Le « Brexit », la Réforme de l'Union et la multipolarité
Modèles de gouvernance, interactions stratégiques et logique de risque*
Table des matières
Le Brexit et ses options. Une approche formelle
La réforme de l'Union et les trois types de gouvernance
La dimension Nord-Sud
Les trois modèles d'éxécutif européen. Equilibres et fonctions
Sur la logique du risque
Rupture ou adaptation?
Adaptation ?
Rupture !
*Ce texte fait suite à une série d'interventions et d'articles, répérables sur le site internet www.ieri.be
aux titres :
• Compte Rendu de la Vème Conférence sur la Sécurité Internationale des 27 et 28 Avril 2016 à
Moscou
• Le Sommet de l'OTAN à Varsovie (des 8 - 9 juillet 2016) et le Conseil OTAN - Russie à Bruxelles
(du 13 juillet 2016)
• Le triangle strategique Russie - Chine - États-Unis et la conjoncture internationale actuelle
Abstract
La sortie de la Grand Bretagne est examinée à partir des répercussions sur les nouveaux modèles de gouvernance de l'Union:
- celui d'un exécutif « Hard », ou d'un duopole imparfait (Fr+D)
- celui d'un exécutif « Soft », ou d'un unipolarisme souple (D)
- celui d'un exécutif « Flexible », ou d'un modèle multipolaire (Fr, D, It, Pl, Es)
On y passe en revue les caractéristiques structurelles et dynamiques (équilibre et fonctions) et on y dégage les jeux stratégiques de ces différentes conjectures. Ceci dans le cadre interne (par un questionnement sur la « rupture institutionnelle », ou sur « l'adaptation »), et dans le cadre international, en fonction des choix des acteurs, concernant la redistribution du pouvoir au sein d'une « Balance » planétaire de type multipolaire.
Le Brexit et ses options. Une approche formelle
La sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, comme acteur national essentiel, engendrera une série de répercussions, à caractère systémique :
- sur les nouveaux modèles de gouvernance de l'UE
- sur l'interaction stratégique entre acteurs majeurs de la scène mondiale
- sur la logique du risque politique, militaire et financier de l'ensemble occidental.
Ces repercussions peuvent conduire également à un séisme géopolitique prolongé : la dislocation du sous-système régional européen, car le retrait d'un acteur essentiel engendre instabilité et conflit.
En effet la défection d'un acteur étatique ne peut être compensée par un sous-système social, la « société civile », qui n'est pas inspirée par l'intérêt individuel d'un acteur national
a) La sortie de l'Union fait reprendre au Royaume-Uni son rôle traditionnel de balancier dans les affaires du continent, comme arbitre de ses équilibres politiques et militaires et comme garant de son ancrage dans le camp euro-atlantique.
En puissance océanique et nucléaire, la Grande Bretagne renforce également sa liberté d'action sur la scène européenne, à travers l'OTAN (balance régionale), et sur la scène mondiale, par le biais du Commonwealth (balance planétaire) et favorise indirectement une distribution du pouvoir plus large et plus souple, qui augmente les incertitudes et pousse à l'établissementl de nouvelles règles du jeu dans le domaine économique et financier.
Ainsi une conduite diplomatico-stratégique plus résolue et plus aventureuse vis-à-vis de la Russie aura pour effet de transformer la compétition existante en rivalité et le partenariat intergouvernemental, établi avec l'Union, en hostilité, voire en confrontation eurasienne et continentale.
b) l'UE, qui s'est révélée incapable de conserver sa cohésion interne, comme création hybride et identité cosmopolite, prend conscience, dans une conjoncture de fortes tensions internationales, de l’impossibilité pour une structure administrative de créer les conditions d'une unité politique et d'un leadership partagé.
De surcroît, elle est dans l'obligation de choisir entre un partenariat atlantique et un rôle planétaire d'acteur incomplet : la première option la place dans une position subordonnée vis-à-vis de la stratégie globale des États-Unis via l'OTAN, la deuxième dans une condition solitaire par rapport à une ré-configuration de son projet initial. Il s'agit là de la quête d'un espace de manœuvre plus autonome et plus indépendant, à obtenir par des ententes bi- ou multilatérales, avec une ou plusieurs puissances extérieures, eurasienne (Russie, Turquie, Moyen Orient,Chine)) ou extra-européennes (États-Unis).
Le but de la réforme de l'Union serait de reprendre son rôle de puissance d'équilibre dans le système global, lui empêchant de dériver vers un vide géopolitique entre l'Est et l'Ouest et d'interdire la constitution d'alliances défavorables à ses intérêts dans un monde multipolaire à forte compétition stratégique.
Par ailleurs un sous-système politique sans leadership ne peut se maintenir, car il est soumis à des forces centrifuges aboutissant à la désagrégation de l'ensemble.
La réforme de l'Union et les trois types de gouvernance
Dans cette situation, trois types de gouvernance européenne sont hypothisables pour l’émergence d'un exécutif central, adapté à cette nouvelle phase de la vie internationale:
- un exécutif « hard », fondé sur un duopôle imparfait, asymétrique et nécessairement élastique, autrement dit sur un centre de pouvoir d'impulsion et d'action à deux membres, dont un soit organisateur et directeur et l'autre légitimant.
Cet exécutif, aux ressources et capacités différentes, disposerait de protection dissuasive indépendante et de jeux d'influence coordonnés et repartis régionalement (Fr+D).
- un exécutif « soft », représenté par un unipolarisme souple, à prédominance allemande, mais soumis à une logique de compromis constant qui affecterait toute initiative d’envergure et toute projection extérieure.
- un exécutif « pentapolaire » ou « flexible », au pouvoir décisionnel faible ou affaibli par les variables de coalitions internes diversifiées (Fr, D, It, Pl, Es).
Du point de vue de la légitimité politique, la première figure d’exécutif serait oligarchique, la deuxième autocratique et la troisième polyarchique.
Dans les trois hypothèses, le régime démocratique serait sur le déclin et inadapté, car la différence entre les régimes politiques semble appartenir pour certains aux conjontures ordinaires et pas aux conjonctures chaotiques.
Au sein de l'ambiance extérieure et du système international, en sa configuration planétaire et multipolaire, ces trois expressions du pouvoir européen auraient à choisir entre une vision restreinte ou élargie du système mondial, en fonction des alignements de demain ou d'une guerre générale probable :
- une vision restreinte, fondée sur la « triade stratégique » États-Unis, Russie et Chine, sur des loyautes rigides et sur un système d'alignemet des intérêts, compétitif et hiérarchique.
- une vision élargie, appuyée sur des blocs régionaux, autorisant une liberté de manœuvre plus large, bien que conditionnée par des « limites » ou par des « combinaisons variables ».
Il s'agirait dans ce cas d'un type d'association ambigue, mi-coopératif, mi-conflictuel.
Les limites de ce type d'association seraient constituéèes par un mix d’intérêts géopolitiques globaux et de valeurs ou principes nationaux ou universels.
Si l'on prend en considération les grandes orientations de la politique mondiale et l'on tient compte de l’évolution probable du monde, l’exécutif européen aurait a trancher sur des options à large spectre entre interventionnisme, attentisme ou isolationnisme, aux différentes issues et espoirs du gain. Par ailleurs, à l'ère de la balistique et de l'atôme, le recours aux alliés pour rétablir des équilibres compromis, appartient à l'époque ante-nucléaire et n'exige nullement la défaite des forces armées de l'adversaire.
La dimension Nord-Sud
Cependant, l'engagement européen fera ses épreuves obligées dans la dimension Nord-Sud, autrement dit dans une relation de jonction et de crise entre deux sous-systèmes régionaux (Europe-Méditerranée-Golfe), une relation de crise identitaire, fusionnelle ou d'endiguement, avec l'Islam et les puissances islamiques. Cette dimension est à considérer considérer comme un système sociétal et politique antagoniste et alternatif.
Cet engagement ne pourrait être assumé individuellement, mais seulement sous forme collective ou d'alliance, après avoir établi les critères de stabilité atteignables au niveau régional.
En effet, la préservation de l’équilibre de forces dans hémisphère Nord, entre puissances majeures de la planète demeure un préalable à tout engagement. Ce dernier aurait pour but de distinguer dans l'Islam ses trois expressions conjointes:
- d'une religion politique universaliste
- d'une structure étatique supra-nationale et multi-ethnique (Califat)
- d'un ordre international, visant le « déséquilibre permanent », comme mouvement fidéiste et conquérant *.
La ré-assurance de sécurité, pour le cas d'affrontements prévisibles et destinée à intervenir dans des crises prolongées ou des conflits ouverts, internes ou extérieures, exige un choix de système d'ordre civilisationnel.
*Ce "déséquilibre" procéderait par étapes successives ou par vagues, allant du royaume de "Al Islam" (la station de la paix ou de l’équilibre), à celle de "Al Harbi" (posture du déséquilibre et de la guerre), par un moyen de transformation et d'affrontement, selon le principe d'un ordre supérieur et seul légitime, le Djihad, incompatible, par son essence universaliste, avec le principe d'ordre inter-étatique d'empreinte westphalienne, fondé sur le respect de la souveraineté et la non-ingérence.
Les trois modèles d'éxécutif européen.
Equilibres et fonctions
En revenant à la figure de l’exécutif européen « hard » ou « bipolaire souple», ce type de pouvoir est fondé sur la distinction entre les deux fonctions, de légitimation (FR) et d'organisation hiérarchique et capacitaire (D).
Les mutations internes de structure politique y seraient limitées et l’intégration hiérarchique comporterait une extension fonctionnelle aux ressources, sans exclure des formes d’adhésion ou de coopération complémentaires et ultérieures et sans faire disparaître les nations et les pouvoirs indépendants. Il s'agirait dans ce cas d'un type d’exécutif supranational à caractère confédéral, qui se situe, comme sous-système régional, entre le système international de l’équilibre des XIX eme et XX ème siècles, constitué par des acteurs nationaux essentiels et le système international universel d'aujourd'hui de type multilatéral (Nations Unis), issu de l’idéalisme wilsonnien après le collapse du concert européen des entre-deux guerres mais incapable d'assurer un ordre régional quelconque.
Les marges d'initiative et de manœuvre de ce type d’exécutif seraient plus importantes des autres figures d'organisation politique, car leur fonction historique consisterait à préserver l’indépendance et la souveraineté de l'ensemble continental en crise:
- en européanisant l'OTAN
- en réintégrant la Russie dans l'architecture européenne de sécurité
- en jouant à un équilibre des forces, à caractère multipolaire et tout premièrement eurasiatique, pour éviter ou limiter les conflits systémiques ou globaux, induits par l'acteur hégémonique extérieur (USA) et visant à éliminer son rival (Russie).
L'unité allemande issue de la chute du Mur de Berlin et de l’évolution conjointe du système international et de l'Union Européenne, suggère davantage ce type de formule comme remodelage souhaitable du pouvoir en Europe.
L’exécutif « soft » correspondrait en Europe à une forme d'unipolarisme imparfait, à prédominance allemande et comporterait une latence d'oppositions internes inexprimées mai réelles.
En effet, la « limite » de ce type d’exécutif serait constituée par la préoccupation des membres de la confédération européenne des États, de faire barrage à un exécutif fort par une coalition ou une opposition de bloc, diversifiée et variable. Cette opposition se manifesterait à l'occasion de tout effort ou de toute tentative allemande d'assumer une position prépondérante de type permanent ou structuré. Elle pourrait conduire à la désagrégation de l'unité et à redessiner le pouvoir régional, remettant en cause les relations entre sous-systèmes régionaux extérieurs, par une politique d'alignement divergente ou déviante (Eurasie, Moyen Orient, Chine et Amériques).
L’exécutif « flexible » ou « pentapolaire » (D, Fr, It, Pl, Es) correspond à une forme démocratique ou égalitariste du pouvoir et des relations de puissance à souveraineté multiples, par leur nature hiérarchique. Ainsi il serait paralysant, trop faible ou intempestif vis-à-vis des menaces, en raison du partage inégal des risques et des intérêts contradictoires de ses membres et ressemblerait plutôt au Saint Empire Romain Germanique remis à l'ordre du jour par l'histoire. Il manquerait des capacités de conception et de vision communes et ferait apparaître des clivages importants dans la définition des relations indépendantes et dans l'action de rééquilibrage avec la Russie, ainsi que dans la reconstitution d'un équilibre eurasien acceptable. Il favoriserait ainsi, dans les moments cruciaux, la discorde intergouvernementale et l’intrusion d'Hégémon.
Face au joueur russe, qui maîtrise l'ensemble de pièces sur l’échiquier de négociations aussi bien économiques et commerciales, que géopolitiques et stratégiques et qui demeure soucieux de défendre ses intérêts nationaux, privilégiant les rapports de forces et n’hésitant pas à adopter des positions dures dans les relations internationales, ce type d’exécutif serait constamment en panne d'initiatives et incapable de calculs stratégiques à long terme.
L'influence de discordances idéologiques des partenaires européens et les divisions entre l'Est et l'Ouest, apparues à propos de migrants et de préoccupations ethniques et religieuses dans la lutte au terrorisme international, approfondiraient les disparités existantes. Les uns considéreraient l'immigration et les stratégie d'accueil comme inconcevables et destabilisantes et les autres comme compatibles et démographiquement souhaitables.
On rajoutera une divergence sécuritaire majeure quant à la « dimension septentrionale » de l’Union Européenne et au « roll-back » de l'OTAN, régulièrement dénoncé par la Russie.
L'espace baltique, la crise ukrainienne, les provocations du « regime change », les menaces balistiques des BAM, les prépositionnements militaires couvrant les frontières russes de la Lituanie à la Géorgie jusqu'au Caucase, rajouteraient de l’intrusion et du risque.
En témoigne la publication du nouveau « Livre Blanc » sur la sécurité de la République Fédérale d'Allemagne, qui traite désormais Moscou d'« adversaire », plutôt que de « partenaire » et considère que la Russie « se détourne de l'Europe, renforce la compétition stratégique et intensifie son activité militaire près des frontières avec l'Union Européenne ». Selon ce document, pour l'Allemagne qui doit faire face à dix menaces conjointes, « la Russie continuera de présenter dans un proche avenir, un défi pour notre continent ». Ainsi et pour conclure, un exécutif flexible, dépourvu de leadership institutionnalisé et soumis à des jeux de coalition internes variables, représente l'instrument le moins approprié pour traiter les relations internes de l'UE et pour trouver des solutions à la sécurité du continent, dans le système international multipolaire porté à l'extension des antagonismes, y compris nucléaires à tout le système, de manière uniforme.
Au courant de la nouvelle « guerre froide », conséquente à l'hétérogénéité des systèmes politiques et des pôles de pouvoir et ouverte par le coup d'État de Maïdan et le retour de la Crimée à la Russie, la pratique des alliances dépend en large partie des ressources politiques et militaires et la diplomatie d'un « linkage horizontal », permettant de jouer aux crises croisées sur plusieurs théâtres de conflit, par une forte interaction stratégique. Une aggravation du climat politique international en résulterait de manière inévitable.
Simultanément, les systèmes balistiques et nucléaires mis en place, disposant de capacités qui vont de la dissuasion totale à la dissuasion minimale, dite du « faible au fort », compliquéraient la prévisibilité des initiatives adverses.
Dans ce cadre, les crises peuvent-elles représenter une occasion pour tester une plus grande cohésion au sein des alliances sur lesquelles fait prise l’interventionnisme des puissances majeures ? L'expérience prouve que « la paix grace à la crise » ne peut représenter une solution, tout comme un bond dans l'inconnu ne peut être une chance pour un alpiniste au bord du gouffre.
Dans le monde actuel et à l’échelle globale, la variante des « systèmes de blocs instables » est représentée par la prolifération nucléaire incomplète.
Ainsi, le passage d'une situation bipolaire à une configuration multipolaire de l'environnement stratégique implique que la permanence d'une confrontation périodique renforce la cohésion des alliances, rendant plus stables les formes d’équilibre existantes dans un système bipolaire. La multipolarité augmenterait les incertitudes et compliquerait les combinaisons possibles au sein des alliances établies.
Or, lorsque les menaces et les adversaires sont multiples, il est difficile d'atteindre une quelconque unité d'action entre les États d'une même coalition.
Dans le cas de l'Europe, la difficile recherche de cette unité à été l'objet du Sommet de l'OTAN à Varsovie.
À ce propos, la défection d'un quelconque État (« Brexit »), pourrait avoir une importance considérable sur l’équilibre des forces, qui serait soumis à la recherche de moyens de compensation (ex. relance économique ou réarmement).
Sur la logique du risque
En termes de « risque », le développement du jeu stratégique entre adversaires potentiels, dans le cadre d'une structure de compétition à deux pôles, ne serait plus le même dans le cadre d'un échiquier multipolaire.
Les craintes réciproques, découlant du calcul d'attaquer en premier son adversaire ou de ne pas l'attaquer, engendrerait une situation de « stress » qui pousse l'attaquant à préférer la guerre préemptive à une guerre lancée par l'adversaire.
Dans un duel à plusieurs joueurs pour la suprématie mondiale, l'exigence d'un exécutif européen fort et proactif devient un facteur décisif existentiel et un élément important de négociation ou d'amoindrissement du risque, compte tenu des deux menaces qui pèsent sur l'Europe, sub-étatique, terroriste et sociétale la première, inter-étatique, pluripolaire et géopolitique la deuxième.
L’hypothèse d'une « guerre hybride » qui est la forme combinée de cette menace binaire pesant sur les pays européens de l'Ouest, cette forme de conflit s'inscrirait comme un guant de velours dans l'état de décomposition des sociétés occidentales et d'une crise interne majeure affectant l’ « être » national (ex. guerre civile), en complexifiant les ripostes de survie et les « purges » anti-terroristes, stabilisatrices de l'organisme social, tant au niveau infra que trans-étatique.
Ce type de conflit, de type fusionnel, hybridant la guerre conventionnelle, irrégulière et civile, puissamment actées par la cyberguerre et le terrorisme islamiste s’étendrait à la guerre psychologique, subversive et d'intelligence, préparée et suivie par une immense manipulation de masse. Une manipulation qui à déjà commencé, car elle vise à faire accepter à des populations rétives l'inacceptable, la perte de leur identité et la soumission à une subculture tribale hostile et historiquement incompatible.
Rupture ou adaptation?
Adaptation ?
L'Europe, après une succession ininterrompue de crises a-t-elle atteint un seuil de rupture, qui reste à consommer, marquée par des fortes tensions sociales et politiques et par une situation de violence latente, définie par certains, de pré-révolutionnaire ?
Quel type de liaison existe-t-il entre la crise économique et financière de 2008, la dette grecque irrésolue, le rejet de la mondialisation, le malaise social et l'absence de reprise économique, l’impraticabilité du multiculturalisme, l'incompatibilité de l'Islam en ses différentes solutions, l’impossible intégration des migrants et le déni de réalité de la part des classes dirigeantes ?
La guerre hybride ukrainienne de 2014, les attentats du terrorisme islamique en France de 2015 et 2016, la politique d'ouverture aux réfugiés d’août 2015 et les accords Erdogan-Merkel sur le contrôle des flux migratoires sont-ils des moments isolés et sans connexion entre eux ?
Peut-on expliquer le coup d'Etat contre Erdogan et le rapprochement Ankara-Moscou par la seule soumission à la politique américaine et la crise du régime démocratique, encourageant encore davantage la désaffection diffuse du projet européen ?
Faut-il oublier l'interventinnisme actif d'Hégémon et ses savants mélanges de desseins géopolitiques et d'encouragements au « regime change » ?
La nouvelle incompréhension Est-Ouest et le fossé permanent entre Nord et Sud ont fait atteindre un seuil de rupture et une situation de tension et de confrontation sociale et politique à la relation entre la « vieille » et la « nouvelle » Europe. Or, pour l'ensemble de ces phénomènes les gouvernements n'offrent ni de solutions ni de projets et l’Union n'a pas de Plan B pour l'avenir.
L'acceptation de la tutelle américaine, l'inertie des classes dirigeantes du continent, intellectuellement épuisées par la lutte au communisme qui les avait laissé sans rêves, sans idées, sans vision et sans stratégie à long termes, se reflète par la prédominance des États-Unis et par une évaluation de leur propres impuissances, quant au diagnostic du paysage sécuritaire et stratégique dans le monde, en même temps que de leurs impératifs de survie.
L’Europe, qui avait renoncé à la guerre comme instrument de règlement des différends infra-européens, réintégra l'Allemagne dans le jeu de la politique continentale en réarmant celle-ci au sein de l'OTAN. Dans les années 1990 la réunification du « Mittel Lage » après la chute du Mur de Berlin, sonnant le glas des pays communistes de l'Est, puis de l'Union Soviétique, ne comporta pas l'intégration de la Russie, qui avait cessé d’être l'ennemi, dans le concert européen. Par myopie politique et par faute stratégique l'Europe appuya les « révolutions de couleurs », qui compromirent les relations politiques avec la fédération russe.
S'estimant un « pôle de stabilité » consolidé, l'Europe ne bâtit pas sur cet acquis une conception large de la paix et de la co-prosperité eurasienne avec Moscou, orientant l’évolution vers une multipolarité favorable à ses intérêts bien-compris et au développement de l’immense potentiel eurasien.
L'acceptation de la prédominance américaine ne put se traduire par une adaptation de la démilitarisation du continent autour d'objectifs planétaires à long termes, concentrant les pays européens sur d'autres éléments clés d'une stratégie globale de l'Europe, à la taille de ses responsabilités, de ses capacités et des besoins du monde.
Les aspects plus évidentes de sa sécurité ne furent pas conçus comme dissuasifs par rapport à des puissances virtuellement rivales ou hostiles. Elle ne développa pas également un pouvoir militaire indépendant, renforçant ses capacités conventionnelles, nucléaires et spatiales.
D'acteur de premier rang de la vie internationale qu'elle avait été tout au long de l'histoire pendant quatre siècles, l'Europe est devenue progressivement un objet insignifiant du jeu des puissances mondiales.
L’évolution de l'Europe et de l'UE pendant la guerre froide, insularisa le continent au sein de duopole de puissance russo-américain, au lieu de le transformer en troisième force, comme la conçurent les Pères de « l'Europe des Patries », en opposition aux fauteurs de intégrationnisme atlantique. L'adaptation de la reconstruction du continent pendant la longue période de la confrontation idéologique, allant de 1945 aux années 1990, fut une reddition peu contestée aux priorités américaines. Par rapport au premier conflit mondial, l’effondrement européen de la deuxième guerre se révéla plus profond que prévu, car il affecta l'esprit national commun des différents pays, le « Geist » européen, plus encore que les cultures nationales, c'est à dire la personnalité et la « volonté d'être » de toute une civilisation.
Ce qui fut distinctif d'un long héritage, la symbolique de la grandeur et de la conquête, devint banalisé, rabaissé et anéanti.
Le temps est ainsi venu de revenir à l'analyse des grands enjeux de la politique mondiale et à l'amoralisme de la tradition réaliste dans le combat contre le fanatisme et l'immoralité de l'islamisme. Cette analyse n'exonère pas d'un bilan du projet européen, qui a échoué dans son but et dans sa promesse, consistant à résoudre l'antinomie théorique et factuelle entre l'Histoire violente et l'idéal pacifique, autrement dit entre le problème mchiavelien des moyens légitimes et le problème kantien des finalités étiques.
Rupture !
Dans la redéfinition de son rôle dans l'ordre européen et mondial, qui ne manquera pas d'avoir des répercutions de grande portée sur le continent et sur la redistribution du pouvoir en Eurasie, les institutions européennes, actuelles ou reformées et les pays membres de demain pèseront dans la balance planétaire en fonction de choix dissonants.
Ces derniers peuvent être ainsi résumés :
- reformer en profondeur l’Union et continuer de s’aligner sur la politique américaine et sur une alliance atlantique européanisée.
- s'adapter au retour de la Russie, en l’intégrant dans une architecture de sécurité renégociée en termes de zones d'influence et de pôles de pouvoir bien identifiés.
- s'appuyer sur des politiques étrangères nationales concertées, en tenant compte des intérêts communs et individuels et de la considération que dans la pluspart des cas la menace anti-force démeure la plus probable et la plus crédible.
- faire reposer la sécurité du continent sur une évaluation autonome de la réalité et sur un calcul, mis à jour périodiquement, de l’équilibre global, sans se contenter des ambiguités de la dissuasion et des assurances et des promesses d'Hégémon, en s'adaptant au déplacement de l'axe de gravité des tensions et du potentiel de conflit vers l'Asie Pacifique.
Cette attitude préservera la personnalité, l'identité et l'homogénéité culturelle et civilisationelle, élaborées par l'Europe au cours des millénaires.
L’évolution de ces transformations internes et internationales, nous dira si ce renouveau se fera par une rupture du « status quo » ou par une adaptation douloureuse de la paix civile et de la diplomatie, par le droit, la morale ou l'idée.
A un regard lucide de la situation actuelle et de la conjoncture globale, les politiques d'adaptation semblent avoir rendu leur âme et le concept et les forces de rupture avoir pris le dessus sur le côde non écrit de la légalité et de la légitimité dans l'usage de la force, en imposant leurs ambitions, leurs buts et leur soif de changement.
Au XXI ème siècle, le rêve d'un nouvel ordre mondial reprend cependant son souffle, sous les turbulences d'une perspective globale, menaçante et assombrie par le risque d'un recours à la violence paroxistique entre unités politiques en compétition permanente.