TABLE DES MATIÈRES
Première partie
- Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence
- Contestation chinoise du "statu quo" normatif américain
- Le bouleversement de perspective, la dominance continentale et l'inversion des politiques
- Mouvements stratégiques de l'Occident et antinomies d’alliances en Eurasie
- Le "déclin d’Hégémon". Alternance hégémonique ou "révolution systémique"?
Deuxième partie
- L'ordre apparent et la ruse. Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle Route de la Soie
- La mondialisation à la chinoise, "un Cheval de Troye"?
- La prépondérance de la terre sur la mer et du mythe révolutionnaire sur le commandement des forces
- Sur les "révolutions de l'espace"
- Le rôle de l'Europe, l'inversion stratégique et Yalta 2
- Recomposition civilisationnelle de l'espace euro-russe
- Le paradigme de l'inversion stratégique de l'Occident
- Un bilan conceptuel
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Première partie
Chine et États-Unis. Préservation du "statu quo" ou inversion de prééminence
La montée en puissance de la Chine, depuis la fin de la guerre froide, en termes économiques, politiques, diplomatiques et militaires,fera de celle-ci, selon nombre d' observateurs ,le plus grand protagoniste de l'histoire mondiale.
Cette émergence est susceptible de produire une inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis, puissance dominante établie et premier empire global de l'histoire et la Chine," Empire du milieu" ou État-civilisationnel, vieux de trois mille cinq cents ans et fort d'un milliard-quatre cents millions d'hommes.
A ce sujet, Chalmers Johnson, spécialiste de l'Asie, a soutenu la thèse d'une antinomie conceptuelle entre "expansion impériale" et "adaptation régionale" et il a précisé, quant à la conception de l'ordre mondial: "qu'on l'appelle "consensus de Washington", "soft power", ou "nation indispensable", cela aboutit toujours à la nécessité de maintenir un ordre mondial, inspiré, financé,et dirigé par les États-Unis."
Les tentatives américaines pour établir une hégémonie sur la Chine tendent vers des futurs explosifs et sont, en tous cas, vouées à l'échec."
En effet il n'y a pas de place dans le monde pour deux empires.
Contestation chinoise du "statu quo" normatif américain
Or, dès à présent, la contestation chinoise du "statu-quo" normatif, imposé par les États-Unis après la fin de la guerre froide, a déjà pris corps avec le rejet de l'universalité des valeurs occidentales et de la première menace ressentie par Béijin, qui est la menace idéologique du "regime change" et donc le défi intérieur de libéralisation du pouvoir et du pluralisme politique, identifiés à la démocratie occidentale. (ex.Hong Kong)
Quant à l'Europe, le destin de celle-ci se jouera en Eurasie, tant sur le plan diplomatique que militaire. Quant au premier, dans la capacité de la diplomatie européenne de dissocier la Russie de la Chine, quant au deuxième, par le rôle accru du Pacifique et de l'Indo-pacifique dans l'échiquier stratégique global.
Puisque le modèle de la stratégie dominante des deux derniers siècles a été celui de Clausewitz, la puissance de la terre qu'est Chung Kuo' se prépare à une politique d'affrontement par une logistique, qui peut adopter Clausewitz sur terre, en cas de guerre conventionnelle, Mahan, sur les deux Océans, Pacifique et Indo-Pacifique, et Sun Tzu dans l'hypothèse d'un double front de combat, terrestre et maritime.
Dans ce contexte la logistique du système One Belt, One Road devient l'élément décisif de l'épreuve de force probable entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, au Nord, au Sud et à l'Ouest du continent européen.
Au même temps, la "limite" du conflit, entre guerre d'alternance hégémonique et guerre d'alternative civilisationnelle, deviendra la variable des ambitions et du combat des acteurs aux prises.
Le bouleversement de perspective, la dominance continentale et l'inversion des politiques
Un rappel peut éclairer ce point non négligeable.
Si l'Europe et l' Asie appartiennent géographiquement à un même espace continental, l'Eurasie, un seul pays tache de les rapprocher par un immense réseau d'infrastructures routières, portuaires et numériques.
Ce pays est le Chung Kuo', l'héritier de l'Empire du milieu, dominant "tout ce qui est sous le ciel".
Puissance de la terre, la Chine, rivalisant avec la puissance de la mer, entend manœuvrer, en cas de conflit, par les lignes intérieures du continent, sans dépendre de la logique des flux et des reflux de la "société liquide".
En Eurasie, marquée par la diversités des Etats et des institutions, la dominance continentale est passée de la Russie à la Chine et le resserrement des alliances prendra la forme d'une activation du réseau des routes de la soie, modifiant le rapport des forces global.
En effet la guerre, selon Sun Tzu, ne se gagne pas principalement à la guerre ou sur le terrain des combats, mais dans sa préparation
Les risques de conflit instaurent une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et d'antagonisme.
Il s’agit d’une politique qui a pour enjeu le contrôle de l’Eurasie et de l’espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Hearthland et du Rimland.
Les rivalités, qui secouent aujourd’hui l'Eurasie, ont forcé l’Est et l’Ouest à s’interroger sur un nouveau projet de sécurité en Europe, de stabilité stratégique et d’unité de l’espace européen.
Mouvements stratégiques de l'Occident et antinomies d’alliances en Eurasie
Dans tout système international, le déclin de l’acteur hégémonique se signale par un resserrement des alliances militaires autour du leader.
Ainsi, dans la conjoncture actuelle, deux mouvements stratégiques rivaux s’esquissent au niveau planétaire :
– l’alliance sino-russe, assurant l’autonomie stratégique du Hearthland, en cas de conflit et promouvant, en temps de paix, la coopération intercontinentale en matière de grandes infrastructures, (projet OBOR -One Belt, One Road - avec la participation d’environ 70 pays)
– la stratégie du « containement» des puissances continentale, par les puissances maritimes du « Rimland » (Amérique, Japon, Australie, Inde, Europe etc.), comme ceinture péninsulaire extérieure à l’Eurasie.
Rappelons que les deux camps sont en rivalité déclarée et que leurs buts stratégiques respectifs,ne sont pas de cerner des équilibres, fondés sur les concepts d’échanges et de coopération, mais de prévoir les ruptures stratégiques, sous la surface de la stabilisation apparente.
Ainsi la fin de la bipolarité, avec l’effondrement de l’empire soviétique, a engendré une source de tensions, entre les efforts centrifuges mis en œuvre par les États de proximité, « les étrangers proches », visant à s’affranchir du centre impérial et la réaction contraire de Moscou, pour reprendre son autorité à la périphérie, par une série d’alliances enveloppantes. (OTSC, OCS)
A l’Ouest c'est l’Alliance atlantique, aujourd'hui en crise, qui a vocation à opérer la soudure de l’intérêt géopolitique d'Hégémon, dans l' immense étendue continentale entre l’Amérique et la Russie.
Le "déclin d’Hégémon". Alternance hégémonique ou "révolution systémique" ?
La question qui émerge du débat en cours est de savoir si la "stabilité hégémonique" (R.Gilpin), qui a été assurée pendant soixante-dix ans par l’Amérique, est en train de disparaître, entraînant le déclin de l'Empire et de la civilisation occidentale, ou si nous sommes confrontés à une alternance hégémonique et à un monde post-impérial dans le cadre toutefois, d'un système planétaire
L’interrogation connexe peut être formulée de manière plus abrupte et intempestive : "Quelle forme prendra-t-elle, cette transition ?"
La forme, déjà connue, d’une série de conflits en chaîne, selon le modèle de Raymond Aron, calqué sur le XXe siècle, ou bien, la forme d’un changement d’ensemble de la civilisation, de l’idée de société et de la figure de l’homme, selon le modèle des "révolutions systémiques", de Stausz-Hupé, embrassant l’univers des relations ,socio-politiques du monde occidental et couvrant les grandes aires de civilisations connues?
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Deuxième partie
L'ordre apparent et la ruse.
Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle Route de la Soie
Pour mieux inscrire dans la géographie eurasienne, l’ambiguïté de la relation de rivalité-partenariat existante entre l'Empire du milieu et le reste du monde,sous la forme redoutable d'une politique de coopération multilatérale, Xi Jinping a promus, en 2013 à Astana, la construction d'un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires rappelant les anciennes "voies de la soie",dans le but de rapprocher la Chine, l'Afrique et l'Europe, en traversant les pays d'Asie centrale.
La mondialisation à la chinoise. Un "Cheval de Troye"?
Dans la perspective d'un ordre global et à la recherche de formes d' équilibre et de stabilité à caractère planétaire, la Chine, poursuivant une quête d’indépendance stratégique et d'autosuffisance énergétique étend sa présence et sa projection de puissance vers le Sud-Est du Pacifique, l’Océan Indien, le Golfe et l'Afrique, afin de contrer les goulots d’étranglement de Malacca et échapper aux conditionnements extérieures maritimes, sous contrôle américain.
Elle procède par les lignes internes, par la mise en place d'un corridor économique et par une route énergétique Chine-Pakistan-Golfe Persique, reliant le Port de Gwaidar, au pivot stratégique de Xinjiang.
Beijing adopte la gestion géopolitique des théâtres extérieures et resserre ses liens continentaux avec la Russie.
L'influence chinoise est concrétisée par la construction d'une gigantesque "Route de la Soie", reliant le nord de la Chine à l'Europe, via le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Turkménistan.
Rien de semblable,depuis l'époque pré-impériale (VIIème siècle avant J.C.), lorsque commença la construction de la Grande Muraille, achevée par Quin (en 221 avant J.C.), après avoir conquis un à un l'ensemble des Royaumes combattants et avoir unifié ainsi la Chine.
La similitude n'est pas pour dérouter, car l'idée d'unifier l'Eurasie n'est pas lointaine de l'esprit de Xi-Jinping.
Or Obor rassemble à un véritable "Cheval de Troye" de l'âge moderne, destiné à faire basculer l'Histoire du côté de l'Orient Chinois.
Cette entreprise colossale pourrait avoir pour principe un précepte de Maître Sun Tzu: dans la guerre,"trompe l'ennemi sur tes intentions!".
Ainsi, en détournant l'attention des ennemis de la conquête de l'Eurasie,le plan de bataille du nouveau Qin Shi Huang consisterait à vaincre sans combattre, "sans ensanglanter la lame!".
La transition d'un système international à l'autre ne peut comporter une dissertation sur la morale, ni sur la licéité de la guerre, juste ou inique, car la guerre est une réalité primordiale et il faut l'accepter comme un ensemble de confrontations , préparées de longue haleine.
La recherche de l'avantages par la ruse, ou par l'ordre apparent, ne peut cacher que nous combattons hors limites,et que l'apparence de l'ordre , comme l'apparence du chaos est une conséquence de la force montante, dont dispose aujourd'hui l'Empire du milieu.
Obor, le nom des nouvelles routes de la soie, ne peut être autre chose que l'apparence de l'ordre, face au désordre de l'Otan, dénoncé par Macron, à l'extrémité occidentale de l'Eurasie.
Un grand dessein non -militaire, destiné à faire capituler l'Occident .
Avec Obor, la Chine entend manoeuvrer,à l'intérieur des terres, rivalisant dans tous les domaines, y compris les plus sophistiqués ( les numériques), avec la puissance thalassocratique dominante dans l'Océan Pacifique et indo-pacifique.
Or ce projet de modernisation et de mondialisation, présente l’entreprise de la Chine comme pacifique, une "Initiative" et pas comme une "grande stratégie", pour éloigner toute allusion à la guerre.
En revanche cet immense vecteur d'hommes et de biens, constitue un incomparable outil de gains stratégiques et logistiques pour la mobilité des théâtres et le transfert des forces.
Le transfert des forces du front de l"Est au front de l'Ouest par l'Allemagne, pendant la première et deuxième guerre mondiale a été rendu possible par un réseau ferroviaire moderne, à l'époque, et d'une redoutable efficacité militaire
En Eurasie les fronts sont multiples et il n'y a plus une seule ligne de front,à alimenter en permanence, d'où la valeur accrue du transport multimodal.
La prépondérance de la terre sur la mer et du mythe révolutionnaire sur le commandement des forces
Ainsi,en départageant les deux grandes stratégies de Chung Kuo', terrestre et maritime, Obor exprime la prépondérance décisionnelle, en cas de crise, de l'armée populaire sur le groupe dirigent, sur le comité centrale du parti et son primat stratégique sur les hauts commandements des armées de terre, de mer et du ciel , car elle influence la liaison du peuple et des élites et rappelle l'épopée mythique de la "longue marche".
En forte expansion par tonnage annuel ,la marine chinoise aura pour but le"dénis d'accès" des puissances de la mer vers le littoral et, plus loin vers le coeur des terres, le Hearthland de Halford MacKinder, pivot de l'Histoire, car l'empire du milieu, n'a pas vocation à passer d'une existence terrestre à une existence maritime et veut maintenir sur une base continentale la suprématie de Chung -Kuo'.
En réalité, "le jeu politique qui concerne les mers est déterminé par les États terriens." (Julien Freund, in "Terre et Mer" Carl.Schmitt, postface)
Par son tracé, en volutes de dragons, la nouvelle route de la soie concrétise la géopolitique des partenariats que dessinent les sept corridors de ce grand " boa constrictor" et, par conséquent, la désignation des théâtres et les formes de combats coordonnés dans les trois continents, l'Asie, l'Afrique et l'Europe, afin qu'ils soient soudés par un réseau de couloirs routiers et maritimes, serrés par une seule main.
Pour atteindre la victoire un État doit avoir la possibilité d'occuper tout ou partie du territoire ennemi et seul la Chine est à la hauteur de cet exploit.
Sur les "révolutions de l'espace"
L'initiative chinoise est elle en train de susciter une nouvelle révolution de l'espace, comparable, pour ses répercussions, à celles qui l'ont précédées?
Après l'âge de la mondialisation(1980-2019),menée par la logique de l'échange,ainsi que par l'idéologie des droits de l'homme et d'un monde sans frontières, la Chine inaugure-t-elle une nouvelle phase historique, celle de la "continentalisation" du monde autour de l'Eurasie et d'une autre stabilisation du pouvoir et de l'économie?
L"élargissement des horizons du monde, provoqués par l'effondrement du système soviétique, a provoqué une mutation culturelle profonde et donné à l'Asie centrale une vision "déterritorialisée" de l'univers socio-politique, aux possibilités illimités.
Avec les nouvelles routes de la soie, une autre conception de l'espace s'affirme, par laquelle la terre éclipse la mer et la contourne.
C'est un tournant, dans lequel l'humanité se déplace et un autre rapport s'instaure, plus autonome, dans la relation entre villes et campagnes du monde, marquant la dépendance de certaines régions d'un moteur plus souple de planification, sous forme de partenariat, de projets de co-développement et d'autres maillage d'affaires.
Ce ne sont plus "les écumeurs des mers" (pirates, corsaires, boucaniers et flibustiers), à la recherche d'aventures individuelles et lucratives, mais de vagues de terriens, en quête d'une autre stabilisation et existence sociétale.
La nouvelle dimension de l'espace exige une autre organisation des terres, à l'échelle planétaire, et cette réorganisation sera naturellement belliqueuse.
Or, si la mer avait rendu possible le rêve de l'Amiral Mahan, d'une unification des peuples de la mer (Grande Bretagne et États-Unis en 1904), et si les Hollandais à la fin du XVIème siècle,devinrent les "transporteurs" des autres pays d'Europe, par les perfectionnements apportés à un nouveau type de navire, pourvu de vergues, de quoi seront ils porteurs les chinois, si non d'un autre type de transports et de parcours terrestres irradiants.
Pourra-t-on encore faire la distinction entre étrangers et locaux, lorsque des dizaines de millions d'hommes , embarqués sur les rails, feront de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe, un univers sinisé et une "République de Confucius", par une prise de terre, massive, pacifique et commerçante ?
Au rétrécissement de l'espace européen, fera suite une conscience globale plus éveillée. qui donnera naissance à une nouvelle race, métissée, biologiquement et politiquement, où se confondront blancs, mongols et noirs, gardes rouges fanatiques, ultra-démocrates honkongais, hommes des triades, geishas européennes et arabo-musulmanes, progressistes trans-gendres, trafiquants violents et militaires aguerris, pour se disputer le butin de la croissance et le droit à une parole plus libre.?
Le rôle de l'Europe, l'inversion stratégique et Yalta 2
Xi-Jinping veut reprendre l'hégémonie géopolitique du monde sur la base de la puissance terrestre et de la vieille tradition des Empires,par la voie des partenariats et non des alliances, qui seules permettent la constitution de blocs homogènes.
Or, le caractère terrestre a pris en Chine une signification culturelle et historique, à laquelle les autres pays ne peuvent pas prétendre,celle de se percevoir au mileu du monde et de devoir régner "sur tout ce qui est sous le ciel".
Rien de semblable depuis l'Empire de Rome, lorsque les voies impériales et consulaires conduisaient toutes à Rome, "Caput Mundi" et règne du pouvoir et de la loi.
La maîtrise de la logistique impressionnante d'Obor, dont la clé appartient à la Chine, s'imposera aux forces combattantes et dictera les formes de l'affrontement de demain, autrement dit , les conditions de la paix et de la guerre entre"Orient et Occident".
Quel sera-t-il, dans ce cas, unique dans l'histoire, le rôle de l'Europe, en ce choc de continents et de civilisations?
Dans une période de mutations profondes et globales, quel espace d'autonomie et de manœuvre, culturel et civilisationnel restera-t-il à l'Europe, par rapport à la puissance extérieure dominante, au sein d'une Eurasie sinisée et d'un Rimland américanisé?
La liberté d'action de l'Europe ne pourra se définir que par une inversion stratégique à l'Est, autrement dit, par le passage de l'isolement continental de la Russie à celui de la Chine.
C'est pourquoi ce résultat ne peut être obtenu par l'Otan, qui demeure une alliance défensive euro-atlantique, visant la Russe. dans un contexte global d'affrontement.
Si Obor représente la logique d'une ouverture atlantique de la Chine, atteignant l'Europe, en réponse à la stratégie adverse d'isolement , l'esquisse géopolitique de Macron, concernant les blocages de l'Otan et la reprise du dialogue avec la Russie, laisse présager une ouverture euro-russe du Hearthland et une manœuvre diplomatique de désarticulation du partenariat chino-russe.
A terme, un "Yalta 2", influant sur le système international du XXIème siècle, sous espèce d'une "Doctrine Monroe" de l'Eurasie, comme zone d'influence européenne, entre l'Europe,la Russie et la Chine, aura pour but de maintenir le pluralisme étatique et non seulement démocratique en Asie centrale, afin qu'il ne se constitue pas un bloc hostile aux intérêts européens.
Ce plan déterminera aussi la liberté des Océans Pacifique et Indo-Pacifique et libérera l'accès à l"extrême Orient, de la part de l'Australie et du Cône sud des Amériques.
Une nouvelle alliance euro-russe, en défense des intérêts des "grands espaces" schmittiens, sur les frontières de l'ancienne Union Soviétique, replacera l'affrontement hégémonique au cœur de l'Asie centrale, de manière à ne pas être pensé encore sur le modèle la guerre froide à l'Est du continent.
Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine au plan géopolitique, a eu pour but de jouer un rôle d’équilibrage et de contre-poids, au cœur de la masse continentale eurasienne et de repartir les zones d'influence entre les deux puissances dominantes, dans le cadre de la multipolarité.
Cette double poussée, virtuellement antinomique, est corrélée à l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui fait fonction de stabilisateur régional.
Recomposition civilisationnelle de l'espace euro-russe
La stratégie de la future (et encore hypothétique armée européenne) devrait adopter une politique de recomposition civilisationnelle de l'espace euro-russe ( de Lisbonne à Vladivostock) et passer de la tentative de roll-back et d'isolement de la Russie (par l'Otan), à une doctrine inversée du Hearthland, en isolant la Chine qui représente la menace majeure pour la puissance thalassocratique extérieure.
Celle-ci, comme Athènes dans les guerres du Péloponnèse, ne pourra gagner au même temps et conjointement la Russie et la Chine, provoquant à l'Ouest l'effondrement définitif de l'Europe et l'écroulement de la civilisation Occidentale.
La mort d'Athènes et de Rome ne grandiront point l'image créatrice et chaotique de l'Amérique post-impériale, comme héritière du berceau culturel de l'Occident.
Le paradigme de l'inversion stratégique de l'Occident
Le repositionnement des ambitions du triangle États-Unis, Russie et Chine, rééquilibrant la multipolarité actuelle, aurait pour but de rendre limité le règlement d'un conflit éventuel entre les États-Unis et la Chine, évitant une guerre discriminatoire, élargie à l'ensemble de la planète.
L'affrontement à prévoir aurait alors pour limite l'alternance entre "peer competitors" ou candidats à l'hégémonie et non la structure générale du système international
Il laisserait subsister les vieilles nations, leurs peuples et leurs mémoires, dans une position subalterne, donnant lieu à des métissages inconnus de liberté et de la soumission, au lieu de précipiter le dilemme d'une opposition existentielle entre l'Orient et l'Occident.
Cette limite aurait pour signification essentielle ,la préservation d'un"statu quo" civilisationnel entre les deux hémisphères, évitant, entre-autre, une invasion des peuplades désordonnées de l' hémisphère Sud vers le Nord de la planète, où une seule civilisation, continentale et blanche, a promu les grandes découvertes et a fait évoluer le genre humain.
Un bilan conceptuel
Au moment où le Royaume Unis, avec le Brexit, embrasse à nouveau son insularité et se tourne vers le grand large, les pays du continent voient réapparaître les figures protectrices des États-Nations (souverainisme et populisme). Dans ce cadre, l'Europe considère qu'une conversion du continent à la mer et au libre-échange intégral, est impossible. Ses citoyens gardent la fidélité à leur habitat, essentiellement terrien et prétendent le préserver et l'améliorer (campagnes écologiques)
En effet l'arcanum des réflexes européens est constitué par la terre et par l'ordre de l’État, le Léviathan.continental.
L'Europe ne garde pas le réflexe côtière de ses anciennes républiques maritimes (Gênes ou Venise), mais l"attachement des paysans, désormais périphériques, à leur terroir et à leur système de vie (Gilets Jaunes).
Dans ce contexte, dans lequel l'état de nature hobbesien ne peut être arbitré que par la violence et par le spectre du conflit, la conception thalassocratique de la guerre, visant le libre commerce, repose sur l'ubiquité du danger, désigné par la puissance maritime, par le biais d'une alliance océanique illimitée, l'Otan
C'est dans ce contexte que l'intervention de Macron sur la "mort cérébrale" de l'Alliance Atlantique, éclaire sur la conscience globale de la nouvelle conjoncture historique.
Face à la discorde sur la désignation de l'ennemi, il prend le parti de la terre (Russie) contre la mer (bloc thalassocratique) et sutout contre l'interventionnisme "illimité"et universel de la puissance de la mer (hégémon).
L'Iran, la Chine et la Corée du Nord n'obéissent pas aux figures obsidionales du"Mal", contre lesquelles une violence totale est justifiée et légitime, mais à des figures de "justi hostes", disposant des mêmes droits et des mêmes raisons de faire appel à la guerre et contre lesquelles une violence illimitée est injustifiée.
En effet le "juste ennemi" est celui que l'on ne peut identifier à la figure du Mal, au nom d'un exclusivisme ou d'une intransigeance morales et dont on peut comprendre l'hostilité et les objectifs politiques, puisque demain il sera peut être un allié.
Puisque l'Eurasie occupe l'espace historique de l'Allemagne et de la Russie réunies, la lutte entre la puissance de la mer et la puissance de la terre prend la forme actuelle d'un affrontement entre l'atlantisme de certains pays européens et l'eurasisme de certains courants de pensée russes.
Ainsi, compte tenu de la double impossibilité, d'une domination mondiale unipolaire et d'un État de l'humanité pacifié, qui suppose une neutralisation et une dépolitisation totale du monde, l'évolution planétaire va dans la direction d'un pluralisme des grands espaces (C.Schmitt), autrement dit, vers des sphères d'influence et des zones culturelles homogènes (Yalta 2), dont la cartographie obéit, en large partie aux oppositions binaires de la terre et de la mer.
L'échec de la tentative d'instaurer un unipolarisme dominant et la montée en puissance des anciens empires historiques comme, l'Inde, l'Iran, la Russie et la Chine, justifie la démarche de Macron vers un nouveau pluralisme du monde autour d'une mère civilisationnelle commune à la Russie et l'Europe, l'Occident romain-orthodoxe.
Le caractère identitaire et irrévocable de cette distinction est au fond la reconnaissance d'une faille profonde entre l'Orient Russe et le grand Orient Chinois, dont les voies de la soie constituent les tentacules puissantes d'un dragon, tiré de son histoire et doué d'un feu existentiel et spirituel trente cinq fois séculaire.
BRUXELLES le 23 Décembre 2019