REPRINT ÉTÉ 2018
TABLE DES MATIÈRES
(Reprint littéral de la rédaction de 2014)
- INTRODUCTION
- DE QUELLE EUROPE PARLONS-NOUS ?
- A. L'EUROPE DE L’INTÉGRATION ET DU FÉDÉRALISME INTÉGRAL
- B. « L'EUROPE DES ÉTATS-NATION » ou « L'EUROPE DES PATRIES »
- QU'EST-CE QU'UNE EUROPE POLITIQUE?
- UNE AUTRE IDÉE DE L'EUROPE
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INTRODUCTION
Ayant eu toujours comme référence l'histoire du temps présent et comme fil conducteur celui de la conjoncture mondiale actuelle, j'ai donné le titre « L’Europe et le système international » à l'un des textes, pour deux raisons principales.
La première est d'ordre intellectuel et de nature épistémologique et vise à identifier l’unité analytique fondamentale des relations internationales, à savoir si cette unité est l'acteur étatique ou le système planétaire. A cette question primordiale, j'ai répondu par le choix du système comme critère d'intelligibilité premier et déterminant. Or l’unité du système est assurée par son processus de transformation permanente, la politique globale, qui est la véritable « anima mundi » du système.
La seconde raison est d'ordre générationnel et de nature existentielle. Elle est constituée par l'utopie de l'unité politique de l'Europe. Cette aspiration a été une flamme rationnelle qui a solidarisé l'espoir de plusieurs générations d'hommes et les a poussé à l'action et, aujourd'hui, à un bilan critique.
Le deuxième titre « Six Études sur les équilibres internationaux » est ponctué par la lecture de six conjonctures historiques concernant la scène européenne et mondiale à partir de la Renaissance. Sont pris en considération dans ces six essais les rapports d'équilibre qui président aux relations de sécurité et d'alliance, garantissant la paix dans le cadre de rivalités changeantes et face à l'hétérogénéité des acteurs, des situations et des constellations diplomatiques.
Cependant, ces deux publications partent d'une préoccupation commune, celle de la sécurité.
La sécurité et les nouveaux paradigmes structurants
La sécurité est le principe ordonnateur central de tout système international et sa remise en cause engendre une crise ou une série de crises en chaîne. Or, depuis 1991, un mélange inconciliable d'intérêts et de valeurs a provoqué en Europe et dans le monde des dynamiques conflictuelles difficiles à maîtriser et celles-ci ont imposé une relecture du système international issu de la fin de la bipolarité.
Cette relecture a pour but de mettre en valeur le caractère normatif et contraignant des nouveaux paradigmes structurants :
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L’Eurasie à la place de l'Europe
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L'anarchie au lieu de l'intégration.
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La définition des « intérêts vitaux » à la place d'une idéologisation des valeurs (la démocratie et les droits de l'homme)
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L'absence de leadership européen (et conjointement américain) et la transition au sein de l'UE d'une logique de négociation permanente entre États-membres à une phase d'équilibres de compétition.
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De surcroît, le délitement des alliances et des unions permanentes et principalement de l'Alliance atlantique et de l'Union Européenne
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Au plan systémique, la redistribution mondiale de la puissance (devenue relative) et l'organisation tendanciellement multipolaire de la scène internationale.
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Enfin, le retour de la guerre en sa forme hybride et la radicalisation de la violence
Changements de paradigmes et leurs répercussions géopolitiques et stratégiques :
deux identités et deux stratégies de l'Occident
Les changements des paradigmes du système international et en particulier du premier, « l'Eurasie à la place de l'Europe » ont engendré deux répercussions et donc deux stratégies de nature identitaire poussant à la distinction entre les deux Occidents, l'Occident européen et l'Occident américain. A la base de cette distinction se repèrent deux ordres de considérations :
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Le premier vise à faire de l'Europe une puissance d'équilibre et pas seulement de « statu quo » sur la scène internationale et à assurer à l'Europe une profondeur d'alliances dynamiques et fortes.
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Le deuxième consiste à favoriser la réinsertion de la Russie dans l'ordre continental de sécurité car celle-ci a changé de statut depuis l'effondrement de l'URSS.
L'amplification des préoccupations de stabilité
L'amplification des préoccupations de stabilité acquiert une signification particulière aujourd'hui en raison de la montée en puissance de trois continents (Asie, Afrique et Amérique latine) et du déplacement de l'axe de gravité du monde vers le Pacifique et l'Océan Indien, qui demeure le nouveau pivot des mers.
Depuis vingt ans, les élargissements de l’OTAN ont dissous la confiance, en Europe, entre la Russie et l’Alliance Atlantique. Pour Moscou, la logique de la double extension, de l’OTAN (par son soutien aux révolutions de couleur à l’instar de l’Ukraine et la Géorgie) et de l’Union européenne (avec le partenariat oriental), a remis en cause les intérêts de la Russie sur son environnement historique.
Avant d’aborder le thème des relations euro-atlantiques, une interrogation domine les rapports européens et euro-américains, et celle-ci peut être formulée de la manière suivante : « La Russie est-elle un rival ou un partenaire stratégique ? »
L'ennemi et les buts historiques de l'Occident
L'aspect principal de la nouvelle conjoncture politique est la réapparition de la figure de l' « ennemi » comme référence obsédante des relations Orient-Occident et Est-Ouest, autrement dit comme expression de l'Islam radical et comme retour de la Russie par la politique de balancing mondial et par la réorientation multipolaire des USA vis-à-vis de Moscou.
L’ennemi n’est pas toujours l’agresseur au sens de la logique juridique, pénale et criminelle du droit public international. L’ennemi est l’incarnation d’un danger ou d’un risque politique objectif, la source et le présupposé de l’agression, le perturbateur de demain.
DE QUELLE EUROPE PARLONS-NOUS ?
En revenant à l'Europe et à la crise de l'Union Européenne, de quelle Europe parlons-nous ?
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De l'Europe de l'intégration,
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de l'Europe des États-membres ou des États-Nation,
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ou encore de l'Europe des opinions et des idéologies mondialistes (multilatéralistes, humanitaristes, écologistes, néolibérales...).
A un moment où l'impasse des doctrines et des pratiques sur lesquelles s'est bâtie l'Union Européenne, est sous les yeux de tous, une réflexion s'impose sur une autre idée de l'Europe ou sur une autre trajectoire de celle-ci.
Le but, dont il est ici question, est d'identifier dans le débat d'aujourd'hui le fondement de base de toute construction politique, celui de légitimité, de souveraineté et de leadership, disposant d'une capacité d'agir sur la scène planétaire. Une scène où, par son imperfection principielle, le droit international public ne dispose ni de juges ni de police et où toute promesse de sécurité collective est aléatoire.
Étant inconcevable de revenir à la situation antérieure à mars 1957 (Traité de Rome) et de dissoudre ou de paralyser les institutions de l'Union Européenne, trois problèmes demeurent prioritaires :
– la constitution d'un leadership européen, disposé a agir.
– l'association de « cercles d’États » voulant instaurer entre eux des « coopérations structurées »,en renonçant au rôle de spectateurs de la vie internationale.
– l'impératif d'une géopolitique mondiale active et d'une Realpolitik énergique et lucide, à partir d'une autre idée de l'Europe.
Le but en est d'identifier le rôle du continent, dans un monde turbulent, où la guerre ne peut être toujours exclue.
En effet, au sein d'un système international, la fonction traditionnelle des alliances demeure plus importante que celle de l'intégration. Et cela afin de dégager un système efficace d'équilibre des forces qui, ne pouvant pas surmonter l'hétérogénéité des nations, est le seul en mesure de limiter les conflits. Conflits, qu'aucune légitimité universelle et qu'aucun système d'intégration ou de sécurité collective, ne pourront exclure, ni de la conjoncture actuelle, ni du cours futur de l'Histoire.
En ce qui concerne l’Europe, qui a inventé tous les concepts-clés de la vie inter-nationale, la souveraineté, l’État-nation, l’équilibre des forces, l’empire universel et la « jealous emulation » ; elle demeurera le seul ensemble du monde moderne à ne jamais avoir connu de structure politique unifiée.
Cela sera l’affaire européenne majeure de notre siècle et son issue influencera en profondeur l’état du monde, la distribution de la puissance et le destin de l’Occident.
A. L'EUROPE DE L’INTÉGRATION ET DU FÉDÉRALISME INTÉGRAL
L'aspect le plus visible du processus d'intégration est la permanence des nations et donc une dualité des objectifs et des politiques, dont les mots cachent à peine la diversité substantielle: « gouvernabilité » classique et périlleuse pour les États et les nations, naviguant toujours au cœur de parcours parsemés de rivalités et de guerres, et simple « gouvernance » pour les institutions régionales et mondiales de régulation, visant l'établissement des normes communes d'une société mondiale supposée coopérative.
A partir de la fin du deuxième conflit mondial se fit entendre un état d'esprit se voulant novateur et remontant à Proudhon, la mouvance fédéraliste, et dans son aspect plus ambitieux, le « fédéralisme intégral » d’Alexandre Marc, de Denis de Rougemont, Robert Aron et H. Brugmans, pour qui, au-delà des structures de l’État-Nation, les sociétés humaines continueraient à être encadrées par d'autres solidarités, s'ouvrant sur d'autres communautés politiques, plus vastes et mieux adaptées à notre temps.
Le stato-nationalisme, dans l'optique fédéraliste d'A.Marc, achève en effet la Nation, au sens où il substitue à la structure naturelle, organique et hiérarchique de la nation celle décentralisée et plus proche des citoyens de la fédération et de ses corps intermédiaires.
Se conjuguent ainsi avant l'émergence des institutions européennes, deux courants spiritualistes et idéalistes, le « cosmopolitisme » et le « fédéralisme intégral », auxquels se joignera une tendance intégrationniste et fonctionnaliste transnationale, allant de Monnet, à B. Haas puis à K. Deutsch. Peut-on dire désormais de la tradition stato-nationale, plusieurs fois séculière, qu'elle a reçu un coup de grâce définitif et mortel ? Le processus d'intégration a voulu substituer aux déterminismes traditionnelles de l'intérêt national et de la sécurité, ceux de la paix et du bien-être et l'intégration s'est dessinée comme une première étape vers une vision des relations internationales remodelées par la coopération, au lieu de l'état de nature et de l'anarchie.
Le dilemme de notre époque est encore le même: Communauté intégrée ou Confédération d’États ? Europe intégrée et dépolitisée ou « concert européen » à peine déguisé ? Europe fédérale sans fédérateur ou équilibre asymétrique au sein d'une Union nécessaire, mais en dehors d'une unité (actuellement) impossible ?
Dans un monde qui demeure aléatoire et périlleux, où le « Soft » représente la supériorité des moyens sur la fin, le « Hard » arrive toujours au galop et de manière brutale. Face à ce danger il manque, pour y faire face, une idée spirituelle et politique de l'Europe, une idée de « sa nécessité » dans le monde et pour le monde.
La stratégie de substitution de Jean Monnet et le modèle bureaucratique
Ainsi la pratique d'intégration fonctionnelle aboutissant à une « stratégie de substitution » prônée par Jean Monnet ne fut rien d'autre qu'une « stratégie d'occultation » de la réalité mondiale. De plus, dans la mesure où les problèmes de fond, étaient d'une toute autre ampleur, cette stratégie fut objectivement une « stratégie de diversion ».
Dans ces conditions le « modèle bureaucratique », qui est à la base du fonctionnement de « l'eurocratie », une monarchie sans peuple, devient un enjeu de pouvoir que les nations s'efforcent de contrôler, ou du moins d'influencer. Cela dit ne pouvant pas devenir un acteur politique à part entière, la structure bureaucratique, prolonge la tradition absolutiste par la tyrannie des facteurs socio-économiques, secrète elle-même des « intérêts propres » et tend à s’intéresser à sa propre survie et à s'étendre, en étendant ses propres compétences et pouvoirs.
B. « L'EUROPE DES ÉTATS-NATION » ou « L'EUROPE DES PATRIES »
L' « Europe des Patries », en elles-mêmes intemporelles, est à l'opposée de l'Europe des «opinions», par leur nature éphémères et de celle des « idéologies », conjoncturelles et mortelles, ou encore de l'Europe de l'intégration, en quête de ''citoyens'' et de « société civile », la société des intérêts corporatifs qui s'opposent à l'intérêt général.
En effet, l'acte fondateur capital des institutions européennes, incapables de naviguer dans les eaux profondes de la politique mondiale sans un leadership partagé, fut la signature du « Traité d'amitié et de coopération » ou « Traité de l’Élysée » du 22 Janvier 1963, entre de Gaulle et Adenauer, après le point de départ de 1957. Acte historique, sans lequel l'Union Européenne aurait peiné à exister et le processus d'intégration à se poursuivre.
« L’Europe des États-Nation » ou l' « Europe des Patries », d'inspiration gaullienne, se voulait d’abord une troisième force, indifférente aux idéologies et régimes politiques rivaux, qui se disputaient la scène du monde , refusant la politique de tension de la Guerre Froide, prônant un rapprochement des deux systèmes hostiles et des deux Europes, en recommandant une ouverture prudente à l'Est et l'effacement du rideau de fer.
Sa supériorité de vision était fondée sur la géopolitique de la balance mondiale, une vision qui fit défaut aux intégrationnistes de tous bords, auxquels la technicité des taches de gestion ordinaire, interdisait de comprendre l’universalisme de la politique globale et la résistance des nations, comme unités de base d’un système planétaire.
« L’Europe Européenne » ou « l’Europe des Patries » s’inscrivait dans un système de forces et dans un système de rivalités, dans lequel l’avenir avait encore besoin du passé, sans brouiller les repères historiques, identitaires et culturels des peuples du continent.
La survie des États-Nations
En réalité la survie des États-Nations, même transformées par le processus d’intégration, posait et pose à l’Union Européenne trois problèmes majeurs, qui méritent un examen critique et un bilan d’étape, théorique, historique et stratégique.
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Le premier concerne l’hypothèse aronienne et bien connue : « Peut-on aller au-delà de l’État- Nation ? » Cette hypothèse a pour objet une analyse de la notion de souveraineté et de sa permanence essentielle
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Le deuxième concerne la communauté juridique des Nations et le multilatéralisme, qui ont leur expression supranationale et universelle dans l’organisation de sécurité collective des Nations Unies, référents de la légitimité internationale et foyers de la légitimation politique.
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Le troisième : l’économie mondiale, ou le processus de mondialisation en cours, ou encore la tendance à une interdépendance planétaire sans cesse accrue.
Cette interdépendance ne comporte pas seulement un « Linkage horizontal », mais implique aussi une interaction verticale et transnationale influente.
La Nation et l'Europe
Or, la « Nation » en Europe n'est plus aujourd'hui la solution à tous les problèmes, mais demeure «le problème » d'une Europe et d'une Union, qui n'existe pas encore politiquement « par elle-même et pour elle-même ».
Une nation historique vit dans le temps, par ses symboles et par ses mythes. L'ordre symbolique est l'ordre de l'imaginaire collectif. C'est la raison pour laquelle toute révolution abat les monuments et efface les souvenirs.
En Histoire, c'est toujours sur un sol symbolique que se décide le sort du monde.
QU'EST-CE QU'UNE EUROPE POLITIQUE?
Face à ces constats, mais également à ces évolutions, quelle signification peut avoir la définition abstraite d'« Europe politique », sinon celle d'un but final évident mais lointain ?
Pour en comprendre les enjeux, commençons par la question centrale et cruciale: « Qu'est-ce qu'une Europe politique ? »
C'est tout d'abord une Europe qui pense « sa raison d'être dans le monde, par elle-même et pour elle-même » ( Ch. De Gaulle), qui conçoit un grand dessein comme un impératif primordial, tout particulièrement en matière de défense, de sécurité et de politique étrangère.
C'est donc une Europe qui dispose, en dernière instance, de l'emploi « d'un moyen spécifique: la force physique » et donc « du monopole de la force physique légitime » (Max Weber). Cela demande une issue continentale et unitaire à son parcours et à son évolution.
En deuxième lieu, c'est une Europe qui compte sur une hiérarchie et donc sur un « leadership » reconnu, articulant la « verticale des responsabilités », en une série de cercles de nations, différenciées entre elles.
Cette Europe avec leadership, s'oppose à la démocratie égalitariste, autrement dit, à l'Europe « puissance civile », liée à la défense du « statu quo », constamment remis en cause dans une scène internationale secouée par l'irrationalisme éthique du monde. A partir de l'expérience séculaire de l'Histoire, décideurs et stratèges savent pertinemment que la sphère de la politique est un maillage, dans lequel se nouent et se déploient des rapports de force (Macht), des rapports de domination (Herrschaft), ainsi que des rapports de compétition et de lutte entre individus, groupes, classes, ethnies, peuples et nations, autour de trois grands enjeux : l'idée, l'ambition et la puissance.
Et enfin, l'Europe politique, c'est une Europe définie par l'espace, dans des frontières résultant d'une « géographie choisie » et donc d'une géopolitique.
Et enfin est politique une Europe qui sorte définitivement de toute tutelle stratégique et d'un monde tenu dans une seule main, d'un seul centre de pouvoirs, d'un seul centre de forces et un seul centre de commandement et de décision. Qui se démarque des perspectives régionales ou mondiales d'autres acteurs hégémoniques ou missionnaires. Telle est la définition d'une Europe politique, une Europe du renouveau et, en tant que telle, d'avenir.
Dans l'ordre de la logique citoyenne et de la cohésion sociale, c'est une Europe des devoirs, plutôt qu'une Europe des droits et des intérêts corporatifs ou sectoriels. Car un acteur politique est tel, quand il acquiert la conscience que le premier devoir du politique est de défendre ses « propres raisons-d'être », celle de ses intérêts et des identités historiques de ses peuples, et cela jusqu'à l'utilisation de la force.
C'est pour terminer une Europe qui repose sur l'unité conceptuelle d'un nouveau paradigme, l'Eurasie, unité géographique et stratégique majeure, car elle demeure le grand balancier du pouvoir mondial.
Ce paradigme détermine la politique étrangère, de sécurité et de défense de l'UE et, à l'échelle globale, celle des puissances majeures de la planète, les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde.
UNE AUTRE IDÉE DE L'EUROPE
Une Confédération des nations et une intégration progressive des politiques
De cet usage de la dialectique naît aujourd'hui, une autre idée de l'Europe qui se dresse devant nous dans cette crise des fondements, mais cette idée n'a de sens que si elle préserve la transformation de l'Europe en une confédération des nations et, parallèlement, en une intégration progressive des politiques, des élites et des peuples.
Cette idée se reconnaît dans l'Europe des États, car ils sont les seuls sujets de l'histoire à ne pas dissocier les réalités vivantes des nations et les réalités imagées de l'état de nature. Ce seront les plus volontaristes et les plus éclairées d'entre elles à nous accompagner et guère les plus réticentes dans les eaux profondes de la politique mondiale pour faire face aux grands défis et aux grandes incertitudes de demain.
Quoiqu'il arrive, la flamme de l'Europe ne s'éteindra pas. Mais il faut à l'Europe une « reforme intellectuelle et morale » à la Renan. Cette nouvelle idée de l'Europe est la seule en mesure de reformuler une autre image du monde, la seule à dégager une métaphysique et à dévoiler un espoir créateur conjugué cependant à un calcul rationnel des coûts et des menaces.
Ainsi, en dessous de l'approche académique et scientifique, j'ai voulu transmettre comme message mon utopie d'Europe, pour une nouvelle Realpolitik et pour une Renaissance forte du continent face au danger de son déclin et de sa dissolution.
A la recherche d'une autre idée de l'Europe et d'un mode d'action en politique internationale.
L'activation du débat sur l'épuisement historique du modèle de l'intégration a remis à l'ordre du jour la problématique traditionnelle relative à la primauté des Nations dans les relations européennes et internationales. Dans ce cadre, l'approche réaliste (permanence de la société hobbésienne et de l'anarchie internationale) n'exclut en rien l'approche idéaliste, autrement dit l'adoption de l'impératif d'une autre idée historique, ou encore de l'appel à l'utopie pour le triomphe d'une « nécessité » ou d'un postulat, métaphysique et rationnel, nouveau et original. Puisque les États qui ont une moralité relative et obéissent le plus souvent aux opportunités et aux circonstances, les motivations intellectuelles et populaires que l'on prétend susciter, reflètent en partie les déceptions héritées et mêlent à celles-ci les émotions et les attentes actuelles, ainsi que les espoirs collectifs. En effet, peu de gens se satisfont uniquement de rationalités abstraites ou de théoriques rationnelles. Ainsi, si l'idéalisme indispensable à toute avancée ultérieure part d'un impératif dicté par les situations nouvelles, son postulat de base consiste à asseoir sa légitimité sur la capacité à mobiliser les convictions collectives et à en faire des véritables moteurs de l'Histoire.
La fonction du réalisme dans ce cadre soumet les intérêts les plus universels aux égoïsmes nationaux pour donner corps à l'idée, car la nature de l'homme, intéressé ou violent et la nature de la politique, fondée sur la compétition et la force, demeurent les points d'ancrage d'une nouvelle étape et d'une nouvelle situation.
L’Europe a besoin de réalisme pour raviver ses conceptions de la sécurité et de la puissance sans adhérer à l'apostolat d'une doctrine et elle a besoin aussi de l'idéalisme utopique pour réactualiser en permanence son idée de l'Europe.
L'appel au réalisme implique enfin l'acceptation des faits et simultanément le refus de l'éthicisation du politique venant d'une conception imparfaite du monde.
Dans le règlement précaire des conflits, l'équilibre de puissance demeure le paradigme rationnel de la « prudence » et le pouvoir un moyen, un simple moyen pouvant réaliser les finalités et les objectifs les plus divers.