juin 2012
1 La loi française interdit de poser la question de la religion lors du recensement depuis 1872
2 http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2012/05/hollande-sera-t-il-loblige-de.html
3 http://www.liberation.fr/politiques/2012/05/11/maintenant_818238
4 http://www.liberation.fr/politiques/2012/05/13/une-courte-victoire-demog...
5 Charles de Gaulle, cité par A. Peyrefitte dans C’était de Gaulle, De Fallois, 1994