(Cet article d'opinion est écrit à titre personnel pour la table-ronde organisée par l'IERI et n'engage, bien entendu, que l'auteur.)
Quelles seraient les conséquences d'une sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne pour les relations entre États sur le continent européen ?
Il est évidemment difficile de répondre à cette question sans imaginer ce que pourrait être la sortie de la Grande-Bretagne, le "Plan B" des Britanniques. Si l'on fait un effort de politique fiction, cette sortie serait vraisemblablement :
- une sortie négociée, dans le cadre de l'article 50 du Traité de Lisbonne : certains considèrent d'ailleurs qu'une telle négociation - aussi compliquée qu'elle sera - serait paradoxalement plus facile qu'une renégociation des traités dans le cadre de l'article 48 1.
- une sortie assortie d'un traité commercial bilatéral avec l'Union pour préserver les intérêts commerciaux mutuels ;
- une sortie prolongée par un autre traité de libre-échange avec les États-Unis ; d'où le paradoxe actuel d'une Grande-Bretagne plaidant pour un accord de libre-échange entre les États-Unis et... l'Union européenne qu'elle se dit éventuellement prête à quitter !
- une sortie conduisant la City de Londres à devenir une place financière off-shore pour tous ceux qui ne veulent pas accepter les nouvelles règles du Marché financier unique et de l'Eurozone.
La situation de la Grande-Bretagne se rapprocherait alors de celle de la Suisse au plan de ses rapports économiques avec l'Union européenne, ce qui ne signifiera sans doute pas pour autant une "helvétisation" de sa politique étrangère.
On peut même sans doute anticiper, par une sorte de compensation de l'influence perdue dans l'Union, un regain d'activisme britannique dans l'OTAN, au sein du G8 et du G20.
Mais quelles seraient les conséquences de ce retrait de la Grande-Bretagne pour l'Union européenne et le reste du continent ?
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN ?
Le retrait des Britanniques ne supprimera pas l'Euro ni les efforts en cours pour renforcer l'UEM (dont le projet est d'abord politique) et qui constituent clairement la priorité actuelle de la majorité des États membres de l'Union2 et un chantier en permanente évolution depuis 2008 dont l'ampleur et l'importance restent largement sous-estimés3. Le renforcement de l'UEM produit qu'on le veuille ou non une mutation de l'Union qui n'est pas achevée et qui se poursuivra avec ou sans les Britanniques.
Il ne supprimera pas Schengen.
Il ne supprimera pas le Marché unique. Ce dernier restera sans doute pour les Britanniques eux-mêmes le premier débouché commercial4.
Il ne supprimera pas l'OTAN ni les tentatives de l'Union pour trouver un certain modus vivendi avec l'OTAN qui poursuivra sa transition de manière autonome.
Il ne supprimera pas une politique déclaratoire commune qui repose sur une même approche normative de beaucoup de dossiers de politique étrangère, et dont l'influence réelle peut être débattue mais qui existe. Les Britanniques continueront sans doute à partager beaucoup d'idées communes avec les membres de l'Union sur beaucoup de dossiers.
Le retrait britannique ne videra pas la querelle entre Eurosceptiques et Europhiles qui existe dans chaque pays.
Il n'abolira pas l'écart culturel entre les vieilles nations de l'Europe de l'Ouest, habituées à leur souveraineté et à leurs frontières, et les plus jeunes, dont l'identité s'est forgée dans des cadres politiques plus mouvants et sous des suzerainetés souvent empilées5.
Carte 1. Les frontières politiques en Europe occidentale et centrale depuis le début des Temps modernes
Alors beaucoup de bruit pour rien ? Joue-t-on à se faire peur ?
La sortie de la Grande-Bretagne de l'Union, aussi stupéfiante qu'elle serait pour le grand public, tournerait-elle au non-événement à l'échelle de l'Union européenne ?
1) Une crise géopolitique pour l'Union
En fait, les analystes semblent redouter (ou souhaiter) plusieurs évolutions géopolitiques qui leur paraissent pratiquement inévitables :
- une délégitimisation de l'Union européenne qui compliquera sa politique extérieure et sa capacité à se réformer de l'intérieur. Un vent de souverainisme et d'europhobie dans les opinions publiques, encouragé par le précédent britannique, conduirait par lui-même à une paralysie, une sorte de sclérose en plaque des institutions. La séquence serait la suivante: moins de soutien public, moins d'argent pour l'Union, moins de consensus et de moyens pour aller de l'avant là où les progrès seraient pourtant nécessaires et attendus
- un écartèlement de la fragile cohésion européenne sous l'influence des puissances (devenues) extérieures, sceptiques ou hostiles : les Britanniques en Europe du Nord Ouest, les Russes en Europe orientale et dans les Balkans, efforts centrifuges auxquels pourraient s'ajouter l'aigreur américaine si les dossiers commerciaux et le nouveau partage du fardeau ne progressent pas dans leur sens, et le ressentiment des Turcs si leur adhésion est définitivement compromise par le départ de leur plus favorable avocat au sein de l'Union
- un jeu de dominos avec des sorties en cascade de ceux qui ne veulent plus payer ou de ceux qui refusent la discipline demandée par l'Allemagne ;
Ce sont les inquiétudes théorisées par l'introduction du professeur Seminatore à ce débat au sein de l'Institut européen des relations internationales.
"Délégitimation. L'Union Européenne a atteint les limites fonctionnelles du processus d'intégration, définie par la logique contradictoire des intérêts nationaux concurrents et par le refoulement de la finalité politique.
Les indications électorales du souverainisme britannique (UKIP) constituent l'équivalent des reflux populistes et nationalistes dans plusieurs pays européens (France, Hongrie, Italie, Grèce...). Ainsi, la montée de la" délégitimation" de l'Union auprès des opinions européennes remet en cause, à titre divers, la légitimité des institutions européennes.
Ecartèlement La crise actuelle met en évidence l'antinomie historique entre les objectifs abstraits de la construction européenne et les formes diverses de la légitimité nationale. La politisation des enjeux font revenir à la surface la « main invisible » des intérêts nationaux et l'émergence d'une nouvelle « Balance of Power ».
Effet domino. L'argument économique et l'argument géopolitique et stratégique remettent en cause les équilibres asymétriques entre États membres de l'Union européenne. Le choix se repose désormais entre confrontation ou négociation (pas seulement en Grande-Bretagne)".
2) Nouvelle carte de l'Europe, nouveau jeu européen
Avant de souscrire ou non à ces hypothèses, examinons ce que signifierait la sortie de la Grande-Bretagne pour la carte géopolitique de l'Europe dans le contextuel actuel.
Carte 2. L'Union européenne sans la Grande-Bretagne
a) Exclusion, découplage et dérive vers l'Ouest pour la Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne s'auto-exclut de l'Union européenne. La "zone d'influence" politique traditionnelle de la Grande-Bretagne sur le continent - Flandres, Pays-Bas, Danemark, Scandinavie - s'en trouve séparée. Sans perdre ses liens économiques et culturels, la Grande-Bretagne se trouve obligée de se retourner davantage vers le grand large, d'investir sur le libre-échange transatlantique, les liens avec les puissances économiques émergentes du Commonwealth et d'utiliser d'autres enceintes pour conserver son influence : l'OTAN, le G8 et le G20.
b) Perte de cohérence symbolique pour les frontières de l'Union rétrécie qui cesse de coïncider géographiquement avec l'aire culturelle de l'Europe occidentale et centrale
c) Externalisation du jeu de puissance en dehors de l'Union rétrécie. La majorité des puissances qui comptent sur le continent européen se trouvent désormais à l'extérieur de l'Union européenne: les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la Turquie. Ils voient cependant leur influence restreinte par l'existence même de l'Union. Une partie de la "zone d'influence" traditionnelle de la Russie sur le continent s'en est déjà trouvée séparée par le grand élargissement de 2004. L'aire d'influence économique de la Turquie dans les Balkans et en Méditerranée orientale appartient au territoire de l'Union, limitant la sphère d'influence politique de la Turquie à quelques territoires du Proche-Orient et du Caucase. Seule puissance à demeurer dans l'Union européenne au côté de l'Allemagne : la France, mais la France appauvrie. Le jeu d'équilibre entre les puissances européennes ne se fait plus au sein de l'Union, ou dans le cadre de négociations avec l'Union, mais directement, voire frontalement, sur le théâtre européen et, éventuellement, au sein et autour de l'OTAN.
d) Prépondérance de l'Allemagne au sein de l'Union rétrécie. Les anciens alliés de la Grande-Bretagne, plus libéraux au plan économique, n'arriveront sans doute pas à faire cause commune avec les pays du Sud en difficulté budgétaire durable, la France, l'Italie, l'Espagne, pour équilibrer les demandes de l'Allemagne. La France, affaiblie par sa crise budgétaire et l'érosion de sa compétitivité n'est pas - ni culturellement ni économiquement - en position de rassembler autour d'elle. L'Italie, l'Espagne et la Pologne restent également, pour des raisons différentes, tributaires du soutien économique de l'Allemagne.
e) Fédéralisation au sein de l'Union qui se confond progressivement avec l'UEM. L'Euro et l'ensemble des disciplines qu'il implique et des traités qu'il mobilise - au premier rang desquels le Fiscal Compact - deviennent de fait le cadre et l'horizon commun de ceux qui restent dans l'Union. De fait, le fonctionnement de l'UEM renforcée fédéralise davantage l'Union, mais s'il n'est pas encore tout à fait clair quelle partie du système institutionnel bénéficie le plus de cette dynamique.
EN PASSANT PAR SADOWA : QUELQUES SOUVENIRS OUBLIÉS DE L'UNIFICATION ALLEMANDE
A quoi cette carte - improbable - d'une Union amputée de la Grande-Bretagne, avec tous les fonctionnements nouveaux qu'elle semble impliquer, nous fait-elle penser ? Pour moi, elle n'est pas sans rappeler - dans un contexte tout à fait différent où la guerre n'était que la poursuite de la politique par d'autres moyens - les principes de composition de l'architecture européenne qui résulta en 1866 de la défaite de l'Autriche-Hongrie et de ses alliés à Sadowa, et préluda à l'unification allemande1. Souvenons-nous.
Carte 3. L'Europe germanique après Sadowa.
a) Exclusion, découplage et dérive vers l'Est de l'Autriche-Hongrie, exclue de la nouvelle Confédération de l'Allemagne du Nord, de la Zollverein réformée, du Zollparlament de Berlin ainsi que du Pacte de défense mutuelle. L'Empire d'Autriche perd alors sa zone d'influence dans le monde germanique et se trouve obligé de se tourner vers les pays neufs de l'Europe danubienne et des Balkans. C'est le sens du Compromis de Prague (1867) qui refonde une monarchie bicéphale.
b) Perte de cohérence symbolique pour la nouvelle Confédération de l'Allemagne du Nord. La nouvelle Confédération ne coïncide plus ni avec la zone de l'Ancien Empire Romain Germanique dissous le 6 août 1806, ni avec la zone de peuplement germanique en Europe occidentale et centrale qui avait servi à tracer les limites de la Confédération germanique. L'exclusion de l'Autriche et la coupure du monde germanique en deux constitue un choc pour les partisans de l'unité germanique.
c) Externalisation du jeu de puissance en dehors de la nouvelle Confédération germanique. L'essentiel des puissances du continent se retrouvent en dehors de la nouvelle entité germanique et diminuées : l'Autriche a perdu sa zone d'influence, la France est contestée par la Prusse en Italie et en Espagne, la Russie se trouve cantonnée en Europe orientale, la Grande-Bretagne perd une partie de son influence sur l'équilibre continental, la Turquie confirme son retrait progressif des Balkans et du jeu européen. Plutôt que de s'ajuster au sein de la Diète, la Prusse et l'Autriche s'affrontent ou coopèrent dans des conférences internationales.
d) Prépondérance de la Prusse au sein de la nouvelle Confédération de l'Allemagne du Nord. Les anciens alliés catholiques de l'Autriche en Allemagne n'arrivent pas à se rassembler dans une union capable d'équilibrer la Prusse, en dépit des efforts du ministre-président de Bavière, Hohenlohe. L'écart économique, technologique et militaire entre le Nord et le Sud s'accentue.
e) Fédéralisation au sein de la nouvelle Confédération germanique. Le principe d'unanimité et de consensus qui prévalait dans la Diète de Francfort est remplacé par un fonctionnement de nature pré-fédéral, plus rapide et majoritaire dans le nouveau Zollparlement de Berlin et suite aux réformes de la Zollverein de 1867.
Qu'est-ce qui a résulté de cette recomposition dramatique de la Confédération germanique ?
- une méfiance des opinions et des dirigeants des autres États allemands demeurés dans la nouvelle Confédération germanique ? - Sans aucun doute. La nouvelle entité et les méthodes de Bismarck ont été critiquées par les libéraux, les princes, les Catholiques... L'enthousiasme initial pour le projet d'unité germanique a fait place à beaucoup de reproches et de suspicions à l'encontre de la Prusse accusée d'hégémonie. Une partie de la légitimité initiale a été perdue. La nouvelle entité politique ne pouvait plus, de toute évidence, prétendre représenter tous les Allemands. Aux yeux de beaucoup, la fin de l'ancienne Confédération germanique, de la Diète de Francfort, de sa présidence autrichienne sonnait le glas du projet unificateur.
- des tensions à l'intérieur de la nouvelle Confédération germanique, encouragée par ceux qui en étaient exclus ou extérieurs ? - Sans aucun doute. Il y a eu des tentatives bavaroises, françaises, autrichiennes, britanniques pour fragiliser la cohérence du nouvel ensemble.
Bismarck a du naviguer à vue entre ces écueils et ajuster ses plans1. Mais au final : ce qui en a résulté de la crise, c'est l'unification allemande autour de la nouvelle Confédération germanique. Pourquoi ? Les historiens relativisent aujourd'hui l'influence de la guerre et de la supériorité militaire prussienne pour proposer un faisceau d'explications plus large2. La dynamique d'unification l'a finalement emporté malgré tout :
- parce que le projet reprenait certaines aspirations initiales du nationalisme romantique et libéral mais en les traduisant dans des réalités institutionnelles et une Realpolitik. Un socle de légitimité politique était assuré dans différents secteurs du spectre politique, parmi les libéraux, les nationalistes et les monarchistes. Ce débat politique se retrouvait avec des contours différents dans les différents États allemands. Ces États eux-mêmes, leur pertinence, leurs compétences, leur mode de gouvernement étaient d'ailleurs contestés de l'intérieur par une partie de leurs propres citoyens. Un intense travail de réécriture historique, proposant la thèse d'une histoire commune, est aussi allé de pair avec l'unification politique3. Un socle de légitimité historique s'est ainsi trouvé, progressivement, renforcé.
- parce que l'acquis législatif et réglementaire du Zollverein et même des Reichkreisen du Saint Empire Romain Germanique a servi de base aux nouvelles règles communes de la Confédération puis de l'Empire. Une légitimité d'habitudes et un socle normatif préexistaient.
- parce que les bénéfices économiques de l'intégration l'emportaient pour la plupart des acteurs économiques - producteurs, négociants, transitaires, consommateurs, sur les désavantages. Ce socle d'intérêts créait une légitimité et une rationalité économique à protéger et poursuivre l'aventure de la Zollverein.
- parce que la menace extérieure (celle de la France en l'occurrence) était suffisamment sérieuse et la mémoire de l'occupation française suffisamment cuisante pour fédérer les indécis en Allemagne autour de la Confédération de l'Allemagne du Nord et de la Prusse qui semblaient les seules à détenir les moyens matériels et institutionnels de répondre efficacement à cette menace.
- parce que le fédérateur a su trouvé des compromis pragmatiques avec les différents monarques allemands qui ont finalement rendu acceptable l'équilibre d'ensemble de la nouvelle entité politique.
Le rétrécissement sans précédent de la Confédération germanique en 1866, du fait de l'exclusion de l'Autriche et de la marginalisation des États d'Allemagne du Sud, n'a donc pas, contre toute attente, empêché l'unification allemande. La nouvelle Confédération germanique, rétrécie à l'Allemagne du Nord et réorganisée depuis Berlin est finalement devenue le noyau fédérateur de l'unité allemande. L'éviction dramatique d'une puissance de premier rang, la perte de légitimité symbolique associée à diminution spatiale de la Confédération germanique, les suspicions à l'écart de la prépondérance prussienne n'ont pas réussi à briser la dynamique d'unification. Il n'y a pas de fatalité de l'étendue en politique : le rétrécissement d'un territoire, la perte de puissance (l'Empire d'Autriche était la grande puissance militaire de la Confédération avec la Prusse) et de substance économique ne sont pas nécessairement les signes avant-coureurs d'un étiolement plus grand encore et d'une incapacité définitive à fédérer autour de soi de nouvelles forces. Les frontières ne sont pas tout. Les réseaux, les habitudes, les circulations, le sentiment d'appartenance comptent tout autant lorsqu'il s'agit de décider du potentiel d'un noyau politique à rassembler. C'est là une partie de la méditation théorique de Friedrich Ratzel dans sa Politische Geographie.
L'analogie superficielle avec la première unification allemande, obtenue dans un contexte si différent du nôtre, ne doit évidemment pas conduire à minimiser les conséquences d'une sortie - improbable - de la Grande-Bretagne de l'Union européenne.
Elle serait un rude coup pour l'Union européenne. Sa seule annonce l'est déjà. Les conservateurs britanniques essaient déjà d'exporter leur débat interne sur l'Union européenne et accrédite l'idée que ce débat pourrait et devrait se poser ailleurs ! La sortie britannique serait un problème épineux pour toutes les puissances du continent qu'elle obligerait à redéfinir, au moins partiellement, leurs rapports réciproques. Le retrait britannique, déstabilisateur, ne serait une bonne affaire pour personne.
Mais l'idée qu'il déboucherait automatiquement, dans une Union rétrécie, sur un "G2" franco-allemand et un renforcement de la France est assez simpliste. Cette théorie résulte plus d'une soustraction de la puissance britannique (3 -1 =2) que d'une élévation au carré de la coopération franco-allemande. Soyons sérieux : si le danger extérieur le plus immédiat pour beaucoup d'Etats membres est celui de la faillite, de la sortie incontrôlée de l'Euro, de l'effondrement financier, vers qui se tourneront-ils ? Vers Paris ? Plutôt vers Berlin, Francfort (BCE), Washington (FMI) et Bruxelles (Euro-groupe et Commission). S'il s'agit d'assouplir la position de Berlin sur les déficits publics, le meilleur chemin passera-t-il par Paris ? La France sacrifiera-t-elle les concessions vitales qu'elle attend pour elle-même de Berlin afin d'animer un syndicat de mécontents ? Ne vaut-il pas mieux pour l'Italie ou l'Espagne faire jouer leurs réseaux à Washington ? Si le danger est celui d'une guerre commerciale et monétaire au sein de l'économie mondialisée vers qui se tourneront les Etats européens pour trouver un allié ? - Vers Washington. Si le danger extérieur prend l'aspect d'une menace militaire ou politique plus classique, vers qui se tourneront les Etats membres : vers Berlin ? vers Paris ? vers un pilier européen de l'OTAN qui n'existe pas ? Dans l'état actuel de la Défense européenne, ils se tourneront davantage, comme ils l'ont fait depuis le grand élargissement de 2004, directement vers Washington. S'il y avait un G2 au sein d'une Union rétrécie, il est fort à parier qu'il serait davantage un G2 Berlin/Washington qu'une sorte de directoire franco-allemand dont la valeur ajoutée serait à démontrer.
L'analogie avec les années charnières de l'unification allemande nous rappelle que si le projet européen devait se poursuivre malgré tout au sein d'une Union européenne malheureusement amputée de la Grande-Bretagne il devrait s'appuyer sur des fondamentaux que les mouvements d'opinion, les procès d'intention et les jeux politiques à court terme ne sauraient remettre en cause :
- la densité de l'acquis communautaire ;
- les intérêts économiques concrets des consommateurs, des producteurs, des épargnants et des contribuables ;
- la protection malgré toute offerte par l'Euro et la solidarité européenne face au risque de faillite de certains États ;
- les menaces que font peser sur tous les Européens un regain des tensions commerciales, monétaires, et géopolitiques entre les Européens et leurs challengers, menaces qu'ils n'ont pas le luxe de pouvoir affronter en ordre dispersé ;
- la volonté, le pragmatisme et la capacité de compromis du noyau fédérateur dont le centre est aujourd'hui en Allemagne.
Ceux qui pensent que la menace de sortie de la Grande-Bretagne affaiblit l'Union ont raison. Ceux qui s'en frottent les mains ont tort. Ils feraient bien de prendre garde que le chantage à la sortie ne suscite, dans un second temps, un sursaut de fierté européenne et la redécouverte de des profondes capacités de résilience de l'Union.
1Wolfgang Münchau, "Lawson is rights - Britain does not need Europe", Financial Times, 13 Mai 2013
2Robin Niblett, The Future of the European Union, Londres, Chattam House, Mai 2012
3Richard Corbett, 'Parameters of a crisis', in The Future of Economic Governance in the EU and where does this leave Britain?, London, Policy Network, Mars 2012
4Robin Niblett, The Future of the European Union, Londres, Chattam House, Mai 2012
5Michel Foucher, Fragments d'Europe, Paris, Fayard, 1993
6Voir Geoffrey Wawro, The Austro-Prussian War, Cambridge, CUP, 1996
7A. J.P. Taylor, Bismarck, Oxford, Clarendon, 1988
8Voir l'analyse de ces fondamentaux dans Thomas Nipperdy, Germany from Napoleon to Bismarck, Princeton, PUP, 1996
9Sur ce travail d'invention d'une histoire national Hans Kohn, German History, Boston, Beacon, 1954