EURASIE

Enjeux globaux, géopolitique continentale eurasienne et géopolitique mondiale océanique
Auteur: 
Irnerio Seminatore
Date de publication: 
29/1/2015

EURASIE


ENJEUX GLOBAUX, GÉOPOLITIQUE CONTINENTALE EURASIENNE


ET GÉOPOLITIQUE MONDIALE OCÉANIQUE


 

  

INCERTITUDES TERMINOLOGIQUES, GÉOPOLITIQUES ET CONCEPTUELLES

 

Le concept d'« Eurasie » recouvre l'espace central du système international de l'age planétaire et revêt plusieurs significations, aux implications stratégiques, politiques et civilisationnelles diverses.

  • En termes tectoniques et selon la géopolitique des placques, l'Eurasie désigne la masse continentale située entre l'Océan Atlantique et l'Océan Pacifique, à l'exclusion du sous continent indien, de la péninsule arabique, des Philippines et de l'extrémité péninsulaire de la Russie, qui font partie de la plaque nord-américaine.

  • En termes géographiques restreints, elle comprend l'Europe et la Russie actuelle, ce qui peut impliquer un projet civilisationnel commun, aux caractéristiques propres et particulières. Un eurocentrisme déclarée a été adopté par les élites russes, depuis la grande Catherine.

  • En sa conception géopolitique large, elle englobe les deux continents sur les cinq, les plus peuplés et dynamiques.

    L'addition des deux continents en leur totalité et diversité, culturelles et politiques, implique l'articulation en sous ensembles régionaux, doués d'individualités propres, sur le plan géographique, historique, stratégique et culturel. Il est donc impossible dans ce cas de penser à un projet de civilisation commune.

    Disposent de cette individualité l'Inde, la Chine, l'Indonésie, la Turquie, l'Iran, les Philippines et le Japon. Selon l'approche large ou globaliste, l'Eurasie est identifiée à la «grande terre du monde » et stratégiquement « au grand échiquier ». La première se limite à une analyse de l'espace, la deuxième présuppose une analyse de la guerre. Cette vision large et d'ensemble est aussi celle du « multipolarisme », autrement dit du regroupement des forces et des capacités civiles et militaires autour des pôles de pouvoir et de puissance, constitués dans le but de rivaliser, d'imposer leur Hégémonie et d'orienter le cours de l'histoire.

  • Une quatrième définition du terme Eurasie se réfère géographiquement à la zone intermédiaire de l'hémisphère Nord et donc à l'Asie centrale et au Caucase, dans lesquels est en cours un processus d'intégration régionale à caractère économique, « L’Union Eurasiatique », qui n'est pas dépourvu de probables ambitions politiques, mais qui est bâti initialement sur le modèle de l' Union Européenne.

  • Du point de vue de la dynamique historique, l'Eurasie est la matrice inter-continentale des flux et reflux des invasions, des formes de gouvernement et des régimes politiques qui ont calqué d'une empreinte durable la conception de l'autorité et de la domination politique et qui ont été l'expression des conditionnements millénaires du climat et de l'espace. Ces conditionnements souvent rigides ont poussé à une migration constante des populations, incitées par la pauvreté relative des sols et la faible rentabilité de l'agriculture, compensée par ces vagues de conquête soumises à un impératif croissant d'organisation et de mobilisation militaires.

  • En termes idéologiques est également eurasienne ou euro-asiatique la conception politique qui prétend définir une identité nationale en politique étrangère, comme au Kazakhstan. Dans la définition la plus large de l'Eurasisme, il ne peut exister de civilisation eurasienne, dépourvue d'une religion et d'une langue communes, unifiant les divers espaces sociétaux autour des grandes conceptions du monde, d'une vision supérieure de la hiérarchie des nations et des lois récurrentes de l'histoire.

  • Dans l'histoire de la culture et du monde contemporain, l' Eurasie est un partage des civilisations dicté par l'hétérogénéité des populations, des sociétés et des traditions politiques. C'est en Eurasie que sont nées les deux plus grandes civilisations du monde, l'une occidentale ou thalassocratique, venant des populations du littoral, ouverte à l'aventure et au changement et l'autre orientale, continentale et fermée, celle du céleste empire, où les changements sont dissimulés derrière des dogmes conservateurs et sous des formes de vie divinisées et ritualisées. L'Eurasie est l'ensemble historique où « l'authentique existence de l'être » de Heidegger est culturellement fragmenté à l'intérieur d'un horizon global, celui de la mondialisation contemporaine.

 

IMPLICATIONS STRATÉGIQUES

Le choix entre ces différents conceptions de l'Eurasie a, pour l'Europe, des implications stratégiques différentes et influe sensiblement sur les alliances politiques et militaires orientées à la stabilisation et à la déstabilisation de pays ou de régions entières. Ces implications obéissent aux catégories de l'action, de la loi du mouvement et du conflit.

Elles comportent une révision des axiomes philosophiques et idéologiques sur lesquels repose la modernité. C'est un monde au pluriel, un contexte spatial où se confondent plusieurs universalismes et où les identités nationales sont plus asymétriques que partout ailleurs où le concept d'individualité est universel et où se combattent modernité et post-modernité. C'est ici que la mondialisation s'est dissocié de l'occidentalisation et que le « tigre » en papier du globalisme a été mis en échec par le network stratégique de la multipolarité et par l 'émergence de nouvelles identités. C'est en Eurasie que s'opère le test de la coexistence de plusieurs mondes et de plusieurs types de régimes politiques.

 

TERRE ET MER, UNE CONCEPTION DUALE ET CONFLICTUELLE

Les apôtres de la géopolitique ont toujours mis en valeur l'importance des déterminismes rationnels, liés aux contextes physiques et influant sur l'évolution des ensembles humains épris par l'immanence de la guerre, de la violence et du sang.

La dualité de ces contextes ou cadres de vie, terre ou mer, a toujours constitué une opposition des contraires, au sein desquels se sont développés les civilisations.

La discontinuité entre la terre et la mer s'est imposée comme source de tensions et comme dialectique de luttes et de conquêtes.

La terre divise et la mer unit. La terre engendre attachement et labour, la mer aventure, commerce et rapine. La terre sédentarise et stabilise, la mer impose instabilité et nomadisme. Les apôtres de la géopolitique moderne d'avant le premier conflit mondial ont mis en relation le pouvoir, la puissance, la force avec les éléments naturels et ont pensé ces éléments en termes de stratégie, de combat et de guerre, bref dans les catégories d'une logique d'action. La géopolitique, en toutes ces expressions, ne conçoit la dialectique de la terre et de la mer qu'en termes d'épreuve de vérité et comme loi suprême du rapport de force entre Nations.

En effet, elle oppose la lourdeur de mouvement des hoplytes de Sparte et la bataille décisive de Clausewitz à la rapidité de la manœuvre des marins d'Athènes, à la « ruse » du « non combat » et à la « fuite » de Sun Tze. Mais cette dualité comporte en Eurasie un « enjeu disputé » entre la terre et la mer, le Rimland, l'ensemble des péninsules côtières qui vont de Sakhaline à la péninsule arabique. Cette « ceinture littorale » devient, selon la théorie de Spykman, le « bord du monde », l'enjeu capital et l'aiguille de la balance pour le contrôle réciproque de la terre et de la mer.

Or, dans la longue opposition entre la puissance thalassocratique et la puissance terrestre, l'équation géopolitique qui a eu la plus grande postérité a été celle du « Sea Power » combattant la revanche perpétuelle de la terre.

En revenant sur un débat stratégique vieux de près de 2500 ans, la plus importante conception, parmi celles qui ont divisé les géopoliticiens sur l’importance de la puissance terrestre a été celle de l'Amiral Halford Mackinder.

Dans une célèbre conférence de 1904, l'Amiral Mackinder visant à localiser en Eurasie, « le pivot géographique de l'Histoire », entendait prétendre à contre pied des analyses de Mahan sur l'identité géographique des États et sur l' étude de l' émergence de l' hégémonie britannique à l' époque moderne.

Mahan partit des intuitions de Walter Raleigh selon lequel quiconque contrôle la mer, contrôle le monde », et, en ce faisant, il formula une équation géopolitique appelée à une grande postérité.

Mackinder voyait dans le principe de la primauté de la puissance maritime sur la puissance terrestre, une imanité géopolitique, car à ses yeux la capacité de la puissance globale à dominer le monde, ne dépendent pas de la puissance navale, mais de son assise territoriale. Dans sa recherche visant à identifier l'existence d'une « terre centrale », le Heartland, s'exprimaient les préoccupations de Mackinder de voir la Russie soviétique naissante s'assurer par le contrôle des terres, la puissance globale et le contrôle du monde.

Le progrès des transports et des chemins de fer favorisaient le ralliement de l'Europe à l'Asie et de l'Allemagne industrielle à la Russie émergente, lui permettant de subjuguer les puissances européennes.

T. MAHAN ET LE « SEA POWER »

La puissance navale n'était pour Mackinder que la conséquence de la puissance terrestre et la possibilité pour la Russie de consacrer ses immenses ressources continentales à la construction d'une flotte, permetterait à celle-ci le contrôle les océans.

L' Exemple de Guillaume II de se doter, dès la fin du XIX siècle, d'une marine de guerre digne de ce nom, rivalisant avec la Royal Navy, représentait la preuve du passage de la Macht Politik à la Welt Politik. Or, les lignes directrices de la puissance navale tracées au XXème siècle par l'Amiral Alfred T. Mahan, ont entraîné un changement de perspective dans la culture stratégique et dans la conception et la définition des doctrines de combat.

Les conséquences tactiques de la révolution de la vapeur et les tentatives de formuler les lois universelles du combat naval, du développement des flottes par les États et du plaidoyer stratégique pour la maîtrise de la mer, venaient de la bataille décisive. Cette conviction atteint son point culminant avec la bataille russo-japonaise de Tsoushima (1905), qui marqua l'apparition de la primauté de l'école de l'artillerie lourde et du canon de 380 mm.

Émerge de ce débat conduit surtout par Ch. Callwell l'exigence d'intégrer la stratégie maritime dans la stratégie générale et de concilier Mahan et Clausewitz sous l'idée, devenue dogmatique, de la « bataille décisive » et surtout de la formulation d'une théorie de la grande stratégie.

Ce débat conduit à la restriction de la maîtrise de la mer au contrôle des communications maritimes et à la restauration généralisée de l'orthodoxie, autrement dit à la double conception de la suprématie des flottes de ligne et de la maîtrise de la mer par la bataille décisive. Le retour au passé et à cette orthodoxie étaient rendus possible par l'incapacité de saisir la rupture portée par la guerre sous-marine à la géostratégie du commerce naval.

Les réflexions successives, adoptées par les écoles de pensée britannique, allemande et française atteignirent, avec l'Amiral français Castex une hauteur de vue élevée et visèrent à inscrire la stratégie navale dans la stratégie générale de l’État, qui était, dans le cas de la France, à dominante continentale.

Ces analyses suivent, pas à pas, les mutations de la guerre de communication, consécutive à l'apparition du porte-avion et conduisent à distinguer la maîtrise de la mer (« Sea Control ») de l'interdiction des mers (« Sea Denial »). Elles autoriseront des développements ultérieurs dans les conceptions et fonctions stratégiques du « Rimland » de Spykman et de la guerre du Pacifique.

 

Le « Heartland » de Halford Mackinder

L’amiral britannique H. J. Mackinder (1861-1947), qui fut professeur de géographie à Oxford (de 1887 à 1905), puis à la London School of Economics and Political Science (de 1895 à 1908), est tenu pour l'un des fondateurs de la géopolitique classique. Il exposa ses théories dès 1904 et les revisa quarante ans plus tard, dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale. La vision mondiale de la géopolitique de Mackinder est celle d’une « île mondiale » organisée autour d’un pivot, le heartland, centre de gravité de tous les phénomènes géopolitiques. L’Eurasie, inaccessible à la puissance maritime, a pour cœur l’Asie centrale. Celle-ci est protégée par un croissant de zones faisant obstacle à la pénétration depuis les côtes, l’inner crescent, constitué par la Sibérie, l’Himalaya, le désert de Gobi, le Tibet. Plus loin se trouvent les pays ayant accès aux océans, le coastland. Au-delà des mers qui délimitent l’île mondiale on identifie clairement l’outer crescent, composé de la Grande-Bretagne et du Japon ; enfin, plus loin encore, le Nouveau Monde, dont le cœur est représenté par les États-Unis. L’ensemble des phénomènes géopolitiques se résume en une lutte entre le heartland et l’outer crescent. La doctrine de Mackinder est caractérisée par la doctrine de la suprématie de la puissance continentale : « Qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui domine le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde. » La hantise de Mackinder était une alliance entre l’Allemagne et la Russie qui auraient ainsi dominé l’île mondiale. C’est pourquoi le cœur du monde, le Heartland, doit être encerclé par les alliés terrestres de la Grande-Bretagne. Cette dernière doit contrôler les mers, mais également les terres littorales qui encerclent la Russie, c’est-à-dire l’Europe de l’Ouest, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et de l’Est. La Grande-Bretagne elle-même, avec les États-Unis et le Japon, constituent le dernier cercle qui entoure le cœur du monde.



La perspective politique du « containment »

Cette conception du « Rimland extérieur » visant à contenir la masse eurasienne sur les bordures occidentales et méridionales de la terre centrale, acquiert une importance grandissante dans la compétition pour la rivalité mondiale et les pays péninsulaires de la « marge » atlantique, Espagne, France et Italie, constituant le coast euro-atlantique ou « l'archipel du sud », deviendraient les « arrières », non décisifs, d’une projection de la puissance hégémonique vers le golfe Persique et le grand Moyen-Orient.

Aujourd'hui, la prospective d’Hégémon et du point de vue géopolitique, est celle d'une Fédération de Russie fortement décentralisée en Asie centrale et dans le Caucase du sud, visant à répondre aux aspirations de ses multiples nationalités. Elle serait « équilibrée » géographiquement, économiquement et culturellement au Nord par l’Allemagne, complémentaire depuis des siècles du monde slave et au Sud, en Asie mineure, par le bastion incontournable de la masse continentale turque.

Dans ces deux cas, selon les circonstances et les enjeux, les États-Unis soutiendraient alternativement l’un ou l’autre de ces trois acteurs, afin de modérer la quête de puissance de chacun d’entre eux.

Éléments de géopolitique théorique. L'eurasie, l'Archipel eurasien1 (ou le « coastland » atlantique) et le « Rimland de l’extérieur » de Spykman

Dans Géographie de la paix, publiée un an après sa mort, Nicholas Spykman (1893-1943), père de la théorie du containment et géopoliticien et géostratège déterministe, argue que la « balance du pouvoir » en Eurasie affecte directement la sécurité des USA. Son idée centrale repose sur le constat que la mobilité maritime œuvre de nouvelles possibilités à une autre structure géopolitique, celle des « empires étrangers ». Nicholas Spykman adopte la distinction géographique du monde définie par H. J. Mackinder : le heartland, Terre centrale ou Central Asia ; le Rimland, marginal crescent ; Island Continents (le outer crescent). Ces zones sont subdivisées en trois portions géographiques et climatiques : the European Coast Land, the Arabian Middle-East Land, the Asiatic Monsoon Land (Indian Ocean, Littoral, distinct et séparé du Chinese Land, au plan naturel et civilisationnel). Les deux continents qui flanquent l’Eurasie sont l’Afrique et l’Australie.

En termes de dynamique historique, Spykman reformule l’opposition et la dialectique entre puissance de la terre et puissance de la mer et redéfinit ainsi la fameuse formule de H. J. Mackinder : « Qui contrôle l’Europe orientale contrôle la Terre centrale ; qui contrôle la Terre centrale (Eurasie) contrôle l’Île du Monde (Amérique) ; qui domine l’Île du Monde domine le monde », avec la formule du « Rimland de l’intérieur » ou inner crescent, comme espace de protection des deux zones intérieures. L'inner crescent peut être considérée comme un espace de frontière entre l’Europe et l’Asie et il en résulte ainsi que la zone péninsulaire (Europe de l’Ouest et du sud Ouest) et la zone continentale à l’Est (Balkans Européens) constituent un « Archipel euro-atlantique » et donc un facteur d’ouverture de la Terre centrale. La véritable exigence de contrôle sur la zone centrale repose sur l’interdiction à la réunification de l’espace continental et sur la prévention à la maîtrise de celle-ci par une seule puissance. La tache historique d'Hégémon consiste à interdire l’unification territoriale de l’Eurasie, combattre l’émergence d’une nouvelle forme de bipolarisation du monde, contrôler l'Archipel et décourager l’émergence d’un pouvoir accédant à la maîtrise prépondérante des ressources énergétiques de la terre centrale : Tel est le but historique de l’Amérique « Qui contrôle le Rimland, contrôle l’Eurasie ; qui contrôle l’Eurasie, contrôle la destinée du monde. ».

Le « Rimland de l’intérieur » ou inner crescent

On peut entendre pour « Rimland de l’intérieur » l’espace intermédiaire entre le heartland et le European coastland ; un double anneau de terres, situé sur la diagonale qui va de la Baltique à l’Océan Indien. C’est une zone de pouvoir contesté, divisé et instable, dont le centre de gravité politique est ailleurs, tiraillé entre l’Est et l’Ouest, l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, selon les humeurs de l’histoire.

Ainsi, la liberté de cette région a été menacée hier par l’expansion et le conflit entre la Russie et l’Allemagne au septentrion, et la Russie et la Turquie en Asie mineure et il ne pourra être remis en cause demain que par la montée croissante de la Chine.

Cette ouverture des horizons du « Rimland de l’intérieur » ne peut venir que de son association, son ancrage ou son « intégration extérieure » avec les terres du littoral qui côtoient l’Atlantique et constituent le premier cercle entourant le cœur du monde. S'agit-il d'un « partenariat Occidental » de la Russie ou bien d'un « partenariat Oriental » de l'Europe de l'Ouest ?

Si la suprématie de la puissance continentale appartient demain à la Chine montante, la réhabilitation du Rimland de l’extérieur et du Rimland de l’intérieur apparaît à l’évidence comme le seul moyen d’établir une zone d’interposition et un outil éprouvé pour contenir l’expansion territoriale et maritime de l’Empire du milieu en Eurasie, en dehors de l’utilisation de la menace verticale. En cas de crise systémique, l'Empire du milieu pourrait remonter, par une manœuvre enveloppante et de bascule, de la zone du Golfe et de l'Afrique, effondrées par l'Islam, vers l'Europe du Sud et le Moyen Orient, déstabilisés par le Djhad.

le double anneau des terres : le Caucase du Sud et la grande mer Noire

Dans quelle perspective géopolitique inscrire une réflexion sur le « Rimland de l’intérieur », le Caucase et la grande mer Noire, le double anneau des terres qui définit les bornes intérieures de l’Europe et de l’Asie ? Comment faire en sorte que les lacs de cette zone-clé deviennent des facteurs de désenclavement et de communication et que le « croissant instable » qui va de l’Atlantique à l’Indus favorise les voies de transit et d’ouverture pour les puissances terrestres entre la masse de l’Est, à dominance sinique, mongole et turque et l’ensemble de l’archipel occidental de l’Asie, l’Europe, à dominance anglo-saxonne et nordique ?

L’Europe, la Russie et la Chine

Il est donc primordial pour l'indépendance et l'autonomie politico-stratégique de l’Europe que le déséquilibre entre la bordure occidentale et orientale de l’Europe ne comporte pas une inversion de la balance, avec une Amérique hésitante, une Europe impuissante, une Fédération russe affaiblie et une Chine montante, conquérante et surpeuplée.

l’intérêt géopolitique de la Russie face aux défis

Aucun acteur global ne peut jouer tout seul en Eurasie sans la concertation et la coopération des autres, ni dans les Balkans eurasiens2, ni aux bordures centrales et méridionales du continent.

Du point de vue de la stabilité internationale, si la multipolarité arrivait à limiter la compétition et simultanément la prolifération dans le domaine des armements conventionnels et nucléaires, il serait possible d’imaginer des situations dans lesquelles les antagonismes les plus divers pourraient être résolus dans un cadre régional et partiellement coopératif.

En effet, les systèmes bipolaires consentent un seul antagonisme et comportent le risque d’une guerre générale, tandis que la multipolarité englobe des tensions virtuellement innombrables, comporte une mixité diffuse de coopération et engendre une pluralité de conflits.

Aujourd'hui, le reflux de la vague de démocratisation globale et une géopolitique éclatée, aux rivalités régionales fortes (Syrie/Turquie, Irak, État Islamique, Inde/Pakistan, Iran/Arabie Saoudite, Corée du Nord/Corée du Sud, Chine/Japon...) imposent une feuille de route difficile pour la sauvegarde de la stabilité. Cette amplification des préoccupations de stabilité acquiert une signification particulière en raison de la montée en puissance de trois continents (Asie, Afrique et Amérique latine) et du déplacement de l'axe de gravité du monde vers le Pacifique et l'Océan Indien, le nouveau pivot des mers.

Le danger majeur pour l'Europe et l'Occident (Europe + USA) demeure un condominium ouvert russo-chinois sur l'Eurasie et l'hypothèque à long terme d'une suprématie chinoise dans un monde où le règne du droit et de l'ordre, ne pourra plus être assuré par des États instables ou déstabilisés et où des conflits diffus et endémiques et des formes chaotiques de changement, caractérisés par « le gel » de confrontations, rendent nécessaires une intelligibilité stratégique et une architecture de sécurité (OTAN, OSCE, OTCS, OCS) globale et crédible, autrement dit, un ordre politique gérable et multipolaire.

Géopolitique locale et géopolitique mondiale

C’est donc sur ces bases que l’Europe, les USA et la Russie pourraient reconnaître l’utilité politique, économique et stratégique d’une nouvelle architecture eurasienne de sécurité dans le but de promouvoir l’intérêt commun dans le respect de la stabilité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les nations de la région. Ce serait là le noyau régional d’un noyau mondial de stabilité, jetant les bases d’un système de sécurité eurasien d’envergure transcontinentale et susceptible d’influer profondément sur le comportement des puissances politiques de l’Asie du Sud et de l’Extrême-Orient.

L' EURASIE, LA CHINE ET «LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE PROACTIVE»

VERS UN ÉQUILIBRE BIPOLAIRE OU MULTIPOLAIRE?

 

L' Eurasie est l'ensemble géopolitique où la disparité des enjeux et des intérêts crée les conditions

d'une immense accumulation « du potentiel d' affrontement» et où se forgent les nouveaux concepts et les diagnostics qui définissent les causes lointaines et les thérapies actuelles des maux de la planète ; où a repris l' utilisation de la force pour renverser l'ordre établi et où sonne l'appel à une

«mobilisation générale» en faveur d'un camp ou de l'autre.

Dans ce cadre la priorité accordé pour la Chine à la politique étrangère, témoigne que l'implication de la diplomatie chinoise dans la plupart des conflits et dans la quasi totalité des enjeux mondiaux fait de l'Empire du milieu un acteur de premier plan du monde miltipolaire et une puissance qui vise désormais, après l'ère des réformes et d'ouverture inaugurée en 1978 par Deng Xiaoping, à faire de la Chine, une puissance régionale à moyen terme et une puissance globale en devenir.

La consolidation des influences régionales va de la « politique de voisinage » incorporant les deux concepts et les deux axes de cette politique :

  • La route maritime de la soie

  • La zone économique de la « route de la soie » reliant la Chine à l' Europe, à une « communauté de destin commune », excluant les États Unis.

    Elle recouvre des objectifs multiples, incluant des zones de l'intérieur (Yunnan et Xing Kiang) et des pays d'Asie centrale et méridionale, vers la sous région du Grand Mékong (Vietnam, Cambodge, Laos, Myanmar). Ce projet est doué d'un support financier important, la «  Banque d'investissement asiatique pour les infrastructures ». Cette concentration d' intérêts, économiques, énergétiques et de sécurité dans la région d'Asie centrale, s'accompagne d'une politique de revendication dans la mer de Chine méridionale et orientale, dans des eaux disputées des îlots Senkakou/ Diaoyu. Aussi la transition de la tradition « réactive » de la politique étrangère de la Chine, mise en place par Deng il y a 35 ans, vers une diplomatie « proactive » de Beijing, obéit au concept de « renouveau de la nation chinoise » introduit par XI Limping, comme juste retour de la Chine au prestige international dont le pays bénéficiant à l' époque des dynasties plus glorieuses.

    En ce qui concerne les États Unis, Beijing évoque l'établissement d'un «nouveau type de relations entre grandes puissances» fondées sur des relations d' égalité, exactement comme elles sont revendiquées par Moscou.

Ainsi la compétition entre les trois empires, dont deux sont terrestres (Russie et Chine) et un Thalassocratique (États Unis), préfigure un monde multipolaire et conflictuel, où les stratégies revendicatives et de mouvement ne peuvent plus être contenues seulement à l' intérieur des cadres régionaux respectifs.

C'est le contexte du «  statu quo » qui est remis en cause, au profit du binôme Chine – Usa. Ce binôme peut être préfiguré comme «  Bipolaire » s'il est dominé par sa rivalité Chine -Usa ou « multipolaire » si on y inclut les pays émergents. La configuration géopolitique de l'Eurasie et la multiplicité des sources de tensions entre acteurs régionaux et globaux et entre couples de puissances moyennes, a fait monter la tension dans les relations Est-Ouest, ainsi que dans les relations Sud-Sud. La difficulté de règlement des litiges ouverts et/ou gelés, nourrit instabilités et incertitudes stratégiques, qui peuvent augmenter l'état de conflictualité existante et conduire à une remise en cause du système des équilibres qui règne dans le moment actuel de la conjoncture historique.

 

 

Bruxelles, le 27 janvier 2015