LA "GUERRE DES DRONES", Introduction

Aspects stratégiques et juridiques de la « robotique sécuritaire »
Auteur: 
Hubert Fabre, docteur en droit & directeur de recherche associé à l’IERI
Date de publication: 
9/12/2013

L’utilisation des drones dans la stratégie militaire tient aux pertes subies par les avions de reconnaissance pendant le second conflit mondial. L’auteur du Petit Prince ne s’est-il abîmé dans la baie des Anges à bord d’un Lightning P-38 de reconnaissance ? Après les engins cibles des débuts, le recours aux drones tactiques s’est consolidé pendant les années 1990, puis s’est accélérée au début des années 2000 jusqu’à devenir, dans une version armée, le fer de lance des frappes de la guerre antiterroriste menée par les Etats-Unis.

A première vue, le drone semble une arme idéale, plus précisément un vecteur réutilisable offrant un ascendant tactique sans risquer de perdre aucun équipage. Quant à l’armement des drones de combat, il permet d’effectuer des frappes « chirurgicales » moins destructrices qu’un tir d’artillerie ou que le « tapis » d’une bombe à fragmentation.

A l’heure actuelle, les drones sont des engins aériens télécommandés : ils ne sont pas exactement des robots, par définition autonomes dans l’exécution de leurs tâches. Pourtant, les technologies des drones relèvent directement des progrès de l’électronique, de la miniaturisation, et plus récemment encore, de l’automatisation. Certains drones militaires décollent et atterrissent déjà de manière automatisée. En d’autres termes, la crainte n’est pas celle du drone mais celle des « progrès » de l’électronique et des procédures de contrôle qui seront associées à leur utilisation.

Qu’il s’agisse de drones de reconnaissance ou de drones de combat, les usages dévolus à ces vecteurs soulèvent des questions de natures diverses pouvant affecter, à terme, la conduite de la guerre et la stabilité du système international. Leur prolifération pourrait bouleverser les rapports stratégiques entre les Etats dotés de systèmes de drones à la pointe de la technologie et ceux dépourvus d’une force comparable. Cette « course technologique » induit également une dépendance opérationnelle et économique qui, si elle n’est pas nouvelle, devrait se perpétuer avec le « système drone » (en même temps système et sous-système d’un ensemble plus vaste).

L’utilisation accrue de drones servant au renseignement dans la profondeur ou à des frappes létales, accentue les faiblesses intrinsèques du droit international. A cet égard, les « frappes ciblées » ou « assassinats ciblés » effectués notamment par des drones, s’inscrivent dans le cadre de la « guerre sans frontières » contre le terrorisme engagée par les Etats-Unis. Elles sont fondées sur une interprétation particulièrement large de la légitime défense, de même que l’administration américaine accommode à sa manière les prescriptions du droit des conflits armés. La théorie de l’usage de la force dans les relations internationales s’en trouve malmenée, créant un précédent dangereux.

Mais le champ d’utilisation des drones ne se limitent pas aux seuls besoins militaires. La surveillance des frontières, la sécurité et le renseignement intérieurs, la poursuite de criminels en fuite, sont ou seront assistés de drones à plus ou moins brève échéance, comme aussi la sécurité civile afin de détecter les départs de feux de forêt, d’évaluer les dommages d’une catastrophe naturelle ou de préparer un sauvetage. Les usages privés et les usages commerciaux des drones devraient aussi proliférer dans le court terme. Leurs fonctions sont susceptibles d'intéresser un large éventail d’utilisateurs publics (police, gendarmerie, pompiers, sécurité civile, ponts et chaussées) et de nombreuses entreprises dans les secteurs du bâtiment, des travaux publics, de la distribution d’électricité ou de gaz de ville, de la prospection (minière et pétrolière), des télécommunications, etc.

Ces drones « policiers » ou « civils » devront s’insérer dans un espace aérien déjà segmenté, utilisé à des fins civiles ou militaires. S’il importe que le droit s’adapte aux besoins et aux contraintes de ces drones et micro-drones, la réglementation devra établir des exigences en termes de certification de navigabilité. Le législateur devra aussi veiller à préserver les libertés publiques et la vie privée des citoyens face aux utilisations trop intrusives.

La maturité des technologies permettant de fabriquer des drones, en particulier de micro-drones « amateurs », laisse encore entrevoir la possibilité de détournement de ces engins à des fins criminelles. Au niveau national, les autorisations de navigation dépendent des administrations chargée de l’aviation civile, mais concernant la prolifération des composants et équipements des drones militaires et celle des substances permettant de fabriquer une « bombe sale », elles relèvent des accords de « contre-prolifération » du droit international de la limitation des armements.

Quelle que soit la catégorie – nano, micro, drones tactiques ou stratégiques – les drones les plus performants demeurent aujourd’hui principalement militaires. C’est aussi dans le domaine militaire que les systèmes de drones présentent une implication grandissante sur le plan stratégique.

 

 

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