Les « Recommandations pour un Livre Blanc sur la Sécurité et la Défense de l'Union européenne » rédigées par la « Cellule de Réflexion Stratégique » de l'Institut Européen des Relations Internationales, ont voulu répondre à une série d'impératifs dictés par :
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l'Agenda institutionnel de l'UE ;
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la Conjoncture internationale ;
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la Cohésion politique ;
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L'AGENDA INSTITUTIONNEL
Les Chefs d'État et de Gouvernement ont inscrit pour la première fois à l'ordre du jour des travaux du Conseil européen de décembre 2013, le thème de la politique étrangère, de sécurité et de défense commune. Et ce thème sera un révélateur de la cohésion politique entre les Etats-membres, un test de leur consensus et un exercice d'analyse du système international.
Les «Recommandations pour un Livre Blanc sur la Sécurité et la Défense de l'UE », présentées par l'IERI au Parlement Européen le 19 juin dernier, ont essayé de prendre la mesure de l'impact des options stratégiques des acteurs majeurs de la multipolarité sur la vie internationale et sur la politique étrangère et de sécurité de l'Union (UE).
LA CONJONCTURE INTERNATIONALE
Ainsi, il a été pris en considération d'abord l'environnement de sécurité, dans le but :
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d'identifier les défis et les menaces, potentiels et avérés, du système international dans une ère d'asymétrie et de grandes incertitudes ;
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de mettre l'accent sur les risques de déstabilisation internes, ainsi que sur l'internationalisation des conflits armés.
Pour ce qui est des fondements de l'analyse, a été adoptée une approche du système qui trouve sa justification dans les changements des paradigmes géopolitiques.
La Cellule de Réflexion Stratégique a adopté une lecture de la scène planétaire, caractérisée par sa transition vers une configuration multipolaire. Cette transition, encore inachevée, est illustrée par une série de transformations d'ordre structurel :
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l'apparition d'une fragmentation étatique et d'une anarchie sociétale dues à l'épuisement de la stabilité stratégique de la bipolarité ;
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une forte hybridation de menaces et de vulnérabilités obscurcissant la vision de l'ensemble;
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une incertitude sur les objectifs à long terme des acteurs principaux, occultée par la distribution de la puissance ;
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l'extension de la violence armée à des régions clés, où prolifèrent des antagonismes violents autour d'arsenaux d'armes de destruction massive ;
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la réorganisation de l'espace mondial sous l'accélération d'une série de chocs asymétriques et culturels.
A l'échelle globale se confirme l'apparition d'un champ de dangers, catalyseur de crises futures, le cyberespace. Il s'agit là d'une zone immatérielle d'interconnexion des réseaux comme sphère privilégiée des affrontements de demain.
Face aux grandes mutations technologiques et sociétales et à la montée de l'Asie et des BRICS, l'Europe devra assurer ses responsabilités, dans la sécurité régionale et mondiale, à l'Est et au Sud-Est, dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient, dans le Golfe, en Afrique du Nord et en Afrique centrale sans compter les équilibres de la scène planétaire.
LES RÉPONSES STRATÉGIQUES DE L'UE
À l'ère de la multipolarité, les menaces les plus déstabilisantes pour l'ordre mondial sont les menaces systémiques. Elles influent sur les grands équilibres internationaux et concernent les puissances planétaires globales, les grandes puissances « moyennes » et leurs zones d'influence géostratégiques. Sur le continent européen, elles rendent inadéquat le concept traditionnel de défense nationale qui se situe désormais à l'avant, à la périphérie et hors d'Europe, obligeant l'ensemble européen à agir de manière coordonnée et proactive, selon les acteurs ou les forces, l'urgence ou la gravité des situations, ou selon la géopolitique des crises.
À ce propos, il a été observé, dans la conjoncture actuelle, la superposition de trois cycles de crise: la crise de déclin et d'alternance hégémonique (environ 100 ans), l'épuisement d'un cycle économique long (entre 40/60 ans selon les «trends» de Kondratieff) et la crise de transition systémique et civilisationnelle de durée pluriséculaire. Cette superposition de crises engendre une multiplicité de scénarios de conflit.1
Dans un système polarisé des puissances, aucune stratégie nationale de défense ou de sécurité ne peut assurer l'autonomie stratégique indispensables, pour préserver l'indépendance, l'identité stratégique et les intérêts d'une nation et aucun pays ne peut se passer d'alliances permanentes.
Du point de vue conflictuel, les phases de stabilisation qui suivent l'effondrement d'un système ou d'un pôle de puissance sont des phases ponctuées par des mouvements de rupture et des guerres d'ajustement. En effet, le passage d'un système international hiérarchique à un système polyarchique comporte des changements fondamentaux dans la morphologie du système et la distribution de la puissance. Dans une phase semblable, les zones intermédiaires entre pôles ou à leur périphérie, acquièrent une importance cruciale, celle de zones tampon, de zones de contagion ou encore de zones d'attrition.
LE SYSTÈME MULTIPOLAIRE ET SES CARACTÈRES ESSENTIELS
Pour venir aux traits saillants du système multipolaire actuel, ceux-ci sont marquées par les caractéristiques suivantes, celles :
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d'appartenir à un théâtre global interactif, où opère un Linkage pluridimensionnel entre tensions latentes et crises ouvertes ;
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d'obéir à une grande hétérogénéité de valeurs, d'intérêts et de principes d'action ;
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de comporter l'extension des rivalités et des conflits régionaux à tous les pôles et à tous les acteurs, provoquant des crises en cascade, qui peuvent aller jusqu'à une confrontation existentielle majeure ;
Dans ces conditions, le «statu quo» relatif ne représente plus une situation favorable aux adaptations et aux réformes et le monde se remet en mouvement, massivement.
La phase actuelle se caractérise par ailleurs par l'hésitation stratégique des grandes puissances comme trait marquant de la conjoncture. Elle signale l'absence d'un leadership affirmé et de revendications hégémoniques, qui se dessinent par l'élaboration de grandes stratégies systémiques. Cette hésitation générale affecte la Chine, les USA, la Russie et l'Europe, car une incertitude et une grande inconnue retiennent toutes ces puissances sur le long terme. Cependant, l' «hypothèse doctrinale d'un nouvel endiguement » de la Chine de la part des puissances du «statu quo» a besoin d'une géopolitique globale, et de la définition de « zones d'intérêts vitaux » de la part des puissances majeures, Europe et Russie incluses.
Cette phase révèle non seulement la décomposition du moment américain, et donc un retrait et un épuisement de sa volonté de primauté, mais aussi l'établissement d'une série «d'équilibres de réseaux» centrés sur les États-Unis car ceux-ci s'efforceront d'exercer, par compensation, une forme adaptée d'arbitrage du jeu international ou du « Global Leadership », au lieu de la « Global Dominance » antérieure.
Se manifestent également des différenciations institutionnelles au sein des grands ensembles supranationaux (UE, OTAN, ONU, etc.) et une influence grandissante des divisions politiques dans les options des camps euro-atlantique et asiatique (en Méditerranée, Grand Moyen-Orient, Golfe, Afghanistan, Inde). Ces divisions sont dues à la diversification régionale des fonctions d'influence et à l'incapacité d'Hégémon d'imposer un ordre planétaire hiérarchique et contraignant dans le cadre d'une complexité croissante de l'ordre international.
Par ailleurs, l'émergence des puissances moyennes, à caractère socio-économique et virtuellement politique (BRICs), affecte davantage la sphère des relations d'échange, que les rapports proprement stratégiques et engendre une relativisation de la dominance globale de l'Occident.
Pour conclure avec des recommandations, le succès de l’action extérieure européenne dépendra à l’avenir :
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d'un accord politique entre les États-membres sur les objectifs à atteindre à travers l'UE, qui est à considérer toujours comme un « multiplicateur de puissance », aujourd'hui en situation d'inertie (ce qui implique que l'Europe se focalise sur un nombre limité et partagé de priorités stratégiques) ;
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d'une vision commune du système international, assurant la cohérence entre les missions de l’UE et les actions nationales et cela dans le cadre d'une stratégie globale commune, douée de ressources crédibles et valorisant davantage la confiance interne et la logique dissuasive de la fermeté et de la force à l'extérieur.
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1La crise systémique peut être définie comme une révolution des paradigmes géopolitiques. La crise civilisationnelle comme une métamorphose profonde des principes de cohésion spirituelle. En leur forme extrême, les crises systémiques s'apparentent aux crises chaotiques ou « Break Down » à la Toynbee qui sont à la fois inter-étatiques, infra-nationales et inter-civilisationnelles.