« Entrer dans l'Asie pour s'affranchir de l'Occident »
(Inversion du vieux slogan de Yukichi Fukuzawa de 1885 « Quitter l'Asie pour rejoindre l'Europe »)
Irnerio Seminatore
24 mars 2015
Introduction
La Chine au cœur du système
Sur les options chinoises en politique étrangère
De la « diplomatie de l'apaisement » à la stratégie de la « Route de la soie maritime »
Le « Rapport 2010 » et le rôle des forces armées chinoises
La Corée du Sud et la compétition indirecte Chine – USA
L'évolution du Japon
Sur une vision stratégique de la sécurité en Asie. Questionnements et hypothèses
Chine – États-Unis, un condominium géopolitique ?
Introduction
La nouvelle configuration multipolaire du monde regroupe en Eurasie cinq des puissances majeures de la planète, l'Europe, la Russie, la Chine, le Japon, et l'Inde. Le cours de l'Histoire du XXI ième se jouera ainsi en Asie, dans un espace de rivalités, qui comporte les revendications de souveraineté les plus aigues et qui revêt les conditions de sécurité les plus précaires. En effet, les antagonismes principaux se déplacent du pivot des terres, le « Heartland », vers le « pivot des mers », les « Heartsea », au cœur de l'Océan indien où transite la moitié du commerce maritime mondial. Ces antagonismes sont le fait des puissances navales de la planète en défense de leurs intérêts nationaux.
La Chine au cœur du système
D'une vue d'ensemble, il saute aux yeux que la Chine est désormais au cœur du système international et affirme désormais sa prééminence régionale. La conscience que les rapports entre les États-Unis et la Chine façonneront le XXI ième siècle, a incité les deux parties à surmonter la méfiance mutuelle et à fonder l’avenir de leurs relations sur un rapport ambigu de coopération et de confrontation ; et donc de la part des États-Unis, sur un rapport bilatéral, pour éviter le choc frontal, et sur l'encerclement, via des accords stratégiques avec tous les voisins, pour disperser la menace.
Sur les options chinoises en politique étrangère
Le poids croissant de la Chine dans l’échiquier mondial ne peut que renforcer l’évolution vers un système international multipolaire, valorisant également des formes de bipolarisme sous-jacentes. Celles-ci sont lisibles dans la mise en chantier d’un G-2 à coté du G-4 (Brésil, Inde, Chine et Russie) et du G-20 (les huit pays les plus industrialisés, plus les grandes économies émergentes).
Dans le but d'éviter toute perspective déterministe, les responsables de la politique étrangère chinoise ont tenu à distinguer leurs options par rapport aux deux principes de multilatéralisme et de multipolarité.
« Pas question de devenir un pôle » ont affirmé officiellement ces responsables chinois après l'effondrement de l'URSS. « Il faut sortir de la mentalité de la guerre froide et parler de développement partagé ». A ce sujet, il a été précisé « Avec l'essor des échanges commerciaux , les différends vont se multiplier. Il faut y faire face avec un esprit de négociation ». « Nous devons instaurer une mentalité de négociation, qui suppose' des concessions réciproques ». Or l'esprit de négociation, fondé sur le multilatéralisme n'est pas l'esprit de système, fondé sur le multipolarisme. Ne pouvant pas ignorer la morphologie classique des regroupements géopolitiques et stratégiques (alliances), Beijin s'est employée à définir à l'époque, une doctrine de politique étrangère présentée comme « diplomatie asymétrique », autrement dit comme opposition à l'hégémonisme, à la politique de force, à la politique des blocs et à la course aux armements.
De la « diplomatie de l'apaisement » à la stratégie de la « Route de la soie maritime »
C’est dans ce contexte, désormais révolu, que doivent être lus les efforts de la « diplomatie de l’apaisement », pour mettre un terme aux multiples tensions territoriales avec les pays frontaliers, le long des lignes de frontières terrestres parmi les plus longues du monde (protocole d’accord entre la Chine et l’Inde du 11 avril 2005, accord de Vladivostock du 2 juin 2005 entre Russie et Chine).
Il s’agit là d’ententes de la plus haute importance stratégique entre les puissances majeures de l’Eurasie, dont la signification est double :
-
jouer à la pression démographique au Nord, dans les zones inhabitées de la Sibérie Centrale et Orientale,
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créer des liaisons d’assurance et de confiance au Sud, dans le but d'établir des liens de vassalité et de déférence avec les pays de l’ASEAN.
Ici, l’entente de compromis, renforcée par une « stratégie de sécurisation » des voies maritimes dans les mers de Chine du Sud, acquiert une dimension plus offensive, en direction de l’Océan Pacifique, par le développement de capacité d’interdictions navales et spatiales.
La mer de Chine Méridionale est devenue ainsi un théâtre géopolitique parmi les plus critiques de la planète.
En effet, se superposent ici les projections d'influence de la Chine, à caractère expansif et le rôle régional des États-Unis à caractère défensif.
Les premières remettent en cause la stabilité régionale, le deuxième préfigure un « soft-containment » d'un type nouveau.
Or, dans une perspective de mouvement de l'échiquier asiatique, attisé par les surenchères nationalistes depuis 2012, et manifeste à propos des îles Senkaku/Diaoyu, l'activisme chinois en politique étrangère influence en profondeur les enjeux stratégiques des principaux acteurs régionaux dans la mer de Chine Méridionale, dont les ressources naturelles sont disputées par Taïwan, les Philippines, la Malaisie, l'Indonésie, Brunei, Singapour et le Vietnam.
Cette zone est désormais inclue dans le périmètre des « intérêts vitaux » de la Chine au même titre que le Tibet et Taïwan, bien qu'aucune déclaration officielle n' ait étalé cette position.
Le « Rapport 2010 » et le rôle des forces armées chinoises
L'évaluation des besoins de sécurité et de défense de la Chine est contenue dans le « Rapport 2010 » concernant les forces armées du pays.
Dans ce document, intitulé la « Mission historique des forces armées chinoises », énoncé par le Président Hu-Jintao dans sa relation au XVII Congrès du Parti Communiste en octobre 2007, le pouvoir suprême assigne à l'Armée populaire de Libération « le but de construire une nation prospère dotée d'une armée forte » et trace une perspective unifiée pour les capacité de combat et de projection de forces de l'APC. Il définit ainsi au plan maritime, une stratégie d'interdiction à large spectre qui n'est plus focalisée uniquement sur Taïwan et inclut désormais la Mer Jaune dans laquelle patrouillent les flottes du Japon et de la Corée du Sud.
La Corée du Sud et la compétition indirecte Chine – USA
La sécurité de la Corée du Sud est conditionnée par la compétition USA-Chine qui se déploie sur le théâtre des rivalités extrême-orientales de la Mer Jaune. Après avoir acquis une place de première importance sur la scène économique mondiale en moins d'un demi siècle, la Corée du Sud s'est engagée dans une relation ambivalente et tortueuse avec la Chine et le Japon.
Ayant endurée une relation de vassalité vis-à-vis de la Chine pendant six siècles sous la dynastie Yi (1392-1910) suivie de l'annexion par le Japon impérial de 1910 à 1945, la Corée du Sud porte les séquelles de la bipolarité et de l'affrontement armé qui la dévasta dans les années cinquante, en aggravant sa séparation en deux régimes opposés. Cette opposition détermine en large partie les relations tripartites que la Corée du Sud entretient avec les États-Unis et le Japon.
L'évolution du Japon
Le gouvernement conservateur du Japon, dans un contexte de surenchères territoriales croissantes, vise un réarmement graduel du pays et est tenté de plus en plus par la promotion de l'objectif de réforme de la constitution, permettant à Tokyo de faire face aux menaces de la péninsule dans les hypothèses les plus diverses, qui incluent la Corée du Nord, le terrorisme international, la montée en puissance de la Chine et l'utilisation de l'espace à des fins offensives.
Sur une vision stratégique de la sécurité en Asie.
Questionnements et hypothèses
La constitution d'entités régionales fortes et, en Asie, d'un grand pôle de puissance asiatique pourrait-elle modifier en profondeur la morphologie du système international, préfigurant un duopole émergeant, Chine-États-Unis? L'assemblage des perceptions de l'Asie autour d'une vision asiatique de la sécurité, affranchie des États-Unis et en compétition avec eux, correspond il aux forces à l'œuvre dans l'Asie d'aujourd'hui, ou ne demeure-t-il qu'une hypothèse d'école?
La montée en puissance de la Chine et son nationalisme sourcilleux pourraient pousser les États-Unis et le Japon à expérimenter d'autres voies, plutôt que de rechercher une alliance stabilisatrice avec la Chine. Dans cette hypothèse, la mise en chantier d'une « alliance collective » entre les trois géants asiatiques, Japon, Inde et Chine, pourrait coexister avec le renforcement de l'Alliance entre le Japon et les États-Unis. Cette hypothèse aurait l'avantage de détourner le risque d'un conflit toujours possible entre Washington et Beijing.
L'utilité d'une approche régionale de la « sécurité collective » et, en particulier, de la relation de rivalité entre la Chine et l'Inde, est représentée par l'existence d'une longue ligne de frontière terrestre entre les deux pays, qui a été l'objet après la guerre-éclair de 1962.
Chine – États-Unis, un condominium géopolitique ?
Dans l'hypothèse d'un condominium Chine-Etats-Unis, un jeu très ambivalent caractériserait le rapport de voisinage entre la Chine et la Fédération de Russie.
Ce jeu a été qualifié par le « Centre européen pour la Réforme européenne de Londres », « d'axe de convenance1 », en raison du caractère atypique de la puissance russe et de la dissymétrie stratégique entre la Russie et la Chine.
Or ni l'une ni l'autre des hypothèses évoquées ne se dessinent dans le court terme en Asie Orientale ou Méridionale. Par ailleurs, du point du vue systémique, l'alliance américano-japonaise exerce une fonction de rééquilibrage sur les bordures péninsulaires de l'Eurasie, par le « containment » de la puissance terrestre chinoise à vocation hégémonique. Longtemps circonscrit, le danger de confrontations militaires réapparaît en Extrême Orient depuis 2012et ces zones de tension ne manquent guère de s'étendre à partir de l'Océan Indien, dont on dispute à l'Inde l'influence.
L'Inde, tournée depuis longtemps sur ses frontières terrestres (Pakistan-Chine), cherche à regagner sous influence dans l'Océan Indien face à l'offensive maritime et économique de la Chine, le long de la « Route de soie maritime», pour contourner le détroit de Malacca. Le premier ministre indien Narendra Modi a riposté à cette influence marquée par le développement de partenariats économiques et de défense (îles Maurice, Maldives, Seychelles, et Sri Lanka). En signe de cette volonté de recouvrer l'Océan Indien, M. Modi a déclaré que la première priorité de son gouvernement résidait dans la « responsabilité de former les contours du futur de l'Océan Indien » en soulignant par une interprétation originale du cœur du drapeau indien qu'il s'agissait d'une « révolution bleue ». Ainsi, au vue du système internationale, prend consistance l'idée philosophique de Hegel selon laquelle la dernière étape de la modernité occidentale n'est que le retour du vent, qui souffle de l'Ouest vers l'Est, de l'Europe vers l'Asie dans une direction opposée à l'Histoire du monde qui avait voyagé de l'Orient vers l'Occident à l'aube de l'Histoire de l'Humanité.
1 Axis of convenience: Mocsow, Beijin and New Geopolitics éd. Brookings and Chattam House, 2008