Prémisse
Le concept d'égalité fait système en matière de philosophie et de sciences politiques depuis les « Lumières historiques ».
Il regroupe, sous son couvert, les doctrines des droits de l'homme, de la démocratie et de l’État de droit, de l'humanisme philosophique,du « projet de paix » et, pour terminer, de la « théorie du genre ».
Le but de la présente réflexion est d'en retracer les connections et d'en mettre en valeur les répercussions politiques et culturelles.
Nous donnerons suite à la publication périodique de cet exercice intellectuel, rédigé en 2015, par la soumission à nos lecteurs du cinquième chapitre sur :
« MODERNITÉ, MULTIPOLARITÉ ET POST-MODERNITÉ »
Le premier chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/janvier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident
en date du 22 janvier 2018.
Le deuxième chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/janvier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident-0
en date du 23 janvier 2018.
Le troisième chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/f-vrier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident
en date du 8 février 2018.
Le quatrième chapitre a été posté sur le site internet :
http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2018/f-vrier/l-galit-ou-le-suicide-de-loccident-0
en date du 11 février 2018.
Les thèmes successifs apparaîtrons suivant la « table des matières »
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V. MODERNITÉ, MULTIPOLARITÉ ET POST-MODERNITÉ
Sur la « fin de la raison » et la déconstruction du « sens » de l'Histoire
La mort de la raison et la limite du pouvoir
La multipolarité et la post-modernité. Unipolarisme et ordre rationnel
Le multipolarisme et la révision axiomatique de la modernité
Ordre et chaos dans la dialectique historique
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Sur la « fin de la raison » et la déconstruction du « sens » de l'Histoire
La post-modernité peut-elle être pertinemment définie sans passer par une interprétation simplifiée de la modernité et de son « sens » ? En quoi repose-t-il ce « sens », sinon dans les deux combats qu'a pris la pensée critique de l'Occident après l'émergence de la « raison » historique, celle fondée sur la croyance dans le « progrès » rationnel de l'humanité et celle, individualiste et libérale, confiant dans la capacité du sujet, individuel ou collectif, de maîtriser son destin et d'imprimer une direction consciente à l'avenir ? Ainsi, la pensée post-moderne représente la crise de ces deux interprétations et tout particulièrement un rejet de toute philosophie de l'Histoire et de toute critique du « sujet » philosophique comme incarnation de l'acteur conjoncturellement dominant. La remise en cause du concept d'Histoire comme « unité de sens » du procès de transformation du monde, tenu politiquement par un seul sujet, a été sur le fond une remise en cause de l'idée d'unité du processus d'ensemble et la revendication conjointe de sa déconstruction, discrimination et démystification à partir des années 60. Ce type de rejet a été ontologique, existentiel et radical. Cela a été le rejet de la « raison » des Lumières et du « cogito, ergo sum » occidental.
De cette déconstruction de l' « unité » et du « sens » de la modernité naît l'idée du « retour au passé », qui prend la place de l'idée du progrès. Or la critique de la rationalité occidentale s'accompagne du désenchantement du monde et d'un pessimisme diffus sur l'avenir de l'Occident. Les enjeux politiques et culturels du passage de la société traditionnelle à la société moderne, peuvent se retrouver, « mutatis mutandis », dans le débat actuel sur les liens entre modernité occidentale et post-modernité mondiale ou encore sur la relation entre unipolarisme et globalisme d'une part et conception décentrée de la multipolarité d'autre part. De cette modernité occidentale peuvent se dégager plusieurs positions philosophiques et politiques. Une des plus significatives a été l'alliance intellectuelle entre les anti-modernes et les néo-conservateurs qui a émergé dans les années 70 en France et aux États-Unis. La pensée anti-moderniste qui a renoncé aux philosophies de l'Histoire est une pensée qui a cessé de croire à l’émancipation humaine permanente et qui, avec Heidegger, Bataille et Foucault, a radicalisé la critique de la « raison ». Les tenants de ce courant de pensée ont passé une alliance avec les « vieux » conservateurs, prônant un néo-aristotélisme à la Leo Strauss. Si les hegeliens de gauche et de droite dénoncent la raison des Lumières comme mystifiante, ils le font au nom d'une « limite » de la raison et de son universalisme, la « limite » de la subjectivité et des conquêtes de la liberté subjective. Il s'agit là d'une « limite » ontologique et géopolitique et de sa conception des enjeux mondiaux.
Si, comme l'affirme Nietzsche, la « raison » n'est rien d'autre que du pouvoir, il s'agit d'une « limite du pouvoir » de l'Occident. L'expression philosophique de la post-modernité est donc l'éclatement du « sujet » historique et de sa manifestation comme subjectivité brisée, dispersée et libérée de toute responsabilité et de toute utilité socio-culturelle. Cela se fait, au plan esthétique, au nom de la l'imagination créative et de l'expérience subjective sur fond archaïque d'une force intérieure de type dionysiaque. Cette force subjective profonde ne peut être qu'anarchique car la « vieille raison » des Lumières devient procédure, formalisme et limite technique du monde matériel inanimé.
D'autre part, le renouveau de l'intérêt pour le néo-aristotélisme à la Leo Strauss se commue en une éthique cosmologique qui ouvre la voie à la problématique écologique. A la fin des années 70, Daniel Bell a conduit une croisade conjointe contre le modernisme et le post-modernisme, les accusant de prôner un abandon de l'éthique du travail et de la démocratie au nom de l'hédonisme et du narcissisme, qui resteront les caractéristiques fondamentales de l'émancipation des générations de l'époque (hippies, homosexualité et égalité hommes/femmes). Dans cette interprétation, le post-modernisme apparaît comme un marasme intellectuel car sa culture est caractérisée par la négation du tout ordre politique et moral stable. Si en France, avec Althusser et son école, la déconstruction de la raison se fait, à gauche au nom d'un retour au marxisme, purgé et réinterprété dans le but de surmonter sa stérilité politique, en Amérique, ce même mouvement opère à droite, avec D. Bell, Rortry et d'autres, sur la base d'une double inspiration, de Heidegger, héritier de Nietzsche et de la tradition pragmatique de Dewey. Cependant, cette amalgame de courants et de penseurs ne put faire mieux du vieux marxisme, dans le but de donner une signification sous-jacente à une utopie sociale-démocrate, au nom de l'égalitarisme démocratique, décomposé en subjectivisme éthique et en relativisme moral. Dans cette perspective interprétative, Lyotard, Foucault et Rortry n'apparaissent que les épigones consolatoires des politiques conservatrices dominantes, car la critique de l'héritage moderniste-rationaliste le plus radical et le plus conséquent, reste celle d'Heidegger, par sa déconstruction de la métaphysique. En effet, après la croyance dans l'Histoire, comme moteur du « progrès » humain, la contestation de l' « idée de progrès » s'insère dans la vague d'une contestation de la société industrielle, de ses contraintes utilitaristes et de son « sens » caché, au nom d'une réminiscence de l'idée de nature, d'écosystème et d'hédonisme. Cette conversion se fit dans l'optique d'une utopie inversée, régressive, communautariste et relativiste. Ainsi, le combat post-moderne contre la « raison pure » de Descartes et la raison instrumentale de l'École de Francfort, marque l'avènement d'un nouvel individualisme de type « narcissique ». La porte est, par conséquent,ouverte à la cognition et à la justification de la « névrose moderne » qui irrigue et nourrit les politiques dominantes du pouvoir.
La mort de la raison et la limite du pouvoir
Si la « mort de la raison » demeure l'expérience centrale de la post-modernité et si la « limite » du pouvoir de la raison est la limite même, géopolitique et culturelle de l'Occident, peut-on dire que le post-modernisme est la culture des sociétés capitalistes avancées ? Peut-on conclure que ce qui caractérise le monde post-moderne est de mettre en doute le domaine des tensions et des oppositions autour desquelles s'est constitué le champ de la modernité, progrès/réaction, passé/présent, modernisme/réalisme, gauche/droite,... ?
Du point de vue strictement culturel, le post-modernisme serait une forme de populisme, qui efface les frontières entre culture de masse et culture d'élite, en particulier dans le domaine esthétique et architectural. Ainsi, toute position du post-modernisme dans la culture serait une posture politique, implicite ou explicite, résultant de la tentative de maîtriser le capitalisme multinational contemporain et la vague d'irrationalisme qui l'agite.
La culture de masse qui s'y instaure serait une sorte de « populisme conservateur » car la « mort du sujet », individuel ou collectif, marquerait le passage à une phase du développement où l’autonomie individuelle est remplacée par des impératifs techniques et la démocratie par des impératifs protocolaires et bureaucratiques. Ainsi, la déconstruction du sens de l'Histoire marque la fin de la raison historique des Lumières, la remise en cause de la modernité et la mort philosophique de la civilisation gréco-occidentale.
La multipolarité et la post-modernité. Unipolarisme et ordre rationnel
L'idée de relire l'Histoire et de représenter l'ordre rationnel, globalisé et invasif, en enjoignant aux autres cultures une homogénéisation démocratique forcée, sans autres issues qu'une modernité à l'occidentale, cette idée porte les autres pays à réinterpréter le processus historique de manière linéaire, comme une histoire du progrès humain qui va du bas vers le haut et du passé vers l'avenir, nécessairement meilleur. Dans cette optique, le multipolarité est une entrave et une position conservatrice, qui inclut des résidus de la modernité et, au-delà, de la pré-modernité. Dans cette même optique, avec la hiérarchisation du pouvoir et du développement qu'elle implique, la vision multipolaire du monde devient la matrice de nouveaux modèles identitaires et pousse à la révision des axiomes cartésiens, philosophiques et idéologiques, sur lesquels s'est fondée la modernité occidentale. Ainsi, le multipolarisme comme morphologie du nouvel ordre international n'est pas une résistance par rapport au globalisme ou à l'unipolarisme dominant de la scène mondiale, mais le projet en devenir de l'ordre post-moderne, bref une interprétation du monde qui refuse le caractère hypertrophique et décadent de l'universalisme unipolaire. Il s'agit d'un modèle radicalement différent de l'Occidental, constitué par une pluralité d'identités asymétriques. En son sein il n'existe pas une « identité majeure » normalisante ou de référence ni une hiérarchisation rigide des pouvoirs, subordonnées à un centre supranational et impliquant l'intégration à une oligarchie de puissances cooptatives.
Le multipolarisme et la révision axiomatique de la modernité
Le multipolarisme est le paradigme d'une nouvelle approche au système international du XXI siècle et le principe d'organisation d'un nouvel ordre qui comporte une révision axiomatique de la modernité. L'idée multipolaire du monde suppose un pluralisme d'Histoires nationales autonomes et refuse la conception individualiste et eurocentriste de l'Histoire, à prétention universaliste. Elle refuse toute théorie d'un gouvernement intégré, global et unipolaire, au nom de l'émergence de nouveaux modèles de civilisation.
La multipolarité renforce le rôle des identités ethniques et de tous les facteurs identitaires à caractère confessionel et religieux. Ainsi, dans cette vision du système international, les facteurs d'identité et de diffraction civilisationnelle se révèlent plus forts, enracinés et résistants de l'algorithme universaliste des divers processus d'intégration régionales et en particulier de l'Union Européenne. La vision omni-compréhensive du monde, celle que Heidegger appelait l’ « authentique existence de l'être », ne découle pas d'une individualité historique dominante, bien que fragmentée, ni d'un puzzle capable de reconstituer une image globale compréhensive, mais de formes identitaires résiliantes, souvent antinomiques. L'expression de ce multipolarisme géopolitique et conceptuel est constitué, dans la dimension des « networks » nationaux, d'une agrégation de « continents virtuels » qui impliquent, comme expression typique de l'ère de la globalisation et de l'asymétrie, une guerre intercontinentale et géopolitique des réseaux.
Sous cet aspect et de façon générale, la théorie et la pratique d'une gouvernance globale intégrée sont radicalement antagonistes vis à vis du projet et de l'idée multipolaires.
Ordre et chaos dans la dialectique historique
L'ordre et le chaos peuvent-ils être soumis à l'influence de perspectives civilisationnelles antithétiques ou peuvent-ils constituer des objectifs politiques ? Les courants anti-globalistes et anarchistes, ainsi que les acteurs perturbateurs tendent à voir dans le chaos le principe générateur d'un nouvel ordre. Les acteurs et les forces conservatrices perçoivent dans le chaos l'irrationalité et le principe de négation, la remise en cause de l'ordre établi. La catégorie du chaos s'oppose au paradigme de l'ordre rationnel, garanti par la puissance globale et doit être compris comme expression d'une dialectique originelle. En ce sens, l'ordre rationnel trouve sa correspondance pertinente dans le monde globaliste et unipolaire. Si l'ordre a un « sens » et une direction unique, le chaos représente la situation où un nouveau sens se forme, dans une sorte d’éruption cosmique. L'interprétation globaliste du monde est exclusive car elle marginalise comme irrationnel le pré-moderne et l' « autre modernité » occidentale, celle des Lumières. L'interprétation multipolaire est le fondement d'une perspective large et différenciée, fondée sur une vision multi-civilisationnelle du monde. La spécificité de chaque culture et de chaque acteur retrouve sa légitimité dans un monde multipolaire car le futur du système mondial repose sur de nouveaux modèles identitaires. Ainsi si la modernité a été occidentale, la post-modernité sera globale et sans ordre hiérarchique dominant et à priori, cette perspective conduit au renforcement du rôle de l'identité ethnique et des facteurs religieux et confessionnels. Dans l'optique multipolaire, le concept de réseau ne pourra plus être connecté à un centre mais sera différencié en terme de codes culturels et historiques, car il sera systémique, sans devenir organique à un seul sujet ou à une seule forme de pensée et de vie.