2014, ANNÉE DE TOUS LES DANGERS POUR L'UE
Alors que l’Union européenne vient d’accoucher dans la douleur, sous la pression du Royaume-Uni appuyé par l’Allemagne, d’un budget « rachitique » totalement inadapté aux défis économiques, sociaux et systémiques alarmants de ce temps, voici que se profile l’année 2014, laquelle, comme 1914, sera porteuse de tous les dangers pour l’Europe, menaçant sa stabilité, son unité et son existence même en tant que pôle potentiel de puissance politique mondiale.
Des scrutins décisifs auront lieu en 2014 :
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le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, avec l’accord du Premier ministre britannique ;
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le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, qu’Oriol Junqueras, chef d’Esquerra Republicana de Catalunya, tient à coupler avec celui de l’Ecosse pour en renforcer les effets politiques sur l’Union ;
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les élections législatives et régionales en Belgique, qui permettront de mesurer la force de la N-VA par rapport aux municipales de 2012, en même temps que l’impact de son discours nationaliste sur l’électorat flamand ;
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les élections européennes, qui pourraient voir se dégager un courant séparatiste transnational au Parlement européen.
Deux autres éléments pèseront sur le destin de l’Union :
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le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, en 2017, sur lequel pèsera l’inconnue du scrutin écossais ;
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l’intention du président Obama de relancer un projet de Communauté transatlantique aux contours encore flous.
L’UE durant les six années à venir – durée du prochain cycle budgétaire – sera l’objet de trois forces politiques dont les effets pourront soit se conjuguer soit s’annuler, allant du renforcement à la désintégration, de la puissance à l’impuissance. La première, centripète, sera celle de la politique économique à la politique industrielle, de la politique monétaire à la politique d’harmonisation bancaire et fiscale, vecteurs de l’intégration politique. La seconde est centrifuge, celle de la fragmentation politique par l’action des séparatismes post-modernes et post-nationaux. La troisième est « dissolvante » dans une Communauté transatlantique, dont le moteur ne pourrait être qu’américano-britannique.
SITUATION POLITIQUE ET CONSTITUTIONNELLE
La situation la plus simple est celle de l’Ecosse où l’étape suivante sera déterminée en accord avec le pouvoir de tutelle. Le référendum apparaît comme l’aboutissement historique du processus de dévolution entamé par le référendum de 1997, sous Tony Blair, qui rétablit le Parlement d’Ecosse, alors à majorité travailliste et libérale-démocrate. Les élections de 2011 ont donné la majorité au Scottish National Party et le contrôle de l’exécutif à son leader charismatique, Alex Salmond, avec un discours pré-thatchérien privilégiant l’Etat providence plutôt que l’héritage ethnique (Charles King, Foreign Affairs 2012). En fin stratège politique, Salmond sait utiliser les institutions du Royaume pour passer du régionalisme autonome à l’indépendance, alors que David Cameron espère que les électeurs se satisferont d’une dévolution maximale. Avec le slogan « Scotland, a Nation in Europe », Salmond voit l’Écosse comme un membre à part entière de l’UE et de l’Otan, et comme le modèle d’un nationalisme post-moderne pour la Flandre, la Catalogne, le Piémont ou la Transylvanie, basé davantage sur des arguments économico-sociaux que sur le « sol et le sang » pour aboutir de manière contractuelle et démocratique à la sécession territoriale.
Si l’Ecosse dispose déjà du droit de lever des taxes (tax-raising act), il n’en va pas de même de la Catalogne où la revendication sécessionniste se cristallise sur la question des transferts financiers entre Madrid et les régions, les indépendantistes catalans attribuant le déficit de leur région (16 milliards €) à la mauvaise gestion de Madrid. Au plan économique, selon la CIU et ERC, la Catalogne, avec un PIB/habitant de 27000 €, serait la septième puissance économique de l’UE et elle enlèverait à l’Espagne 30% de ses exportations, assurant avec 7,5 millions d’habitants, sa viabilité économique. Le patronat catalan reste néanmoins réservé, craignant l’intransigeance linguistique du gouvernement en matière d’emploi et le départ d’entreprises et de cadres espagnols. Au plan politique, c’est le retour à l’indépendance perdue il y a 300 ans, comme l’Ecosse, qui est mise en avant plutôt que des arguments ethniques. Enfin, contrairement à l’Ecosse, le processus est mis en route sans le consentement de l’autorité centrale, ce qui n’exclut pas de futurs affrontements. La tache qui attend le CIU et l’ERC sera de confirmer la majorité parlementaire indépendantiste, de renforcer la base populaire locale associative, d’obtenir le soutien syndical et patronal pour enfin pouvoir organiser le référendum, même si Madrid s’y oppose (la Constitution stipulant « l’indissolubilité de la Nation espagnole »).
La situation la plus complexe est celle de la Flandre. La revendication nationaliste a des racines historiques dans l’affirmation linguistique et culturelle d’une « flamandité » agressive à l’égard de la « francité » culturelle et linguistique oppressive au XIXe et XXe siècles. En créant la N-VA, Bart De Wever a capté et modernisé le mouvement flamand et l’a recentré sur la revendication économique et fiscale, ce qui a permis à celle-ci de devenir le premier parti en Belgique et en Flandre. Contrairement à l’Ecosse et à la Catalogne, il n’y a pas de précédent historique d’une indépendance perdue, mais la N-VA se réclame du slogan « A Nation in Europe ». A cet égard ses positions sont explicites : il y a un micro-niveau qui est celui des affaires concernant le citoyen et qui est géré par la Flandre (eigen Volk, eigen Staat) et un macro-niveau qui est celui de la monnaie, de la défense, du marché unique, de l’énergie, de l’immigration, qui est celui de l’UE dont la Flandre doit être un Etat-membre à part entière, ce qui suppose la disparition de l’État belge « par évaporation », selon Bart De Wever, en passant par l’étape confédérale. Comme les Catalans, les Flamands se plaignent de devoir « ristourner » 16 milliards d’euros à la Wallonie à travers le système de redistribution belge entre les 3 régions.
Il y a d’autres mouvements indépendantistes en Europe, tels que la Padanie, le Pays basque, la Transylvanie hongroise, qui ont une expression politique mais qui n’en sont pas encore au stade référendaire. L’effet de contagion n’est pas exclu.
CONVERGENCES, DIVERGENCES ET CONSÉQUENCES DES FRAGMENTATIONS SPATIALES DANS L'UE
Les indépendances envisagées concernent trois monarchies parlementaires déjà largement régionalisées, dont les langues et la culture sont gérées de façon autonome par les Régions. Toutes trois exigent le droit régalien sur l’impôt, les finances et la politique économique. A ce stade, les 3 régions disposant d’un territoire défini, d’une population sur laquelle elles ont une autorité partagée et de structures parlementaires et gouvernementales élues, sont des proto-Etats. Que la sortie soit négociée ou arrachée (proclamation unilatérale), deux grands États de l’Union en sortiraient amoindris sur le plan international, tandis que la Belgique, Etat fondateur et hôte de l’UE, risque la disparition de l’Etat et de la Monarchie. Cela poserait un problème politique majeur à l’UE, eu égard au statut de Bruxelles, capitale régionale, nationale et officieuse de l’UE.
Si le traité de Lisbonne prévoit le cas de sortie d’un Etat-membre, il ne prévoit rien dans le cas de sortie d’une région du cadre d’un État, lequel s’organise souverainement (centralisé, régionalisé, fédéral), selon l’article 4, §.2 du traité. Mais l’Espagne a fait ajouter une formule significative : « Elle [l’UE] respecte les fonctions essentielles de l’Etat, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Cette phrase pourrait servir de verrou et créer de facto un droit de veto des Etats concernés en une sorte de front commun.
Dans le bulletin Notre Europe de décembre 2012, son directeur, Yves Bertoncini, estime : 1° il ne peut y avoir d’ambiguïté sur le fait que de jure et de facto, ils sortiraient de l’Union ; 2° il est certain qu’un région qui sort de l’UE devra demander son adhésion, ce qui signifie n’avoir aucun conflit avec un autre Etat-membre, accepter tout l’acquis communautaire et être accepté à l’unanimité, et vraisemblablement la même procédure s’appliquera pour la zone euro, mais à la majorité. Cette approche juridique risque d’entraîner un blocage mortel pour l’UE. Mais le problème est de nature politique et ne pourrait être résolu que par deux négociations : l’une entre la région sortante et son État de référence, l’autre ensuite à trois, région, Etat et UE, avec un risque de contagion entraînant une UE à plus de trente membres. En négociant avec l’Ecosse, serait-ce le pari de David Cameron d’une UE qui dissoudrait son intégration politique dans une vaste zone de libre-échange, elle-même partie ou partenaire d’une communauté transatlantique ?
Il faudra beaucoup de sens politique et de leadership aux dirigeants européens pour gérer à la fois la crise économique et la crise politique de l’après-2014. Jean Monnet disait : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des citoyens ».